mardi 28 juin 2022

Scorpion du matin

 

Quoi dire de ce scorpion qui marchait devant moi ce matin?* Il y a quelques années j’aurais cherché à l’écraser (c’est comme pour les vipères, j'évolue ...). Au présent, je me limite à le prendre en photo. Ça me permet de prouver à quel point je progresse en matière d’éthique animale et d'afficher ma fierté.

 

* Dire qu'il me barrait la route ce serait excessif.

dimanche 26 juin 2022

Le tango des fauvettes


Lorsque j’étais petit je n’aimais pas le tango. Je le trouvais ringard. J’ai appris à l’apprécier plus tard, grâce à Piazzolla et compagnie, mais ça m’a demandé du temps. Je détestais tout particulièrement A media Luz et le Tango des fauvettes.

En italien les fauvettes s’appellent capinere (têtes noires). Ayant en horreur le Tango delle capinere j’ai vécu jusqu’à aujourd’hui sans trop m’interroger sur la morphologie de ces petits oiseaux.

Le début de la chanson, traduit de l’italien, dit à peu près cela :

"Là-bas dans l’Arizone, terre de rêves et de chimères, Lorsqu’une guitare résonne, chantent mille capinere" (difficile, en français,  de faire rimer « chimères » avec « fauvettes »). 

Un humoriste italien qui, comme moi, n’idolâtrait pas le tango, a caricaturé cette chanson en ajoutant :

« Et lorsque deux guitares résonnent, chantent deux mille capinere ». 

Si j’entends ce motif attachant je pense à cette version iconoclaste  et je ris.

vendredi 24 juin 2022

De l’importance d’avoir un chien

 

Fondation Giacometti - Le chien

Je me promène dans une petite ville du nord de l’Italie que je connais assez bien. Couples, familles, singles … tout le monde a son chien cette année.

Mince, que fais-je sans chien ? Je suis toujours en retard.

mardi 21 juin 2022

La théorie des climats appliquée aux non-humains

 

Moineau bouguignon qui ne chante pas comme un Breton   

« Lorsqu'en voyageant dans la presqu'île armoricaine on dépasse la région, plus rapprochée du continent, où se prolonge la physionomie gaie, mais commune, de la Normandie et du Maine, et qu'on entre dans la véritable Bretagne, dans celle qui mérite ce nom par la langue et la race, le plus brusque changement se fait sentir tout à coup. Un vent froid, plein de vague et de tristesse, s'élève et transporte l'âme vers d'autres pensées ; le sommet des arbres se dépouille et se tord ; la bruyère étend au loin sa teinte uniforme ; le granit perce à chaque pas un sol trop maigre pour le revêtir ; une mer presque toujours sombre forme à l'horizon un cercle d'éternels gémissements. Même contraste dans les hommes : à la vulgarité normande, à une population grasse et plantureuse, contente de vivre, pleine de ses intérêts, égoïste comme tous ceux dont l'habitude est de jouir, succède une race timide, réservée, vivant toute au dedans, pesante en apparence, mais sentant profondément et portant dans ses instincts religieux une adorable délicatesse ». Ernest Renan, « La Poésie des races celtiques », Revue des Deux-Mondes,  1854.

Et pour les oiseaux c’est  pareil. Le merle qui s’est mis à chanter à l’improviste, l’autre soir à Dijon … eh bien, il   ne chantait pas comme les merles bretons. Aucune pudeur chez lui. C’était un chant de riche. Et il en va de même pour le moineau bourguignon que j’ai pris on photo le matin suivant pendant que je faisais le plein à Géant Casino. Même constat : sympathique, oui, dans sa performance impeccable que personne ne lui avait requise. Mais pas assez d’esprit. Trop de viscéralité.

Plus on descend vers le sud, on le sait, plus la vie devient facile …

jeudi 16 juin 2022

Gentil comme un hamster génétiquement modifié

 



Certains chercheurs ont fait  le lien entre le style novateur de Cézanne et  la dégradation de sa vue*. La révolution picturale  inaugurée par l’artiste aixois serait en fait la conséquence  d’un handicap. Et ça vaudrait  pour les impressionnistes en général, les postimpressionnistes, les cubistes et ainsi de suite.   Morale :  il suffit de traficoter génétiquement un individu pour obtenir un Vasarely ou un Jackson Pollock. 

