lundi 30 mai 2016

Hara-kiri et bien-être animal




Joseph Stallaert. Thes Death of Dido Queen of Carthage (1872)


A côté de moi, sur l'avion, il y avait un touriste asiatique visionnant un  "péplum" de chez lui. L'œil m'est tombé sur un samurai à moitié nu qui faisait hara-kiri. Quelques minutes plus tard, même si je cherchais à  ne pas regarder, j'ai eu droit à un deuxième hara-kiri. C'est bête, je le sais, mais je me suis demandé : "Peut-on, à la fois,  aimer les scènes de  hara-kiri et être contre la peine de mort?".  Voire (encore plus bête) : "Peut-on aimer les scènes de hara-kiri et être sensible à la question du bien-être animal?". Aucun sens, dans ce propos, juste des fantasmes.

samedi 28 mai 2016

Drôle de fête.



Frise d’une ancienne carte de la Méditerranée

C'était le bar d’un vieil hôtel à la Paolo Conte où on pouvait manger des truites au bleu accompagnées par des pommes de terre à la vapeur en buvant du tokai. Je les ai aperçus dans une  pièce latérale en train de jouer aux cartes. Les quatre individus portaient sur leur front, avec aplomb, des cornes de chamois.  « C’est quoi ? » ai-je demandé au barman, « È la festa dei cornuti » (C'est la fête des cocus). « C'est vrai? Mais ça ne les dérange pas d’afficher leur condition? ». « Pas du tout. C’est comme ça,  c’est la tradition ». « Bon, si c’est la tradition … ».

jeudi 26 mai 2016

Qui a peur du grand méchant loup?



Paysans qui molestent des chiens errants pris pour des loups

On les croyait plus courageux, ces montagnards, alors qu'ils ont peur du loup. C'est le comble, à l'aube du troisième millénaire et dans une partie du globe civilisée comme la nôtre. Peu importe qu'ils soient suisses ou français d'ailleurs, ils ont peur du loup et c'est tout. Il y en a qui ont confié à Claire Galloni d'Istria (elle vient de consacrer sa thèse à  ce sujet)* : "Moi il y a dix ans j'aurais couché au milieu d'un bois au sommet d'une lisière sans aucun problème. Aujourd'hui je ne le ferais plus à cause du loup. Ou alors, il me faudrait un bazooka (...)". Voire, " Ben le loup, qui est un animal sauvage, ça le gêne pas de venir en plein village parce que de toute façon il y a des élus qui l'on vu en plein village (...)." "Ils disent : le jour où ce sera un enfant qui sera à moitié mort alors enfin on pourra se débarrasser du loup".

Une bande de fabulateurs, quoi, qui s'en fichent de la biodiversité. Heureusement il y a les membres du CAP (Collectif des Associations pour la protection du Loup), qui luttent contre  ces croyances moyenâgeuses et amènent chez les "Gens de l'Alpe", et partout ailleurs, un peu plus de rationalité.


Qui a peur du "grand méchant loup?". A propos des représentations du loup dans les Alpes franco-suisse. Genève, Institut des Hautes Etudes internationales et du développement, 2016.

mardi 24 mai 2016


Ranger canadien montrant sa bienveillance à l'égard des minorités ethniques

Je me demandais tout récemment si avec Mario Calabresi, le nouveau directeur de La Repubblica, la rubrique "Bisounours et autres petits monstres très gentils" allait subir des modifications. Eh bien, non. Il y a une semaine, on nous a appris que Geppy e Lela, un couple d'ours bruns du zoo Wildnispark Langenberg de Zurich, viennent d'être transférés au zoo de Naples. On nous a aussi fait part, c'est plus triste, du décès de Pluto, un chien assez normal, dans son genre, particulièrement aimé par les habitants de L'Aquila. Bref, rien n'a changé.

