mercredi 30 mars 2022

Peut-on être chasseur et de gauche? Épilogue

 
Chasseurs (très probablement fascistes)  qui rentrent à la maison

(Suite et fin)

- « Donc la chasse n’est ni de droite ni de gauche, pourrait conclure le chasseur : j’ouvre le tiroir que je préfère, j’adopte la narration qui me convient le plus, celle qui me ressemble davantage ».

- Eh ben non, lui répond le sociologue*. Ce n’est pas toi qui décides,  c’est l’opinion publique. C’est le discours courant qui établit  ton étiquette. Toi, tu n’as qu’à la coller sur ton front ».

Or, dans ce discours courant une voix se détache. On l’entend particulièrement bien à l’occasion des accidents de chasse, mais elle ne fait que grossir, comme une sorte de bourdon. Elle dit grosso modo ceci :

« La chasse, loisir d’essence fasciste. Tout chasseur n’est pas fasciste, mais la chasse est un loisir d’essence fasciste. Par son rituel guerrier, son goût des armes à feu et de la violence, sa banalisation de l’acte de tuer, sa culture de « pas vu pas pris » et ses dérives de mafia rurale, la chasse dégage un bien mauvais parfum rance ».

C’est une déclaration de  Monsieur Gérard Charollois, président de la Convention vie nature une force pour le vivant **).

J’ai du mal à souscrire à cette généralisation. Je trouve qu'elle fait porter au mangeur de perdreaux, de lièvres et de bécasses une étiquette bien lourde***.

Certains, peut-être, s’identifient avec joie à cet étiquetage : « Eh bien oui, je suis fasciste! Un problème ? ». Les plus coriaces le refusent. Mais  les plus fragiles risquent de l’accepter :

- « Tiens j’étais persuadé d’être un chasseur de gauche : démocrate, même pas populiste et  viscéralement antifasciste. Mais après tout ce que vous venez de dire sur moi, vous m’avez convaincu. Je vais voter pour  Eric Zemmour »

FIN

* Je parle de l’Interactionniste symbolique, ou  de l’Ethnométhodologue qui suit la théorie du labeling, de l’étiquetage.

** https://info-loup.eu/chasse-loisir-essence-fasciste/

*** Le fascisme est une disposition psychologique souvent plus subtile, mieux cachée, que l’on peut rencontrer aussi bien chez certains chasseurs que chez certain·e·s ami·e·s des animaux. Il y a quelque chose de pervers dans le fait de dissocier l’acte de chasser  de ses finalités alimentaires et gastronomiques. Cette perversion est présente aussi bien chez le chasseur qui ne mange pas de gibier (il en existe) que chez le détracteur de la chasse qui projette sur cette pratique ses propres troubles psychologiques. 



lundi 28 mars 2022

Peut-on être chasseurs et de gauche? (6) La leçon du Trickster

 


Tant bien que mal, nous sommes tous des Tricksters,  traversés par des instances contradictoires : passionnés et lucides, idéalistes et opportunistes, conciliants et implacables à la fois. Accrochés à notre identité, nous croyons être toujours les mêmes, alors que  notre profil s'adapte au contexte.  

(Suite du billet précédent)

Qui est donc ce personnage qui, à l’instar du Trickster des mythes amérindiens, peut se permettre le luxe de présenter les chasseurs, dont il fait partie,  comme des régulateurs du gibier, et déclarer qu’il s’en fiche de la régulation ?

C’est Willy Schraen, le Président de la Fédération nationale  des chasseurs. En fonction des contextes, Schraen peut être le chantre du plaisir de la chasse,  avec des tons romantiques, passionnels, qui font penser au « Libre chasseur »  de l’opéra de  Weber, et l’auteur d’une proposition de loi conférant aux fédérations de chasse le pouvoir de fliquer les promeneurs qui  se baladent dans les bois*. Il peut plaindre les pauvres chasseurs subissant les violences des  "anti-chasse" (et il parle de faits réels qui méritent notre attention) et simultanément, après avoir stigmatisé ces attitudes violentes, il peut menacer les écologistes qui endommagent les miradors de les amener au fond d’un bois et de leur donner une bonne branlée**.

Cette menace est virtuelle, certes. C'est une prophétie qui se réalisera si  « les pouvoir publics ne prennent pas les mesures qu’il faut ».  Elle trouble, cependant,  car elle rappelle d’autres époques. Ce qui est pire, elle risque d'influencer les chasseurs « de base ». Aux oreilles des plus impulsifs (il y a de gens impulsifs  même chez les chasseurs) elle pourrait sonner comme une instigation à la justice sommaire, au charivari.

