samedi 2 août 2025

Medicamenta. (Encore sur les taupes et la manière de les décourager).

 

 

- Mirella, j’ai des taupes dans mon jardin, toi tu sais comment je dois faire, j’en suis sûr.

- Ah, les taupes … nous on mettait des pièges, mais maintenant je ne sais pas. Tout est interdit, maintenant … Aujourd’hui ils leur donnent le médicament.

- Le médicament ?

- Oui, le médicament contre les taupes. Tu n’as qu’à demander au Consorzio Agrario*. Sinon, mon voisin mettait la naphtaline. Dans chaque trou une boule de naphtaline. Ça pue et elles partent. Enfin, il disait comme ça … nous on n’a jamais essayé.

* La coopérative agricole.

jeudi 31 juillet 2025

Sciences humaines et proxénétisme de la nature (3)


(Suite du billet précédent). Les parcs naturels ressemblent de plus en plus à des entreprises touristiques qui attirent les clients en mettant des animaux sauvages à leur disposition.  De ce point de vue, les responsables du Parc National des Abruzzes, Latium et Molise ont beau crier au scandale (« nous sommes envahis par les photographes professionnels et amateurs … ») : ils sont en fait à l'origine du phénomène qu'ils dénoncent.

Les réseaux sociaux ont bon dos. Ils contribuent largement au suivisme ambiant, c’est vrai, mais pour qu’il y ait imitation, il faut qu’il y ait des modèles à imiter. Ces modèles, comme nous le diraient René Girard ou Pierre Bourdieu, chacun à sa manière, sont les détenteurs de la légitimité sociale, les « médiateurs de prestige ». Aujourd’hui on parle d’« influenceurs ». Lorsqu’on a de la visibilité sociale, passer son temps à magnifier la rencontre avec un animal sauvage, présenter le tête à tête avec un fauve  comme un événement indispensable pour notre développement personnel, devient une instigation à la domestication du monde.

Les écrivains, anthropologues, philosophes qui, au nom de la Wilderness et du dialogue entre les espèces, poussent la population (c'est à dire leurs lecteurs, leurs « clients ») à la consommation du sauvage, contribuent largement à sa disparition.

mardi 29 juillet 2025

Sciences humaines et proxénétisme de la nature (2)

Louve philanthrope allaittant les petits d'autrui (J'ai pris cette photo à Landerneau - Fonds Léclerc, exposition Animal!?)

Je reviens sur mon dernier billet, concernant la nature sauvage et ses « proxénètes », et sur la prophétie que je formulais dans L’utopie de la nature en 1996, devenue aujourd’hui une réalité. Depuis quelque temps les photographes naturalistes professionnels et amateurs visitent frénétiquement une localité de l’Italie centrale où on a repéré une louve avec ses petits. Les responsables du PNALM  (Parc National des Abruzzes, Latium et Molise), n’aiment pas du tout cette ferveur et ont diffusé le document suivant :

« Bien que beaucoup se déclarent amoureux de la nature et profondément passionnés, nous constatons avec désarroi que, de plus en plus souvent, au moment où il faudrait vraiment le prouver, peu de personnes font le bon choix. Une fois encore, malheureusement, la course à la publication de photos sur les réseaux sociaux a commencé, souvent accompagnées de la traditionnelle mention : “Photo prise à distance pour ne pas déranger”, comme si cela suffisait à justifier leur présence.  En mettant de côté les impacts potentiels négatifs liés à la présence quotidienne de nombreuses personnes dans la zone où une louve a mis bas, et en mettant également de côté les risques potentiels d’une éventuelle accoutumance des loups à la “proximité” des êtres humains, nous sommes réellement frappés par l’absence (quasi) totale de responsabilité et d’éthique de la part de certaines personnes, locales ou non, qui semblent prêtes à tout pour “capitaliser” leurs clichés en visibilité et en likes. Une fois encore, nous nous demandons comment il est possible d’ignorer les effets négatifs de ces actions, alors que l’effet démultiplicateur des réseaux sociaux est bien connu ? Comment peut-on totalement ignorer la possibilité que la situation échappe à tout contrôle, attirant des personnes mal intentionnées ou totalement inaptes à observer la faune de manière attentive et responsable ? ».