Tout récemment, me signale-t-on, on a essayé ce genre de manipulations avec des hamsters. On ne voulait pas les rendre plus créatifs, juste un peu plus gentils.  Ça n’a pas marché.  Les hamsters customisés se sont montrés plus égoïstes, cogneurs et perfides que les prototypes**.

Mais ce n’est pas grave, on peut toujours réessayer.

* Des médecins ? Des biologistes ? Des chimistes ?  

** Oui, je sais, les hamsters ne sont ni égoïstes, ni cogneurs ni perfides - et c’est celui qui dit qui l’est.

mardi 14 juin 2022

La victime consentante et l’anthropophage

 

C’était courant, autrefois, d’anthropomorphiser les animaux à des fins publicitaires. Il ne s’agissait  même pas de  masquer leur sort peu enviable, je crois. Il n’y avait rien à refouler. On s’en fichait, c’est tout, la question du point de vue de l’animal ne se posait pas. À l’entrée des restaurants les protagonistes de nos repas n’avaient qu’à sourire, nous invitant joyeux à leur dégustation.

Les enseignes présentant ces "proches de l'homme"  comme des  valets serviables  prennent aujourd’hui des connotations nostalgiques (la tradition, la ruralité ... ) mais vaguement cannibales.

dimanche 12 juin 2022

De l'humain animalisé au vivant humanisé (Annonce)

 

Séminaire - De l’humain animalisé au vivant humanisé (troisième année : risques et avantages de la proximité ontologique)

Lundi 13 juin Centre de colloques, salle 3.03  de 11h30 à 15h30.

 


Silvia Marzorati

Marcher avec le troupeau. Repenser un récit du paysage avec Tim Ingold et le cinéma écologique

Les circulations humaines et non-humaines modifient le paysage sur le temps long. En suivant un troupeau de moutons, conçus comme acteurs et témoins des transformations socio-environnementales, nous cherchons à déplacer le regard sur le paysage en empruntant à l'anthropologie des lignes de Tim Ingold et à la cinématographie "écologique" de Michelangelo Frammartino et Pietro Marcello, notamment dans les films Le Quattro volte et Bella e perduta. Grâce à une attention renouvelée à la relation entre les organismes et l’environnement qu’ils proposent dans leurs œuvres, nous allons suivre les mobilités des vivants dans le paysage pré-urbain du nord-est parisien, où les non-humains viennent se placer au premier plan. Ce regard hybride - entre humain et troupeau - permet d'écouter et réécrire le récit de ce maillage composé par des entités diverses, dans lequel les animaux acquièrent une place de protagonistes et, parfois, aussi la parole.

Joseph Regnault de la Mothe

Le loup-garou et ses conceptions médiévales : une figure brouillant les frontières ontologiques ?

Le loup-garou en France, le werewolf en anglais, les Jé-rouges en Haïti, l’oborot en Russie ou encore le varcolac en Roumanie : le mythe de l'homme pouvant se transformer en loup est un mythe commun à beaucoup de civilisations à travers les régions et le temps. Au Moyen Âge, le mythe est répandu en Occident, transmis autant par les écrits antiques que le paganisme germano-celtique. Le loup-garou, figure hybride participant des deux règnes humain et animal, et sa métamorphose remettent en cause la frontière ontologique entre animal et humain, un principe fondateur de la chrétienté médiévale. L'Eglise et ses clercs, dans leur entreprise de traitement des croyances païennes, vont prendre en charge la figure du loup-garou et les rendre conforme avec les principes chrétiens. Il s'agira ici d'exposer ce que révèle le traitement médiéval du loup-garou au sujet des particularités de l'ontologie médiévale."

