mardi 9 décembre 2025

Les confessions d'un cannibale ou presque (2 sur 3)

 


À la place de la gélinotte je propose un grand-tétras (qui semble déjà empaillé) dessiné par Paolo Dalla Bernardina*.

(Suite) En voiture nous parlions d’un oiseleur rencontré quelques jours auparavant et de ses collègues qui, à force de s’identifier aux oiseaux convoités, finissent par leur ressembler. La route pour rejoindre le roccolo n’avait rien de particulièrement dangereux. Elle était quand même tortueuse et, plus on avançait, plus elle se rétrécissait. Soudainement, dans l‘herbe qui poussait au milieu du chemin, nous avons aperçu un battement d’ailes. Un faucon penché sur une gélinotte était en train de lui manger les entrailles. Pendant un moment, en nous voyant, il a tenté d’emporter sa proie, mais il a vite renoncé et il est parti tout seul. Je suis sorti de la voiture et j’ai inspecté la victime. Mise à part l’ouverture dans le ventre, elle était intacte. Un citoyen exemplaire l’aurait laissée sur place permettant ainsi à la nature de suivre son cours. Il aurait aussi signalé le fait aux autorités compétentes, les oiseaux de cette espèce étant rares et très protégés. Nous avons opté pour une solution alternative : « As-tu jamais mangé une gélinotte ? Ah non ? Moi non plus. Beh, écoute, de toute façon, elle était déjà morte. Et quoi qu’il en soit … nous aussi nous faisons partie de la nature ».

Il aurait été sage de la laisser faisander, mais je devais repartir le jour suivant. « Tu la trouves comment ? Beh, je la trouve très bien, et toi ? « Moi aussi, finalement, mais je préfère la bécasse ». Pour honorer la gélinotte, nous avions ouvert une bouteille de Schiava Gentile (Esclave Gentille),  un ancien cépage de la région qui a accentué le caractère vieux genre de notre  banquet**.

Pendant le retour j’ai repensé à ce petit festin de braconniers et au faucon, les ailes ouvertes, penché sur sa proie : « Voici un autre signe du Maître des animaux, me suis-je dit, qui salue la création d’un espace muséographique consacré à la chasse. C’est un présage de bon augure.  Et ça nous offre une nouvelle image héraldique qui ferait un merveilleux  ex-libris  ».

Quelqu’un aura trouvé ce récit très cynique (« Aucune empathie pour la pauvre gélinotte? Quelle honte!»). J'expliquérai mon point de vue dans le prochain billet (À suivre)***.

* La gélinotte aussi est un tétras, ce qui permet le rapprochement.   

** Le nom Schiava Gentile dérive du terme latin médiéval cum vineis sclavis, qui désigne une ancienne méthode de culture dans laquelle les vignes étaient attachées et « forcées » à pousser sur des pieux (tutorat), contrairement aux vignes sauvages qui poussaient librement sur les arbres ; il pourrait également indiquer une origine en Slavonie (Croatie). La Gentile se distingue des autres variétés (Grossa et Grigia) par sa peau plus fine et par le vin plus délicat, léger et fruité qu’elle produit, avec des notes de framboise et d’amande. C’est un cépage autochtone du Trentin-Haut-Adige, cultivé depuis des siècles.

*** On aura peut-être remarqué les affinités de cette histoire avec cellede la grive que je n’ai pas mangée du 26 octobre. C’est que je vois des dons et des encouragements de la nature partout.

 

2 commentaires:

  1. En attendant la suite (avec impatience), je savoure l’atmosphère jubilatoire et moyenâgeuse de ce plaisir interdit, bien qu’innocent, soutenu, visiblement, par l’Esprit de la forêt.

    Armelle Sêpa.

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  2. L’Esprit de la forêt reste indulgent avec des gens comme moi et mon copain pour des questions de fidélité, et parce que, devenus des curiosités folkloriques, nous lui faisons de la tendresse. Mais il y a le risque que, influencé par les promoteurs d’une éco-éthique améliorée (celle des nouveaux Maîtres de la nature qui apprennent aux profanes comment se comporter), il finisse par changer son fusil d’épaule.

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