lundi 30 juillet 2018

Une sale bête : l'envie. Corollaire 1



L’histoire que je viens de reporter est absolument vraie. Les sentiments et les raisonnements des deux chiens, il faut le reconnaitre, ressemblent drôlement aux nôtres. Mais le narrateur m'assure qu'il n'a rien inventé.

Comme toute histoire, même celle–ci s’inspire d’un motif, reproduit un exemple mythique. Le premier rapprochement qui me vient à l’esprit est avec une publicité de l’huile Bertolli (la série a été diffusée à la télé entre 1962 et 1975). C’était la saga de deux sœurs : Olivella et Mariarosa. Tout semble réussir  à  Olivella : les tartes, la mise en plis,  les réceptions,  les vacances. Mariarosa  se prend pour Olivella. Au lieu de  suivre son propre karma elle passe son temps à singer sa sœur, mais à chaque fois c’est un fiasco. La logique de cette série publicitaire n’est pas très claire : d’un côté elle rappelle celle du conte merveilleux :   Olivella est habitée par la grâce. La grâce est un don, un point c’est tout. Si Olivella utilise l’huile Bertolli c’est « naturel », car l’huile Bertolli partage ses mêmes propriétés. D’un autre côté, plus largement,  elle rappelle la pensée magique : Olivella a de la grâce parce qu’elle consomme l’huile Bertolli. Si Mariarosa consommait l’huile Bertolli, elle en aurait autant.  La logique moderne nous pousserait à affirmer que tout le monde, d’une manière ou de l’autre,  a la grâce.

Tout le monde a des dons  mais ils ne sont pas forcément les mêmes : si on veut être l’autre à tout prix, on souffrira comme un chien. Et on fera souffrir les autres.

Hybrides monstrueux


Un animal chimérique  de Thomas Grünfeld

Lorsqu’on entend la fable de la cigale et la fourmi, l’une qui dilapide, l’autre qui fait la morale, on a tendance à se positionner (avec un penchant pour la cigale que l'on qualifierait, aujourd'hui, d'intermittente du spectacle). De la Fontaine n’avait pas prévu l’existence d’un hybride monstrueux : la cigalofourmi, qui dilapide tout en faisant la morale.

dimanche 29 juillet 2018

Rien de neuf sous la lune, ou presque


 

Vendredi 27 juillet à 22 heures la lune était cachée par les nuages. Je l’ai alors prise en 
photo à 3 heures du matin, lorsqu’elle était redevenue normale (geste insensé, je le sais, mais c’était pour faire comme tous les autres). En regardant le résultat, cependant, je ne la trouve pas si normale que cela.

On m’a toujours assuré que les animaux sont sensibles aux événements astronomiques.
L’autre soir, en attendant l’éclipse, j’ai regardé dans le ciel. Les hirondelles, à première vue,  se comportaient tout à fait normalement. Et les chauves-souris arrivées juste après n’avaient rien d’insolite non plus. C’est que ces animaux modernes, me suis-je dit, nous ressemblent de plus en plus. Ils ont acquis de nouvelles facultés, ils en ont perdu d'anciennes.

jeudi 26 juillet 2018

Scènes de chasse dans l’arche de Noé


Autrefois, la figure du braconnier était entourée d’une aura romantique. Aujourd’hui on pense  plutôt  à un pauvre type qui tire sans discernement sur des espèces protégées, comme  s’il pénétrait dans l’arche de Noé pour faire un carnage.

