dimanche 6 mars 2022

Chasses tragiques en période électorale (Quatrième et dernière partie)

 


La fête de l'ours chez les Aïnous


Je conclus mes interventions consacrées au partage des rôles dans la gestion  symbolique de la mort  (les hommes tuent, les femmes protestent), en reprenant un passage de mon ouvrage L'éloquence des bêtes, paru en 2006 aux éditions Métailié, où je m'identifie à un extraterrestre  découvrant les pratiques de déresponsabilisation en vigueur dans le monde contemporain :

 

Inutile de préciser que la mort de l’animal, même si elle est programmée et exploitée à tous les niveaux,  pose des problèmes  moraux. On constate avec surprise que les solutions adoptées sont proches de celles  en vigueur dans les sociétés archaïques. Certaines stratégies dominent. La première, plutôt complexe, peut être saisie en adoptant le point de vue que les anthropologues qualifient d’« holiste » : chaque société constitue un tout et les différents groupes qui la composent, au-delà de leurs contrastes apparents, sont à considérer comme les engrenages solidaires d’un seul mécanisme.  Dans l’île japonaise de Hokkaido, par exemple, à la fin de la fête de l’ours, le rituel des Aïnous prévoyait que les femmes agressent et insultent leurs hommes, coupables d’avoir mis à mort la victime sacrificielle. Cette astucieuse division des rôles permettait à la communauté de simuler un désaccord, donc une pluralité de points de vue ne modifiant pas  le cours des événements et d’exprimer publiquement, en l’exorcisant, le remords collectif. Malgré les divergences, tous les membres de la communauté  bénéficiaient de la mort de l’animal. La fête, d’ailleurs, se concluait par un banquet général, où l’ours était joyeusement consommé aussi bien par les hommes que par les femmes.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire