lundi 11 décembre 2023

Serais-je donc antisémite ?

À plusieurs reprises, sur ce blog, j’ai exprimé ma très faible considération pour ces représentants du gouvernement italien (je vous invite à retrouver leurs noms) qui ont fait des valeurs de la patrie, du rappel  à la foi et à la tradition leurs chevaux de bataille et leurs attrape-nigauds. Serais-je donc un anti-italien ?

En 2006, dans l’introduction à L’éloquence des bêtes, j’écrivais le passage suivant :

« Bien qu’infondé, le préjugé selon lequel l’amateur d’animaux n'aimerait pas les hommes recèle un soupçon qui l'est peut-être un peu moins : celui (…) que l'intérêt pour la cause animale ne soit parfois qu'un prétexte[1], un alibi permettant de se mettre en scène, de délégitimer les autres, mais aussi de détourner l'attention de quelque chose que nous préférons cacher.   Un événement exemplaire nous permettra d'illustrer cette idée. Au mois de février 2001, les visiteurs du site Web de la chaîne de télévision  Msnbc News étaient censés choisir la plus significative parmi les images « fortes » récemment diffusées par les médias. Pendant les trois premières semaines, le cliché gagnant, avec beaucoup de marge sur ses rivaux, a été celui, tristement célèbre, d'un jeune palestinien  accroché à son père juste avant d'être abattu par l'armée israélienne. Quelques semaines plus tard, après une campagne e-mail à l’initiative des  sympathisants du gouvernement Sharon, deux nouvelles images avaient remplacé la précédente : la première était le portrait d'un chien qui a perdu ses pattes postérieures.  C’est celle-là qui a gagné le concours. La deuxième, suivie par d'autres reproductions d'animaux, immortalisait un autre chien en train de brûler[2]. Le sacrifice animal, dans ce cas, ne remplace pas le sacrifice humain, il sert tout juste à l'occulter. Nous sommes aux antipodes des fables d’Ésope ou des sermons de Saint François : l’animal, ici,  loin de nous aider à réfléchir sur les conduites des hommes,  est mis au premier plan pour nous les faire oublier ». (Paris, éd. Métailié, p. 19-20).

Serais-je donc un antisémite ?


[1] Inutile de préciser que pour établir ce genre de constats il faudrait connaître l' « éthologie » de l'amateur d'animaux. Voici un beau sujet pour apprentis ethnologues désireux de  développer leurs compétences en matière d’ « Observation participante ».

[2] D’après un article de Dean E. Murphy  paru dans le New York Times et repris par le quotidien La Repubblica du 4 mars 2001, p. 16

dimanche 10 décembre 2023

Annonce : Penser les ruralités contemporaines à l'époque de l'antispécisme


Demain matin, lundi 11 décembre, nous aurons le plaisir d'entendre Frédéric Saumade  qui nous parlera de son dernier ouvrage :

Séminaire Penser les ruralités contemporaines

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES (Paris)

 

 

Lundi 11 décembre 2023, 11:00-13:00

 

Salle AS1_24 - 54 bd Raspail 75006 Paris et en visio :

 

EN PRÉSENTIEL ET EN VISIO

 

https://webinaire.ehess.fr/b/bob-kvx-zfn

 

 

 

 

De l’élégie au retour au combat : réflexions post-théoriques sur la polémique anti-taurine en Espagne aujourd’hui et sur les paradoxes de l’élevage extensif du toro bravo dans le Campo charro de Salamanque

 

Intervenant : Frédéric Saumade, PR d’anthropologie sociale, Aix-Marseille Université, membre de l’Institut d’ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative (IDEMEC) d’Aix-en-Provence

 

 