Je tenterai de répondre à cette question dans le prochain billet.

 

dimanche 27 juillet 2025

Sciences humaines et proxénétisme de la nature (1)

 



Comme je l’ai déjà écrit, le titre originaire de ma thèse de doctorat devait être : « La nature sauvage et ses protecteurs ». Après, pour des raisons d’opportunité académique (ne pouvant pas courir le risque de passer pour un rigolo), j’ai opté pour : « La nature sauvage et ses consommateurs ». Mais l’idée était bien celle-là : sous prétexte de protéger la nature nous la confisquons, la gérons et l’exploitons comme des proxénètes. Cette thèse a donné lieu à « L’utopie de la nature. Chasseurs, écologistes touristes ». J’y écrivais, par exemple :

 

« Sur le plan général, il est inévitable de constater que plus l’amour de la nature devient un status symbol – plus le fait d’aimer la nature est synonyme d’adéquation sociale (désormais, les seuls à ne pas aimer la nature sont les paysans), - et plus la dénaturation des derniers espaces incontaminés devient inévitable. Il suffit de penser aux graves répercussions, du point de vue de l’impact, que peut avoir la lecture de revues comme Airone, Gente viaggi, Géo et ainsi de suite. On pourrait comparer les journalistes de ces revues à des agents financés par la société de consommation pour dénicher ce qu’il reste encore de relativement intact et le désigner à une masse de démolisseurs prêts à fouiller, juger, comparer, reconnaître. « La flore rarissime du mont Baldo », étalent les titres, « Aspromonte, un paradis à sauver. » « Stromboli, un petit village de pêcheurs : trois maisons et une mer très pure.» Fatalement, l'article lu, des milliers d’amoureux de la nature débarquent pour coloniser la zone. « Je ne te tue pas, dit le chasseur à sa victime, je t’apprécie, je te transforme. » « Je ne t’anthropise pas, dit le lecteur de Terres sauvages  en s’installant dans un de ces derniers recoins de territoire peu habités, je savoure ce qui reste d’une nature qui, si cela ne dépendait que de moi, serait encore incontaminée ». Extrait de L’utopie de la nature. Chasseurs, écologistes, touristes. Paris, Imago, 2026, p. 246

 

Aujourd’hui, sauf chez les plus hypocrites, ce constat est devenu une évidence. J’aimerais beaucoup que quelqu’un revienne sur mon ouvrage qui a été écrit il y a 30 ans.

vendredi 25 juillet 2025

Mettre en valeur un territoire

 


- Comment résumerais-tu l’action des Israéliens à Gaza ?

- Je dirais qu'ils sont en train de faire d’un désert un jardin.

- Ah je vois, c'est ce qu'ils appellent « Fleurir le désert ».

mercredi 23 juillet 2025

Le chapeau de ma grand-mère

 

Manteau en fourrure de taupe, années 1930

Mario ne se limitait pas à déterrer les courtilières, il attrapait aussi les taupes qui infestaient le jardin. Il insérait dans le monceau de terre un piège métallique, un ressort minimaliste en forme de V. Le matin suivant il sortait sa belle taupe et la désolidarisait de sa peau qu’il mettait à sécher. Il faisait pareil avec la peau des lapins. Le chiffonnier passait tous les mois, achetait ses produits et il les revendait aux fourreurs.  Dans les champs, avec ce traitement,  il restait toujours des taupes, mais dans des proportions acceptables. Leur prélèvement périodique était une sorte de récolte. La communauté des taupes payait une dîme, c’est vrai, mais elle n'était pas exterminée. Tout en tuant les courtilières, les taupes et les lapins, Mario n’était pas particulièrement méchant.