Swad Bruneel

Communiquer avec les autres qu’humains

Mon projet de recherche part d'une curiosité vis-à-vis des autres qu'humains : peut-on communiquer avec eux ? La communication pose d'innombrables problèmes conceptuels et méthodologiques, c'est pourquoi je lui substitue le mot connexion, autorisant un plus large spectre d'action. La connexion se définit par "l'action de lier", tandis que le lien s'apparente à "ce qui sert à maintenir ensemble », à créer une relation : comment agir du lien ? Quelles séries d'actions maintiennent ensemble des individus altères qui n'ont peut-être rien en commun ? En parallèle de mes études anthropologique, je dessine, je peins, je joue avec les couleurs et les médiums, je crée des choses que je trouve belles et/ou significatives. Pourquoi ne pas utiliser les pratiques artistiques pour contourner le problème du langage qui sépare apparemment les occidentaux de tout le reste du vivant ? C'est comme cela qu'ont commencé mes recherches, quels sont les artistes qui tentent de communiquer avec le vivant ? Et y a-t-il, à l'inverse, des artistes non humains qui tentent de communiquer avec nous ? Ces problématiques m'amènent à développer une question à venir : sommes-nous vraiment les seuls à être capables d'activité artistique ? Je refuse la convention évolutionniste plaçant l'homme au sommet des capacités techniques, spirituelles et inventives. Je pars donc du postulat que chaque vivant possède sa complexité propre et qu'il serait très arrogant d'envisager qu'on les ait comprises et évaluées selon une grille de lecture arbitraire anthropo-ethno-centrée. Enfin je récuse le principe que "les animaux font de l'art", cette phrase en elle-même n'a aucun sens, il s'agit simplement de collecter des données qui n'ont jusqu'ici pas été traitées en anthropologie ou en éthologie, botanique et biologie. Le terrain qui s'est donc imposé à mon sujet est premièrement numérique, je recherche des cas particuliers où se mêlent humains, non-humains et arts plastiques. Je ne savais pas où chercher alors j'ai commencé par google. Le monde numérique forme une réalité décontextualisé qui abonde en témoignages et tranches de vie. Par la suite, j'aimerais réaliser une ethnographie dans le laboratoire de recherche théâtrale sur la présence animale, intitulé ShanjuLab, situé dans le Jura Suisse.

samedi 11 juin 2022

Ce n’est pas moi le coupable, c’est le cerveau reptilien.


 

Ayant longtemps travaillé sur la figure du prédateur et sur la « métaphore guerrière » qui constelle  la rhétorique cynégétique, il était inévitable que je m’intéresse à la figure du Berserk, ce guerrier-fauve décrit part Tacite et largement étudié par Dumézil. 

Lorsqu’on est substantialiste, comme certains collègues qui ont étudié le monde  de la  chasse,  on voit dans la « Fièvre du chasseur », cet appel « irrésistible » qui s’empare périodiquement du « vrai chasseur » notamment d’origine germanique, le retour du fauve qui se cache dans les profondeurs de notre inconscient.  Lorsqu’on adopte une posture moins  « lamarckienne », ce rappel à l’instinct ressemble plutôt à un joli prétexte pour justifier son incontinence* : « Ce n'est pas moi le responsable de ces moments d'hubris où je rappelle aux proies leur subalternité, c'est la force occulte qui s'empare de ma personne de façon cyclique. C'est l'appel de la forêt, c'est une volonté transcendante qui me dicte l'action. Le résultat est tragique, je sais, mais beau et grandiose. On dirait du Wagner».

J’ai analysé ce recours instrumental au topos du Berserk dans  Le retour du prédateur. Mises en scène du sauvage dans la société post-rurale (Presses Universitaires de Rennes, 2011). En voici un fragment :

« La coexistence de postures si différentes nous empêche d’interpréter cette fascination collective pour  ours, loups, panthères et  jaguars comme un phénomène unitaire. Dans une perspective anthropologique (…) le prédateur est un signifiant (on pourrait dire n’est qu’un signifiant): si son éthologie  (sa condition de carnassier, par exemple) est une donnée objective, bien que sujette à controverse, son contenu symbolique, le message que nous lui faisons véhiculer, dépend du contexte. Son sens (on pourrait dire son emploi), est donc sujet à variation. Mettre en scène le fauve permet à certains individus de justifier leur agressivité, de la « normaliser » en la replaçant dans un cadre naturel. D’autres, en revanche, peuvent mobiliser cette figure projective pour l’expulser de leur univers psychique : nommer le prédateur, dans ce cas, revient à le refuser. D’un côté on s’identifie, on intériorise.   De l’autre on extériorise, on « objective » : une fois rendue objet, la pulsion prédatrice est plus facile à observer, contrôler, domestiquer. Bref, si dans la mise en spectacle de  l’éthologie des grands fauves certains individus magnifient leur propre instinct de prédation, d’autres cherchent plutôt à l’exorciser. Pour les « néo-berserkir », le retour du prédateur annonce peut-être un scénario réaliste (signe avant-coureur d’une époque plus franche, où on pourra restaurer la sélection naturelle, le duel, la peine de mort, etc.). Pour les esprits moins belliqueux on est plutôt dans la  catharsis : si je montre la fureur du fauve, c’est pour en prendre les distances, pour m’en débarrasser. (Extrait de Le retour du prédateur, op.cit, p. 63)**. `(à suivre)

