lundi 3 février 2025

Entre tradition et postmodernité. Résilience du folklore alpin ?

 



 

À quoi sert le carnaval ?  À plein de choses, bien sûr. Les historiens et les anthropologues ont réalisé des études merveilleuses à ce sujet. Et les folkloristes aussi, bien entendu, comme Giuseppe Cocchiara, célèbre par son ouvrage Il mondo alla rovescia ( Le monde à l’envers)*.  Parmi les fonctions du carnaval, on le sait, il y a celle de nous représenter la société telle qu’elle serait si les conventions qui la règlent n’étaient pas respectées : si les lapins, armés de fusils, faisaient la chasse aux chasseurs, si les bœufs, avec de grands coutelas, écorchaient vifs les bouchers, si les ânes faisaient tirer la charrette aux fermiers, si les pauvres faisaient l’aumône aux riches etc. Le Carnaval permet de revenir au monde indifférencié des origines, là où les identités sont encore fluctuantes. Dans ce monde où on peut être plusieurs choses à la fois, et la rigueur de la loi est suspendue**, on a le droit de transgresser et de se défouler.  La transgression n’est pas seulement permise, elle fait l’objet d’une prescription : « et à ceux qui ne font pas la fête, dit le refrain d’un chant traditionnel, nous couperons la tête … ».  Bref, on fait imploser les désirs refoulés et les fantasmes socialement réprimés au sein d’un périmètre de sécurité : l’espace/temps de la scène carnavalesque.

Le Carnaval est aussi le moment du retour des exclus : les morts, qui rejoignent la communauté pour faire un rapide coucou, les hommes sauvages et autres personnages fantastiques qui circulent la nuit dans les bois, les animaux de la ferme qui se mélangent à la foule comme si on était tous copains - pour ne pas parler des bêtes de la forêt qui nous aident à représenter, derrière le masque, notre sauvagerie à nous.

On sait que dans les Alpes les cortèges carnavalesques sont encore assez vivants***. Je viens d'assister à celui de Fornesighe, près de Forno di Zoldo, le seul hameau de la vallée, m’a-t-on précisé, épargné par les flammes qui menacent fatalement les fragiles structures en bois de l’architecture locale. Dans les deux ou trois billets suivants je ferai état de mes sentiments de témoin occasionnel.

 

* Giuseppe Cocchiara, Il Mondo alla rovescia, Torino, Boringhieri, 1981.  
** Ou, pour être plus précis, « licenciée » : la libertas decembrica donnait la licence de ne pas respecter les codes moraux en vigueur (Cf. Carl Gustav Jung dans l’ouvrage collectif consacré à la figure du Trickster : (Paul Radin, Charles Kerenyi, Carl Gustav Jung), Le Fripon divin, Georg éditeur, 1993 [1958]

*** Comme dans les Pyrénées, célèbres pour la fête de l’ours devenue de plus en plus une attraction touristique.

dimanche 2 février 2025

La boîte magique et les pantegane (3 sur 3)


(Suite et fin) Au bout de l’allée, derrière le virage, trônait un gros conteneur en plastique en forme de pyramide destiné au compostage. C’était un composteur magique : on avait beau le remplir, il restait toujours à moitié vide.

On comprit plus tard son secret. C’est comme pour le chien. Si son maître et sa famille avaient été végétariens, il n’y aurait pas eu de problèmes. Et s’ils avaient respecté les consignes en matière de compostage tout se serait bien passé. Le fait est qu’ils utilisaient  le composteur pyramidal comme une micro-décharge, pour ne pas dire un charnier : « Mais tu y mets les peaux du fromage et les coquilles d’œuf ? ». « Bien évidemment, c’est de la matière organique ». « Et les os du poulet » ? « Bien sûr, ça se décompose : "Souviens-toi que tu es poussière, et que tu redeviendras poussière" … ».

Ayant dépassé l'âge adulte depuis un long moment, le chien quitta la scène. Son maître en profita pour disperser du raticide partout. Les pantegane, qui sont intelligentes, quittèrent les lieux et  allèrent contribuer à la biodiversité quelque part ailleurs.