Lorsque j'étais petit, ma grand-mère paternelle, une femme très sobre, portait un chapeau en fourrure de taupe dans lequel brillaient des petites plumes de faisan. Elle était loin d’être méchante.

Quand je pense aux animalistes, saisis non pas dans leurs déclarations officielles, mais dans leur « éthologie » (je veux dire dans leur intimité, dans leur manière de se rapporter les uns aux autres et d’administrer des sentiments comme la jalousie, l’envie, le désir de juger et de conditionner son prochain  au nom de la bonne cause ... ), je me demande s’ils sont forcément plus humains que Mario et ma grand-mère.

lundi 21 juillet 2025

Taupiques

 



Ai-je le droit moral d’éliminer physiquement les taupes qui envahissent mon jardin ? Je me suis posé cette question après avoir consulté le net à la recherche d’un « dispositif » (terme très à la mode) pour empêcher que mon jardin ne devienne une taupinière.  La tendance générale, en matière de bestioles envahissantes, est à la non-violence. Il y en a qui proposent de les dissuader par des vibrations sonores (avec quelles conséquences pour la santé humaine et non-humaine ? On le saura dans quelques années). On suggère également une série de plantes décourageant l’installation des talpidés, tout en précisant qu’elles ne marchent qu’à moitié. D’autres proposent des pièges qui ne blessent pas l’animal et permettent de le transférer, la nuit tombée, dans le jardin du voisin (où l’herbe, on le sait, est toujours plus verte).

Je vois venir la création d’un service vétérinaire pour taupes accidentées : une fois  la santé retrouvée, elles pourront être réintroduites dans l’écosystème et fidélisées au territoire par la diffusion souterraine d’une musique « taupiaire » conçue à cet effet.

vendredi 18 juillet 2025

Donner la vie, donner la mort (pour un partage équitable des fonctions)


Dans son ouvrage Donner La Vie, Donner La Mort. Psychanalyse, Anthropologie, Philosophie (Paris, La Bibliothèque du Mauss,  Le bord de l’eau, 2014),  Lucien Scubla pointe un paradoxe : les analyses anthropologiques et même psychanalytiques ont tendance à refouler une évidence : dans les sociétés traditionnelles, en raison de leur pouvoir physiologique, les femmes sont connotées du côté de la naissance, des soins, de la réparation, de l’apaisement. Elles sont les « gardiennes de la vie ». Ce n’est pas le cas des hommes à qui on demande, lorsque c’est nécessaire, de savoir donner la mort. Pendant longtemps, cette donnée de base a joué un rôle fondamental dans l’organisation symbolique des groupes humains les plus disparates.

Aujourd'hui,  il est normal que même les femmes revendiquent le droit de donner la mort. Aux Etats- Unis, cela fait plus de dix ans qu’elles ont obtenu le droit de servir dans les unités de combat de l'armée, y compris dans les positions les plus exposées au front. En France – c’est une vieille statistique - Le nombre de chasseresses a augmenté d'environ 25% en 10 ans, passant de 25 000 en 2014 à 31 200 en 2023.

J’ai du mal à imaginer une société à venir où il y aura plus de chasseresses que de chasseurs. Mais on ne sait jamais.

lundi 14 juillet 2025

Dénoncer, profiter de la vie, laisser une trace


À quoi sert un blog comme le mien, très proche du monologue ? À laisser une trace. Pendant un moment (relativement long, désormais), un type a profité d’un sujet parmi tant d’autres pour mettre les événements à distance, les relire à la lumière de ses sentiments personnels et les commenter. On alimente un blog comme on prend des photos, dans l’illusion qu’il puisse avoir la même longévité que les vieilles photos que nous gardons dans nos tiroirs. Quelqu’un, plus tard, tombera dessus, comme on tombe sur des clichés anonymes achetés chez un brocanteur, et se dira : «   À cette époque, il y avait des gens qui voyaient les choses comme ça ».

