samedi 30 avril 2016

Ce n'est qu'un rêve



Canis Lupus 

J'ai rêvé d'une louve. Il ne s'agissait pas de ces louves lubriques et relativement sympathiques (en ce qu'elles ont d'anticonformiste) décrites par Sophie Bobbé dans son livre consacré à l'ours et au le loup*. C'était une bête qui faisait vraiment peur. Elle était une louve mais aussi, simultanément, un aspirateur de la marque Vorwerk (dans les rêves, c'est connu, on peut être plusieurs choses à la fois). Au fur et à mesure que je portais mon attention sur quelque chose, elle l'aspirait. Elle a commencé par la partition simplifiée d'un morceau de James Taylor. Après, passant du visible à l'invisible, elle s'est mise à aspirer mes idées, mes désirs les plus intimes, deux ou trois souvenirs auxquels je tiens particulièrement, mes projets d'apprendre à dessiner et de faire retapisser avec du velours gaufré, d'un beau rouge cardinal,  le fauteuil de ma grand-mère. Plus je me vidais, plus elle enflait. Pour chercher à l'arrêter, je lui ai offert ma collection de figurines Panini, mon Laguiole et même une petite médaille en or, avec un ange gardien, qui m'avait été donné par mon oncle Guido à l'occasion de mon baptême. Rien à faire, elle dévorait tout et me regardait d'un air impassible et triomphant en murmurant, comme le lion de la fable de La Fontaine : « J'ai le droit, oui, j'ai le droit ». J'ai compris qu'elle voulait ma peau et j'ai fermé les yeux. Lorsque je les ai ouverts, elle avait disparu. Au beau milieu du salon une sorte de trou noir tourbillonnait, silencieux comme un corbillard, en avalant toute l'énergie vitale de la maison ainsi que les derniers objets et les derniers souvenirs. Je me suis réveillé dans l'angoisse en me disant : mon Dieu heureusement ce n'était qu'un rêve.

Reste à établir pourquoi, même dans les rêves, les louves ont une si mauvaise réputation. Nous y reviendrons.

* L'ours et le Loup. Essai d'anthropologie symbolique, Paris MSHS/INRA, 2002. C'est la deuxième fois que je le cite, je demanderai un pourcentage sur les ventes.


*On peut dire « mon Dieu » même lorsqu'on est agnostique.

jeudi 28 avril 2016

Tel est pris qui croyait prendre


Néandertaliens véritables

Selon des chercheurs de l'université de Tübingen  l'homme de Neandertal,  chasseur invétéré,  pourrait avoir  été "tué" par son régime carnivore*.



*Voici une  nouvelle doublement édifiante, scientifique et morale à la fois.

mardi 26 avril 2016

3O Millions de mercenaires?


 

Chien fidèle et reconnaissant

Le discours ambiant célèbre le lien d'amitié que les humains entretiennent avec leurs animaux de compagnie. Il faudrait s'interroger davantage sur la nature de ce lien. Je peux aimer mon chien parce que je me sens comme lui, une créature éphémère, approximative et  désireuse d'affection. Je peux aimer mon lévrier afghan parce que je me sens beau et noble comme lui et comme Sarah Bernhardt. Je peux aimer mon pitbull parce qu'il est comme moi,  passionnel et incompris (et on a marre d'être des incompris, une chose est sûre, ça va barder).


Si on s'interroge sur les  prestations générales que l'on demande au chien,  force est de reconnaître que ce qu'on aime chez lui c'est d'abord  sa subalternité. Subalternité virile chez les descendants du loup. Subalternité molle, comme le disait Konrad Lorenz (qui se trompait, parait-il),  chez les descendants du chacal. Le propriétaire paye les aliments,  le dressage, les soins esthétiques et médicaux. Le chien, en échange, l'inonde de tendresse. Quelques millénaires de domestication ont été nécessaires pour fabriquer ces doudous en chair et en os qui, à peu de frais, nous donnent l'illusion d'être le maître de quelqu'un.

samedi 23 avril 2016

30 Millions d'exhibitionnistes (un animal pour se montrer)


L'élégance du lévrier

Dans un vieux spot publicitaire  italien une  top model  monte un escalier en tenant à la laisse un chien de race chic et stylé. Soudain elle se retourne  vers un groupe de badauds en exclamant :" Hey hey, qui regardez-vous : moi ou mon chien?". Elle anticipe ainsi de quelques décennies les pompiers exhibitionnistes évoqués dans le précédent billet  : "Hey hey, que regardez vous : nos torses sculpturaux ou nos adorables  chiots?"*.

Parfois, pour se faire remarquer, on donne a son chien un nom prétentieux. Pendant un moment, dans le jardin public de ma ville d'adoption, on pouvait entendre  une dame qui appelait sans cesse sa merveille à quatre pattes  : "Napoléon reviens". "Napoléon, mon délice, reviens". Napoléon revenait et alors il fallait qu'il reparte pour réitérer le plaisir de montrer à tout le monde qu'il ne s'appelait pas  Snoopy, ou Filou, mais bien Napoléon.