À côté de l'ancienne rubrique "bisounours", en revanche, je crois avoir repéré une nouvelle stratégie pour améliorer notre sens civique et dissiper nos préjugés. Elle ne concerne pas les animaux, cette fois, mais les forces de l'ordre. Dans l'édition du 2 avril on nous raconte l'histoire du Sergent Douglas Hogate Sr qui pleure en recevant son dernier appel avant de partir à la retraite. Le même jour on nous montre l'officier Pricer, à Huntington Beach, apprenant à une jeune sans abri comment on joue à la marelle. Le 11 avril on nous livre les images touchantes du petit Toxey (Arkansas) qui n'avait pas eu de copains à sa fête d'anniversaire. La police arrive et organise pour lui un party tout spécial (il peut essayer la casquette, actionner la sirène de la voiture etc.). Le 27 avril, dans le New Jersey, le sergent Greg Bogert sauve un garçon sur le point de se jeter du pont. Le 19 mai (je dois avoir sauté quelques étapes) l'agent Tim Purdy (Département de Charlotte, dans l'état de New York), s'assoit à même le goudron pour mieux communiquer avec un jeune autiste au comportement imprévisible*.

Que le monde serait beau si nous étions tous ouverts et joviaux comme des policiers américains.


* Je suis désolé, Monsieur le Directeur de La Repubblica, mais le fait de nous administrer 5 articles en moins de deux mois sur des policiers philanthropes (genre Il libro cuore de Edmondo De Amicis) mérite une explication. Mes interlocuteurs italiens, peut-être seront en mesure de la donner.

dimanche 22 mai 2016

La voix de son maître (chanteur)



Punks à ours de la fin du XIXème siècle


Force est d'être surpris par la diversité des commentaires qui circulent dans le web à propos de ces jeunes anticonformistes, qualifiés de zonards, ou de punks à chiens, qui font la manche à côté des églises ou des supermarchés. Certains mettent l'accent sur le caractère attendrissant de la solidarité entre "desperados" qui relie la bestiole, souvent chétive,  à son maître. D'autres soupçonnent le maître d'être, en fait , un maître chanteur qui profite de l'innocence canine, et de la compassion qu'elle produit, pour extorquer aux passants de l'argent.   

vendredi 20 mai 2016

Un chien n'est pas une plante



Exemple heureux de cohabitation interspécifique 

Il y a des gens, regrette le Pape (oui, je reviens sur la même histoire), qui préfèrent avoir un chien à la place d'un enfant. Certains chiens vont encore plus loin, comme  cet American Staffordshire Terrier qui le 6 mai, à Epfig, a mordu à mort un  petit garçon de 18 mois. Ce n'était  par méchanceté, il a tout juste mal interprété le comportement du petit.  

D'où ce communiqué de presse,  particulièrement judicieux, diffusé par la fondation Brigitte Bardot : "Un chien n'est pas une plante".  Comment ne pas être d'accord avec eux?


mercredi 18 mai 2016

Catophiles*





Chat de Loire-Atlantique


Est-ce que Jésus aime les chats? Oui, mais avec modération. Il n'aime pas trop, en revanche, ceux qui pour des raisons pratiques préfèrent avoir un chat plutôt qu'un enfant. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Pape François (il y a trois jours).



*Je n'ai pas inventé ce terme barbare. Il existe indépendamment de ma volonté. 

lundi 16 mai 2016

Business et tendresse.




Girafe soignée par Mikey





Il y a quelques jours, dans un zoo norvégien, un zèbre en pleine santé a été donné en repas aux tigres. Le public, officiellement,  n'a pas apprécié (certains ont aimé, peut-être, mais ils ne l'ont pas dit).  En 2014, à Copenhague ça a été le cas d'un girafon, dépecé sous les yeux des enfants à des fins didactiques et donné à manger aux  lions. Anna Mannucci m'a  expliqué que, loin  d'être accidentel, ce phénomène est structurel. Pour attirer les visiteurs, qui aiment les scènes de tendresse post-natales (le fameux effet "bisounours" que j'ai déjà commenté), on favorise la naissance de toutes sortes de bébés. Le bébé nait, la presse en parle, les  touristes arrivent. Lorsque le petit  vieillit, puisque ses congénères sont déjà nombreux, il faut l'éliminer. 

Bref au zoo, sans aucun besoin de médiateurs, on passe directement du producteur au consommateur.

samedi 14 mai 2016

Le bestiaire de La Repubblica (II)



Ourson adorable et sa maman. Image empruntée au quotidien La Repubblica du 13 mars 2016

« Du matin à la nuit, sans arrêt, des récits hantent les  rues et les bâtiments. Ils articulent nos existences en nous apprenant ce qu'elles doivent être. Ils "couvrent l'événement", c'est à dire qu'ils en font  nos légendes (legenda, ce qu'il faut lire et dire) Michel de Certeau, Arts de faire I, Paris, U.G.E. (15/18), 1980, p. 312.

