dimanche 30 août 2015

Le cruelty free et la bière sans alcool.



Auteur anonyme : nature morte

Dans le Corriere della Sera d'aujourd'hui (article de Leila Codecasa) on parle de la grande fête végane de Vimercate, en Lombardie, et on nous livre les chiffres des dernières statistiques italiennes en matière d'alimentation alternative (enquête Eurispes). Les végétariens et les végans, en Italie, correspondraient aujourd'hui à 7,1% de la population, à savoir  4,2 millions de personnes (les végans seraient presque 400.000, soit 0,6%). Ces données illustrent une dynamique complexe que les psychologues, les sociologues, les anthropologues (pour ne pas parler des diététiciens,  des nutritionnistes, des psychiatres  et autres "positivistes" ...) cherchent à expliquer. En tant que carnivore pratiquant, ce phénomène me fascine et me trouble.  Je pense que le temps où on pouvait tourner en dérision le choix végétarien ou antispéciste est désormais révolu.  Ceux qui étaient perçus, il y encore quelques années, comme des excentriques ou des visionnaires, ressemblent de plus en plus à des avant-gardes. Annoncent-ils notre futur? Est-ce que l'avenir "cruelty free" qu'ils préconisent sera meilleur que notre présent? Du point de vue moral cela paraît évident. Il n'empêche que dans la manière végane de nous présenter cet avenir "sans le mal", dans la façon d'insister sur la "joie" et sur la "liberté retrouvée" du mangeur végétarien, il y a quelque chose qui m'interroge.  C'est un peu comme si on s'épanchait sur  les charmes de la chasteté où les délices de la bière sans alcool. Ces mouvements "abstentionnistes"  sont peut-être dans le juste et d'ici quelques années les carnivores comme moi seront jugés  comme des obscurantistes (j'ai eu beau ricaner sur les pétainistes, sur les opposants au divorce,  sur les défenseurs de la peine de mort : moi aussi, en tant que mangeur de viande, j'étais un réactionnaire). 

samedi 29 août 2015

Anthropomorphismes. Canis ridens


Xénophon disait que les chiens courants sont capables de rire : on l'a accusé d'anthropomorphiser le comportement animal. Mon chien aussi, manifestement, riait, mais  pour ne pas commettre la même erreur que le célèbre historien j'ai toujours fait mine de rien.

vendredi 28 août 2015

Choix cornéliens


Lorsqu'il s'agit de passer à table, lequel fait plus de peine, le poulet ou le porc? Cela dépend de plusieurs facteurs: du tempérament du mangeur, par exemple, de ses convictions personnelles, mais peut-être aussi du background du poulet et du porc en question : plus ils ont une histoire, plus nous connaissons leur vécu, moins nous avons envie de les manger.

L'ergonomie du poulet rôti.


Pourquoi je qualifie le poulet rôti d' "ergonomique"? Parce qu'il est particulièrement adapté aux conditions de travail du mangeur. Ça se démonte, ça s'empoigne, ça se mâche et ça se digère très facilement. Plus qu'un animal d'ailleurs (je parle de notre représentation mentale), le poulet est un assemblage composé de trois éléments fondamentaux : les pilons, le blanc et les ailes. On ne sait pas très bien quoi faire du cou.  On enlève préalablement la tête et les pattes qui, dans leur réalisme, nous rappellent l'animalité du poulet.

jeudi 27 août 2015

Cecil 2. La nature contre qui?



La nature est comme le bon Dieu. En l'absence d'un discours explicite de sa part on peut lui faire dire n'importe quoi. La scène se passe encore une fois dans ce grand zoo en plein air qu'est le Zimbabwe National Park où vivait le regretté Cecil. Une famille de touristes bien intentionnés s'est approchée d'un groupe de six lions.  Un de ces félins, un certain Nxaha, muni lui aussi comme Cecil d'un collier GPS lui permettant de rester en contact avec le monde civilisé, s'est d'un coup souvenu qu'il était un prédateur et il a "prédaté" le guide (Quinn Swales, 40 ans) (le verbe prédater, m'a-t-on expliqué, n'existe pas en français. J'emprunte ce néologisme à Catherine-Marie Dubreuil).

Voici le commentaire de La Repubblica (26 août), un de mes quotidiens préférés  :

"La vengeance de la nature, donc, ne s'est pas faite attendre".