*C'est surement la jalousie qui me fait parler ainsi.

mercredi 20 avril 2016

Bien-être animal et culturisme



Dans un vieux billet je soupçonnais les antispécistes  et autres amis des animaux de ne pas être dépourvus, malgré leur supériorité morale par rapport aux mangeurs de viande,  d'une certaine hypocrisie. Je me demandais tout particulièrement : "Lors de leurs apparitions en public se montrent-ils  tous nus pour servir la cause des animaux ou  profitent-ils des animaux pour se montrer tous nus?". Je me pose la même question par rapport aux pompiers australiens glorifiés par La Repubblica d'aujourd'hui.

Voici le lien :
http://www.repubblica.it/esteri/2016/04/20/foto/australia_il_calendario_sexy_dei_pompieri_in_posa_per_aiutare_bimbi_e_animali-138026745/?ref=HRESS-18#1



Qu'il doit être excitant, quand on est un petit chiot tout tendre, d'être sauvé par un pompier haltérophile.

dimanche 17 avril 2016

Collecte de signatures pour la réhabilitation de Shere Khan


Tigresse d'avant la réhabilitation
  
Ce n'est pas juste.  Avec des arguments tout à fait louables on a privé  Lucky Luke de sa clope et le Capitaine Haddock de sa bouteille de Whisky. Comment peut-on permettre au studio Walt Disney Pictures, dans sa nouvelle version du Livre de la jungle, de perpétuer l'idée fausse et anthropocentriste  que certains tigres sont méchants et rancuniers?   Que fait donc la SPA? Que fait la Fondation Brigitte Bardot? Que font les antispécistes?*


*Oui, je sais, dans la version de 2016 si Shere Khan est (devenu) méchant c'est pour des raisons biographiques. C'est déjà mieux, mais, cela reste discriminatoire.

vendredi 15 avril 2016

Le Bestiaire de "La Repubblica"


Jugement d'une truie 

Voici une nouvelle qui nous met du baume au cœur : Olive,  "la dernière arrivée chez les Childs", est une truie de huit mois qui se prend pour un chien.  Depuis que je l'ai appris je n'arrête pas d'y penser. Et  plus j'y pense, plus je suis ému.

"Chez les Childs" on avait déjà Tilly, un bulldog anglais, Alfie, un Boston Terrier, et Lola un bulldog français (voici une autre bonne nouvelle).

Il doit faire bon de vivre "chez les Child", cette famille sympathique où se passent des choses cocasses.  Merci  au quotidien La Repubblica de nous en avoir parlé.

mardi 12 avril 2016

La réhabilitation du cochon


Cochon réhabilité

Hier, au congrès du CTHS consacré aux animaux (c'était le 141ème organisé par cette vénérable institution et peut-être le dernier), j'ai entendu l'historien Michel Pastoureau. Il nous a rappelé que dans le monde ancien la bête impure et luxurieuse n'était pas le porc mais plutôt le chien. "Le cochon - je le cite - ne commence à faire des cochonneries qu'au Moyen-Age pour débarrasser le chien de ses saletés". L'écureuil aussi, chez nos aïeuls,  était considéré comme une bête lubrique (et stupide, car elle cache ses noisettes et, lorsqu'elle en a besoin,  elle n'arrive plus à les retrouver). Vraiment passionnant.

vendredi 8 avril 2016

Vacheries



Bovidés

Je viens de découvrir que pour dire "élevage", au Québec, on dit "vacherie". C'est tout à fait normal,  s'il y a des porcheries on ne voit pas pourquoi il ne devrait pas y avoir des vacheries. En France on n'a pas de vacheries mais on peut en faire. On fait aussi des cochonneries, mais on ne fait pas de porcheries  (sauf au sens bâtisseur du terme). En italien en distingue entre porcheria (une saleté au sens propre et figuré) et porcata (geste méchant et déloyal).  Il y a aussi le terme vaccata qui correspond au français vacherie. Bref, vaccata e porcata, tout en renvoyant à des animaux différents,  sont presque synonymes.



P.S. Il y a aussi maialata,  qui insiste davantage sur la sphère érotico-sentimentale.

mercredi 6 avril 2016

Qui se cache derrière le bon Dieu?



Gentile Da Fabriano (1370-1427). Scène allégorique

Qui se cache en réalité, derrière l'âne et le bœuf de la crèche? On m'a fait part d'une interprétation différente par rapport à celle proposée  par Emmanuel Désveaux dans : Avant le genre,  triptyque d'anthropologie hardcore* (selon lequel le couple animalier symboliserait  la convoitise proscrite par le dixième commandement). C'est une lecture plus proche de la tradition exégétique :   "Le bœuf, dit St Grégoire de Nysse, c'est le Juif enchaîné par la loi; l'Ane, porteur des lourds fardeaux, c'est celui que chargeait le poids de l'idolâtrie", à savoir le païen*. Rien à voir, donc, avec le désir, l'érotisme et la fécondation. Dans les deux cas l'animal remplit une fonction allégorique : il intervient dans le tableau pour représenter autre chose que lui-même. La Nativité toute entière, finalement,  devient une grande allégorie signifiant autre chose que son contenu manifeste. Qui se cache alors derrière la Sainte Vierge? Qui se cache derrière Saint Joseph? Qui se cache derrière l'enfant Jésus? etc.