*Une des nombreuses déclinaisons de la "Comédie de l'innocence"'. 

** Cf. aussi le paragraphe : "Nouveau folklore : les vertus explicatives du cerveau reptilien",i bid : p. 80-82. 

 

 

jeudi 9 juin 2022

La victime consentante (à 14 euros)


 Image commerciale faisant partie de la série : "La    victime consentante".

 

La Comédie de l’innocence (dans l’usage généralisé que j’en fais dans mes recherches),  prend les formes les plus disparates. Très souvent elle se présente comme une criminalisation de la victime transformée en ennemi. Comme je l’écrivais dans mon article « Une personne pas tout à fait comme les autres, l’animal et son statut »*,  même un animal inoffensif comme par exemple le chamois,  au sein de celle que j’appelle « la métaphore guerrière », peut se transformer en ennemi redoutable. Et s’il n’est pas assez redoutable, je peux toujours emphatiser  mon côté « guerrier ». C’est dans cette perspective que j’interprétais la métamorphose des porcs chez les horticulteurs mélanésiens décrite par Vittorio Lanternari dans La grande festa**. J’introduisais les propos de l’anthropologue italien dans les termes suivants :

 

« […] voilà donc que réapparaît le problème : comment accéder aux viandes porcines sans se rendre responsable d’un véritable délit ? Réponse : en manipulant le statut du cochon. On peut par exemple repousser cet animal domestique sur le versant de la sauvagerie en le laissant « s’échapper » dans la forêt (la fuite, par ailleurs, est implicitement une faute...) La récupération du fuyard prendra alors l’allure d’une battue et l’abattage aura pour objet non plus un « membre du village », une « vieille connaissance », mais bien une simple pièce de gibier ».

 

" Dans le cas de la grande fête Gabé, écrit Lanternari,  il faut plusieurs jours, voire des semaines, pour capturer jusqu’au dernier porc et le ramener au village. Le jour fatidique [...] les hurlements, les grognements des porcs rendus furieux par l’emprisonnement prolongé se terminent par d’énormes clameurs lorsque les indigènes, en tenue de guerrier et en ordre de bataille, se lancent brandissant leurs massues [...]. Avec autant d’ardeur que pour un véritable combat, ils frappent à l’aveuglette, dans des hurlements belliqueux, guidés par le chef.» « Plus que d’un sacrifice – conclut l’ethnologue – il s’agit donc d’un carnage où domine le ton de l’exaltation guerrière. Les massues ensanglantées, une fois la tuerie achevée, sont balancées dans la direction du village censé se charger de la prochaine fête Gabé".

 

Et voici l’interprétation que je proposais :

 

« En adaptant cet exemple à la lecture « psychologiste » que nous sommes en train d’ébaucher, il faut d’abord observer que le processus de réification (au double sens de rendre «chose» et rendre reus) semble ici opérer à deux niveaux. Au moment même où il prend le maquis, le porc déserte la société des hommes, perdant ainsi son statut initial sur le plan tant symbolique que moral. De plus, l’emprisonnement transforme son caractère : la victime, comme dans le sacrifice aïnou, est préalablement rendue furieuse (ce qui en italien se traduit par mandare in bestia ; il existe aussi la forme intransitive imbestialire. Ses grognements acquièrent un caractère menaçant, il s’agit désormais d’un ennemi, mieux, d’un forcené. Le processus de criminalisation touche ainsi à sa fin et le massacre, joué sous la forme d’un drame épique, peut se dérouler en toute bonne conscience. Autre aspect qui mérite attention : la mystérieuse ardeur avec laquelle les indigènes, déguisés en guerriers, frappent dans le tas à l’aveuglette. Une lecture psychanalysante saisirait peut-être dans cet excès de zèle les symptômes d’une tendance sadique présente dans la société mélanésienne. Nous avons plutôt le sentiment que cette cruauté exacerbée (cette cruauté prévue et mise en scène), est à interpréter comme une forme de pietas : un discours sur le nouveau statut des cochons, une confirmation par redondance du bien-fondé de l’action entreprise à leur encontre. En d’autres termes, c’est comme si cette exhibition de violence équivalait à déclarer : il n’y a plus de place pour les hésitations ; ou bien l’animal a effectivement changé de nature, et alors conduisons-nous en conséquence, ou bien notre action est illégitime... .