Résumé : Suite à un dernier ouvrage publié au printemps dernier (De Walt Disney à la tauromachie. Élégie pour une mythologie animalière, Vauvert, Au diable vauvert 2023), qui propose une analyse anthropologique des tensions contemporaines entre militants antispécistes, favorables à l’interdiction de la corrida, et aficionados et professionnels du monde taurin, fondée sur une approche rétrospective de quarante années de recherches sur les relations humains/bovins dans les jeux-spectacles, rituels et pratiques d’élevage afférentes, entre Europe du Sud-Ouest et Amérique du Nord (Mexique, États-Unis), nous avons ressenti la nécessité de revenir au terrain originel de l’Espagne. Là, aujourd’hui, on observe en milieu urbain, notamment à Madrid, capitale de l’Espagne et de la corrida, une forte radicalisation, perceptible en particulier parmi les jeunes, de l’opposition entre adversaires de la tauromachie, animés par une idéologie animalitaire, généralement classés à gauche de la gauche, et aficionados, marqués par une idéologie nationaliste et volontiers séduits par le discours du parti d’extrême-droite Vox. Outre Madrid, Salamanque, capitale régionale structurée sociologiquement par les réseaux endogamiques des éleveurs de taureaux de race brava, de race morucha (race régionale à viande), et de cochons de race ibérica, dont les propriétés latifundiaires s’étendent sur le Campo charro voisin, est un terrain particulièrement riche pour observer les tensions entre les positions traditionnalistes conservatrices et les mouvements abolitionnistes qui s’organisent à partir des milieux estudiantins notamment. L’analyse anthropologique de cette crise politique passe par une ethnographie du système d’élevage du Campo charro, et des relations inter-espèces qui s’y organisent autour de la maîtrise d’un territoire extensif de pâturage, le monte (parties boisées montagneuse), les savanes collinaires plantées de chênes verts (encinas, robles). L’enquête révèle à cet égard les contradictions d’un milieu social moins homogène idéologiquement que l’on pourrait croire a priori, loin d’être imperméable au « tournant ontologique » de la société globale, ainsi que l’ambiguïté des rapports entre humains et animaux considérés tour à tour comme les plus sauvages (bravos) ou les plus domestiques (mansos). Or, cette même dialectique se retrouve, exprimée d’une manière radicalement opposée, dans les représentations antispécistes des anti-taurins.

 

Présentation : Christophe Baticle (LPED / HM)

 

samedi 9 décembre 2023

Prendre le taureau par les cornes

 





Instrument ludique permettant de mesurer sa puissance musculaire

C’était la première fois, je crois, qu’on m’amenait au Luna Park. Il faisait nuit. J’ai d’abord remarqué  de jeunes mâles qui mesuraient leur force en serrant les cornes d’un taureau mécanique. Ils rigolaient, mais pas trop. Après, dans l'obscurité, j’ai vu surgir un autre jeune homme. Il portait un pantalon noir. Il marchait vite, mais pas trop,  la chemise blanche à moitié ouverte imbibée de sang qui lui coulait de la figure. « Il a fait le con avec l’auto-tamponneuse », a commenté quelqu’un derrière nous. Il y avait des poissons rouges. Pour les gagner  il fallait remplir certaines conditions, je ne sais plus lesquelles. Mon père y est parvenu.  Nous sommes repartis avec mon poisson rouge dans un sachet en nylon. Pendant le trajet j'ai fait très attention.  Il a vécu avec nous pendant un moment.

jeudi 7 décembre 2023

Remplacements : le déclin de Saint-Nicolas

 

Saint Romedius, inventeur de la notion de  Wilderness

Hier c’était  la Saint-Nicolas. En dépit de mon esprit critique et désenchanté j’en garde un souvenir enthousiaste. Désormais on parle peu de cet ami des enfants qui fut très à la mode dans les Alpes orientales d'avant la mise en tourisme (et en écologie) des espaces naturels. Il a presque disparu. Et son âne aussi. Dévoré par les loups, je suppose.

mardi 5 décembre 2023

L'ère post-cynégétique


 



En 2011, dans Le retour du prédateur, je proposais que l’on s’interroge sur les fantasmes regressifs de la société post-rurale*. Aujourd’hui, à une époque où l’éco-touriste fait la loi et les chasseurs risquent de perdre leurs droits sur leurs terres au nom du « vert pour tous », il faudrait parler de société post-cynégétique.

* la passion pour la  Wilderness commençait à se populariser.

vendredi 1 décembre 2023

Parallélismes interspécifiques

 

 

«  Amo i gatti e distruggere il patriarcato »,  à savoir  : «  J'aime les chats et (j'aime) détruire le patriarcat » .