Je parle des représentations contemporaines du  braconnage   dans une revue qui dans son dernier numéro fait le tour de la question.  Puisque l’article  est en ligne, voici le lien :
  
« Obsolescence d’une star. Le braconnage n’est plus ce qu’il était », in RSDA Revue semestrielle de droit animalier (Jean-Pierre Marguénaud, Florence Burgat, Jacques Leroy, Claire Vial éds.) n. 2/2017 p. 349-364. 



mardi 24 juillet 2018

une sale bête : l'envie (dernier épisode)



Helen Thompson. Holy Smoke – Dog sculptures

Ces propos mélodramatiques montrent à quel point le braque était traumatisé. Mais persuadé comme il était de faire partie d’une famille,  d’avoir des responsabilités (parce que les chiens aussi ont le sens de l’histoire, de la continuité, de la transmission) il s’efforça de tenir bon. Il acheta un essai sur la résilience de Boris Cyrulnik, le lit attentivement  et chercha à se donner un nouvel élan.  

dimanche 22 juillet 2018

une sale bête : l'envie (quinzième épisode)



En suivant des yeux la grille du jardin qui se fermait et le griffon indigné qui disparaissait à l’horizon le braque  pensa :  « Tiens, autrefois ça m’aurait attristé. Maintenant je suis presque heureux. Je le serais pleinement s'il n'était pas trop tard pour en profiter ». Il songea au rôle dévastateur que le griffon avait joué dans sa vie et dressa une sorte de bilan : «Dans ma carrière de chien d'arrêt j’ai fait ce que je pouvais pour contrôler mes défauts et être fier de moi. Je n'ai pas tout raté, je crois. Mais j’aurais pu faire beaucoup mieux  sans les interférences de cet être malveillant : ça a été comme escalader une montagne avec, accroché au dos, quelqu’un qui cherchait à me faire tomber  ».

vendredi 20 juillet 2018

On achève bien les caoutchoucs



Ce n’était pas prévu mais cela devint inéluctable : quelques plantes devaient quitter la maison.  Elles attendaient en silence d’être désignées. Le choix tomba sur un caoutchouc trentenaire (Ficus elastica) qui, pour la peur,  s’était fait tout petit. Je proposai à sa place un yucca, voire un ficus benjamina encore plus grand. Rien à faire : c’était le caoutchouc.  « Pourquoi moi ? J’étais si bien ici, et j’anoblissais cet espace par ma présence élégante ». En le sortant du salon il fit résistance. Le pot semblait incroyablement lourd. A chaque tournant il laissait tomber ses grosses feuilles, il y en avait partout. Après, pour nous faire de la peine,  il se pencha d’un côté et montra toutes ses racines. Il fallut se mettre à trois pour l’amener jusqu’au garage. On aurait dit un veau que l’on trainait à l’abattoir. Pour le tranquilliser je lui dis : « Ne t’inquiète pas, tu changes tout juste de propriétaire ». Il me répondit : « J’ai des mauvais pressentiments ».

Je comprends que l’on puisse ne plus manger de viande. Il faudrait faire de même avec les végétaux.   

mercredi 18 juillet 2018

Une sale bête : l'envie (quatorzième épisode)



Tique adulte

Le  braque n’avait jamais compris les raisons de tant d’aigreur (« méritais-je vraiment ce traitement haineux » ?). Ses réactions furent multiples. D’un côté le départ du griffon  lui fit de la peine car, a priori, il n’avait rien contre cette créature malheureuse avec qui il avait partagé une partie de sa vie.  En même temps, avec tout ce qu’il avait dû endurer, il était soulagé, comme si on avait retiré une grosse tique qui suçait son sang et, à la place,  lui injectait du poison. Mais le sentiment dominant était la  peur : « Va-t-il vraiment disparaître comme ça? N’aurait-il pas programmé une dernière vacherie  avant de partir ? ».

lundi 16 juillet 2018

Salade de dragon (après l’ entomophagie, la chimérophagie)


 

TEMPS TOTAL : 35 MIN

Préparation : 20 min
Cuisson : 15 min
Nettoyer le dragon en enlevant les ailes,  les yeux et les griffes.
Couper les tomates et le poivrons en dés. Couper la salade en petits morceaux.
Cuire le dragon 15mn à la cocotte minute avec le 1/2 verre de vinaigre. S'il est congelé, il sera + tendre.
Le laisser refroidir dans la cocotte sans l'ouvrir.
Couper le dragon en morceaux de 1 cm environ.
Mettre les morceaux dans le plats de service, ajouter l'ail haché, le persil, le jus de citron, l'huile d'olive, poivrer et saler.
Saupoudrer de cumin et ajouter l'harissa. Mélanger le tout.
Ajouter les tomates, le poivron et la salade frisée. Mélanger.
Mettre au frigidaire au moins 30mn avant de servir.