*Paris Editions de l'EHESS, 2013


*René Grousset, "Le bœuf et l'âne à la nativité du Christ",    Mélanges d'archéologie et d'histoire  Année 1884  Volume 4  Numéro 1  pp. 334-344. Merci à Martyne Perrot, qui a beaucoup travaillé sur la phénoménologie des fêtes de Noël (parmi ses ouvres les plus récentes : Le cadeau de Noël. Histoire d'une invention, Paris, Éditions Autrement, 2013) et qui m'a signalé ce document.

Inutile de préciser que s'il n'y a pas de recherche des significations inconscientes il il n'y a plus de sciences humaines et sociales.

dimanche 3 avril 2016

Gender studies et nativité



La nativité mystique de Sandro Botticelli (1445-1510)

La sainte Vierge vraisemblablement n'était pas au courant, mais l'âne et le bœuf qui la côtoient dans la crèche constituent un "couple oppositif" dont le rôle symbolique dépasse la simple adoration : "On dira donc (...) que l'équin s'oppose au bovin en ce qu'il caractérise la dimension érotique de la relation sexuelle là où le second se limite à sa dimension potentiellement fécondatrice" (Emmanuel Désveaux, Avant le genre. Triptyque d'anthropologie hardcore, Paris éditions de l'EHESS, 2013, p. 180).


Emmanuel Désveaux développera demain ce sujet (dans un plus large contexte lié à des questions d'anthropologie générale) au cours du  séminaire L'appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi. Négocier avec le vivant,  EHESS, Lundi 4 avril 2016 de 15h à 17h - Salle 6 (105 bd Raspail, 75006 Paris) Vous êtes tous cordialement invités.

vendredi 1 avril 2016

Moins de chats vivants = moins de chats morts


Cortège de Gattare avant leur réhabilitation de la part des autorité italiennes

Autrefois les  Gattare, les femmes à chats, étaient considérées comme des sorcières. Il y en avait une à Milan, en rue Pontaccio, qui infectait la cour avec ses cadavres de poulet bien alignés. C'était juste à côté d'une galerie d'art contemporain  mais ce n'était pas  du body art. A Marseille, dans le quartier du Panier, j'en ai connue une autre qui semblait sortir d'un roman de Victor Hugo. Pâle, à peine habillée, elle rôdait  derrière la place des Pistoles avec ses barquettes de sardines pourries qui dégageaient des miasmes hallucinogènes. En la voyant les gens  criaient : "Au bûcher, au bûcher ... ".

Aujourd'hui le statut des femmes à chats n'est plus le même. Comme nous l'apprend Anna Mannucci, qui en est la plus grande spécialiste, les gattare  de Rome  sont devenues des fonctionnaires de l' État censées protéger la communauté des chats du Colisée, élevée au rang de "Patrimoine national". Voici ce qu'elle écrit à propos de la conception du monde des gattare.

« [Chez les chats] la mortalité néo-natale et infantile est un fait extrêmement naturel et utile au maintien de l’équilibre démographique. Sur une portée de cinq chatons, pratiquement quatre environ, mais parfois tous, meurent rapidement. De privations, faim et maladies, donc avec beaucoup de souffrance. Si les petits sont soignés, nourris et arrivent à survivre, bientôt ils se reproduisent à leur tour.  La population augmente vertigineusement, avec tout ce que cela comporte. La « gattara » saisit cela clairement, elle voit, dans le concret, la dialectique entre éros et thanatos, leur réciproque et tragique nécessité. On pourrait dire que la « gattara » est malthusienne. La « gattara » moderne agit par la prévention, elle fait stériliser les chattes (même les males, mais c’est moins urgent). De cette manière, elle cherche à interrompre le flux des naissances et donc des souffrances et des morts. Ce changement dans la gestion des animaux errants a une grande utilité pratique aussi bien que symbolique : la stérilisation clôt la source de la vie pour éviter la douleur et la mort. De nombreuses « gattare » le disent explicitement, ce qui peut sembler paradoxal : leur désir c’est qu’il n’y ait plus de chats errants ». Anna Mannucci, « La donna dei gatti. Dalla gattara anomica alla tutor della legge ˝281˝, in, S.Dalla Bernardina éd., Retoriche dell’animalità/Rhétoriques de l’animalité, La ricerca folklorica n. 48, Brescia, Grafo, 2003,  p. 117


Bref, dans leur radicalisme inspiré, les gattare  révèlent des motivations  qui dépassent la simple philanthropie.