jeudi 30 juin 2016

Frontières ontologiques chez les Anciens.



Trente, Castello del Buonconsiglio : Labourage (Auteur anonyme, débuts du XVsiècle)


Ce n'est pas pour critiquer, ce serait tomber dans l'anachronisme. Je dirai seulement que cette phrase d'Aristote, commentée par André-Georges Haudricourt dans un article célèbre,  a le pouvoir de me faire réfléchir sur le caractère contingent des certitudes humaines, même celles affichées par les philosophes :

" Il n'y a point d'amitié possible envers les choses inanimées pas plus qu'il n'y a de justice envers elles, pas plus qu'il n'y en a de l'homme au cheval et au bœuf, ou même du maître à l'esclave en tant qu'esclave"*.


*Morale à Nicomaque, VIII, II, cité par André-Georges Haudricourt, "Domestication des animaux, culture des plantes et traitement d'autrui", L'Homme, 1962, vol 2, pp. 40-50

dimanche 26 juin 2016

Innommables



Illustration : Boa constrictor  resté anonyme 


Lorsqu'un prédateur blessé est pris en charge par les média, il est tout de suite baptisé (Iron Man, Robin et Noëlle, Léon, Nanu et Morgan ...) . Le requin qui arrache la jambe d'un surfeur ou l'alligator  qui s'empare d'un gamin  restent en revanche anonymes. Je trouve cela injuste. On pourrait indiquer au moins leurs initiales. 

vendredi 24 juin 2016

L'Angleterre nous quitte




"You were only waiting for this moment to arise".



J'ai toujours adoré Blackbird, des Beatles. Cette courte ballade  me fait penser à une campagne britannique pleine de charme,  parcourue par des personnages drôles et cosmopolites  comme savent l'être certains Anglais. 

Si j'étais le merle de la chanson, aujourd'hui,  j'aurais envie de migrer ailleurs.



jeudi 23 juin 2016

Le Brexit et les frontières ontologiques






Pas tous pareils, les Anglais. Personnellement je me sens plus proche d'un Anglais souhaitant rester dans l'Europe que d'un Autonomiste italien qui voudrait en sortir.

mardi 21 juin 2016

Faux croco


Un grand merci à Lacoste qui lutte contre les faux crocodiles 


Originaire du Nebraska Lane Graves, deux ans,  n'a pas eu la même chance que le garçonnet tombé il y a quelques jours dans l'enclos des gorilles du zoo de Cincinnati. Il jouait dans l'eau à Disneyworld, en Floride,  lorsqu'un alligator l'a emporté avec lui dans les profondeurs marines. Aucun gardien n'était là pour neutraliser le kidnappeur.

II ne faut pas en vouloir à l'alligator, qui a tout juste obéi à cette impulsion naturelle  que les Créationnistes américains appellent le "dessein intelligent" (Intelligent Design), ni à Disneyland, qui avait  affiché partout des panneaux interdisant la baignade (et  qui a tout de suite rassuré ses clients quant au nombre des attaques, qui restent fort rares).


On ne le dira jamais assez :  à la différence des loups de chez nous, qui sont inoffensifs, les alligators américains restent assez dangereux.

dimanche 19 juin 2016

Qualitatif et quantitatif




L'explorateur Paul Belloni du Chaillu anesthésiant un dangereux gorille

A propos du gorillicide de Cincinnati une interlocutrice (que je ne balancerai pas) m'a demandé : "Mais finalement, qu'est-ce qui vaut davantage, la vie d'un superbe gorille ou celle d'un comunissimo bambino?".

samedi 18 juin 2016

Le Gorille Harambe et le poids de l'imaginaire



Gorille dérangé par les cris du public


La mort d'Harambe, Gorille malchanceux  tué par les gardiens d'un zoo américain au nom du principe de précaution, a beaucoup ému l'opinion publique.  Des commentateurs désobligeants ont écrit : " J'ai été tué parce qu'une pétasse ne surveillait pas son gamin". D'autres ont critiqué le zoo de Cincinnati, incapable d'assurer une protection totale à ses visiteurs. D'autres encore ont mis l'accent sur l'habilité et la remarquable détermination  du petit contorsionniste qui a réussi à pénétrer dans l'enclos.     