Le composteur n’était pas très en forme lui non plus et on décida de le supprimer. Surprise : son fond avait disparu, complètement rongé par les rats. De son emplacement partaient des tunnels qui s’enfonçaient dans la terre mélangée à des morceaux de plastique de toutes les couleurs. La colline était devenue un immense gruyère et, pour éviter qu’elle s’écroule, il fallut la bétonner.

Morale : certains humains sont moins éveillés que certaines pantegane.

vendredi 31 janvier 2025

La boîte magique et les pantegane (2 sur 3)





(Suite) En regardant par la fenêtre, on voyait débarquer les pantegane en plein jour. Elles apparaissaient furtives au fond de l’allée, hésitaient un moment, et se lançaient dans une course effrénée, comme des commandos sur une plage normande, pour atteindre la gamelle.  Le chien, imperturbable, s’en foutait. Il connaissait les pantegane de longue date. Ils s’appréciaient mutuellement.

Le maître du chien sortit de l’armoire sa carabine  à air comprimé et, la fenêtre entrouverte, se mit à tirer sur les pantegane. Pendant quelques jours il arriva à en foudroyer quelques-unes, sans ressentir le moindre remords. Mais bientôt la nouvelle se répandit. Un blessé, peut-être, rentré dans la tanière, fit circuler l’information : « Il y a un fada … je ne sais pas ce qui lui prend, il nous tire dessus ! ».  A partir de ce moment, les pantegane n’opérèrent que la nuit. Difficile de les chopper. Et mettre de la mort-aux-rats dans la gamelle du chien n'aurait pas été la bonne solution. (À suivre)

mercredi 29 janvier 2025

La boîte magique et les pantegane (1 sur 3)

 


Si le chien avait été végétarien les choses se seraient passées autrement. Sa gamelle était en bas de la fenêtre, à l’arrivée d’une petite allée. On y déposait toutes sortes de restes carnés à l’état de conservation très variable.

Lorsque, après une absence prolongée, le maître du chien s’en aperçut, c’était trop tard : les pantegane s’étaient installées.

En Vénétie, on appelle par ce nom le surmulot (rattus norvegicus ou, si on préfère, rat d'égout, rat de Norvège ou encore rat gris). L’étymologie vénitienne situe les origines de ce rongeur bien connu dans la Mer noire (du latin Ponticus). C’est un animal « indispensable pour la biodiversité », précisent les sources, et particulièrement intelligent, mais qui ne jouit pas d’une réputation excellente (je constate, au passage, l’assonance de « pantegana » avec le lombard « spantegàr » (disséminer avec perfidie) et avec « pandémie »). Les complotistes lui attribuent un rôle central dans la propagation de la peste (À suivre).

dimanche 26 janvier 2025

Pas sur mon parking. Short Story

 


 

Val di Zoldo (Dolomites) hier matin. Un jeune homme s’apprête à sortir avec son chien pour une promenade. En regardant par la fenêtre, il aperçoit sur le parking un loup qui est en train de dévorer un cerf. Il décide de rester à la maison.

vendredi 24 janvier 2025

À propos du « Dessein intelligent ». Short story.

 


Mousse artificielle Éternelle, Plante Verte

 

Voici une histoire vraie recueillie par moi-même il y a quelques années. Juste avant les fêtes, un père de famille s’était rendu dans les bois ramasser de la mousse pour la crèche de Noël. Dans la mousse il y avait une tique. Il est mort quelques mois plus tard.

mercredi 22 janvier 2025

La couleur des ongles lorsqu’on aime creuser



Lorsque j’étais petit, bien avant l’invention des « animateurs nature », bien avant que des émissions comme « C02 mon amour » ou « La terre au carré » nous apprennent à apprécier la Wilderness, j’aimais m’enfoncer dans les bois derrière la maison. J’y allais tout seul comme Henry David Thoreau (j’exagère un peu, j'y restais moins longtemps) et je revenais avec des cyclamens, des cailloux, des perce-neiges, des brindilles de saule annonçant le printemps. Mes ongles, pleins de terre, étaient toujours d’un noir profond. Pour me taquiner, on me disait : « Sergio, sei in lutto ? Ti è morto il gatto ? (« Sergio es-tu en deuil ? Est-ce que ton chat est mort? »*. Les gens riaient. Moi, je n’y arrivais pas. C’est dire si les sensibilités ont changé.  

