mercredi 30 avril 2025

Lapin à l’absinthe


 


Aujourd’hui c’est interdit, je crois. Mais à l’époque …            à l’époque aussi, peut-être, mais à vingt ans on est moins regardant. Au sommet d’une montagne, derrière chez moi, j’avais trouvé de l’Artemisia. J’en ai ramassé quelques feuilles. C’était particulièrement parfumé. J’ai plongé l’artemisia dans une bouteille d’eau de vie,  il m’en restait un peu. Alors j’ai préparé un lapin que j’ai qualifié de « Lapin aux herbes de haute montagne ». Les amis de mon père et notamment le pharmacien ont refusé catégoriquement d’en goûter. Les miens se sont soumis à l’épreuve initiatique. Avec la cuisson l’arôme se réduit beaucoup. On l’a quand même apprécié.

lundi 28 avril 2025

Florilèges de printemps

 

 

Je découvre que le 28 avril, dans le calendrier républicain, correspond au neuvième jour du mois Floréal.  C’est le jour de la jacinthe. Par association d'idées je pense à Robespierre cheminant sur un tapis de  fleurs comme le Printemps de Botticelli, et à  ma maitresse qui  faisait pousser les jacinthes dans un pot. Leur fragrance était très prononcée. Plus la fleur grandissait, plus l’air devenait irrespirable*.

* Tant qu’à faire, elle aurait pu fumer des clopes.  

samedi 26 avril 2025

Imprintings


  Bushmen - San - Peinture rupestre représentant des figures humaines des montagnes du Drakensberg,

Nous passons notre temps à interpréter notre prochain (notamment lorsqu'on est anthropologue ou psychanalyste)  mais nous n’avons pas envie, parfois,  que notre prochain  nous interprète. Nous   cherchons  alors à brouiller les pistes.  C’est un vieux réflexe de l’époque où  nous étions des proies, peut-être.

J’y pense en lisant le passage suivant d’un ouvrage récent de Philippe Pesteil. En faisant dialoguer les  sciences cognitives avec des classiques de l’anthropologie il nous parle des empreintes, du Merveilleux,  des chasseurs-cueilleurs, du folklore, de Gargantua et  Saint Martin, des récits étiologiques et des savoir-faire vernaculaires  :

« Quelles que soient les hypothèses privilégiées pour retracer l’anthropogénèse (charognard, chasseurs, collecteurs …), le repérage et l’interprétation des empreintes demeurent une interrogation légitime. Les paléoanthropologues n’ont pas encore déterminé à partir de quelle époque les hominidés ont pu et su interpréter des pistes ». p. 161 (Philippe Pesteil, Pour une anthropologie de l’empreinte. Approche cognitive et phénoménologie d’une forme. Éditions Mimesis, 2024, p. 161).

jeudi 24 avril 2025

Hybrides bons à penser


 

J’étais très  petit. Mario bêchait et sortait de la terre de gros insectes marrons.

-  Cos’è ? (C’est quoi ?)  

- É un grillotalpa (C’est une courtilière).

Je connaissais les grilli  (les grillons), je connaissais les talpe (les taupes),  je ne connaissais pas les grillotalpe. Mais le fait qu'ils existent ne m'a pas étonné.

mardi 22 avril 2025

Pourquoi mange-t-on les agneaux? Valeurs et raison pratique

 


Cornelis van Leemputten (1841-1902). Un berger avec des moutons et des agneaux.

 

Pourquoi à Pâques mange-t-on les agneaux? C’est la tradition, on le sait. Mais derrière cette coutume à la forte charge symbolique, nous expliquent les spécialistes, Il y a des raisons pratiques : pour constituer son troupeau,  le berger, n’a besoin que des femelles. Deux ou trois reproducteurs suffisent. Que fait-on donc des jeunes mâles superflus ? Eh bien, on les mange. D’accord. Mais peut-on réduire l’explication d’une coutume au seul aspect technique ?


Si on s’en tenait aux raisons pratiques, on pourrait suggérer la même démarche pour régler la démographie chez les chats : on garde deux ou trois mâles reproducteurs et on mange les autres.

dimanche 20 avril 2025

La communauté des chasseurs et le principe de réalité

 

Rencontre interspécifique dans les Monts d'Arrée il y a deux ou trois jours

 

Dialoguer avec la presse cynégétique n’est pas forcément facile. Si on a une opinion qui, sans être défavorable à l’exercice de la chasse, ne correspond pas à la narration officielle, on a de fortes chances de ne pas être entendu.  Cette surdité remplit de joie, et peut être de fierté, les chasseurs les plus « pittoresques » (ceux que les anti-chasse s’amusent à canarder), mais elle porte préjudice à l’image de la chasse chez tous les citoyens doués d’un minimum de sens critique.