Mettre les événements à distance revient aussi à lutter contre la tentation d’augmenter notre dose de tristesse quotidienne en revenant systématiquement, comme le font les médias (c’est bien leur fonction) sur les atrocités qui nous entourent. Rappeler, par exemple, que Benyamin Netanyahou et ses souteneurs exterminent ab ovo les enfants Palestiniens de peur que, une fois adultes, ils ne soient tentés de venger la mort de leurs proches, me paraît important. On ne peut pas faire grand-chose, mais on peut au moins témoigner, rappeler qu’on a vu, qu’on a pris note.  D’un autre côté, cependant, j’ai le sentiment que l’objectif de ces semeurs de mort, soit de nous entraîner par tous les moyens dans leur spectacle nécrophile : « Que tu le veuilles ou pas, je t’oblige à me regarder, je t’oblige à parler de moi, je t’oblige à renifler mon insupportable puanteur ».

Il se peut que, si le Bon Dieu devait exister, un jour il nous dise : « Mais comment ... le monde est complexe, d’accord, et il y a du tragique partout …  mais toi, tu avais eu de la chance. Chez toi ce n’était pas si mal que ça.  Tout ce qu’il y avait de beau, dans ma création, était à ta portée. Mais toi, au lieu de te réjouir, de contempler, d’honorer cette opportunité, tu as passé ton temps à râler. Je suis gentil par nature.  Donc je te pardonne*.   Mais tu mériterais l’enfer ».

Pour cette raison, à la place d’une photo des massacres quotidiens  perpétrés en Palestine au nom des valeurs de l’Occident, je propose cette image bucolique, prise dans les Alpes**, nous montrant une population tranquille, bien dans ses baskets (et dans ses territoires), qui ne craint pas les exactions des colons et qui, pour se nourrir,  n’a pas besoin de faire la queue sous les tirs des snipers.

* Il y a des Dieux qui sont plus gentils que d’autres.

** Cette Photo a été prise à Fornesighe, dans la vallée de Zoldo. J’ai largement parlé de ce village insolite à propos du carnaval local, organisé tous les ans autour du masque de la Gnaga. En été, l’ambiance est plus propice à la méditation.

samedi 12 juillet 2025

Anniversaires (les Alpes, tant bien que mal, sont toujours là)

 


- Écoute, ça commence à bien faire.  C’est la troisième fois que tu me dis : « Encore dix minutes et on arrive au col ».

- Je suis désolé, et pourtant … j’étais sûr que …

-  C’est toujours la même histoire. C’est pas comme ça que tu me feras aimer la montagne.

Mon frère s’appelait Paolo. Il était sensible à l’ambiance alpestre, mais sans en faire une priorité. Je me demande où et quand il a rencontré les vaches immortalisées dans ces croquis.

Aujourd’hui c’est son anniversaire.

jeudi 10 juillet 2025

Les fleurs du miel

 


- Il est à quoi ton miel?

- Beh, c'est du miel toutes fleurs.

- Oui, mais c'est quoi les fleurs de ton jardin?

- Donc ... j'ai  du muguet, de l'aconit, du cytise et ... ah oui ...  de la digitale.

mardi 8 juillet 2025

Démocrates par intermittence

 


- Ça alors, Boualem Sansal, vieux, malade et condamné à cinq ans pour un délit d'opionion s’est vu refuser la grâce présidencielle  et toi tu ne te scandalises pas ?

- Beh non, il ne fait pas partie de notre équipe. 

- Équipe ?