Dans un entretien au Huffington Post la chercheuse et littéraire Anne Simon nous rappelle  que c'est bien le propre du zoo de garder, pour des raisons symboliques,  un semblant de dangerosité. Si tous les fauves y étaient réduits à l'état de légumes  il n'y aurait plus des raisons pour payer l'entrée (elle exprime ce concept de façon plus élégante : " Dans les parcs zoologiques, la nature doit rester pure et sauvage, on veut la contempler telle qu'on l'imagine: l'ours qui se lève, les loups qui hurlent. À la seule différence que les animaux doivent être sauvages, mais pas trop").

Je partage son opinion et j'avoue que cet événement ne m'a pas trop étonné. Le gorille, à bien voir,  avait bien la morphologie d'un tueur potentiel. En forçant à peine les choses, il  ne serait pas absurde  de rajouter Harambe au 4% de prisonniers innocents exécutés tous les ans dans pénitenciers des Etats Unis d'Amérique (2144 exécutions on eu lieu entre 1950 et 2009, ce qui donne une moyenne d'un innocent et presque demi par an).

*La mort d'Harambe est plus complexe qu'un gentil gorille face aux méchants parents. Le HuffPost  |  Par Sandra Lorenzo Publication: 01/06/2016 07h11 CEST Mis à jour: 02/06/2016 09h45

*Gross, S. R., O'Brien, B., Hu, C. & Kennedy, E. H., « Rate of false conviction of criminal defendants who are sentenced to death », Proceedings of the National Academy of Sciences,‎5 avril 2014 



jeudi 16 juin 2016

"Laissez-nous vous configurer". Heidegger, les animaux (et les humains?)



Humains ouverts sur le monde mais pas trop en voie d'acclimatation

Ce qui différencie l'homme de l'animal, selon Martin Heidegger, c'est que l'animal  n'est pas ouvert sur le monde. Comme le rappelle Elisabeth de Fontenay dans son important ouvrage  consacré au statut des animaux dans la pensée occidentale, la thèse d'Heidegger est que "La pierre est sans monde, l'animal est pauvre en monde, l'homme est configurateur de monde" . "L'essence de l'animalité pour Heidegger, poursuit la philosophe,  réside dans l'hébétude, l'accaparement, l'obnubilation".
Il suffit de penser que cette hiérarchisation vaut aussi au sein de notre espèce (certains humains sont "ouverts sur le monde", d'autres sont "pauvres en monde") pour être en phase avec le  National-socialisme  (et accepter sans problème, en 1933, le rectorat de l'Université de Fribourg).  Mais Heidegger, dira-t-on, n'a jamais affirmé que certains humains sont "pauvres en monde". Encore heureux.


Elisabeth de Fontenay, Le silence des bêtes. La philosophie à l'épreuve de l'animalité, Paris, Fayard, 1998 p. 661 et suiv.

mardi 14 juin 2016

Equus caballus



Eadweard Muybridge (1830 – 1904)


"On connait l'histoire de ce Tyrolien qui, de retour d'Italie, vantait, auprès de ses compatriotes, les charmes de ce pays, mais ajoutait que ses habitants devaient être de bien grands fous, qui s'obstinaient à appeler cavallo ce que tout homme doué de raison savait être un Pferd" (A. Martinet, Éléments de linguistique générale*) 

* Cité par Jan Didier Urbain, L'Idiot du voyage, Paris, Plon, 1991

dimanche 12 juin 2016

Une invitation à la cruauté


Tableau de Pieter Aertsen (1508-1575)  montrant ce que nous pourrions éviter en adoptant un régime végétarien.