* Les lecteurs auront sûrement saisi le caractère à la fois éloquent et énigmatique de cette phrase, qui ouvre sur un monde où le rapport aux chats n'était pas le même que celui d'aujourd'hui.

dimanche 19 janvier 2025

Quand on aperçoit les oreilles du lièvre

 

Dans le billet précédent j’ai évoqué la proposition de Raphaël Larrere de transformer les grands prédateurs en gibier chassable et sa réflexion autour des raisons qui empêchaient de réguler la démographie des ours et des loups par des plans d’abattage gérés par les chasseurs. Ce refus, constatait Larrère, ne venait pas des doutes éventuels quant à l’efficacité de la stratégie. Le véritable enjeu concernait la légitimité même de la chasse. Autrement dit : « Si on est contre la régulation sélective des ours et des loups par les  chasseurs, qui aurait tout l’air de marcher,  c'est parce qu’on est contre la chasse en général ».

Un article de  2003  ( accessible à l’adresse suivante https://www.jstor.org/stable/1480073 ) permet de saisir le raisonnement de Larrère dans son intégralité).

Ce matin, en lisant un proverbe breton, j'ai pensé  aux plans d’abattage et au mythe émergent de l'écologisme rural (un écologisme « atavique transmis d'une génération à l'autre depuis la nuit des temps  ... ») :  

 « Quand on aperçoit les oreilles du lièvre, c’est tout de suite qu’il faut l’assommer ».

Derrière la métaphore, on mesure la distance qui sépare la gestion contemporaine du « capital faunistique » des manières  plus expéditives d’aborder le sujet chez les non-modernes.

L'apparition d'un lièvre? Une occasion à ne pas manquer !

vendredi 17 janvier 2025

Raphaël Larrère

 


À l’époque, pour travailler autour de la nature, de la chasse, du sauvage  (sujets considérés comme marginaux chez les anthropologues péninsulaires),  les italiens devaient traverser les Alpes.  Lorsque, ma thèse à peine terminée, je suis entré dans le bureau de Raphaël Larrère  à qui on avait signalé mon existence (il était question d’un poste de chercheur autour de problématiques proches des miennes) j’étais assez intimidé.  J’ai remarqué son élégance à la fois sobre et vaguement excentrique (je crois me souvenir d’un gilet en velours à l’allure texane).  Son regard était  luisant et chaleureux. Pendant qu’on parlait il s’est mis à bricoler autour d’une théière et  il  a roulé une cigarette. Il l’a même allumée  (nous évoluions  encore dans ce no mans land bureaucratique qui a précédé l’interdiction  réelle de fumer dans les espaces publics).  Ses recherches sur la cueillette et la forêt en général m’avaient beaucoup passionné par leur précision ethnographique, liée à une capacité rare de mise en perspective théorique.  On a terminé la conversation en échangeant nos avis autour de nos champignons préférés. Je suis sorti du bureau avec le sentiment d’être un adulte, je veux dire un interlocuteur. Par la suite nous avons eu l’occasion de communiquer  à plusieurs reprises et parfois de collaborer. Sa disponibilité m’a toujours honoré. Ses contributions à l’anthropologie de la nature sont parmi les plus significatives et j’aurais du mal à les résumer en quelques lignes*. Juste pour l’anecdote, je me souviens d’une réunion pendant laquelle il suggérait, pour régler le problème de la prolifération excessive des grands prédateurs, de modifier leur statut en les rendant « espèce chassable ».  Devenus du gibier, les ours et les loups rentreraient dans les plans de chasse au même titre que les cerfs ou les chamois : leur démographie serait donc régulée par les chasseurs eux-mêmes.  Des raisons purement idéologiques, paraît-il (leurs défenseurs diront qu’elles ne sont pas idéologiques mais morales) coupent les ailes, en France, à ce genre  de propositions ** 

Cette suggestion  n’empêchait  pas Raphaël Larrère d’être tout à fait favorable au retour des grands prédateurs dans les régions qu’ils occupaient avant leur éradication. Dans le faire part de son  décès,  survenu le 4 janvier, on peut lire :

« Ingénieur agronome, directeur de recherche à l’INRA, il aimait la nature, cueillir la montagne, et protéger les loups ».