- Oui, ou de notre paroisse, si tu préfères.

dimanche 6 juillet 2025

Des cygnes et des oies

 


Le poète italien Gabriele D’annunzio, c’est bien connu, était assez excentrique. Parmi ses extravagances - mais ça doit être une rumeur - on lui attribue le fait d’avoir entretenu des rapports sexuels avec les oies*. J’y pense pendant ma visite à l’exposition Animal ?! (Fonds Hélène & Edourd Leclerc, Landerneau,  14 juin-  2 novembre). Une salle de cette exposition était consacrée au Mythe de Léda, dont les représentations picturales et sculpturales foisonnent depuis l’antiquité.  « Tiens, me suis-je dit,  les scènes de ce genre deviennent licites si la protagoniste de l’échange zoophile est une femme, elles le sont moins lorsque, comme dans le cas de D’annunzio avec son oie, il s’agit d’ un homme »

Force est de constater le caractère asymétrique de la morale occidentale en matière de sexualité.

Je reviendrai prochainement  sur cette exposition qui a suscité mon intérêt à plusieurs titres.

* Il semblerait que, mis à part les problèmes d'ordre moral, cela pose des problèmes techniques.

vendredi 4 juillet 2025

Prendre en photo la biodiversité

 


Ails des ours

Quelques ours ici et là pendant que je ramasse mes champignons … j’aime bien finalement. Ça donne à mes ramassages un peu plus de noblesse. Et si ça devait mal se terminer … pas de chance, c’est tout.

Celui qui n’a pas eu de chance est le motard italien qui l’autre jour, dans les Carpates, a pris des selfies à proximité d’une ourse. On les a retrouvés dans son smartphone.  Au cours des vingt dernières années, en Roumanie, les ours ont fait une trentaine de victimes.*

* Qui ne savaient pas que les ours, lorsqu’on les croise de trop près … et que  les femelles,  lorsqu’elles ont des petits, etc. etc. Les gens ne se renseignent pas et  enfreignent allègrement les règles de sécurité. Après ils vont se plaindre.

mercredi 2 juillet 2025

Porcs des pics

 

 

« Porc de montagne », lit-on dans l'étiquette. J'en ai rencontrés rarement dans ma vie. Je me demande si c'est une dénomination zoologique ou une appréciation morale.

lundi 30 juin 2025

Bonjour les Françaises, bonjour les Français. Aujourd’hui il fait chaud.

 


J’écoute le journal radio français (je préfère ne pas être distrait par les images de la télé). En replay, j’écoute aussi le journal italien. Et je compare.  J’aime bien l’esprit des journalistes français, ils arrivent à nous dire des choses importantes en gardant un minimum de distance personnelle qui frôle parfois l’ironie. Tout en respectant le script qu'ils ont sous les yeux, ils laissent entendre que derrière l’information  il y a un individu qui la transmet, avec sa personnalité et ses points de vue. Mes concitoyens transalpins, dans le style qu’on leur demande d'adopter, ont un ton plus officiel et patriotique*. Ils semblent parler  au nom de l’État. Ils sont toujours fébriles, excités, comme s’ils étaient en train de courir à côté des coureurs dont ils relatent les exploits, ou de combattre à côté des combattants dont ils rapportent les péripéties.

Cela dit, l’autre jour, je cherchais à me renseigner  sur ce qui se passe dans le monde. France Inter a démarré en parlant de la canicule. Ça ne s’arrêtait plus : reportages dans les écoles et sur les parkings autoroutiers,  entretiens avec les spécialistes, conseils … . Au même moment, la canicule sévissait aussi en Italie. Très sobrement, la radio Italienne n’en a parlé qu’après treize minutes, et très vite.   « Mais les Italiens, dira-t-on, sont habitués à la chaleur et moins sensibles à la notion de prévention. Chacun ses priorités ... ». D'accord, ce n'est qu'une question d '« ethnostyle », peut-être, mais il faut rester vigilant : je crains le moment où les informations météorologiques occuperont la totalité du journal radio.