Le téléphone sonne du 9 juin était consacré aux abattoirs filmés en cachette par le groupe L214. J'évoque les points de l'émission qui ont attiré mon attention. Christian Laborde (écrivain poète et chroniquer)  après avoir dénoncé la réduction progressive des contrôles dans les abattoirs ("où sont les vétérinaires? Que font-ils") déclare : "Je ne suis pas végane, je suis paysan", ce qui veut dire "Je continue à manger de la viande". Il ajoute :  "Je sais où je me sers", ce qui signifie : "Les animaux que je mange ont été abattus correctement". Mikel Hiribarren éleveur de brebis laitières et Secrétaire de la confédération paysanne a pour sa part déclaré : "A l'heure qu'il est, alors qu'il a fait très beau, toutes les bêtes sont dehors, tous les ruminants sont dehors, les moutons, les vaches.  Je peux vous certifier  que leur vie, cet été là, sera bien plus agréable que celle de beaucoup d'humains". Quant aux images choquantes :  "Ce sont des images très exceptionnelles qui ont été triées effectivement sur des longues heures d'enregistrement sur une période où il y avait beaucoup de travail". Et de toute façon, "La réalité de l'abattoir n'est jamais quelque chose de gai".  Florence Burgat, philosophe et directrice de recherche à l'INRA a réagi à ces deux témoignages en soulignant que les images en question n'ont rien d'exceptionnel : "Je pense que c'est la norme, les cadences sont toujours élevées".  Elle a accompagné ce constat par une généralisation : "Il faut rappeler que le fait de mettre à mort des animaux à la chaîne n'est pas un métier comme un  autre et que livrer à des hommes des animaux pour les tuer sans aucun contrôle est évidemment un acte qui invite à la cruauté". Cette phrase, profonde et énigmatique, mériterait quelques explications. Est-ce que les abattoirs attirent des gens particuliers? (Les boucheries aussi, alors?). Est-ce que les humains sont cruels par nature et faut-il les contrôler davantage? (est-ce que les hommes sont plus cruels que les femmes?). De son préambule Burgat sort la déduction suivante : "Donc c'est le fait d'abattre les animaux qui est un problème aussi et qu'il ne faudrait pas escamoter. C'est très bien que les brebis soient dans la montagne, mais pour combien de temps?". La discussion glisse  ainsi de la cruauté spécifique constatée dans certains abattoirs à l'idée, tout à fait légitime mais quelque peu différente, que le fait même de tuer des animaux pour s'en nourrir est un acte répréhensible. L'opération n'a pas échappé à Guillaume, un des auditeurs, fils d'éleveurs : "On ne pourra jamais rendre les images d'abattage agréables, que ce soit à la ferme ou dans des abattoirs (...).  Je crois que c'est vrai que l'on perd le fil avec la mort de l'animal, on en est de plus en plus déconnecté". "L'idée sous-jacente le fait de montrer des images choquantes c'est de dire qu'il faut arrêter de manger de la viande et ça pose un gros problème". L'intervention décisive, à mon sens, a été celle de Matthieu, qui a connu de près les élevages industriels de porcs en Bretagne : "Si les gens qui travaillent dans ces industries-là veulent survivre ne serait-ce que psychologiquement ils n'ont pas d'autre choix que de se couper tout bonnement de la souffrance animale dont ils sont la cause". "C'est à dire, conclut un peu troublé Nicolas Demorand, que pour vous protéger vous êtes obligés de fermer les yeux et les oreilles. Merci pour ce témoignage rude". Apparemment marginale, cette dernière intervention touche  un point essentiel du débat, un point embarrassant que l'on occulte, d'habitude, pour des raisons d'opportunité (sur lesquelles je reviendrai).

En tant que mangeurs de viande nous sommes tous coupables*. Arrêtons donc de tricher : ce n'est pas en accusant de sadisme le personnel des abattoirs (qui peut compter dans ses rangs, bien entendu, un certain nombre de sadiques) que notre complicité sera moins flagrante.

*Ce n'est pas le cas de Florence Burgat, qui ne mangeant vraisemblablement pas de viande, est innocente.



jeudi 9 juin 2016

Les amis de mes amis (ontologies implicites)



"Amici dei miei amici buongiorno", disait Angelo Lombardi en ouverture de son programme télévisé qui, à partir de 1956, alimenta l'imaginaire animalier transalpin pendant une dizaine d'années. Les amis en question  étaient des animaux, notamment exotiques. Lombardi, d'un air calme et captivant,  présentait indifféremment un bébé crocodile, un piton, un pélican .... Lorsque l' "ami" commençait a en avoir marre, le présentateur appelait son adjuvant askari (sorte de "boy" hérité de son passé colonial) pour qu'il ramène l'animal hors-champ : "Andalù, portalo via! (emmène-le").  C'était un programme hautement didactique, dans son genre, qui nous apprenait à la fois quelle devait être la place des humains, celle des animaux et celle des noirs*. 