L’anthropologie de la nature est aujourd’hui très à la mode. Je regrette la disparition d’un pionnier.

* Si j’arrive à l’obtenir, je mettrai dans un prochain billet la bibliographie le concernant.

** Mais  pas en  Slovénie, par exemple, où cette solution marche admirablement. 

mercredi 15 janvier 2025

Le toutou-garou

 

Ça a démarré en Allemagne, paraît-il, mais on signale plusieurs cas analogues en Finlande, Belgique, Pays-Bas, Suisse …
Soudainement, les chiens d’appartement les plus paisibles sont saisis par des crises de panique accompagnées par  des hallucinations, des convulsions, des comportements agressifs. Pour rendre le tout encore plus spectaculaire, ils se mettent à hurler comme des loups. On a baptisé cette constellation de  symptômes  le « syndrome du loup-garou » et attribué ses origines à la consommations d’un os en peau de bœuf destiné à assurer l’hygiène dentaire du meilleur ami de l’homme. Mais les vraies causes sont peut-être ailleurs (le retour du refoulé, par exemple). Les plus pessimistes pourraient y voir des signes avant-coureurs de la fin de l'alliance entre les humains et les non-humains, le point d'arrêt de la  coévolution, le crépuscule du projet domesticatoire.

lundi 13 janvier 2025

Quand le crapaud chante

 

Gouache de Fancisco da Silva, 1966

Finalement un ciel dégagé. Cela fait particulièrement plaisir à ceux qui, débarqués par hasard dans le Finistère (c'est mon cas),  passent leur temps à critiquer la météorologie locale*. Je jette un coup d’œil aux proverbes de janvier et je tombe sur  « Soleil au jour de Saint-Hilaire (13/01), rentre du bois pour ton hiver ». Pas très encourageant. Celui-ci non plus : « Quand le crapaud chante en janvier, serre ta paille, métayer ». Il  n’est pas gai mais il me fait sourire. Je connaissais le chant des loups, celui des sirènes  et celui  des grenouilles. Je cherche à me figurer celui des crapauds.

* Ils n’avaient qu’à rester chez eux, bande de Ritals !

samedi 11 janvier 2025

Être lépidoptère à Aix-en-Provence

Une amie romaine faisait ses études à Aix-en-Provence. Un jour sa tante, une institutrice à la retraite, lui a envoyé une carte postale à l'adresse suivante  : Mademoiselle XY. Cité universitaire des Cuques, rue etc., Papillon n.3. On a trouvé la chose très poétique. Ce qui ne nous a pas empêché de rire.

C'est merveilleux d'étudier dans un pays où l'on vit dans des quartiers papillonnaires.


mercredi 8 janvier 2025

Retrouve-t-on ses chiens au Paradis ? Même les dobermann ?

 


 

On peut avoir un dobermann à différents titres : parce qu’on se sent menacé, par exemple, ou parce qu’on est fasciné par sa violence  présumée*. On peut aimer le dobermann en raison de son « patriotisme », dans le sens qu’il adore son maître, à savoir son patron. On peut s’identifier au dobermann en le considérant comme victime d’un mauvais procès (« On lui attribue injustement des dispositions qu’il n’a pas », pensent certains propriétaires, « et nous le prouverons scientifiquement en le laissant seul à côté de nos bébés  … »). On peut apprécier le dobermann parce qu’il ne craint pas le feu des lance-flammes, c’est  toujours utile, parce qu'il est un « visionnaire »,  ou parce que d’autres, notamment « ces autres- là dont on va s’occuper bientôt », ne l’apprécient pas du tout.

Personnellement, le jour du bilan final, j’aimerais qu’on puisse dire de moi : « Il a été entouré par plusieurs races canines, mais pas par des dobermann » **.

* Je dis présumée parce que la violence du dobermann, paraît-il, est juste une rumeur.