* C’est dommage parce que les Italiens aussi, quand ils veulent, savent manier l’ironie  avec une certaine compétence. 

samedi 28 juin 2025

Des cerfs sachant voler

 


23h30. La fête de la musique se termine. Les musiciens rangent leurs instruments. Je rentre à la maison. Dans la cage d’escalier je croise un lucane cerf-volant. Je lui dis : «  Ça alors, tout le monde est dehors pour écouter la musique et toi tu snobes ? ». Il est manifestement mal à l’aise, il bouge à peine, ses pattes glissent sur le carrelage. « D’abord, je te prends en photo ». Je le saisis doucement derrière le cou, comme j’ai appris à le faire quand j’étais petit, et j’ouvre la porte. En face, de l’autre côté de la rue, il y a un grand arbre feuillu. Je dis au coléoptère : « Maintenant, puisque tu es un cerf-volant, je te conseille de voler ». Je le propulse vers le ciel, qui est parfaitement noir, et j'attends un instant en espérant entendre le bruit de ses ailes.

jeudi 26 juin 2025

Collectionner : une passion dangereuse

 

Il y en a qui chinent des trophées. Mais comment être sûr que l’esprit de l’animal ne va pas se venger ? (chevreuil empaillé en vente sur ebay)

Est-ce que les objets ont une âme ? Est-ce qu’ils gardent les traces de leur passé ? Est-ce que le destin de leurs anciens propriétaires leur colle à la peau ? Est-ce que ce destin, éventuellement, est contagieux ? Dans ce cas, avant d’introduire un objet chiné dans la maison, il faudrait pratiquer des rituels propitiatoires.  Personnellement, je me limite à réciter des formules incantatoires du genre : « Comporte-toi bien, sinon je te ramène chez Emmaus ».

mardi 24 juin 2025

Maurice et le Bronx


Cette fois je parle du vrai Maurice, pas celui que je squatte pour lui faire dire n’importe quoi à la manière des ventriloques. L’autre jour il me suivait de loin, derrière une fenêtre, pendant que je déplaçais des objets. Lorsqu’il a aperçu mon bâton de marche en houx (auquel je tiens beaucoup  et que je perdrai sûrement dans la frénésie d’une rencontre avec des cèpes ou des coulemelles), il est parti comme un endiablé.  J’ai alors compris qu’il a eu une jeunesse difficile, avec des scènes de violence et autres traumatismes. Il m’a fait de la peine. Du coup, je le nourris plus volontiers.

lundi 23 juin 2025

Scènes d’agrainage au Moyen-Orient

 


Distributeur d'épis de maïs.  Source : Wikipédia

Ce n'est pas très sportif, c'est vrai, mais certains chasseurs pratiquent l'agrainage*. Dans les Alpes, autrefois, on avait plutôt recours aux saline. Les herbivores sauvages, on le sait, ont du mal à se procurer du sel. Ils en ont pourtant besoin. Il suffit donc d’enterrer du gros sel  dans une clairière pour être certain de  trouver sur place, à l’ouverture de la chasse, toute sorte de gibier petit, grand et moyen.   La technique des saline est strictement interdite, bien entendu : c’est trop facile, ce n’est pas loyal.

J’y pense à propos des Palestiniens qui tous les jours, désormais, se font abattre par dizaines en tentant d’atteindre les points de distribution des aides alimentaires. C’est trop facile, Monsieur Netanyahou, ce n’est pas loyal**.

* Il y en a de plusieurs sortes, en réalité, agrainages vertueux et agrainages   immoraux. 

** Arrêtons de qualifier des propos comme celui-ci d'antisémites. Avec son action disproportionnée, l'actuel gouvernement israélien a transformé le  massacre criminel du 7 octobre en une sorte d'alibi. Celle que l'opinion publique occidentale, mis à part quelques leaders politiques sans scrupules, a interprété  dans un premier temps comme une réaction dure mais  compréhensible (l'exaspération légitime des Palestiniens ne justifiant en aucun cas l'atroce boucherie orchestrée par le Hamas)   est devenue le prétexte pour exterminer un peuple et s'accaparer ses terres.

samedi 21 juin 2025

Des bêtes dans nos villes et l’abolition des frontières

 

Un  troupeau longe le fleuve à proximité du centre ville. Liza Minelli assiste au défilé (Cliché S.D.B.)