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°°°

Une autre stratégie que j’ai tendance à ranger dans la catégorie passe-partout de “Comédie de l’innocence”, consiste dans le stéréotype de la “Victime consentante”, sur lequel je reviendrai prochainement, bien illustré par l’image du poulet qui s’auto-immole  reproduite ci-dessus.

 

P.S.

 

Le poulet en question était bon. Avant de le manger je lui ai dit : “ Ne t’en fais pas trop, il n’y a rien de mal dans ce qui se passe : je prélève l’individu mais je protège l’espèce”

 

*L’Homme, oct.-déc. 1991, XXXI (4) : 33-50, repris dans  La langue des bois. L’appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi, Les éditions du Muséum d’Histoire Naturelle, 1920, pp. 57-77.

 

*Vittorio Lanternari,  La Grande Festa. Vita rituale e sistemi di produzione nelle società tradizionali, Bari, Dedalo, 1976.

 

 

mardi 7 juin 2022

Les porcs et le droit à la confiture

 

En Italie, pour souligner l'inutilité d'un geste courtois ou d'un cadeau qui ne sera pas apprécié,  on disait « È come dare le perle ai porci », « c’est comme donner des perles aux cochons ».  En Français, à la place des perles, on évoque la confiture, mais le concept reste le même.  Les formules de ce genre, aujourd’hui, sont devenues inopportunes. Pourquoi les porcs n’auraient-ils pas  droit à la confiture ?

La mission de l’agriculteur aussi est en train de changer. Devenu "opérateur rural" il est censé produire des fraises pour les  tortues, des olives pour les grives, du raisin pour les étourneaux et des agneaux pour les loups.

*Ou, plus précisément, "spécistes". 

lundi 6 juin 2022

René Girard : un bouc émissaire ?

 

Berger corse se rendant chez Décathlon pour acheter des chaussures de trekking 

J'ai débarqué en France en croyant que René Girard était un auteur apprécié par tout le monde. Ce qui me poussait vers un doctorat transalpin était l'aura céleste  de Lévi-Strauss, Roland Barthes, Foucault, très à la mode en Italie. Et je croyais que Girard aussi faisait partie des auteurs utiles pour la compréhension des comportements humains. On m’a fait vite comprendre que  les trois autres allaient très bien (quoi que …)  mais que l’auteur de La violence et le sacré n’était pas à lire ni à citer.  C’était une question de club, à mon avis : on ne peut pas être simultanément supporter de l’OM et du Paris Saint Germain. Ma nature de Trickster cependant a prévalu, me poussant à admirer à la fois l’universalisme relativiste de Lévi-Strauss et l’Universalisme tout court de Girard.  Dans un premier temps, j’ai eu recours à cet auteur de façon discrète, sa théorie du désir triangulaire (et du « médiateur de prestige ») me paraissait parfaite pour expliquer l’engouement soudain des populations rurales pour des loisirs de plein air traditionnellement dévalorisés (« Les élites les pratiquent, et nous alors ? »).  C’est le cas, entre autres, du changement de perspective que j’ai pu constater dans l’île de beauté (et ailleurs) décrit dans l’article : « Les voluptés du plein air. Passions ordinaires et passions distinguées » qui date de 1998.* À partir de cette époque, mes références à Girard se sont faites moins discrètes jusqu’à devenir très explicites dans mon étude d’« anthropologie conjecturale » Faut qu’ça saigne. Écologie, religion, sacrifice,  où je cherche à montrer sans détours l’intérêt de l’anthropologie girardienne dans l’analyse des manifestations de violence collective (explicite ou dissimulée) qui constellent le conflit contemporain autour de la bonne gestion du vivant. J’en parlerai dans le prochain post.