** C’est dire si je suis raciste. En fait, ce que je n'aime pas chez le dobermann, ce n'est pas forcément le chien (quoi que ...) mais ce qu'il représente, le message qu'on communique par son intermédiaire.

dimanche 5 janvier 2025

Les Japonais haussent le thon

 

J'ai emprunté cette image au quotidien La Repubblica d'aujourd'hui

Les Japonais, pour dire les choses de façon plus précise, haussent le prix du thon. Lors de la première vente annuelle au marché  Toyosu, à  Tokyo, celui de la photo a été vendu pour 1 million et 300.000 euros. Simultanément – c’est sans doute une synchronicité - le parc Marineland d’Antibes a fermé ses portes. Les deux cas prouvent la grande valeur que nous attribuons aujourd'hui à la faune sauvage.


vendredi 3 janvier 2025

Cimetières animal frendly

 


Giacomo Ceruti (1698 - 1767), Portrait de vieil homme avec carlin

Je viens de lire dans La Repubblica du 2 janvier une nouvelle qui fait écho aux remarques de mon dernier billet concernant l’effritement de l’ancienne frontière qui nous séparait des autres animaux.  La commune de Milan a décidé que, dorénavant, les propriétaires de chiens, chats, tortues, lapins, hamsters, furets, poissons et autres animaux de compagnie, pourront héberger dans leur tombe les cendres de leurs protégés.

Pour de nombreux citoyens c’est sûrement un pas en avant. D’autres se sentiront dépaysés : ils prévoyaient d'être enterrés dans un cimetière. Ils auront le sentiment d’être enterrés dans un zoo.

mercredi 1 janvier 2025

Chiens d’antan

 


 Antonio Ligabue, Autoportait avec chien , 1957

La nouvelle année m'inspire des généralisations.  J’ai l’air cynique, parfois, parce que j’aime rappeler la distance qui nous sépare des autres animaux (chez moi c’est une priorité morale).  Mais je sais bien à quel point les non-humains  peuvent  laisser des traces profondes dans notre vécu.  Je pense à mes chiens. Nous nous comprenions très bien et, en arpentant avec application les espaces verts, nous avons beaucoup collaboré à notre bonheur réciproque.  Ça a été merveilleux*


* C’est drôle, mais dans ce billet très spontané j’ai le vague sentiment d'avoir été influencé par  ChatGPT.


lundi 30 décembre 2024

« Parce que je m’appelle Lion ». L’intelligence artificielle et le nouvel an.

 

Jacobello del Fiore (1370?-1439) Le lion de Saint-Marc propose aux éditeurs le texte qu'il vient de rédiger.

Ça dépend des tempéraments. Certains chercheurs estiment que « les idées sont dans l’air du temps ». Ils ne donnent donc pas trop d’importance à leur origine. S’ils les trouvent bonnes ils les adoptent en se disant : « Tiens je l’ai toujours pensé ».  Voire : « C’est une bonne idée, je vais la perfectionner ». Ils oublient vite leur source d’inspiration et finissent  par se convaincre d’être à l’origine de la trouvaille. « Pourquoi suis-je à l’origine de cette trouvaille?  Parce que je m’appelle Lion » ).

D’autres, pensent qu’il ne suffit pas que les idées soient dans l’air.  Il faut aussi un « oiseleur » qui les attrape. Ils tiennent énormément au fait d’avoir ouvert une piste et lorsqu’ils sont paranoïaques, ils voient des plagiaires  partout : «  Elle écrit sur le même sujet que moi avec dix ans de retard et elle fait semblant de ne pas avoir lu mon bouquin ! …». « Il ne cite qu'une partie dérisoire de mes travaux  tout en se nourrissant du reste … ».  Souvent le chercheur paranoïaque se trompe : d’autres, avant lui, ont parcouru le chemin  qu’il prétend avoir inauguré.  Si on lui disait la vérité (à savoir qu’il n’est pas le vrai père de sa créature), il serait dépité mais il arrêterait de souffrir. Parfois, en revanche,  c'est lui qui a raison, mais il a du mal à le prouver.