Je suis en train de traduire Le retour du prédateur en italien, ce qui explique l’insistance avec laquelle je reviens sur un texte qui a désormais quinze ans.  Il commence et il se termine avec des références aux animaux sauvages dans les centres habités. Je ne m’en souvenais presque plus. Ce qui m’inspire l'évidence suivante : on écrit des choses, après on oublie. D’autres, les lisent … et ils oublient aussi. 

« La prédiction [du prophète] semble se réaliser. Nouveaux « mendiants », les sangliers circulent en ville, nourris de spaghetti par des gens compassionnels.  Les ours polaires sont soignés par des dentistes alors que les chats et les chiens, encore plus proches de l’homme qu’ils l’étaient auparavant,  vont chez le psychologue et prennent du Prozac. Las de vivre dans les bois,  les piverts s’installent dans les maisons secondaires et creusent des trous dans les fenêtres « à l’ancienne » (c’est ce qu’on appelle la multipropriété : lorsque les humains s’absentent les pivert réaménagent).  Grâce à la médiation des chiens  « Patou », le loup habite déjà ou presque avec l’agneau. Le paysan, dûment apprivoisé, ne s’oppose plus à l’ensauvagement  de ses terres (ici et là, il faut l’avouer, on trouve encore quelques poches de résistance, mais avec l’aide d’un bon négociateur …)». Le retour du Prédateur. Mises en scène di sauvage dans la société postrurale, PUR, 2011, p.122.

jeudi 19 juin 2025

Les Dolomites se préparent aux jeux olympiques


« La  nature se venge », elle « reprend ses droits » … Ce n’est pas de l’animisme mais presque. Dans l’Occident contemporain, personnifier la nature  est juste une facilité rhétorique, on le sait*. Mais parfois, lorsqu’on lui prête des intentions comme si elle avait un point de vue,  on a l’impression d’être proche du vrai.

Cortina d’Ampezzo va héberger les prochains jeux olympiques d’hiver. Pour bien préparer l’événement, les responsables locaux ont  bétonné, goudronné, coupé des mélèzes centenaires,  modifié le paysage. Tout autour, comme par enchantement, les Dolomites ont accéléré leur effritement. Les falaises tombent, les éboulis coupent les routes : un scénario dantesque (les scénarios sont souvent dantesques, voilà un autre stéréotype. Difficile de les éviter).

* Enfin, de moins en moins. Nous tendons vers le néo-animisme, comme je cherche à le montrer  dans « Nouveaux animismes. À quoi sert-il de personnifier les végétaux ? », in La langue des bois. L’appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi. Paris, Muséum National d’Histoire Naturelle, 2020, p. 225-247.


 

mardi 17 juin 2025

Cohabiter avec le loup

 


Les Italiens n'avaient pas de lieutenants de louveterie.  Plus modestement, ils se limitaient à financer des  lupari.

 

- Ça y est, maintenant on peut  tirer sur les loups.

- Les paysans français, quand même, quelle  mentalité ! 

- Alors qu'à l'étranger ... Regarde aux Abruzzes, par exemple  :  eux ils ont toujours cohabité  avec les loups.  Et  harmonieusement, sans aucun problème. 