Les patriarches, c'est connu, aiment les chiens.

mercredi 29 novembre 2023

Les loups passent-ils à l'acte? C'est la faute aux brebis


 

 

Brebis et agneaux consentants (dans leur grande majorité)

 

Si je reviens sans arrêt sur la présence  des loups dans les espaces alpins c’est que je la trouve exemplaire. Elle résume à elle toute seule les contradictions de notre société en matière d'environnement et de morale.

 

Dans les Préalpes de Vénétie, j'en ai déjà parlé,  les éleveurs arrêtent leur activité découragés  par les massacres incessants perpétrés par les loups (140 victimes par an, dans les  vallées de l'Alpago, sans compter les blessés et les dommages collatéraux*). Ils se plaignent de ces carnages périodiques alors que, selon certains, ils en sont les principaux responsables  : « Si les loups sévissent », commente le représentant de l’association Siamo tutti animali, à savoir  "Nous sommes tous des animaux" (c’est bien de le rappeler de temps en temps), « c’est la faute aux éleveurs qui n’installent pas comme il faut leurs grillages électrifiés »**.  Au nom de la faune sauvage  et de son intérêt touristique, l'auteur   de cette analyse, spécialiste en éthologie relationnelle (sic),  voudrait transformer les pâturages alpins en autant de poulaillers à ciel ouvert***.

 

Bref, la faute est aux bergers, aux maires complaisants et autres « arriérés » n'ayant pas compris le sens de l'histoire. Et pourquoi pas aux moutons ? Oui, parce que ces pauvres loups, si on réfléchit … on les provoque, on les excite avec toutes ces bonnes choses à portée de crocs. Comment prétendre qu'ils se retiennent? Et les brebis … elles font semblant de ne pas vouloir, mais ça leur plaît, elles sont consentantes. Cela saute aux yeux.

 

* N'oublions pas les très nombreux blessés, le stress qui s'empare des rescapés, les traumatismes des femelles qui ne se reproduisent plus etc. -   des conséquences néfastes, sur le plan éthologique et tout simplement relationnel, pour l'équilibre qui assure  la cohésion du troupeau.

** Je paraphrase pour faire court, mais le sens est bien celui-ci.

***  « Mais je n'ai jamais dit ça, voyons ... ». C'est vrai, je me limite à tirer les conséquences de cette solution miracle -  l'électrification des prairies -  brandie par les enthousiastes du retour des bêtes féroces dans nos campagnes.

 

dimanche 26 novembre 2023

Musique et animalité


 

C’est dire si notre sensibilité change rapidement. Autrefois, la phrase «  Cette  chanson prouve l'exiguïté de la distance qui nous sépare des autres animaux » aurait été interprétée comme une insulte.*

*J'ai emprunté l'illustration au site suivant : https://pixers.it/poster/vecchio-microfono-47557207

vendredi 24 novembre 2023

Le chien du voisin

 Francisco de Goya Garçons jouant avec un dogue

Alors que l'actuel président français a été le  propriétaire d’un dogo argentin, le nouveau président argentin est le propriétaire de cinq dogues anglais (« les plus fins stratèges du monde », paraît-il).

Morale : lorsqu’on est président, on préfère les dogues des autres.

mercredi 22 novembre 2023

Elusive Partners

 

 

Les espèces allogènes nous rendent visite.  Parfois, après quelques gesticulations, elles disparaissent. Parfois elles s’installent  et finissent par s’intégrer à notre horizon. Pour les concepts c’est pareil.  La formule « invasions biologiques », par exemple, sonnait bizarre autrefois. Désormais elle fait  partie de notre quotidien. On s’acclimate.

 



 

lundi 20 novembre 2023

Le boucher et le jardinier




On approche de la période de l'année durant laquelle, dans l’Europe traditionnelle, on tuait le cochon. C’était triste et joyeux à la fois. On compatissait avec le cochon,  mais on faisait la fête.

À propos de la joie de tuer le cochon (une joie issue directement de l’estomac, liée aux conséquences pratiques de la mise à mort) on vient de me transmettre le proverbe suivant  (chinois) :

“ Si tu veux être heureux une heure, enivre-toi, si tu veux être heureux un jour, tue ton cochon, si tu veux être heureux une semaine, fais un beau voyage, si tu veux être heureux un an, marie-toi, si tu veux être heureux toute ta vie, fais-toi jardinier ”.

