samedi 30 octobre 2021

Faut-il abolir la chasse ? Autour de la propriété morale des espaces alpins (3 sur 3)

 




Pieter Brueghel l'Ancien, 1565,  Les Chasseurs dans la neige.

 

(Suite) Voici la dernière partie de mes réflexions autour de l'éradication éventuelle des chasseurs dans les Alpes italiennes, remplacés par des individus moralement plus légitimes.

 

 

« Puisque la question porte sur la possession du domaine à soustraire à la barbarie, je tiens à souligner un aspect qui rend la photo du « bandit »*, sinon trompeuse, au moins équivoque. Plusieurs fois, pendant mes recherches ethnographiques dans la chaîne alpine, j'ai été confronté au même paradoxe. Alors que j'accompagnais mes informateurs — à peu près comme celui de la photo — pendant une journée de chasse, je les ai vus se faire gronder par des promeneurs rencontrés en chemin : « Pauvre bête. Mais qu'est-ce qu'elle vous avait fait ? Mais vous n'avez pas honte ? ». Il faut dire que les chasseurs, désormais, s'attendent à ce genre de réactions et renoncent à rentrer au village, comme ils le faisaient autrefois, pour exhiber joyeusement leur proie : « II y a toujours le risque de tomber sur des touristes, et alors on se fait critiquer ... ».   Un détail mérite néanmoins d'être évoqué : dans les cas que je viens de citer, les « bandits » ont reçu leur leçon d'éthique écologique directement sur leurs terres, ou sur celles d'amis et parents regroupés dans la même association cynégétique. Cette circonstance tragi-comique ne peut qu'échapper à l'opinion publique, lointaine du monde rural et physiologiquement incline à interpréter la réalité sociale à la lumière de ses propres désirs. Et pourtant c'est ainsi : la nature sauvage, précisément cette nature disponible, à portée de la main, à laquelle nous accédons librement toutes les fins de semaine ... eh bien, cette nature sauvage appartient à quelqu'un. Très souvent, dans les Alpes comme dans les Apennins, les propriétaires sont des agriculteurs, des éleveurs qui pratiquent encore la chasse, ou qui la pratiquaient avant que le coût du permis ne devienne hors de portée. Si ces «bandits» décidaient de fermer leurs terres aux environnementalistes, aux promeneurs, aux cyclistes, aux passionnés de drafting ou de ski hors piste, alors adieu Wilderness, adieu sorties écologiques. Les amants du plein air voudraient bannir les chasseurs des terres qu'ils considèrent comme « les leurs ». Ils n'ont pas compris que dans les Alpes, assez souvent, ils sont juste tolérés dans les terres des chasseurs »**

 

* Cf. Les billets précédents.

**  Extrait de : « Mauvais indigènes et touristes éclairés. Sur la propriété morale de la nature dans les Alpes » (Revue de Géographie Alpine Année 2003 91-2 pp. 9-25).

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