Résumons : mécontente de la mort de Cecil, lion médiatique lâchement tué par un dentiste du Minnesota, la nature se venge sur un pauvre guide, ami des animaux sauvages, qui n'y est strictement pour rien. Cela revient à anthropomorphiser la nature tout en lui prêtant un QI très bas.


Corollaire : Est-ce qu'au Zimbabwe tous les lions ont un nom?

mercredi 26 août 2015

Un porc au goût authentique

Dimanche, au marché, j'avais pour mission d'acheter un jambonneau. J'étais en retard et les animaux cuits, toutes espèces confondues,  avaient déjà été  raflés par mes concitoyens (les poulets rôtis en premiers, puisqu'ils sont très "ergonomiques"et suscitent peut-être moins de compassion que les agneaux, les lapins et autres herbivores poilus). J'ai néanmoins cherché à remplir ma mission. Au début de mon exploration j'avais repéré un cochon à la broche qui m'avait rappelé, dans son allure médiévale, la Porchetta que l'on vend dans certaines places italiennes, par exemple à Sienne. Lorsque je me suis résolu à l'acheter, il avait pratiquement disparu comme ce chameau sacrificiel décrit par William Robertson Smith, dont on ne retrouve à la fin de la cérémonie que les os parfaitement polis (cela se passait dans le désert du Sinaï au IVème siècle de notre ère). Bref, du porc rôti ne restaient plus que la tête et quelques lambeaux de viande. Avant moi il y avait un jeune couple. La femme a demandé au vendeur :
-Il a été élevé sur quoi, votre cochon?  Sur paille j'espère.
- Oui, enfin ... nous avons un bon fournisseur ...
- Pas sur caillebotis ?
- Ah non Madame, c'est un porc qui a du goût authentique. Vous verrez la texture.
La dame regardait soupçonneuse vers le porc dans la tentative d'établir la vérité, mais il ne restait pas beaucoup d'indices.
- Voulez-vous aussi de la farce?
- Ah non, merci, que de la viande. De toute façon, ce que je voulais savoir, surtout  ... Est-ce qu'il avait de l'espace pour lui, ce porc, ou c'étaient que 70 centimètres carrés?
- Ah, maintenant je comprends... Mais non,  Madame, on n'est plus dans les années quatre-vingts. Aujourd'hui on fait attention. Il a eu tout l'espace qu'il lui fallait.
Réconfortée, la femme a pris sa barquette en plastique, remplie de viande sans farce ni sauce, et est repartie la conscience tranquille.
Ce qui restait du porc regardait la scène d'un air sceptique.


Dans l'image (cliché de Jean-Michel Corbineau) : porc corse, de sexe féminin, qui au coucher du soleil pourrait être pris pour un sanglier.

Anniversaires

Aujourd'hui c'est la journée mondiale des chiens :  il faut leur dire.

dimanche 23 août 2015

Dilemmes d'ethnologue : peut-on encore parler de la corrida et de la chasse?

Dans Le  Monde du 21 août Isabelle Piquer nous rappelle que même les Espagnols commencent à en avoir marre de la corrida. Il en va de même pour la chasse : on sait bien que si dans des pays comme la France ou l'Italie  on soumettait l'exercice de la chasse au référendum ce serait la fin pour cette  pratique ancestrale (le  plus vieux métier du monde ou presque). Chasser, pour une bonne partie de la population, est devenu un acte sadique et gratuit. C'est pareil pour la corrida et pour ses aficionados, perçus désormais comme des individus tout aussi cruels et ringards que les chasseurs. Le problème est que cette ringardise, par contagion, risque de s'étendre  aux chercheurs qui travaillent depuis des années sur ces réalités. Peuvent-ils continuer? Oui, peut-être, mais au risque d'être pris pour des "collabos".   
Dans l'illustration : débuts des années 196O, chasseur italien en pose de matador (Le Baron de Munchausen n'est pas très loin).