Est-ce que le charivari est de gauche ou de droite ? Je ne saurais pas  répondre à cette question saugrenue***. Mais pour ce qui concerne les liens historiques entre le charivari et l’extrême droite, j’invite à la lecture des beaux articles de Iann Farr et Ernst Hinrichs publiés dans un ouvrage dirigé par Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt  en 1981****.

Et Willy Schraen, est-il de gauche ou de droite?  Voici une question encore plus imbécile que la précédente. Le  Président des chasseurs, bien évidemment,  est super partes. À en juger de l’entretien qu’il a donné aux journalistes de Valeurs actuelles (la conversation se déroule sur un ton amical, d'une douceur attendrissante)  on dirait qu’il éprouve pour eux de la sympathie *****.  Mais en 2017 il déclarait : « Notre force provient du fait que nous avons autant d’alliés et de soutiens à gauche qu’à droite ».

Et le Trickster, est-il de gauche ou de droite? La réponse est simple : il est à la fois de gauche et de droite. (À suivre).



* En l'écoutant, et en comparant son discours avec celui de ses détracteurs (qui ne manquent pas, notamment chez les animalistes), il faut quand même reconnaître la grâce avec laquelle il sait décrire les chasses traditionnelles (et les non-traditionnelles), avec une précision et une "empathie lucide" dignes d'un bon ethnographe.

**Cf la vidéo du 4 mai 2020 :  https://www.facebook.com/Chassons/videos/live-avec-willy-schraen/274580020600869/ : « Après, il y a les bonnes vieilles méthodes. Je comprends la colère des chasseurs.  Puisqu’on peut faire toutes ces choses, et il n’y a pas un seul qui est condamné …  Ça commence à être un petit peu pénible, pour pas dire plus. Et moi je comprends le chasseur aujourd’hui qui dit : , «Si j’en choppe un,  il va prendre une bonne branlée (…) ».  L’entretien continue sur le même sujet.

*** Dont je suis l'auteur, ce qui prouve que je suis un Trickster comme tout le monde (sauf quelques collègues particulièrement sérieux qui, eux, ne le sont pas).

****« Haberfeldtreiben » et société rurale dans l’Oberland bavarois à la fin du XIXème siècle: quelques réflexions provisoire …  p. 286-295. « Le charivari et les usages de réprimande en Allemagne. État et perspectives de recherche », 297-306, in, Jacques Le Goff, Jean-Claude Schmitt, Le Charivari, Paris, Mouton, EHESS, 1981.

***** Valeurs Actuelles. Pétition ANTI-CHASSE : Willy SCHRAEN répond. Diffusée en direct le 16 nov. 2021 https://youtu.be/1KJzsF7uIRY . Sur le fond, derrière les intervieweurs, on remarque un casque militaire et un buste de Nietzsche. Ce qui est beau, dans les bustes de Nietzsche, c’est qu’on peut leur faire dire ce qu’on veut (est-ce que Nietzsche était de droite ou de gauche ? Pour certains philosophes c'est une vraie question). 

 

samedi 26 mars 2022

Peut-on être chasseur et de gauche? (5) Au nom de la tradition

 

 

Controverse animée autour de la notion de "tradition rurale"


(Suite du billet précédent)

Bref, en matière de chasse, on a beau généraliser, les identités sont nombreuses.

Je veux dire : les représentations mythiques de la chasse et de la ruralité sont nombreuses. Celles de la tradition aussi. Est-ce qu’elle peuvent ne pas entrer en conflit ? Reprenons l’exemple du  Saint-Hubert Club de France, instance représentative de la tradition cynégétique.  Ses  membres ont des liens avec la ruralité, ne serait-ce qu’en tant que propriétaires terriens. Ils se réclament de la tradition, ce que personne ne peut leur contester. Il faut en même temps  rappeler  que le Saint-Hubert Club de France a été créé pour lutter contre le braconnage, à savoir,  comme le diraient Edward Thompson ou Eric Hobsbawm*,  contre ces pratiques rurales de défense des récoltes et d’accaparement des ressources spontanées qui entrent, traditionnellement,  dans la catégorie : "braconnage".

Toutes les traditions ne se ressemblent pas, finalement.