Ne pas employer de petits dragons, il se désagrègent à la cuisson.



En fait, il s’agit d’un test. J’ai le sentiment que le mot « dragon » attire les lecteurs de ce blog (et des blogs en général).   Nous verrons si c’est vrai.

samedi 14 juillet 2018

Une sale bête : l'envie (treizième épisode)



Le griffon blanc souriait vaguement

Bref, il devenait de plus en plus évident que l’activité principale du griffon blanc, en dépit de ses promesses, consistait à jalouser son collègue et à lui compliquer la vie. Il fallut donc les séparer. Un amateur de griffons blancs ami de Monsieur Olivier accepta d’adopter le paranoïaque jaloux car « quoi qu’il en soit, il est issu d’un chenil très réputé ».  Le jour du départ, le griffon  affichait un petit sourire énigmatique. On se demandait  s’il était heureux de recommencer une nouvelle vie loin de « son tortionnaire » où désespéré à l’idée de ne plus pouvoir compter sur le braque pour décharger sa haine et justifier ses échecs.

jeudi 12 juillet 2018

Motion abolitionniste



Je propose l’abolition des concours de beauté. Je les trouves discriminatoires. Je propose aussi, au passage, l'abolition de la concupiscence.

mardi 10 juillet 2018

Un sale bête, l'envie (douzième épisode)




Traces de prédateur repérées par le braque (qui gardera l'information pour soi)

Lorsque le griffon jaloux ne boycottait pas les sorties c’était encore pire. À force d’être détesté, le braque commençait à perdre son envie de chercher : « Si je trouve quelque chose, se disait-il, il le fera payer à tout le monde ». Il ne pouvait pas s’empêcher de repérer des traces, saisir des indices, avancer des hypothèses sur les déplacements du gibier, mais le regard indigné de son partenaire le paralysait de plus en plus. Tant bien que mal il continuait à chercher parce que c’était sa vocation,  mais sans trop s'éloigner du chemin, et en espérant que le griffon ne s’en aperçoive pas, il aurait tout de suite aboyé en l’accusant de s’emparer de « son lièvre », de s’intéresser à « ses perdreaux » (« Ici c’est pas toi le maître, tu sais ? »). Voire, plus subtil : "Toi tu cherches et donc tu trouves. C'est facile, alors que moi je dois tenir compagnie à Monsieur Olivier".

dimanche 8 juillet 2018

L’épreuve du bac végane



 Chats qui jouent entre eux en nous donnant du plaisir

J’étais ailleurs, ça m’avait échappé. Les représentants des chasseurs viennent d’accuser les concepteurs de l’ épreuve du bac de français de faire de la propagande « végane » (on leur a reproché de citer des célébrités qui dénoncent notre anthropocentrisme). Je ne suis pas d’accord. Quoi de plus pertinent qu’une dissertation sur la cruauté humaine et sur le statut des animaux ?  On ne demandait pas aux candidats de partager le point de vue de Pythagore, de Plutarque ou de Marguerite Yourcenar. L’étudiant doté d’esprit critique pouvait s’interroger sur les intentions de l’examinateur ( sur les sens de ses choix : « Pourquoi a-t-il sélectionné ces auteurs-là ? » ). Il pouvait s’interroger sur la cohérence et les intentions réelles des  auteurs cités (« De qui parlent-ils ? À qui s’adressent-ils ? »). Il pouvait désacraliser les fragments proposés en montrant leur contingence et leur caractère idéologique. Personnellement, j’aurais attiré l’attention sur le passage suivant :

«  La nature, je le crains, attache elle même à l’homme quelque instinct qui le porte à l’inhumanité. Nul ne prend son amusement à voir des bêtes jouer entre elles et se caresser, et nul ne manque de le prendre à les voir se déchirer mutuellement et se démembrer »(Montaigne, Essais, livre II, chapitre 11).

