samedi 28 novembre 2015

La vie en rose



Niccolò Antonio dit Colantonio Saint Jérôme retirant l'épine de la patte du lion, dans son cabinet de travail (1445)

Je ne saurais pas dire si, une fois sorti des barreaux, le pitbull du quotidien La Repubblica fera un carnage ou si, comme le lion reconnaissant de Saint Jérôme, il s'assoira à côté de la dame pour prendre un apéritif. Je peux en revanche comparer cette "parabole" aux autres  mythes animaliers que ce journal nous offre régulièrement.  Il y a trois ou quatre jours, par exemple, il était question d'amitiés à la fois intraspécifiques (reportage sur un couple de chats homosexuels*) et interspécifiques (copinages bizarres entre espèces différentes). Le jour suivant on a parlé d'Howard, un chien soldat qui a retrouvé son dresseur (émouvant). On s'est inquiété pour la fille d'Aurora, une oursonne née prématurément à Powell, Ohio  (l'équipe médicale reste modérément optimiste). On a ri devant des clichés d'écureuils obèses (ah ah, même les écureuils sont obèses, ça alors  ...). Et on a particulièrement apprécié des montages photographiques insérant des chats  dans des œuvres d'art du genre La Vénus du Botticelli (titre du service : " Lorsque le chef d'œuvre fait maiou").


L'univers des animaux, pour la Repubblica, est un réservoir d'histoires édifiantes,  une salle des fêtes où tout le monde se donne des accolades,  un rassemblement  de boy-scouts,  gentils et serviables, qui sont  juste là pour montrer le bon exemple.

* Selon Anna Mannucci c'est une conjecture  du journaliste : en réalité ils ne seraient pas homosexuels, mais peu importe.

jeudi 26 novembre 2015

L'éthologie, l'anthropologie et l'héraldique




L'éthologie se développe  et, puisqu'elle s'occupe des relations entre les différentes espèces (y compris la nôtre), certains pensent qu'elle remplacera, à  terme,  l'anthropologie. Là où il nous reste une marge de manœuvre, je trouve, c'est dans le champ symbolique. Au lieu d'étudier  l'animal comme  sujet ou comme interlocuteur, nous pouvons l'étudier comme support symbolique, comme prétexte  (je mets en scène l'animal pour signifier ma sensibilité, ma peur de l'autre, mon désir d'être aimé, ma poétique, ma cosmologie,  ma conception du bien et du mal, mon projet politique ...). Nous pouvons laisser aux éthologues l'étude de ce que font les animaux et nous concentrer sur ce que nous leur faisons dire.

mardi 24 novembre 2015

Dialogue de sourds et chanson (pour en finir, ou presque, avec les chiens).




Marmottes musiciennes empruntées à France 3

"Ton chien est un fasciste". "Oui, mais il est  fidèle et il m'aime beaucoup". "Oui mais il est  fasciste". "Oui, mais il est fidèle et il m'aime beaucoup". "Oui mais il est fasciste" etc.

dimanche 22 novembre 2015

"Négocier avec le vivant". Juste une annonce.

Ce blog, on l'aura remarqué, n'a rien d'officiel. Je profite de cet espace informel pour faire des essais, exprimer mes sentiments de citoyen lambda et explorer quelques pistes académiquement peu correctes. Je cherche à ne pas sortir de l'orthodoxie, en revanche,  dans le cadre d'un séminaire que je tiens à l'EHESS et qui s'appelle : " L'appropriation de la nature entre remords et mauvais foi : négocier avec le vivant " - 2e et 4e lundis de mois de 15h à 17h (salle 5, 105 bd. Raspail 75006 Paris).

La séance de demain sera consacrée à la présentation de la problématique générale.