Autre exemple : ces patriotes "Identitaires" qui voient dans l’utilisation des fusils de chasse l'heureuse résurgence des Templiers et leurs croisades, n’ont strictement rien à voir avec les "techniciens de l’environnement" qui  ne chassent pas pour leur plaisir mais pour aider l’environnement qui a besoin d'un coup de main.

Comment surmonter ces divergences ? Dans le récit mythique, comme l’explique Lévi-Strauss, il existe un personnage qui permet d’assurer la médiation entre  réalités  inconciliables. Il s’agit du Trickster. 

Dans la version  qui nous est offerte par Paul  Radin**, Le Trickster ne connaît pas le principe de non-contradiction. C’est un drôle de démiurge qui fixe les règles et, juste après, il s’empresse de les transgresser. Une  scène célèbre, dans l’épopée du Trickster, est celle où sa main droite se dispute avec sa main gauche. On pourrait voir un avatar du Trickster  chez Emmanuel Macron, qui cherche à plaire simultanément à un lobbyiste  comme Thierry Coste, secrétaire général du Comité Guillaume Tell***, et aux derniers piégeurs d’alouettes aux pantes. Mais il y a un personnage  qui, dans sa capacité à adopter les postures  les plus hétéroclites,  incarne encore mieux la figure du Trickster. J'en parlerai  dans le prochain billet.

* Grands spécialistes de l’histoire sociale.

**Le Fripon divin: un mythe indien, 1958 ouvrage collectif avec Carl Gustav Jung, Paul Radin et Kerényi, éditions Librairie de l'Université, Georg et Cie.

*** C'est une belle trouvaille, je le reconnais (si on garde des armes à la maison, c'est pour défendre les Suisses). Et ça fait bien plus viril que les "Comités Jar Jar Binks" ou "Sancho Panza", qui d'ailleurs n'existent même pas.

vendredi 25 mars 2022

Autour des frontières ontologiques (séminaire)

 

Jean-Michel Basquiat : Warrior

 

Séminaire - De l’humain animalisé au vivant humanisé (troisième année : risques et avantages de la proximité ontologique)

 

Bâtiment EHESS-Condorcet

Salle 25-A 
EHESS, 2 cours des humanités 93300 Aubervilliers

 

lundi 28 mars, de 12:30 à 14:30

 

 

Steve Lazzaris

 

Combat et férocité guerrière :

Sur un champ de bataille, il arrive que des guerriers se muent en bêtes féroces : insensibles à la peur et aux blessures, ils ravagent les rangs ennemis comme des fauves dépourvus d'humanité. Si berserkir est un nom qui est resté dans les mémoires, il recouvre une réalité qui dépasse de loin les frontières de la Scandinavie. Ainsi la fureur sacrée ne se développe pas seulement sous une peau de bête, et les similitudes sont nombreuses entre les berserkir et des guerriers qui, comme Horace décrit par Georges Dumézil, entrent dans une transe guerrière pour lutter contre leur ennemi. Mais sauver son monde au prix de son humanité ne se fait pas impunément : on quitte la société sans être sûr de pouvoir y revenir. Comment un homme devient-il un guerrier ? Qu'est-ce que cela implique dans la bataille ? Comment redevient-il humain et peut-il revenir dans la société ? Pourquoi la figure du guerrier-fauve a-t-elle a priori disparu de la guerre moderne ? Nous tenterons de répondre à ces questions grâce à une approche historique et anthropologie.

 

Hugo Gassin 

Marcher avec la montagne et la lumière. Essai d’ontologie du paysage par-delà la modernité.

Résumé : Le paysage est une notion polysémique, épousant le moule des différentes disciplines qui le pensent, soit comme une réalité matérielle indépendante de l’humain, soit comme la perception qu’en a un sujet culturellement constitué, ou encore, en tant que modèle artistique et esthétique. Coincé dans la Constitution moderne, le paysage se voit déchiré en essence entre deux pôles antagonistes, la société et la nature, le sujet et l’objet. Je tenterai de penser, à partir des réflexions de Bruno Latour, d’Augustin Berque et de mes premières données de terrain, comment envisager une ontologie du paysage au-delà de la modernité, en le laissant à mi-chemin entre la nature et la société-sujet, et le considérant comme un quasi-objet. Le paysage serait ainsi un prisme au travers duquel les substances des sujets et des objets prennent forme et entrent en relation. Je me demanderai alors quelle place le paysage occupe dans nos existences.

