Œuvre du peintre belge Thierry Poncelet
Ce constat (l’admiration latente
pour l’univers aristocratique) est une évidence en matière de chiens. Voici
comment j’analysais les choses dans mon ouvrage L’éloquence des bêtes. Quand l’homme parle des animaux au
chapitre : « Hommes de gauche et chiens de droite » :
Parentés totémiques
C'est lors d'un long entretien
dans les Alpes italiennes que la logique « initiatique » dont je viens de
parler, axée sur l'idée d'une noblesse originaire reliant tous les «
aficionados » du culte canin, s'est révélée dans toute sa prégnance. Mon
informateur, un chasseur d'origine très modeste toujours entouré par des
notables locaux, vantait le pedigree de ses setters anglais. « Tu vois », me disait-il, « nous sommes très
courtisés » (à savoir lui et ses chiens). « C'est parce que mes chiens ont
beaucoup de classe. Mais on ne se croise pas avec le premier venu. Depuis un
bon moment on a pris l'habitude de se marier avec le docteur Masini. Et
d'ailleurs, on est devenus de très bons copains. On s'entend très bien ».
C'est ainsi qu'un pedigree canin,
transformé en pedigree fantasmatique, est incorporé (par sympathie dirait James
Frazer) par le propriétaire du chien. L'analogie avec le totémisme - un
totémisme métaphorique, bien entendu - ne peut que faire sourire. Le chien et
son maître, associés dans un « nous » qui en dit long sur les enjeux
sous-jacents, partageraient une sorte d'ancêtre commun, voire deux ou plus par
le jeu des accouplements reliant
entre eux les différents propriétaires (mon informateur et le docteur Masini,
le cas échéant). Cet ancêtre fabuleux, l'étalon qui est à l'origine du lignage,
n'est que le double canin, l'avatar pourrait-on dire, d'un propriétaire tout
aussi paradigmatique (les deux formant un couple « archétypal » aux destins et aux
physionomies indissociables). Comme par hasard, ce propriétaire « mythique »
est souvent un aristocrate (ou un sujet "remarquable" :
Cavaliere, Commendatore …, l'équivalent de ces chiens n'ayant pas
de pedigree mais que l'on accepte aux concours parce que susceptibles de
posséder de nobles ascendants...). Voici par exemple les coordonnées de
quelques propriétaires des chiens dont on proposa l'inscription au Kennel Club
en 1915 :
Comte Pio Menicon Bracceschi de Perouse,
Comte cav. Ing. Eugenio Morando de Verone
Comm. Francesco Silva de Pizzighettone
Architecte. Cav. uff. Ulisse Bosisio de Lonate Pozzolo
Et voici le nom « à particule » de quelques chiens :
Dir del Trasimeno
Tellino di Regona
Full dell'Eniano
Et lorsque le prestige du propriétaire fait défaut, c'est au chien de
porter toute la responsabilité d'un nom dynastique. C'est le cas, entre autres
de :
Lola 4ème, pointer femelle de M. Mario Costanti de Florence, ou de
Fly 6ème, pointer femelle
de M. Giuseppe Taticchi de Perouse (Cf. Diana, il Field d'Italia, juin
1915, p.144.
On répliquera que la société,
entre-temps, s'est beaucoup démocratisée. C'est indéniable. Toujours est-il que
lorsqu'on passe en revue les appellations des nouveaux chenils et les noms des
nouveaux reproducteurs, on ne peut pas s'empêcher de remarquer la permanence de
vieilles habitudes. Voici par exemple la généalogie de Mir (dont on déplore,
par ailleurs le prénom trop modeste) , champion de chasse pratique en 1998:
Birbo degli Uberti
Orfeo della Trappola
Fuga del Meschio
Bref, que des noms à
particule. On tient beaucoup aux origines.