Voici le nouveau manifeste de la chasse tel qu’il sera apporté - annoncent les media du secteur - devant toutes les mairies de France. L’ensemble des requêtes a bien entendu sa légitimité, dans la mesure où elles correspondent aux souhaits d’une partie non négligeable (même si de plus en plus réduite) de la population française. Deux ou trois d’entre elles, toutefois, me semblent ne pas prendre en compte le principe de réalité. Je vous laisse deviner lesquelles.

 

La liste des 11 propositions du Manifeste de la Chasse.

  1. Reconnaissance d’intérêt général de la chasse française. Et inscription au patrimoine immatériel de l’Unesco de tous les modes de chasse.
  2. Arrêt du paiement des dégâts de grand gibier sur les cultures par les seuls chasseurs. Afin de sauver le système d’indemnisation pour les agriculteurs.
  3. Refus de l’interdiction du plomb dans les munitions de chasse.
  4. Suppression de tous les moratoires européens. Maintien de toutes les espèces chassables.
  5. Reconnaissances de la légitimité de toutes les chasses traditionnelles afin de garantir leurs pratiques.
  6. Animation d’une police de proximité rurale par les fédérations des chasseurs à dispositions des communes.
  7. Création d’un fond dédié aux fédérations pour financer les actions de réaménagement environnemental comme les haies pour le petit gibier.
  8. Permission aux chasseurs de céder leur gibier sans contrainte réglementaire disproportionnée.
  9. Réduction significative des populations de loup afin de sauver le pastoralisme et les population d’ongulés.
  10. Retour à la liste complète des nuisibles dans tous les départements et maintien partout du piégeage et du déterrage
  11. Liberté de continuer à chasser le week-end, les vacances et jours fériés.


vendredi 18 avril 2025

Aimer les subalternes et vivre heureux

 


Pierre-Auguste Renoir - Femme au chat

Un chapitre de mon ouvrage  L’éloquence des bêtes, édité chez Métailié en 2006, s’appelle « Du zoophile à l'ethnophile. L'amitié homme/animal comme modèle de subordination ».  Son sujet est tellement indécent qu’il n’a jamais suscité la moindre réaction. Il parle du plaisir de notre espèce pour la domination. Cette domination, prend souvent la forme d’une protection : j’aime mon chien parce qu’il m’adore. J’aime le prolétaire tant qu’il a besoin de mon soutien. À savoir :  j’aime le prolétaire pourvu qu’il le reste.

Peut-on, décemment, participer à une manifestation en défense des libertés individuelles et des droits de l’homme lorsqu’on tient son chat enfermé à la maison 24 heures sur 24 ?*

* Cela vaut aussi pour les chiens d'appartement qui ont droit, comme les taulards, à une heure d'air par jour. On pourrait contourner ma question en avançant que les humains et les non-humains n'ont pas les mêmes droits, mais il s'agirait d'un escamotage. D'un propos spéciste.

mercredi 16 avril 2025

Dissonances pascales

 


La fête de Pâques approche mais l’atmosphère n’est plus la même. Cette année, à en juger des derniers événements, on dirait qu’elle se superpose à une autre récurrence relatée par les Évangiles : le Massacre des innocents.

lundi 14 avril 2025

Oublier la bête (qui est dans mon assiette)

 


 

J’apprends dans le portail en ligne  STATISTA qu’ «  (…) en France, comme dans les pays voisins du sud, relativement peu de personnes suivent un régime sans viande : seulement 5 % de nos compatriotes se déclarent végétariens, et 3 % végétaliens. Ces chiffres sont comparables à ceux de l'Italie (5 % de végétariens et 2 % de végétaliens), et un peu plus élevés que ceux de l'Espagne (3 % de végétariens et 2 % de végétaliens). La proportion de personnes disant ne pas consommer de viande est légèrement plus importante en Allemagne, puisque 6 % des personnes interrogées se considèrent végétariennes, et 4 % végétaliennes.(https://fr.statista.com/infographie/28645/pourcentage-de-personnes-qui-suivent-un-regime-vegan-ou-vegetarien-par-pays/).