*Je reviendrai sur Cita, le singe-mascotte habillé en fillette que je trouvais à l'époque particulièrement sympathique.

mardi 7 juin 2016

Des violences dans les abattoirs français? Lynchons un Arabe.


Etrangers mettant à mort un mouton

De temps en temps je critique La Repubblica. J'ai presque honte d'avoir pris cette habitude après avoir consulté par hasard  Le Figaro. C'est à propos   d'un article sur les abattoirs français. L'article en tant que tel n'a rien de spécialement affreux, même s'il cherche à nous convaincre que le problème de la mauvaise mort animale est lié à des raisons purement techniques (trop grands, les abattoirs d'aujourd'hui ne seraient  plus "à visage humain" comme les bons vieux abattoirs d'antan).  Ce qui est inqualifiable est la réaction des lecteurs. D'où sortent-ils?  De quel film de propagande pétainiste se sont-ils échappés? Sur les dix premiers commentaires il y en a sept au moins qui, au lieu  de reconnaître l'existence de comportements répréhensibles dans les abattoirs de chez nous, détournent l'attention sur  le sacrifice musulman. En tant qu'ethnologue je peux chercher à comprendre (crise identitaire, fierté ethnique, peur de l'Autre etc.). En tant que citoyen je trouve  cette attitude parfaitement immonde.

Cf., dans Le Figaro en ligne, l'article de Blandine Le Cain  "Trop concentrés, multi-espèces, pourquoi les abattoirs français sont critiqués", publié le  05/04/2016  et  mis à jour le 28/04/2016

dimanche 5 juin 2016

Le retour du non-végétarien

Affiche du Corriere delle Alpi du 4 juin nous renseignant sur les
 priorités locales en matière d'information.

Volpe = renard. Strage = carnage. Gallina = poule. Comme tous les printemps  le prédateur* est de retour.

 *Peut-on continuer à stigmatiser le renard avec ce terme très connoté? Je renouvelle ma proposition : qualifions les anciens prédateurs de  "non-herbivores".

 ( "Non-herbivore prélève cinquante non-carnivores pour nourrir sa progéniture").

vendredi 3 juin 2016

Circulez, il n'y a rien à voir (II)




  "Foto di scena quotidiana in un albergo" (Cliché emprunté à Filmluce)



Je me limite à proposer, pour le moment, un thème auquel j'aimerais consacrer une série de billets. Je n'ai jamais voulu accéder aux images de décapitation mises en circulation par Daech. Pour cette même raison, je n'ai pas voulu regarder les séquences choquantes  dénonçant les sévices infligés aux animaux dans les abattoirs. Il n'y a rien de noble dans mon attitude : je fais tout simplement l'autruche. Dans son ouvrage La souffrance à distance (Métailié, 1994), Luc Boltanski insiste sur l'opportunité de diffuser des images insoutenables permettant à qui est distant (dans le double sens physique et psychologique)   d'être au courant des drames et des injustices planétaires. En prenant conscience, le public s'indigne et passe à l'action. Ce qui me retient, je dois l'avouer, est mon égoïsme (comment ne pas réagir, lorsqu'on a su? Mieux vaut donc ne pas savoir) mais aussi la crainte de tomber dans le voyeurisme. Dan ma perversité, j'en arrive même au point de soupçonner certains "lanceurs d'alerte" (je donnerai leurs noms prochainement) d'être en réalité des voyeurs/pornographes (la pornographie ne concernant pas que la sphère sexuelle).

On accuse parfois le boucher de faire son métier "parce qu'il aime ça". Il n'est peut-être pas le seul*.
 
*Inutile de préciser que  moi aussi, en parlant de ces choses-là, je fais partie de cette catégorie.

mercredi 1 juin 2016

Naturalia



 Jardins du Luxembourg : famille recomposée avec le dernier né.


Pendant des siècles l'Eglise a joué sur le parallélisme entre l'ordre naturel et l'ordre moral.  Aujourd'hui, depuis que les éthologues ont établi l'existence, dans le monde animal, de comportements fort peu catholiques, elle est obligée de puiser ses exemples ailleurs.