jeudi 24 mars 2022

Peut-on être chasseur et de gauche? (4) P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non

 

 

Chasse présidentielle de Georges Pompidou à Chambord (1970). Cliché, Musée de la chasse et de la nature repris dans mon ouvrage La langue des bois. L'appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi, Paris Éditions du Muséum d'Histoire Naturelle, 2020

 

(Suite du billet précédent)

Ce qu’il faut reconnaître à Emmanuel Macron, dans sa relation avec les chasseurs, c’est qu’il n’avance pas masqué.  Il renonce ouvertement à l’électorat anti-chasse, qui est consistant mais qui, de toute façon, ne voterait pas  pour lui. Son herméneutique n’a rien d’improvisé*.  Il connaît le discours des chasseurs, ses modulations rhétoriques et, en bon interprète, il les prend au pied de la lettre. Lorsque les chasseurs prétendent avoir toujours été écologistes, par exemple, il sait que ce n’est pas complètement vrai**. Mais ce serait triste de les décevoir. Et, de toute façon, c’est pour la bonne cause : le chasseur  croit avoir été écologiste? Eh bien,  il finira par le devenir***. Accusé de populisme par ses détracteurs, Macron en arrive même à défendre les chasses traditionnelles considérées par l’opinion publique, ainsi que par la Communauté européenne, comme particulièrement cruelles.

 

Je passe maintenant à gauche.

 

Une première donnée saute aux yeux : les candidats de gauche s’adressent au monde des chasseurs avec moins d’enthousiasme. Anne Hidalgo n’a pratiquement pas de point de vue. Philippe Poutou et Dominique Jadot se montrent frileux, en se limitant à proposer une série de restrictions. Nathalie Artaud est contre la chasse à courre, ce qui ne coûte pas grand-chose, et souhaite, à terme, la fin de la chasse en général ("là où il n’y a plus de raisons de se nourrir avec les animaux sauvages", c’est à dire partout).

Jean-Luc Mélenchon est particulièrement embarrassé. Il sait très bien, comme Valérie Pécresse,  que le droit de chasse est une conquête de la révolution française et il ne peut pas s’aliéner la partie résiduelle des chasseurs des classes populaires qui votent à gauche. Mais ses propos officiels ne contiennent la moindre référence positive aux notions de patrimoine, de tradition, de savoir faire etc.

Seule exception à gauche, mais non sans nuances,  celle de Fabien Roussel qui défend ouvertement  les chasseurs et  reconnaît leur rôle dans la préservation  de l’environnement. Il en arrive même à proposer le maintien des chasses traditionnelles, tout en précisant qu’elles sont pratiquées par une minorité de vieillards qui vont bientôt mourir (À suivre).



* C’est un disciple de Paul Ricœur …

** Le gibier, historiquement, était perçu comme un ennemi de l’agriculture (que l’on songe à la notion de « nuisible », ou de « vermine »). J’ai consacré plusieurs recherches à cet aspect.

*** C’est ce que démontre dans mon article « L’invention du chasseur écologiste.  Un exemple italien », Terrain, n. 13, 1989

mardi 22 mars 2022

Peut-on être chasseur et de gauche? (3) La Terre, elle, ne ment pas

 

 

(Suite du billet précédent)

Quel diaporama s’active dans la tête du candidat aux élections présidentielles lorsqu’il formule le mot « chasseur » ?

Les chasseurs d’Éric Zemmour sont invités à se penser en opposition aux écologistes et aux citadins :

 « Je refuse et je refuserai que qui que ce soit vous interdise la chasse. Les vrais écologistes, c'est vous » et pas « les citadins qui veulent des biches comme dans Bambi » (on ne comprend pas trop ce que ça veut dire, mais ça sonne bien). Il propose d’ailleurs de remplacer le ministère de la Transition écologique par un « grand ministère de l'agriculture, de la protection de l'environnement et de la ruralité ». Dans la mesure où le mythe  s’oppose à l’histoire et à la sociologie, Zemmour  peut même oublier que la plupart des chasseurs sont des urbains (et, en tout cas, ne correspondent que rarement aux santons de Provence à qui il semble s’adresser).  