L’année qui s’ouvre, de ce point de vue, est prometteuse. En comparant deux textes et, plus largement, l'œuvre de deux auteurs,  l’intelligence artificielle saura peut-être repérer des similitudes, des récurrences lexicales, des enchaînements typiques, des écarts chronologiques significatifs et, par là,  des paternités et des filiations. Ce sera un peu comme avec la découverte de l’ADN : à partir d’une idée, d’une problématique, d’une perspective de recherche, on pourra remonter aux géniteurs.

samedi 28 décembre 2024

Lustrations

 



Vieux lustres à l'époque de leur jeunesse

En se promenant la nuit de la fin de l’an, en Italie, il fallait faire attention : les gens jetaient des vieux objets par la fenêtre (la vaisselle ébréchée, par exemple). Ce geste n'avait rien de pratique,  sa fonction était purement symbolique, pour ne pas dire magique*  : on se débarrassait du passé et on s’ouvrait à l’avenir.  Je me suis posé la question suivante : est-ce que les destructions accidentelles entrent dans la même catégorie ?

Mettons, par exemple que quelqu’un, juste avant la fin de l’an, décide de restaurer un vieux lustre un peu ébréché  et de l’installer chez lui. Et mettons que ce vieux lustre, à peine installé, chute sous ses yeux à cause d’un crochet, tout aussi vieux, qui n’a pas assuré son rôle. Peut-on ranger cet événement du côté des gestes propitiatoires ? Ça se discute, dira-t-on. Personnellement,  je pense que c’est au propriétaire du lustre de trancher. 

 

* Donc, à sa manière,  pratique. Je me contredis.

jeudi 26 décembre 2024

Impressions de Noël. Les animaux et le sens du temps

 


Les Rois Mages dans l'ordre d'arrivée

 

Les animaux nous ressemblent,  me disais-je la veille de Noël en me promenant dans les bois qui longent l’Élorn, mais ont-ils le sens du temps qui passe?  Leur arrive-t-il de se dire : « Mince, je suis en retard? ». J’y pensais parce que j’avais traîné, comme d’habitude,   et il commençait à faire noir.

La forêt bretonne, avec ses  Merlins, ses Arthurs, ses Vivianes et ses Morganes est propice   aux rêveries, on le sait.  Elle se prête aussi aux identifications : pendant un moment, sous le charme hypnotique des formes végétales,  on oublie ce qu’on est et on devient autre chose. 

Derrière les branches des hêtres j’avais cru apercevoir une étoile et j’ai accéléré le pas. Cela a suffi pour que je m’identifie à un Roi Mage. Un Roi Mage distrait, ayant pris du retard sur les  autres parce qu’il a  dû rentrer à la maison pour vérifier qu’il avait bien éteint le feu.

mardi 24 décembre 2024

Larmes de (et pour un) crocodile

 


Le frontière entre les espèces ne cesse de se réduire. Je parcours le quotidien La Repubblica et je découvre que Burt, le protagoniste du film “Mr. Crocodile Dundee”, vient de décéder. Je ne connais pas Burt, ni le film en question mais la nouvelle me touche. Enfin, je suppose  que c’est comme ça que   je devrais réagir en tant que lecteur de La Repubblica*.

 

* Ça me donne envie de devenir monarchiste.

dimanche 22 décembre 2024

Noël, la concorde s'installe

 

Santons d’art Denizou

On discute. Les points de vue ne sont pas forcément les mêmes. Mais un constat fait l’unanimité : on a beau ranger la crèche de Noël avec toutes les précautions. Tôt ou tard on découvre que l’âne a perdu une oreille et on n’arrive pas à la retrouver.

 

vendredi 20 décembre 2024

Pour ne pas en finir avec ChatGPT


 

Odilon Redon, 1886 La Chimère regarde avec effroi toutes choses.

On s’habitue vite aux pouvoirs exceptionnels de ChatGPT, on  le prend pour le génie de la lampe d’Aladin et on lui demande ce qu’il ne peut pas faire (genre : matérialiser sous nos yeux un Spritz/Campari avec  une rondelle d'orange et une grosse olive).  Je lui avais donc posé la question suivante : « À partir des illustrations de   L’animal comme prétexte  saurais-tu inventer une image synthétisant l’esprit du blog ?