Je viens de citer la version que j'ai trouvée sur le net. Celle qu’on m’a livrée ce matin, légèrement différente, prévoyait un mois de joie pour le mariage et un an entier pour le cochon*.

*Dans ce dernier cas, puisqu’on (re)tue le cochon tous les ans,  se faire jardinier n'est plus indispensable.

jeudi 16 novembre 2023

Sadisme félin 2

 

«Ce chat mauvais, qui prolonge pendant une heure l’agonie d’une souris me paraît comme la bête cruelle par excellence (…). Il suffit de regarder la façon avec laquelle il se comporte lorsque, par intervalles, il saisit la souris avec ses mâchoires. On s’aperçoit qu’il est heureux, que tout son être vibre d’une jouissance violente et perverse. Sa queue est agitée par des mouvements involontaires, ses yeux dilatés étincellent, et il atteint le plaisir dans un spasme de volupté suprême. Toute l’attitude de l’animal montre qu’il entend, qu’il a une conscience et qu’il jouit. Il n’y a rien à dire, cela ressemble tout à fait à la cruauté définie par Littré, celle qui se délecte dans le fait d’infliger la souffrance, la cruauté indiscutable, cynique » (Cunisset-Carnot, Flâneries d’un chasseur -  « La crudeltà negli animali », in Diana, il field d’Italia, 15 oct. 1917. Extrait de : « Des plaisir du chasseurs aux souffrance de l’écologiste. Violence et iconographie » in  Sergio Dalla Bernardina, L’éloquence des bêtes, Paris Métailié, 2006 p. 115 et suiv.

 

En ce qui concerne les chats, cette attribution de cruauté (une cruauté innée, substantielle) est passée de mode. Désormais on la réserve aux  chasseurs.

mardi 14 novembre 2023

Après la tempête (veiller et surveiller)

 
 


« L’état des bois et forêts reste dangereux. Dans ce contexte, l’interdiction d’accès et de circulation au sein des espaces boisés reste en vigueur afin de prévenir les risques de chutes de branches et d’arbres. Une nouvelle évaluation de l’ONF permettra d’analyser l’évolution de la situation ». Le Télégramme, «Tempête Ciaran : 7 500 foyers toujours privés d’électricité dans le Finistère» 12 novembre 2023.
 
C’est dans mon intérêt, je sais. Mais dans ce genre de situations j’aimerais pouvoir choisir. 
 
« Le biopouvoir est un type de pouvoir qui s'exerce sur la vie : la vie des corps et celle de la population. Selon Michel Foucault, il remplace peu à peu le pouvoir monarchique de donner la mort ». (Source : Wikipédia.)
 
Cela fait « anarcho-individualiste », c'est vrai - alors que j'ai quitté l'adolescence depuis un long moment - mais je trouve que les ingérences de l'État dans ma sphère personnelle, en dépit de leurs prétentions salvatrices,  ont un pouvoir mortifère.

dimanche 12 novembre 2023

L’invention de Monsieur Lynch

 

Peut-on comparer la chasse à courre à un lynchage ? Et la Corrida ? On me dit que non.  Le lynchage est un dispositif de justice expéditive introduit par Monsieur Charles Lynch en 1780 et  l’utilisation de ce mot en dehors de son contexte est abusive.  Je pense à ce candide de René Girard qui employait  ce terme pour parler du sacrifice sanglant dans le monde ancien et de  sa fonction cathartique. Il s’agit d’un anachronisme, finalement. C’est comme si les humains, avant l’invention de Monsieur Lynch,  avaient déjà l’habitude de lyncher.

vendredi 10 novembre 2023

Sadisme félin

 
Chat plutôt fier d'avoir attrapé une souris


Est-ce que les chats son cruels? Au dix-neuvième siècle on en était presque sûr. Les éthologues, par la suite, nous ont appris que c’est un préjugé : nous projetons sur les autres animaux nos sentiments à nous.
Aujourd’hui, cependant, avec la (re)découverte que même  les bêtes ont une personnalité, une conscience etc. les choses se compliquent. Tout dépend des individus, peut-être : certains chats sont cruels, d’autres se limitent à prélever  leurs souris sans aucune émotion, dans une sérénité apollinienne.   

lundi 6 novembre 2023

Comment faire pour tout réparer?

