mardi 22 février 2022

Chasses tragiques en période électorale. Première partie

 

Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875), Orphée ramenant Eurydice des enfers, 1861(détail)

Elle n’était pas ivre ni droguée, la jeune chasseuse qui samedi dernier, sans le vouloir, a tué une randonneuse à la frontière entre l’Aveyron et le Cantal. Le fait tragique arrive à un moment difficile pour les chasseurs, qui ont de plus en plus de mal à se faire tolérer dans les espaces boisés*. Ce fait dramatique, hélas,  est loin d’être le premier.  Comme les autres, il nous touche par sa gratuité absolue. La victime n’y était pour rien : on l’imagine sereine, à côté de son compagnon, tombant foudroyée par un coup de fusil. Ce qui donne à  cette histoire horrible un surplus d’exemplarité, c’est qu’elle renvoie -  c’est souvent le cas  dans ces histoires de chasse - à des motifs  mythiques **. Le thème de l’humain  prenant la place de la proie nous ramène au mythe d’Actéon, aux scènes de la Chasse infernale peintes par Sandro Botticelli,  au cerf  à tête humaine et criblé de flèches de Frida Kahlo.  Le thème de l’amoureux qui assiste impuissant à la disparition de sa bien-aimée nous rappelle le personnage d’Orphée. Et la figure du chasseur se trompant de cible,   fait penser à Julien l’Hospitalier, qui découvre avec horreur avoir tué ses parents dans un qui pro quo fatal.

Si ces histoires nous troublent c’est que nous nous identifions à la victime, bien évidemment : « Pauvre fille! Et si c’était nous, les promeneurs ? Et si c’était nos enfants ? ». Mais  on pense aussi à la chasseuse*** : « Comment expier une bavure  de ce genre? Comment oublier ? Comment se reconstituer ? (À suivre).

 

*Espaces qu'ils ont commencé à fréquenter les premiers et dont ils ont montré l’intérêt à ceux qui, aujourd’hui, voudraient les expulser.

** Je renvoie à ce propos à mon article "La Mort du chasseur", in (Anthony Goreau-Ponceaud et Nicolas Lemoigne éd.) Chasse, chasseurs et normes, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2017, pp. 31-40.

*** Dans ce « on » j’inclus ceux qui disposent d’un appareil psycho-affectif relativement équilibré. La lecture des commentaires qui ont fait suite à cet épisode dramatique montre les divergences pittoresques, dans notre espèce, en matière de sensibilité.

3 commentaires:

  1. J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'une balle perdue : si c'est le cas, la promeneuse n'aura même pas été confondue avec un animal. Si le cadre légal de la chasse était respecté, comment considérer ce fait divers autrement que comme un dramatique accident, une nécessité statistique (quand on fait quelque chose, il y a nécessairement un risque), un peu comme la chute d'un ascenceur, ou comme les freins d'une voiture qui lâcheraient et empêcheraient le conducteur d'éviter l'enfant sur la route ? Ce que j'écris peut sembler très dur, mais je ne nie pas du tout le drame que cela représente, pour la promeneuse et pour la chasseresse ; j'ai seulement l'impression que cette dernière n'est pas plus fautive, si les conditions énoncées plus haut se révèlent exactes, que le conducteur qui a accéléré jusqu'à la vitesse autorisée sans savoir que ses freins lâcheraient.

    Si nous sommes toujours capables de payer un tribut à la route (qui est en un sens notre dernier espace de liberté et de véritable aventure), notre société est de moins en moins capable de le tolérer pour la chasse. Je vais sans doute un peu loin, mais cela participe aussi d'une construction de la nature vue comme un espace idyllique, sans danger ; un endroit vaincu par l'humanité, en somme.

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    1. Je comprends en partie votre raisonnement. Il faut néanmoins rappeler que le chasseur n’a pas le droit de tirer s’il ignore ce qu’il y a derrière sa cible - sans rentrer dans l’histoire de l’angle de tir à respecter (30%) qui dans une forêt plate et sans miradors et une pure utopie.

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    2. Merci pour la précision, je l'ignorais et ça change la donne.

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