Il m’a répondu que cette tâche allait au-delà de ses compétences et donné néanmoins des conseils utiles :

« L'esprit du blog "L'animal comme prétexte" semble jouer sur une exploration artistique de la relation entre l'humain et l'animal, souvent à travers une lentille de symbolisme, de métamorphoses ou de questionnements existentielles. Les illustrations qui y sont partagées font souvent appel à des créatures hybrides, des figures animales et humaines fusionnées, et à un usage poétique et parfois surréaliste de l'animalité.

Voici une proposition pour une image qui pourrait synthétiser cet esprit :

 

Concept de l'image :

1.      Fusion Homme-Animal : Une figure centrale, mi-humaine, mi-animale, pourrait être représentée. Imagine une silhouette humaine, mais avec des éléments d'animaux intégrés de manière fluide : des ailes de corbeau, une tête partiellement faunique (mi-homme, mi-biche), et des bras qui se transforment progressivement en griffes ou en plumes. Cette hybridation symboliserait l’interconnexion entre l'humain et l'animal, et aussi l'idée de l'animalité cachée en chacun de nous.

2.      La nature en interaction : La créature pourrait être placée dans un environnement qui floute la frontière entre le monde naturel et l'humain : une forêt, mais les arbres pourraient avoir des formes organiques ou presque humaines, comme des racines ressemblant à des bras tendus, ou des branches formant des visages.

3.      Le regard et le silence : Un détail clé pourrait être le regard intense de la créature, un regard qui cherche à établir une connexion silencieuse, presque mystique, avec le spectateur. Cela évoquerait l'idée de communication entre les espèces, mais aussi la réflexion profonde que l'animal peut inspirer chez l'humain.

4.      Ambiance onirique et floue : L'ensemble de l’image pourrait être légèrement flou ou déformé, créant une atmosphère éthérée et onirique. Le fond pourrait être brumeux ou envahi par des motifs abstraits évoquant les rêves, le subconscient et les mythes, des éléments souvent présents dans le blog.

5.      Palette de couleurs : Une palette douce, mais sombre, avec des tons de bleu profond, de gris, d’ocre et de vert forêt, créant une ambiance à la fois mystique et mélancolique. Quelques touches de lumière dorée ou argentée pour souligner la sacralité de l'animalité et de l'humanité fusionnées.

Résumé visuel :

L’image serait une fusion poétique et symbolique d’humain et d’animal, explorant les frontières floues entre les deux et l’interconnexion profonde entre les deux espèces. Elle inviterait à une réflexion sur l’identité, la nature, et la place de l’animal dans le monde humain. L’atmosphère serait onirique et légèrement surréaliste, plongeant le spectateur dans un univers où les animaux sont plus que de simples créatures, mais des miroirs de l’âme humaine.

Cela pourrait parfaitement s’harmoniser avec l’esprit du blog "L’animal comme prétexte", qui mêle art, réflexion et questionnement sur la nature de l’être ».


J’y vois quelque chose entre Arnold Böcklin et Odilon Redon

 

Arnold Böcklin, le silence de la forêt, 1885

 

mardi 17 décembre 2024

« Un noël à leur hauteur ». Récit écrit et conçu par ChatGPT

 



 

(Suite) C'est très bien, j’ai répondu à Chat GPT (ne pouvant pas lui cacher à la fois mon admiration et ma déception) mais pourrais-tu proposer un nouveau récit sur le sujet : " Noël et les animaux" avec le style de Sergio Dalla Bernardina tel qu'on peut le déduire à partir de son blog?