 

Vieille lupara


dimanche 15 juin 2025

Typhaine Cann


« Ici, les gens sont choqués d’apprendre qu’on mange de l’agneau, mais s’excusent de nous paraître barbares parce qu’ils tuent eux-mêmes leurs bêtes. Ils n’ont pas vraiment idée de ce qu’a pu être la vie dans les campagnes européennes il n’y a pas si longtemps. Le résultat, c’est qu’ils voient de l’originalité dans à peu près tout ce qui, selon eux, les caractérise. J’aurais tendance à beaucoup relativiser. »
(Typhaine, jeudi 24 avril 2025)

Je suis devant mon ordinateur depuis un moment. Je cherche à imaginer quelles facettes de son profil Typhaine Cann aimerait que je retienne pour annoncer sa disparition (je me demande d’ailleurs si elle apprécierait que j’en parle). Quelques mots me traversent l’esprit : « enracinée dans le Finistère mais étrangère à toute forme de réseau », « habitée par une ferveur spirituelle et un désintérêt pour la matérialité du monde qui semblaient venir d’une autre époque », « terrassée par une grippe en Mongolie, comme un personnage de roman ».

Elle était d’abord une anthropologue, même si, jusqu’à son dernier message, elle me faisait part de ses doutes : « Le suis-je vraiment ? Ai-je le droit ? ». Elle était aussi biographe, tant sa thèse — novatrice en matière d’anthropologie de la mer — portait, en toile de fond, sur le souvenir de son père, technicien supérieur à l’Ifremer*. Elle avait un don pour la peinture, que j’ai découvert à l’occasion de sa maîtrise : une recherche de terrain dans les bistrots du littoral breton, où chacun de ses informateurs, comme dans les carnets de voyage des pionniers de notre discipline, avait eu droit à un portrait très réaliste.

Typhaine Cann avait également un don pour les langues. Dès son premier séjour à Oulan-Bator (de la mer d’Iroise aux steppes eurasiatiques, question de ne pas trop se perdre dans les brumes celtiques), elle avait acquis des connaissances suffisantes pour faciliter les échanges entre immigrés mongols et administration hexagonale — un travail de subsistance, exercé avec passion, qui lui a permis de garder le lien avec la langue et la culture mongoles. Ces compétences, avec le temps, n’ont fait que s’approfondir. En quelques années, elle est devenue traductrice : on lui doit La Tamir aux eaux limpides du grand écrivain Chadraabalyn Lodoidamba (Transboréales, 2024).

Animée par le désir d’aller toujours plus loin, elle a soutenu une deuxième thèse à l’université de Szeged : Heroes, exemplars and mediators. The concept of patriotism in the Mongolian historical novel of the socialist era. Son CV avait atteint un niveau qui aurait fait pâlir bon nombre de candidats à un poste de maître de conférences. Je conserve dans mon ordinateur son dernier travail, inédit, intitulé : L’invention du patrimoine terminologique vernaculaire de la Mongolie — un sujet très académique, qui aurait encore renforcé la légitimité de son parcours.

Je regrette profondément la disparition de cette amie très originale, pleine de projets, précieuse dans un milieu ethnologique qui manque parfois de courage, enclin au conformisme et au politiquement correct.

* L’invention du paysage culturel sous-marin : le traitement en patrimoine des épaves de la mer d’Iroise et ses ambiguïtés. Thèse reprise dans l’ouvrage Secrets d’épaves. Plongeurs, archéologues et collectionneurs, Presses universitaires de Rennes, 2016.

vendredi 13 juin 2025

Make Israel Great Again ? (deuxième épisode)

 


- T’as entendu ? Les Israéliens ont attaqué l’Iran.

- C’est pas vrai !  C’est tellement gros que ça me fait oublier ce qu’ils sont en train de faire à Gaza.

mercredi 11 juin 2025

Make Israel Great Again?




Pour rester serein, je cherche à ne pas trop y penser, mais je n’arrive pas à lever mon regard des images apocalyptiques qui nous parviennent de Gaza. L’étendue des dévastations montre sans équivoque un désir d’extermination qui va bien au-delà d’une « simple » vengeance ou « punition »*.

Je me demande à haute voix : « Où iront, l’année prochaine, les hirondelles qui bâtissaient leur nid sous les toits palestiniens ? ».  Du balcon on me répond : « En Lybie ».

 * Punition divine, le Bon Dieu ayant ses élus, ses délégués sur terre.