vendredi 21 août 2015

Superprédateurs : le local et le global

Dans un article du Monde du 20 août, la journaliste Audrey Garric présente une enquête de Chris Darimont et de son équipe consacrée à l'être humain en tant que "superprédateur". Les résultats de l'étude sont troublants, dans le sens où ils documentent clairement, au niveau planétaire, l'irresponsabilité de notre espèce. Le présupposé de l'étude est peut-être discutable en ce qu'il a de mythique : pour retrouver l'harmonie terrestre l'homme devrait aligner son taux de prédation sur celui des autres prédateurs. Développer ce raisonnement pourrait donner lieu à toute une série de paradoxes hilarants suggérant, par exemple que l'homme devrait gérer ses conflits politiques en s'inspirant des carnassiers ou calquer ses habitudes sexuelles sur celles des dingos.
 Au delà du mythe, malheureusement, les données inquiétantes qu'on nous livre ont de fortes chances d'être véridiques.  Porteuses d'un message à la fois scientifique et "messianique" elles risquent de nous faire perdre de vue les réalités locales qui pourraient remettre en cause le parallélisme prédateur humain=prédateur non-humain.  
En fait, on n'a jamais vu de prédateurs non-humains lancer un programme de réintroduction des espèces en danger. Ici et là, rongés par le remords ou mus par l'intérêt, les humains réintroduisent des prédateurs et des proies. Et ils y tiennent beaucoup. C'est ainsi par exemple que la chasse de sélection, qui est désormais la règle dans la plupart des pays européens,  prévoit l'abattage des jeunes "surnuméraires" et limite strictement le "prélèvement" (formule hypocrite qui rappelle l'image d'un distributeur de billets de banque) des reproducteurs les plus doués. Dans la chaîne alpine les grands herbivores, qui vers la moitié du siècle passé avaient presque disparu, aujourd'hui pullulent. Les loups aussi commencent à pulluler mais, statistiquement,  ils "prélèvent" moins que nous, ce qui est rassurant (au niveau global, bien entendu, pas au niveau local).
            Juste avant l'article d'Audrey Garric j'avais lu dans  La Repubblica un article anonyme relatant  la mort, dans les environs de Pise, d'un homme de 39 ans dont la Ford Fiesta a croisé en pleine nuit le chemin d'un sanglier d'une centaine de kilos. "Un accident analogue, poursuit l'article, s'est produit hier matin à l'aube dans la nationale 80,  près de L'Aquila. Une Smart conduite par un jeune homme (39 ans lui aussi) a heurté  un sanglier. La voiture s'est renversée et pour le conducteur, éjecté de l'habitacle, il n'y a rien eu à faire".


Bref, au niveau global  le superprédateur montre trop d'efficacité. Au niveau local il se laisse parfois déborder.

jeudi 20 août 2015

La mort de Cecil et l'erreur de Palmer

On a beaucoup épilogué autour de la mort du lion Cecil. Son tueur, Walter Palmer, n'a rien de vraiment sympathique, c'est vrai : il achète ses proies (c'est comme payer pour une prestation sexuelle),  il a triché (et ce n'est pas la première fois), il a tiré sur un symbole du Zimbabwe (ce qui se discute,  il semblerait que pour les habitants de cette contrée,  la mort d'un lion, y compris celui-là, est un événement dérisoire).   Mais les réactions dont Palmer a fait l'objet semblent avoir dépassé toute prévision. Cecil était une star : bichonné par les gardiens du Parc, pris en photo quotidiennement par des cohortes d'admirateurs, suivi jour et nuit grâce au détecteur GPS qu'un groupe de chercheur de l'Université d'Oxford lui avait installé en 1999.  La faute de Walter Palmer, peut-être la principale, a été de tirer sur un animal domestique,  en révélant ainsi le caractère asservi, "subalterne", de la faune africaine. 

mercredi 19 août 2015

Questions de frontière 2

Au Palio de Sienne, compétition équestre d'origine médiévale appréciée à la fois par les autochtones et par les touristes (pas tous), le  cheval qui se blesse pendant la course  est immédiatement abattu (aujourd'hui on dit "euthanasié"). Lors de la dernière manifestation, les opposants du Palio chantaient à tue-tête: "Et si le jockey s'est blessé, supprimons-le, supprimons-le".  Amusant et inquiétant à la fois.

Questions de frontière



J'ai beaucoup aimé mes chiens. Moi j'habitais à l'intérieur de la maison. Eux dehors, dans le jardin. Ce traitement différentiel ne nous a jamais scandalisés. Moi j'étais content d'être un humain. Eux, je pense, étaient contents d'être des chiens (j'ai de bonnes raisons pour le supposer). Bref,  du point de vue des statuts respectifs nous étions tous  très contents.