Marine Le Pen n’a pas besoin de pousser trop loin ses efforts herméneutiques pour saisir l’âme du chasseur. Aux élections précédentes elle a obtenu l’adhésion du 30% de l’électorat muni d’un permis de chasse. Elle peut même se permettre le luxe de ne pas soutenir la chasse à courre alors qu’elle défend la corrida. C’est la concession qu’elle fait à une de ses grandes électrices, Brigitte Bardot, qui a bien droit à quelque chose en échange*.  Pour Marine Le Pen la disparition des chasseurs aurait des conséquences visibles sur le paysage et même sur « l’organisation de la ruralité ».

Les chasseurs de Valérie Pécresse sont tout aussi  anonymes et désincarnés  que ceux de Zemmour**. C’est sur un ton patriotique que la candidate des Républicains  leur promet sa protection :

"Il faut arrêter de faire la chasse aux chasseurs", les "premiers amoureux de la nature. On n'entrave pas la pêche et la chasse qui sont des libertés issues de la Révolution».

Pour Nicolas Dupont-Aignan chasse et ruralité sont presque synonymes. La preuve ?  Bruxelles  cherche à démanteler  les deux en même temps.

Jean Lassalle, comme la plupart des ruraux, n’est pas chasseur. Bien qu’issu d’une famille de bergers, et peut-être pour cette raison, il est le seul à ne pas utiliser le terme « ruralité ». Sa défense de la chasse a des tons particulièrement authentiques et passe par la stigmatisation des « citadins » qu’il accuse de « sensiblerie ». (À suivre).

* Je me vois obligé de rectifier cette information. Entre temps la célèbre actrice qui portait, dans sa jeunesse, des merveilleuses fourrures appartenant aux espèces les plus rares, a jeté son dévolu sur Zemmour. À la dernière minute, cependant, elle a changé d'avis (Zemmour étant trop proche des chasseurs) pour lui préférer Nicolas Dupont-Aignan.

** Qui ne veulent pas de biches comme dans Bambi.

dimanche 20 mars 2022

Peut-on être chasseur et de gauche? 2) Rural toi-même

Tout le monde est rural*

 

(Suite du billet précédent) 


Le débat actuel sur la politique et la chasse est traversé par un mot clé qui fonctionne comme un référentiel mythique : le mot « Ruralité ».

Si je parle de référentiel mythique, c’est que la ruralité évoquée par les candidats  n’est jamais un cadre réel dont ils précisent les caractéristiques. C’est un fond conventionnel,  comme dans la poésie pastorale, où  le « bon rural » remplace le « bon sauvage » d’autrefois.  On peut donc le meubler avec  les narrations que l’on préfère. Voici quelques figures de la ruralité qui s’offrent au narrateur en tant qu'opportunités rhétoriques : 

 

Est un rural le chasseur/paysan qui améliore son ordinaire avec ce qui lui est offert par la nature environnante.

 

Est un rural Raboliot, le héros du roman de Maurice Genevoix qui n’en a rien à cirer des règlements cynégétiques,  puisqu’il est appelé par la Nature en personne  (sorte de Robin des bois qui prélève le gibier des riches pour le donner aux pauvres, c’est à dire à lui-même).

 

Est un rural, son contraire, à savoir  le chasseur moderne, technicien de l’environnement et producteur de protéines nobles pour une alimentation bio…

 

Est un rural le mangeur d’ortolans dans des banquets clandestins qui revendique, par ces ingestions communautaires,  son appartenance ethnique et territoriale («  c'est le topos du braconnier identitaire »).

 

Sont des ruraux, en Italie, ces électeurs de la ligue du Nord qui organisent des festins à base d’ours – légalement acheté en Slovénie – ou qui pratiquent en cachette,  comme des Viet-congs dans la jungle, le piégeage des grives dans l’arrière pays de Lombardie.

 

Sont également des ruraux, mais avec une préférence pour les bois, les "Odinistes" italiens (les disciples d'Odin) qui se réunissent pendant les solstices pour retisser des liens tout à fait hypothétiques avec leurs ancêtres celto-germaniques.

 

Mais pourraient se réclamer de la ruralité également les survivalistes français,  ou ces identitaires qui apparaissent dans des  sites au décor médiéval, entourés de trophées, de fusils de chasse et de crucifix.

 

Et sont tout aussi ruraux, même s’ils appartiennent à d’autres couches sociales, ces membres du Saint-Hubert Club de France, institution vénérable, qui ont suscité le scandale, à la fin d’un diner caritatif, en entonnant l’hymne de l’Action française et le chant allemand des parachutistes de la Wehrmacht - ce qui les a quand même obligés à quitter la direction du Club**.