All you need is love


Une partie de mes interrogations sur l'inné et sur l'acquis chez les chiens m'avait été inspirée,  je dois  l'avouer,  par un petit film publié par le quotidien La Repubblica. On y voit un pit-bull derrière les barreaux, tout content  d'être caressé par une dame. Non seulement je n'ai pas été attendri par la scène, mais j'ai trouvé le commentaire parfaitement surréaliste. Avant de proposer ma lecture (ou mes fantasmes), j'aimerais connaitre d'autres interprétations. On peut voir le film ici: 
vidéo repubblica-pitbull



vendredi 20 novembre 2015

Une pensée pour Diesel

Une pensée pour Diesel, chien au sang de loup qui aurait plu beaucoup à Konrad Lorenz et qui (malgré cela) nous fait  de la peine.

jeudi 19 novembre 2015

Happy end


Chèvre autrichienne (image empruntée à Bestie, santi, divinità, Museo Nazionale della Montagna, Torino, 2003 (a cura di Piercarlo Grimaldi). 


Le temps linéaire est irréversible, à la fin on meurt et c'est tout. Le temps  cyclique est plus clément : périodiquement on revient ("on était mort ... mais on a survécu"). Qui se cache derrière ces masques de bouc, de jument, de cerf, d'ours et de loup qui peuplent le carnaval alpin? Les masques abritent les morts, bien entendu. Ils abritent nos défunts mais aussi les animaux que nous aimions, qu'on croyait morts mais qui s'étaient tout juste absentés. Ils abritent les bêtes que nous avons repoussées dans le fourré et celles que nous avons mangées. Derrière ces masques il y a probablement Cyril, qui s'était trompé de chemin et qui a disparu avec  son chien qui ne valait pas grand-chose. Il y a Geneviève qui, en fait, n'est jamais partie pour l'Amérique. Il y a les esprits de la forêt et l'homme sauvage, qui quitte les bois à contrecœur tout juste pour se faire raser. 

Tout ce beau monde, une fois par an,  se réunit dans la place centrale du village et salue ému le public, comme à la fin  d'une représentation théâtrale.

mardi 17 novembre 2015

Le chien idéal et la peur de l'étranger.


"Une erreur que commettent souvent  les amis des animaux qui n'ont pas beaucoup d'expérience des chiens, c'est de choisir celui qui se montre le plus amical lors de la première rencontre. Il ne faut pas oublier qu'en choisissant ainsi, on choisit inévitablement le plus flagorneur de la bande : on sera moins content, plus tard, quand on le verra montrer la même amitié à n'importe quel étranger".


(Konrad Lorenz,  prix Nobel de physiologie ou médecine en 1973, Tous les chiens, tous les chats, Paris, Flammarion, 1969, p. 117).


lundi 16 novembre 2015

Lions de montagne





Le puma, appelé aussi le lion de montagne, est en train de repeupler les Etats unis d'Amérique. Déjà présent dans le Nebraska et le Dakota, il s'apprête à coloniser l'Arkansas et le Missouri. D'ici 25 ans il y en aura partout. Tout récemment, deux exemplaires ont  été repérés  près de la Maison du Berger, à Champoléon (Hautes-Alpes).  José Bové se rendra sur place dans les jours qui viennent.*

* Avec ce qui se passe, je le sais, ces informations risquent de paraître frivoles. Eh bien, je trouve que rester "frivoles" face à des gens qui cherchent à nous l'empêcher est une forme de militantisme. 

samedi 14 novembre 2015

Le Bon Dieu comme prétexte.


Charles Lebrun : Loups-garous

"BESTIAL, ALE  (rad. bestia) Qui tient de la bête, qui appartient à la bête. Fureur bestiale. Il a quelque chose de bestial dans sa physionomie" ( Bescherelle, Dictionnaire National de la langue française 1865).

Plus l'homme laisse émerger sa fureur, pensait-on en 1865, plus il se rapproche de la bête. C'était croire que les bêtes ont des instincts "bestiaux" tandis que les humains ont des motivations.