* In (Christian Bromberger dir). Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Bayard, 375-406.

samedi 4 juin 2022

Tu n’es pas cohérent, moi non plus. Le coming out d’un Trickster

 


Je reviens souvent sur l’attitude « sacerdotale » des acteurs sociaux dont je cherche à étudier les conduites :  le chasseur qui se prend pour un druide pratiquant des rites ancestraux dans la nature « sauvage », l’écologiste inspiré qui rentre dans la forêt comme s’il allait à la messe, l’animaliste qui pond des sentences sur la vie et sur la mort comme s’il était  Zarathoustra. Chacun revendique l’unité de son point de vue, la cohérence du système « ontologique » dans lequel il évolue et dont il est le gestionnaire.

Depuis longtemps, en soulignant le caractère contradictoire de ces comportements, j’ai pris l’habitude de me référer à la figure du Trickster, cette figure « universelle », centrale dans la mythologie winnebago, qui a laissé ses traces dans les littératures les plus disparates*. Le Trickster est, dans son essence, une figure ambivalente, capable des actes les plus sublimes et des gestes les plus répréhensibles**.

Il me parait évident que nous sommes tous des Tricksters (pas seulement les chasseurs, les touristes et les écologistes). Nous sommes tous plusieurs instances à la fois. Partir de ce présupposé rend plus difficile de dresser des tableaux cohérents concernant un « ethnostyle », un « ethos », une « ontologie ».

Dans La langue des bois. L’appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi, (Paris Muséum d’Histoire Naturelle, 2020) je résume  ce point de vue dans les termes suivants : 

 

« Ce que je retiens de l’enseignement de ces auteurs (je parle de Freud, Frazer, De Martino, je reviendrai prochainement sur René Girard qui occupe une place significative dans ma réflexion autour des rapports entre violence et « mauvaise foi ») c’est l’image d’une humanité inaccomplie qui, tout en tendant vers la raison, reste confuse et contradictoire. J’aime l’idée que le sujet des sciences humaines puisse être appréhendé non pas comme un acteur cohérent qui évolue au sein d’un univers ordonné dont il faut déceler les codes, mais comme une sorte de trickster, de décepteur engagé dans un bricolage perpétuel pour concilier norme et désir, élans iréniques et impulsions antisociales : une sorte de Janus bifront tiraillé entre le besoin de lucidité et la nécessité de mentir aux autres et à lui-même, un personnage ambigu qui trouve dans la pratique rituelle et dans la production mythique ses instruments expressifs et ses cadres de légitimation. Bref, une créature désirante dont l’inconscient n’est pas seulement cognitif ».


* C’est une figure qui me charme et à laquelle j’ai consacré plusieurs articles cf., par exemple :  Une place dans la nature. Boiteux, borgnes et autres médiateurs avec le monde sauvage Communications,  Nouvelles figures du sauvage 2004 n. 76 pp. 59-82

** cf, à ce propos, Paul Radin, Charles Kerenyi, Carl Gustav Jung, Le Fripon divin, Georg éditeur, 1993 [1958]


jeudi 2 juin 2022

Pour la réhabilitation des vipères

 

On se promène dans les monts d’Arrée, on pense aux loups qui reviennent  (un premier colon d'origine italienne, pour l'instant, du côté de Berrien*), et on oublie les vipères qui rampent à nos pieds.

 

On exagère, avec ces pauvres vipères. C’étaient les paysans, autrefois, qui en faisaient un fromage. Mais maintenant qu’il n’y a plus de paysans (ignorants par définition et enclins aux croyances populaires), on découvre la vérité : la vipère ne tue presque personne. « En France - je lis dans un site spécialisé - on estime qu'il y a chaque année un millier de morsures de vipères, qui mènent à une centaine d'hospitalisations. Seuls une à cinq personnes en meurent chaque année ». C’est dérisoire, finalement. La mort d’Eurydice ? Un cas rarissime.  Et on en parle encore!

 

* Ou venu d'ailleurs, peu importe. Il rencontrera une louve des Asturies échappée d'un parc animalier et ça donnera vie à des charmants louveteaux naturalisés bretons. Au fil du temps on oubliera leurs origines étrangères et ils finiront par remplacer l'hermine dans l'héraldique régionale.