mercredi 10 août 2022

L’inquiétante étrangeté deuxième session (3). Le temps des roses

 


Elle a toujours été là, adossée au mur du jardin. Une rose jaune citron, aux pétales légers comme ceux du ciste. À un certain moment nous avons dressé une pergola de lierre qui lui enlevait le soleil. Dans ses tentatives d’adaptation elle a grandi démesurément, comme ont dû faire les girafes selon Darwin. Sa tête a fini par dépasser la pergola avec un effet ridicule. J’ai été obligé de la couper. C’était la fin des vacances et je m’apprêtais à rentrer en France.
 

Quelque temps auparavant j’avais reçu la visite d’une amie que je ne voyais pas depuis des décennies. Elle est arrivée avec une petite bruyère. Je ne sais plus si elle m’a dit expressément que c’était pour le cimetière (on était au mois de novembre, il me semble, et c’était gentil) ou si je l’ai pensé très fort. Toujours est-il que j’ai associé cette innocente créature végétale à quelque chose de lugubre. Je l’ai installée dans un grand pot en terre cuite prêt à l’accueillir. Quelques mois plus tard elle était déjà morte (dans le respect d'une contrainte symbolique l'obligeant. je crois, à réaliser la prophétie dont elle était porteuse). Le pot s’est mis en attente de nouveaux candidats.

Avant mon départ j’ai procédé à une sorte d’ordalie : lesquelles, parmi les roses de ce jardin, montrent davantage leur envie d’être là ? On va voir.  J’ai planté au milieu du pot l’extrémité de la rose/girafe que je venais de couper et, tout autour,  celles des autres roses du jardin. Une seule a passé l’examen : la jaune. Depuis elle a grandi, je la surveille, on m’a conseillé de la mettre près du laurier.  Une collègue qui s’y connaît m’a dit que c’est peut être la seule rose  « un peu rare » que j’ai dans le jardin. Elle a juste un petit défaut. Ses bourgeons poussent lents et prometteurs mais, une fois ouverts, leur beauté ne tient que quelques heures. Le soir, les pétales sont au sol et c’est déjà fini.

Lorsque François de Malherbe écrivait « Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, l'espace d'un matin » il n’exagérait pas.  Il parlait en botaniste. (À suivre). 

1 commentaire:

  1. Mon goût pour la polémique me fait oublier de vous dire l’essentiel, qui est mon grand plaisir de retrouver votre chronique mémorielle d’été.

    Armelle Sêpa.

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