Je voudrais expliquer mon acharnement vis-à vis du journal La Repubblica. Je le lis régulièrement depuis sa création.  Il me tient au courant - dignement je trouve -  de ce qui se passe en Italie. Le problème est son esprit missionnaire. Ce quotidien moralement engagé ne se limite pas à informer ses lecteurs, il cherche aussi à les  "formater" pour qu'ils deviennent des citoyens modèle. Dans ce but, il élimine  du débat toute dissonance pouvant rendre moins audible la bonne nouvelle*.  Lorsque je surprends les journalistes de La Repubblica  en pleine tentative de m' "améliorer" cela me met dans un état de fureur. Leur action est particulièrement visible à la rubrique " Bisounours et autres petits monstres très gentils" à laquelle l'ancien directeur Ezio Mauro nous avait habitués. Je surveille le journal de près pour déceler les changements apportés par Mario Calabresi, le nouveau directeur.


Pour l'instant les articles "bisounours" sont toujours là : le 13 mars on a assisté aux premiers pas d'une oursonne polaire "qui n'a pas encore un nom mais qui a déjà fait tomber amoureux les visiteurs du zoo de Bremerhaven, en Allemagne". Le 2 avril on nous a montré Titanic, "le chat le plus grand du monde qui continue à grandir" (s'agit-il vraiment d'un chat?). Dans l'édition du  6 avril  on a pu voir un cygne blessé (qui aura bientôt son nom, je suis prêt à le parier) enlaçant tendrement son sauveteur. 



* Inutile d'envoyer vos critiques : si elles sont fines et fondées elles seront censurées.

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mercredi 11 mai 2016

Vieux clichés, nouveaux regards










Acteur social exhibant les dépouilles de quatre non-humains (plus sa pipe*)



Mais on pourrait dire également : "Tabagiste qui  vient de porter atteinte à  l'environnement"*.



*La pipe est à côté des renards

lundi 9 mai 2016

Archaïsme et contemporanéité



Rameau de hêtre (Fagus sylvatica) laissé par les "Chantous"


Ça ne se voyait pas trop, mais à côté de la porte, appuyé au rosier, il y avait un rameau de hêtre fraichement coupé. Il avait été laissé là par les "Chantous", comme on les appelle en Bretagne profonde (elle existe encore, par endroits). Le soir du premier mai les Chantous visitent les maisons de la commune. Ils chantent, ils boivent un bol de cidre ou un café, ils acceptent des offrandes (œufs, friandises, argent liquide) ils déposent une brindille sur le bord de la fenêtre en bénissant leurs hôtes (ancien vestige de cultes agraires pré-chrétiens), puis ils poursuivent leur quête. Un truc bon pour les folkloristes, quoi.

Bien que légèrement ému (cela fait toujours plaisir d'être traité comme un autochtone), je me suis demandé : « Quel anthropologue sérieux, aujourd'hui, pourrait s'intéresser à ces survivances du passé alors que le monde est traversé par de grandes questions comme la biodiversité, le développement durable et le réchauffement climatique ? »

Dans mon for intérieur une voix éclairée a répondu, « Tu te trompes : il suffit d'analyser l'événement du point de vue de l'anthropologie politique à la rubrique : “Phénomènes identitaires” ou “L'invention de la tradition” pour le replacer dans le cadre de la contemporanéité ».

Après réflexion, je me suis dit que l'usage de la notion d'identité, désormais, est bien un “vieux truc” à l'instar des “Chantous” du mois de mai, et qu'il ne suffit pas de remplacer l'étude des fêtes champêtres par celle des rave parties, ou encore le terme “nature” par le terme “environnement” pour avoir un nouveau regard sur la réalité. La contemporanéité est moins dans l'objet étudié que dans la manière de l'aborder et de le présenter.

Mais cette dernière remarque aussi, indéniablement, est déjà un “vieux truc”.


vendredi 6 mai 2016

Le réformisme et les drames du jardin.



Frêne menacé (par moi même)

En lisant un ouvrage de la sociologue Jocelyne Porcher consacré aux éleveurs et à leurs animaux je suis tombé sur une formule que je ne comprenais pas : " réformer un animal".  Le contexte m'a permis d'en déduire que cela veut dire : "supprimer un animal pour de bonnes raisons".