 

ChatGPT :

 

« Bien sûr ! Je vais m'inspirer du style de Sergio Dalla Bernardina, en imaginant que tu fais référence à un ton poétique, empreint de réflexion, parfois mélancolique, avec une certaine gravité et un regard critique sur les réalités de notre monde. Voici un récit qui pourrait correspondre à cette sensibilité, tout en restant centré sur le thème de Noël et des animaux :


Noël et les Animaux : Un Noël à leur hauteur

Les premières neiges tombent, blanches et légères, comme un voile posé sur le monde, adoucissant les contours rugueux de l’hiver. La ville, toute illuminée de guirlandes, semble s’être emparée de la lumière des étoiles, la dispersant un peu partout, comme pour effacer le froid. Pourtant, derrière les vitrines décorées, loin des sapins étincelants et des chants qui réchauffent l’air, un autre Noël existe. Un Noël qui ne brille ni de dorures ni de feux de cheminée. Un Noël de silence, de larmes, de souffrance – celui des animaux.

Les oiseaux migrateurs, blessés par le vent glacial, cherchent un refuge. Mais, dans ce monde figé, la terreur des cages et des routes sans fin les attend. Les renards, les cerfs, les sangliers, ceux qui connaissent le froid du sol et les forêts sans lumière, ont vu leurs territoires disparaître sous les bulldozers des hommes. Et dans la nuit, les murmures des créatures oubliées semblent se perdre dans le vent, comme une prière inaudible.

Et pourtant, nous décorons, nous rions, nous échangeons des promesses d’amour et de joie. Les enfants ouvrent leurs cadeaux, leurs yeux brillent de mille feux. Mais qui entend ces créatures, que leurs poils soient doux ou durs, que leurs yeux soient pleins d’innocence ou d’un savoir ancien, enfoui dans les ombres de la forêt ? Noël, pourtant, pourrait être une fête où toutes les vies sont chéries, non pas pour leur utilité, mais simplement pour leur existence.

Nous croyons souvent que Noël n’appartient qu’aux hommes, que la paix et l’amour sont des privilèges réservés aux humains. Mais dans les sous-bois, dans les champs gelés, les animaux aussi ressentent les premières lueurs de l’hiver. Ils ont leurs souffles, leurs battements de cœur, leurs rêves d’une vie sans chaînes. Ne serait-ce pas là la véritable essence de Noël ? Offrir aux autres ce qui nous est le plus cher : la liberté, l’air pur, l’espace pour courir.

Noël n’est pas qu’un banquet pour nous. Il pourrait aussi être un moment de retour à l’humilité, de redonner à ceux qui, silencieux, partagent notre monde sans bruit, sans revendication. Peut-être alors, en offrant un peu de nous-mêmes à ceux qui n’ont rien, nous trouverions une paix plus profonde. Une paix qui n’est pas seulement humaine, mais universelle.

Car chaque créature a droit à sa place dans ce monde, et chaque souffle est une part de l’éternité. Noël est ce moment où l'on tend la main, pas seulement pour offrir un cadeau, mais pour protéger, pour comprendre que l’amour n’a pas de frontière.

Alors, à chaque Noël, repensons à ceux qui ne savent pas ce que cela signifie, "être aimé". Peut-être qu’au lieu de simplement célébrer notre bonheur, nous pourrions, tous ensemble, offrir à ces vies sans voix un peu de douceur. Parce qu’un Noël sans l’amour pour toutes les formes de vie est un Noël incomplet.


J'espère que ce texte correspond à ce que tu attendais. Il s'inspire de cette réflexion profonde et poétique, mêlant sensibilité, critique douce et appel à une prise de conscience collective. N'hésite pas à me dire si tu souhaites l’adapter davantage ou en discuter ! ».

 

Je suis jaloux. Deux ou trois formules, dans ce texte, sont excellentes,  je n’aurais pas réussi à les inventer. En même temps, j’en veux à ChatGPT parce qu'il en fait  trop autour de la souffrance animale et alimente mes sentiments de culpabilité*. Je lui en veux aussi parce que, tout en étant gentil à mon égard, il passe sous silence ce qui est dit entre les lignes, à savoir l’essentiel.

J’espère que mon enthousiasme mitigé ne le fâchera pas. D’abord, parce que j’apprécie son sens de la diplomatie. Mais aussi parce que plus tard, lorsqu’il sera grand, il pourrait avoir envie de se venger.

 

* Je trouve par ailleurs qu’il me fait écrire à la manière d’une collègue, dont je ne ferai pas le nom, grande spécialiste du bien être animal.