 

Les opposants à la chasse refusent que les chasseurs monopolisent la notion de ruralité. Guillaume Gontard, par exemple, président du groupe écologiste au Sénat déclare, je le cite :

 

« Ce discours comme quoi la ruralité ce sont des pratiques cruelles, d’une chasse à outrance, est insupportable. La chasse concerne aujourd’hui une minorité d’individus. J’habite dans un village et heureusement, la ruralité ce n’est pas ça. »***

 

Ce point de vue est partagé par le  député européen écologiste Pascal Canfin : « Il y a 13 millions de ruraux en France, 1 million de chasseurs, et parmi eux une grande partie sont des urbains, qui ont une résidence secondaire et un permis de chasse. En aucun cas on ne peut considérer que la chasse serait représentative de la ruralité dans son ensemble. »****

 

Dans le débat électoral, finalement, tout discours sur la chasse est un discours sur la ruralité. J’illustrerai la prochaine fois ses principales déclinaisons. (À suivre)

 

* J'ai trouvé cette jolie image à l'adresse suivante :

https://www.deguisetoi.fr/p-239386-blouse-de-jardinier-adulte.

** Cf. le quotidien l'Opinion,  Flirt d’extrême droite au plus vieux club de chasse de France ».

***(https://www.publicsenat.fr/article/politique/reautorisation-des-chasses-traditionnelles-d-oiseaux-emmanuel-macron-n-a-pas 

**** France Inter (18/8/2020). 

vendredi 18 mars 2022

Peut-on être chasseur et de gauche? 1) Préambule


Il y a quelques jours, dans le cadre de la table ronde « Les extrêmes droites dans le paysage électoral » organisée à l’EHESS par l’anthropologue Lynda Dematteo, j'ai eu l'occasion de parler de la chasse.

Dans un premier temps,  la question que j’avais l’intention de traiter était la suivante : peut-on aujourd’hui, à l’époque du tournant écologique, se dire à la fois  chasseur et de gauche ? J’ai vite renoncé à ce projet trop ambitieux. J’en ai néanmoins profité pour passer  en revue la position en matière de chasse des différents candidats aux élections présidentielles. Puisque ma communication portait sur l’actualité et sur le rapport homme/animal, j’ai décidé de la reproduire par morceaux dans ce blog. 

 

Je commence par une citation du célèbre opéra  de Carl-Maria von Weber :  Der Freischütz.

 

« Il cherche à travers les bouleaux et les charmes/Ta trace ô gibier, du matin jusqu’au soir/Voilà le plaisir, le plaisir qu’il se donne,/Et libre il n’a point de regrets sous les cieux »*.

 

Et je continue comme çà :

 

- Dans le discours courant, on  a tendance à essentialiser la figure du chasseur. On dit « le Chasseur » comme on pourrait dire : « le Poète », ou « Le Navigateur ». « Le chasseur fait ceci, le chasseur fait cela … ». On parle du  « lobby  des chasseurs » comme s’il s’agissait d’un collectif unitaire. Bref, on déduit le chasseur à la manière de  Diderot, qui déduisait le « Bon sauvage » à partir du « Mauvais civilisé ». Mais quand on veut se faire élire à la présidence de la République il ne suffit pas de déduire. Il faut que les propos du candidat correspondent aux exigences de ce chasseur idéalisé.  Le candidat devient alors un interprète. Ses interprétations  ne nous éclairent pas forcément sur l’essence du chasseur (d’autant plus que ces essences, nous le savons, sont multiples). Elles nous disent plein de choses, en revanche,  sur la manière dont le candidat se figure cette essence. (À suivre)

* Carl-Maria von Weber. Der Freischütz, Le Chœur des chasseurs (Jägerchor - Was gleicht wohl auf Erden), acte III, scène 6

 

mercredi 16 mars 2022

Sales bourgeois (Maurice est toujours là)

 

 

Il ne faut pas croire, Maurice est toujours là, copieusement nourri par les membres de ma famille (et par moi-même aussi, de temps en temps).  Si j’en parle moins c’est que nos rapports se sont refroidis. Un jour, par exemple, il m’a blessé un doigt pendant que je lui offrais une friandise. Tout récemment, je ne trouvais plus les corn flakes, c’est lui qui les avait subtilisés en profitant de la fenêtre ouverte. Je trouve qu’il s’avachit, qu’il s’embourgeoise.