Ici, dans le jardin, il y a au moins trois plantes qui attendent à être réformées. Elles me font de la peine. Commençons par le frêne. Il a poussé comme  un signal joyeux (du genre : "hello je suis toujours là") à l'endroit même où son aïeul,  un arbre majestueux, a été abattu il y a une dizaine d'années parce qu'il devenait vieux.  Il s'élance maigre et vigoureux vers le ciel en prouvant, par sa verticalité pimpante, l'intensité de son élan vital.  Il  croit que je l'ai libéré des pierres qui l'entouraient pour le sauver. Il se trompe : en tassant des pierres je me suis limité à remarquer son existence, c'est tout.  A sa place, bientôt, il y aura du gazon.   

Dissimulé dans la haie, l'érable croyait passer inaperçu. Pour l'instant je  lui laisse cette illusion, mais avant de repartir il faudra le réformer. Je cherche à calmer ma mauvaise conscience en me disant que l'érable pousse partout, qu'il est  devenu une espèce invasive et que son arrachage fera du bien à la haie. Mais en regardant ses jolies feuilles toutes tendres et pleines de vie, je me dis qu'il pourrait devenir tout aussi beau qu'un arbre "non invasif", et que son caractère invasif n'est au fond qu'un prétexte pour l'extirper.

Le troisième a peut-être quelques chances de s'en sortir. C'est un if qui s'est matérialisé dans le pré il y a peu de temps, à proximité de la route. Les ifs peuvent vivre 3000 ans. Planter un if permet peut-être de s'inscrire dans son sillage et de se projeter, en quelque sorte,  dans le futur. Mais je ne maitrise pas le destin des plantes de ce jardin. Quelqu'un peut-être, passera sur l'arbrisseau avec la tondeuse.  Je lui dirai qu'il a tué un if et que, ce faisant, il a éliminé d'un seul coup 3.000 ans d'histoire potentielle. Il me répondra qu'il ne l'a pas fait exprès.

En tout cas, même lorsqu'il s'agit de plantes, c'est dur d'être un réformateur (ou faut-il dire "réformiste"?). 

mardi 3 mai 2016



Cesare Ripa (1555 - 1622). Cupidité


Je me suis renseigné sur la symbolique de la louve.  Dans la Clef des rêves, rêver d'un loup signifie entretenir un "Commerce avec un homme avare, cruel, sans foi".  Ces mêmes caractéristiques se retrouvent chez la louve que Dante et  Virgile rencontrent aux Enfers et que les exégètes interprètent comme une allégorie de la cupidité humaine. La cupidité est le pire des instincts parce qu'elle désocialise l'individu : ne songeant qu'à s'accaparer le bonheur d'autrui, le cupide transgresse la règle de la réciprocité qui est à la base du vivre en société. Déloyal,  affecté par  un trouble de l'empathie,  il trahit volontiers ses proches sans éprouver ni compassion ni remords.    
Du point de vue zoologique la représentation médiévale de la louve est infondée : les vraies louves - je me suis informé - ne sont pas du tout comme cela. Mais du point de vue symbolique ce stéréotype n'est pas dépourvu d'une certaine pertinence. Si les louves cupides n'existent pas (sauf, peut-être, chez  quelques sujets perturbés par le contact prolongé avec l'humanité), des humains avec la perfidie et l'insensibilité attribués à la louve existent bel et bien. Et ils ne sont pas forcément des carnivores. On peut être, avide, sadique et sans scrupules tout en étant végétarien, voire même végan.

Dante a écrit : "Maudite sois-tu, antique louve, qui, plus que toutes les autres bêtes, abondes de proie pour ta faim sans fond ! O ciel, dont on paraît croire que les mouvements changent la condition des choses d’ici-bas, quand viendra celui par lequel s’en ira celle-ci ?" (Dante Alighieri, L'enfer, XX).

Je crois que le poète ne s'adressait pas à la bête prolifique et poilue qui recolonise les Alpes en ce moment mais à la louve/aspirateur /trou noir dont j'ai rêvé l'autre nuit*.


* L'aspirateur Vorwerk, en Italie, a été rebaptisé Folletto (ce qui signifie "elfe" mais aussi "petit fou")