 

Statistiquement on reste donc carnivore, mais les sensibilités changent : les planches de boucher comme celle que je viens de repérer dans une brocante finistérienne sont de moins en moins présentables. Elles nous rappellent l' « animalicide » qui est à l'origine de notre côte de bœuf et s’achètent pour rien du tout.

samedi 12 avril 2025

La face cachée du vétérinaire



 

 

Le stage de terrain, cette année-là, se déroulait dans une agréable localité de l’arrière-pays breton, un de ces sites boisés et romantiques qui attirent les touristes anglais depuis les temps de saint Jaoua*. Un vétérinaire à la retraite avait accepté de répondre aux questions des étudiants. Son témoignage était passionnant. À un moment donné, je lui ai demandé s’il avait croisé beaucoup de chasseurs au cours de sa carrière.

- Oui, moi-même par exemple, pour ne pas parler de mon collègue. On y allait pratiquement tous les dimanches de l’ouverture à la fermeture.

Certains étudiants, le soir, m’ont fait part de leur étonnement :

- Il y a de drôles de vétérinaires, par ici, au lieu de soigner les animaux, ils les tuent.

Les deux choses, à mon sens, n’étant pas incompatibles, j’avais envie de leur répondre :

- Ils les tuent et après ils les mangent. Des ogres, quoi.

 Mais la discussion nous aurait amenés trop loin.

*Parti des Iles britanniques et venu convertir les Bretons autour du VIème siècle.

jeudi 10 avril 2025

Susceptibilité canine

 
 


Souvent, rappelait le sociologue Paul Yonnet dans  Jeux, modes et masses, 1945-1985, (Gallimard, 1986)  les chiens d’appartement remplacent des humains qui sont partis vivre ailleurs (des enfants devenus grands, par exemple). Ce n’était pas le cas de Noé, un cocker noir qui cohabitait avec ses maîtres  dans une grande ville de l’Italie du nord. Je n’ai jamais rencontré un chien plus capricieux. Il se prenait pour un humain, je crois, et pas n'importe lequel. Je dois avouer que je ne l’aimais pas trop.  Un jour ses propriétaires, occupés dans la cuisine, m’avaient laissé tout seul avec lui dans la salle à manger. Je l’ai regardé dans les yeux et d’un ton solennel je lui ai dit : « Toi, tu es vraiment un enfant gâté ». Il s’est mis à crier comme si je lui avais écrasé une patte. Ce fut très embarrassant.  

mardi 8 avril 2025

Compatibilités célestes


Plus nous réfléchissons aux  ontologies, plus nous réalisons que nous sommes des cocktails : une bonne dose de naturalisme avec, savamment mélangés, un peu d’animisme, un soupçon d’analogisme  et un zeste de totémisme.
 
Ma composante animiste me suggère cette question accessoire : est-ce que, une fois au Paradis, on croise l’âme des plantes et des animaux qu’on a mangés sur terre ? Ce serait fâcheux.

dimanche 6 avril 2025

Respecter la nature. (Trajectoires canines)

 



C’était à Aix-en-Provence il y a vraiment  longtemps. Mes amis venaient d’acheter un jeune labrador. Il courait comme un fou, il fonçait sur le gens, il faisait ce qu’il voulait. Je me suis permis d’observer que les jeunes chiens indisciplinés, en vieillissant, deviennent incontrôlables. Ils m’ont répondu que même les chiens ont droit à la liberté et qu'il faut respecter leur nature.

À l’époque j’avais une Opel caravan blanche en fin de course que dans mon entourage on appelait l’ambulance. Un jour, en route vers la Sainte Victoire,  leur chien n’arrêtait pas de gigoter sautant allègrement du porte bagage au siège postérieur. J’ai freiné brusquement à deux reprises pour l’inviter à rester à sa place.  Ils ont qualifié mon comportement d’inhumain. On s’est perdu de vue.

Je les ai rencontrés quelque mois plus tard :

 - Et le chien ?

- Il était devenu incontrôlable. Il a fallu l’euthanasier. 

vendredi 4 avril 2025

Les animaux sauvages en ville et les domestiques dans les bois


Voici ce que j’écrivais en 2011 à propos de l’abolition progressive des frontières séparant le domestique du sauvage :