Après sont arrivées les sciences de l'homme et de la société. Elles ont  découvert l'existence d'une zone d'ombre appelée l'inconscient (individuel et social) et remis en cause la pertinence des  motivations évoquées par les acteurs : parfois, par exemple,  ils se font exploser au nom de Dieu, alors que les raisons profondes de leur geste se trouvent ailleurs.

vendredi 13 novembre 2015

Noms de chiens




J'ai oublié un détail important. Dans le passé de notre famille il y eut un autre chien, tout aussi discutable, qui s'appelait Graf. C'était un doberman qui appartenait à ma grand-mère. A décharge de mon aïeule, je dois dire que les dobermans, en 1935, n'avaient pas la mauvaise réputation qu'ils ont aujourd'hui (ce qui vaut aussi pour Mussolini qui en 1935 était très à la mode). Il se peut qu'avec le nom du doberman, le setter irlandais, ait hérité aussi de son tempérament.

Morale : il faut toujours faire attention avec les noms*. 

* En préparant ce billet j'ai découvert que le premier doberman officiellement enregistré au livre d'élevage allemand s'appelait lui aussi Graf. Ma grand-mère était peut-être innocente, mais bigrement bien renseignée.


jeudi 12 novembre 2015

Coming out : j'ai eu un chien fasciste.



A la naissance, disait le philosophe John Locke, l'esprit humain est vierge comme une feuille blanche. C'est l'expérience qui en détermine le contenu. J'ai eu un  setter irlandais qui s'appelait Graf. Dans sa jeunesse Graf était gentil et pacifique, un vrai démocrate. Un jour, pendant une expédition avec mon père dans la plaine du fleuve Po, il disparut. Il y a toujours du brouillard, là bas, et les chiens ont tendance à disparaître. Mon père aimait ce chien, aussi publia-t-il des annonces dans la presse locale pour le retrouver.  Après quelques mois d'attente il  accepta la triste réalité. Pour ne pas  trahir son ancien compagnon il acheta un setter anglais. Une année plus tard Graf réapparut. Il vivait du côté de Rovigo, dans un élevage géré à la bonne franquette. En dépit de sa médiocrité esthétique (par rapport aux standards officiels) il y remplissait  le rôle d'étalon. Ils étaient nombreux, dans l'établissement,  à exercer cette fonction.  A son retour chez nous il était devenu un autre. Il hurlait, il mordait, il cherchait à s'accoupler avec n'importe qui et n'importe quoi, il empêchait son copain d'approcher de la gamelle. Dans la rue, il fonçait sur les autres chiens.

Je peux témoigner d’une chose : Graf, au départ n'était pas fasciste. C'est la vie qui l'a transformé. 


lundi 9 novembre 2015

C'est triste à dire, Star, mais tu es un petit facho.




La  découverte que l'animal est une personne me libère. Je peux enfin aller au-delà d'une compassion générique (compassion hypocrite et paternaliste) et faire des choix.  Je peux sympathiser avec Fido, par exemple, qui dans ses gesticulations improbables m'inspire et m'humanise  (en me rappelant que nous sommes tous comme Jar Jar Binks : imparfaits, bizarres  et maladroits) et trouver que Star,  possessif et implacable  comme son propriétaire (ou contrairement à son propriétaire, ne faisons pas d'amalgames), est en revanche une parfaite ordure*.

*Star aussi, de son côté, trouve que je suis une parfaite ordure.

samedi 7 novembre 2015

Peut-on qualifier un animal de "fasciste"?



Après ce qui vient d'être dit, on peut aboutir au raisonnement suivant. Nous sommes confrontés à  deux opinions récurrentes :

1) Le comportement animal est "programmé",  donc on ne peut pas prêter aux bêtes des sentiments et des désirs  cruels, un penchant pour l'autoritarisme, la passion pour la violence  etc.

2) les bêtes ont une intériorité comparable à la nôtre, donc des  sentiments, des orientations morales, des tempéraments qui diffèrent d'un sujet à l'autre.


Dans ce deuxième cas, dans la mesure où le terme "fascisme", outre qu'une orientation politique, désigne une disposition morale et psychologique,  je peux qualifier certains pit-bulls  (je dis bien certains pit-bulls, pas tous) de fascistes.

jeudi 5 novembre 2015

L'inné et l'acquis : phénoménologie du fasciste.