Une partie de cette proposition est aujourd’hui infondée : l’internaute « prend son amusement à voir des bêtes jouer entre elles et se caresser » (pour ce qui est du passé laissons trancher aux historiens). La partie finale, qui contient une autre généralisation,  mérite d’être poussée à ses extrêmes conséquences. En fait c’est peut-être vrai que « nul ne manque [de s’amuser] à voir [les bêtes] se déchirer mutuellement et se démembrer ».  Ce plaisir « inhumain » transparait même chez les défenseurs de la cause animale*. Mais la réalisation de cet « amusement »  demande de plus en plus de détours. Le spectacle de la souffrance animale passe désormais par sa dénonciation. Je peux m’empiffrer d’images insoutenables pourvu que ce soit pour la bonne cause (corps de poussins écrasés, chiens ligotés qui attendent d’être mangés par les Chinois, masques de sang derrière lesquels on a du mal a reconnaître le museau d’un taureau … ).  Merci aux associations philanthropiques (30 Millions d’amis, Fondation Brigitte Bardot, L214 etc.) d’assurer la besogne.


* J’en parle largement dans mes  ouvrages L’Utopie de la nature et L’éloquence des bêtes  dans les chapitres consacrés à  la mort animale.

vendredi 6 juillet 2018

Une sale bête : l'envie (onzième épisode)



La voiture de Monsieur Olivier

En voiture c’était pareil. Si on le mettait devant, il pensait que c’était pour le surveiller. Si on le mettait derrière, c’était pour l’humilier. Parfois, désormais, il boycottait les sorties de chasse. Un jour, par exemple, Monsieur Olivier avait annoncé qu’ils étaient invités dans une « réserve merveilleuse »  du côté de Venise : « Vous pourrez montrer votre valeur », déclarât-il sur un ton solennel  « et avec un peu de chance, peut-être, on nous invitera régulièrement ».  Le braque avait hâte de montrer sa valeur mais la nuit même le griffon s’échappât et ne réapparut que quelques jours plus tard.

mercredi 4 juillet 2018

Chacun son poisson (l'exotisme à quelques mètres de chez nous)



Basilique Saint-Apollinaire-le-Neuf  à Ravenne. Mosaïque représentant le miracle des pains et des poissons


« À partir de mardi prochain, changement de propriétaire ». Ma poissonnière, hélas, quitte le quartier. « C’est triste, je lui ai dit, mais je viendrai vous rendre visite dans les Halles Saint-Martin, ce n’est pas très loin ». « Oui, mais vous n’aurez pas les mêmes poissons ». « Ça alors, et pourquoi ? ». « Parce que ceux de Saint-Martin aiment des poissons différents ».   

lundi 2 juillet 2018

Une sale bête : l'envie (dixième épisode)




   La partie basse du jardin

Le griffon, donc, avait trouvé une bonne raison pour détester son rival (oui parce que par glissements progressifs, de confrère qu’il était au départ, le braque était devenu un rival). Et il se comportait en conséquence. Il avait déclaré qu’il ne voulait plus voir « son assassin », mais en réalité il passait son temps à l’espionner.  Lorsque le braque s'allongeait dans la partie basse du jardin il s’y rendait tout de suite : « Écoute, le jardin n’est pas à toi. Pourquoi as-tu choisi la partie la meilleure ? ».  Le braque, effectivement, préférait cette partie-là (à la différence du griffon, il avait un point de vue). « Bon ben, c’est pas grave. On va faire comme ça : toi, si tu veux, tu restes ici et moi je me mets en haut ». Quelques minutes plus tard le griffon était sûr d’avoir fait l’objet d’une machination : « Ah, la crapule … il a fait semblant de préférer cet endroit pourri. Mais je ne vais pas me faire cuisiner comme ça … maintenant on  va m’entendre ».