Errare umanum est

« Même les nouvelles provenant des villes […]  confirment que l’indifférenciation se propage. Les animaux domestiques s’ensauvagent. Tous les jours, méthodiquement, des milliers de chats quittent les jardins des pavillons périurbains pour battre la campagne en quête de nids, d’oiseaux parfois rares et protégés, de petits mammifères qu’ils ne mangeront même pas. Dans les périphéries italiennes les bandes de chiens errants font la loi. Abandonnés par leurs propriétaires avant les  vacances d’été, évadés, ou remis clandestinement en liberté (« il n’y a plus de place … ») par ces mêmes chenils communaux qui, autrefois, les « euthanasiaient » après un court séjour (les sensibilités ont changé), ils contribuent, par leurs comportements aberrants (ils sont protégés tout en étant dangereux, ils circulent en bandes, comme les loups, tout en étant des chiens …) à la cacophonie zoologique et plus, largement, au désordre ontologique   ambiant.  En quelques semaines, en Italie, les 600.000 chiens errants ont tué trois retraités et, très probablement, le fils  d’un paysan dans des circonstances « exemplaires », si on peut dire, mettant à jour les soupçons qui planent, désormais, sur l’ensemble des grands carnivores qui rôdent, tous niveaux de domesticité confondus, à proximité des humains :

 

“(...) Une énorme étendue verdoyante sur les collines de Circello. C’est là, à quelques mètres de la ferme de son père Maurizio, marchand de bestiaux, que le petit Mattia, hier soir, a été trouvé exsangue, mordu par un ou plusieurs chiens.
(...) Les examens effectués aujourd’hui sur le corps du petit on confirmé que les blessures qu’il a reçu à la tête, au cou, au ventre et aux jambes, outre les nombreux coups de griffes, sont dues à l’agression d’un ou de plusieurs animaux. Mattia a-t-il été victime des chiens errants ou bien de son berger de la Maremme adoré, trouvé près de son corps? Cela reste un mystère. Dans les jours qui viennent le service vétérinaire de Benevento va examiner le “Maremmano” et une dizaine de chiens errants repérés dans un rayon d’un kilomètre autour de l’habitation pour chercher à établir les responsabilités. Selon les premiers indices, aucun des chien errants n’aurait tué le petit, mais on n’exclut pas d’autres hypothèses liées à la présence, dans la zone,  de loups et de sangliers. La chasse au coupable se poursuit tous azimuts. (...). Aujourd’hui, dans ce havre de paix à quelques kilomètres d’une Oasis du WWF, c’est la douleur et l’incrédulité” (Auteur anonyme, “Bambino sbranato dai cani nelle colline di Circello”, in Netlog, 28 oct. 2008
...it.netlog.com/go/.../videoid=it-2697135 -  (ma trad.)

 

A qui la faute? On soupçonne tout le monde : le chien familier, qui risque de faire la fin du Saint lévrier alors qu’il cherchait à ranimer l’enfant et à attirer l’attention des parents *? Les chiens errants qui se multiplient comme des rats? Les sangliers tout aussi proliférants? Les loups, ce qui ne serait pas étonnant? Le WWF, avec ses Oasis qui sont de véritables centres d’élevage et de  propagation de la faune sauvage? ». (Le retour du prédateur. Mises en scène du sauvage dans la société postrurale, PUR, 2011, p. 107-108)

 

Protagoniste d’une légende médiévale, ce pauvre lévrier, retrouvé ensanglanté à côté du bébé qu’il venait de défendre, à ses dépens,  de l’attaque des loups, est tué sur le coup par son maître. Il fera l’objet d’une réhabilitation posthume.


mercredi 2 avril 2025

Cornuto e mazziato (Cocu et battu) - à savoir : le droit d'être cité

 


Les  auteurs qui  tiennent à revendiquer la paternité de leurs idées, ou l’ancienneté de leurs recherches dans un certain domaine, sont souvent taxés de narcissisme. C’est méconnaître l'univers académique. Les chercheurs en sciences humaines et sociales ne gagnent pas un rond avec leurs ouvrages. Les chemins qu’ils ont inaugurés (en même temps que d’autres peut-être, mais en tant que pionniers), sont leur  seule fierté. Leurs trouvailles  sont leurs créatures et donnent un sens à leur vie. C’est pourquoi, lorsqu’ils voient  chez le libraire un bouquin consacré aux thèmes qui leurs sont chers, ils se précipitent sur la bibliographie.  « Ce n’est pas vrai, il/elle ne me cite pas », «  Ce n’est pas possible, elle/il ne cite que mes contributions marginales ». Incapables d’accepter la vérité, à savoir que si on ne les cite pas c’est que leurs travaux ne le méritent pas, ils sombrent dans le complotisme. S'installe alors chez eux le soupçon d’avoir fait l’objet d’un pillage ou d’un refus d’accepter la controverse scientifique.

L’attitude que je viens de  définir est souvent qualifiée  de « paranoïaque ».  C’est oublier  que dans le monde de la recherche, comme dans certains établissement religieux, les gens de bien ne manquent pas, mais il y a aussi des prédateurs. Ces prédateurs ont des complices qui contribuent, par leur silence,  à la prospérité de la meute.