Cheval

Le mot "fascisme" désigne avant tout une orientation politique. Le Larousse définit le fascisme comme un "régime établi en Italie de 1922 à 1945, fondé sur la dictature d'un parti unique, l'exaltation nationaliste et le corporatisme". Avec le temps et l'expérience on a fini par voir dans le fascisme, à côté d'un projet politique qui a montré ses limites (c'est un euphémisme),  une disposition psychologique : dans le langage courant, est "fasciste" celui qui cherche à imposer sa volonté par la force, montre un penchant pour la violence, adore les hiérarchies et les rapports de domination. Ne supportant pas les différences, le "fasciste"  fonce sur tout ce qui n'est pas sa patrie, sa religion, son code comportemental, sa tradition vestimentaire. Fidèle et passionnel, il idolâtre l'autorité ("Le chef a toujours raison...") et sanctifie la loi de la jungle ("C'est le plus fort qui gagne ...") *.


Naît-on "fasciste" ou le devient-on? A-t-on un tempérament "fasciste" par nature ou s'agit-il d'une construction sociale? Cela dépend des cas, peut-être (et des options scientifiques). Pour en savoir plus, il faudrait demander aux psychologues.

* J'oublie sûrement d'autres acceptions. J'aimerais que l'on m'aide à dresser le portrait-robot vernaculaire  du "fasciste" : le "fasciste" tel qu'il est perçu par le sens commun.

mardi 3 novembre 2015

Sadisme félin


Gustave Doré : chat chassant par simple automatisme

J'ai retrouvé quelques sources évoquant la (prétendue) cruauté de certains animaux :

"Y a-t-il plus chasseur que l'aigle? Voulez-vous assister à la chasse de l'aigle, être témoin de sa joie féroce lorsqu'il enfonce ses serres puissantes dans la chair de sa proie?" (Filippo de Antonis, "Cacciatori alati", in Diana n.12, déc. 1926, p. 208).

" Ce chat mauvais, qui prolonge pendant une heure l'agonie d'une souris me parait la bête cruelle par excellence (...). Il suffit de regarder la façon avec laquelle il se comporte lorsque, par intervalles, il saisit la souris avec ses mâchoires. On s'aperçoit que tout son être vibre d'une jouissance violente et perverse". (Cunissiet-Carnot, "Flâneries d'un chasseur", dans "La crudeltà negli animali", in Diana, il field d'Italia, 15 oct. 1917.

Ce point de vue, aujourd'hui, est loin de faire l'unanimité. Jean-Claude Nouët par exemple, ancien président de la Ligue française des droits de l'animal,  estime que s'il y a une espèce abritant dans son programme génétique la commande de la cruauté, et il n'y en a qu'une, c'est bien celle de l'homme *.


Jean-Claude Nouët, "L'homme, Animal inhumain", in L'animal humain, traits et spécificités, (dir. Georges Chapoutier ), Paris, L'Harmattan, 2004, p. 75-86.

dimanche 1 novembre 2015

La réhabilitation du sauvage


La réhabilitation du sauvage, on le sait, ne date pas d'aujourd'hui : " Le sauvage" écrivait Diderot dans l'Essai sur la peinture, "a les traits fermes, vigoureux et prononcés, des cheveux hérissés, une barbe touffue, la proportion la plus rigoureuse dans les membres; quelle est la fonction qui aurait pu l'altérer? Il a chassé, il a couru, il s'est battu contre l'animal féroce, il s'est exercé; il s'est conservé, il a produit son semblable, les deux seules occupations naturelles. Il n'a rien qui sente l'effronterie ni la honte. Un air de fierté mêlé de férocité. Sa tête est droite et relevée; son regard fixe. Il est le maître de sa forêt"*.

Plus le temps passe plus on s'aperçoit  que le sauvage, en dépit de sa réputation,  est très  civilisé. Il est fort notamment en matière de plantes et d'animaux. Ce qui est passionnant, par rapport à notre problématique,  c'est que lui aussi, tout spontanément, pense que les animaux sont des "personnes", à savoir des sujets doués d'une conscience, de sentiments, d'un point de vue sur le monde.


* Cf., à ce propos, Michèle Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Flammarion, 1971