 

Gustave Caillebotte, Les jardiniers (détail)

- C’était la fête des morts, l’autre jour. Es-tu passé au cimetière, ne serait-ce que pour amener quelques fleurs à tes parents et enlever les toiles d’araignée ?

- Pas besoin, j’ai ma technique. Au lieu de leur amener des fleurs, je m’occupe de leurs plantes tout au long de l’année. J’élague le laurier de mon père, je multiplie les bégonias de ma mère… C’est comme ça qu’on communique.  Et si une plante tombe malade je me sens coupable, comme si leur souvenir, et je dirais même leur santé, étaient en danger.

J’évoque ce court échange pour annoncer le début d’un séminaire organisé par Valérie Feschet et Gabriele Orlandi (CNRS Université Aix-Marseille)  dont je livre ici la problématique :

IDEAS - Séminaire 2023-2024

Cycle I

Organisation : Valérie Feschet, Gabriele Orlandi

 

Subjectivation et bonne vie en anthropologie

 

Inspiré par l’ouvrage de Sergio Dalla Bernardina, Faut qu’ça saigne ! (2020), ce cycle de séminaire invitera aux « extrapolations les plus hardies » comme l’auteur le fait à propos de la constatation du goût contemporain pour les animaux taxidermisés, ou leurs substituts symboliques et artistiques. Selon le cheminement d’une anthropologie conjecturale qui questionne ce qui se fait de plus paradoxal dans les sociétés modernes contemporaines, le cycle I du séminaire de l’IDEAS propose de mettre en résonance différentes explorations hétérogènes qui semblent poser pourtant la même question : « Que faut-il faire ? ».

 

Cette question oblige à conjuguer le temps humain avec l’idée d’éternité, d’immémorialité, selon une mise en esthétique des « restes » de ce qui fût : sauver ce qui part à « vau l’eau », donner un nouveau sens à ce qui n’en a plus mais qui reste là, pérenniser des savoir-faire, ressusciter les morts, réparer les fautes... Ces actions sont situées dans des espace-temps singuliers dans lesquelles les sujets combinent des injonctions plurielles (sans en avoir véritablement la grammaire). Le présent est-il vivable autrement que dans une dette à l’égard du passé et d’une responsabilité à l’égard du futur ?

 

Les « intentions réparatrices » relatives à l’univers de la chasse comme invite à y penser Sergio Dalla Bernardina portent aussi sur de nombreuses autres actions et leurs extensions matérielles, ces artefacts animés incarnés par des subjectivités plurielles… le défunt, l’animal comme l’autre humain qui n’est plus là que l’on a tué lors d’une partie de chasse ou bien que l’on aimerait bien oublié sans oser l’avouer, cette chose dont on ne sait que faire qui possède et torture celui qui croit la posséder, ce savoir-faire qu’il ne faut pas perdre, qu’il faut labelliser, ré-inscrire dans le présent quel qu’en soit le coût… N’est-ce pas une problématique fondamentalement anthropologique que de penser le passé au futur ? Comment faire pour tout réparer, pour ne rien oublier ? Et pourquoi ? En partant du constat que toute configuration sociale élabore des idéaux de conduite, des modèles de bien-être, de bien-faire, nous proposons dans ce cycle de séminaire de conduire une anthropologie de ce que nous souhaitons désigner par la notion de « bonne vie », entendue comme une mise en accord des existants sur l’existant, le contexte.

 

Quels sont les systèmes de légitimation des actes du bien-faire et du bon-goût, ceux annoncés comme évidents, impérieux, comme les plus incertains et les plus indécis ? Comment s’expriment les injonctions molles ou péremptoires, ces petites voies, ces gratifications intimes ou publiques, qui posent comme nécessaires, éthiques, fondamentales, certaines démarches et postures (les conduites professionnelles, alimentaires, la mise en mémoire, la gestion des ressources naturelles, les techniques, les relations avec les humains et le non-humains…) ? Il s’agira d’écouter la pluralité des « voix », des injonctions, des argumentaires respectifs en s’attardant sur des objets apotropaïques (Dalla Bernardina 2020 : 28), bien accrochés aux murs ou conservés dans les maisons et les musées, sur les processus de labellisation et de ré-existentialisation.

 

Ce cycle de séminaire questionnera plusieurs des fils du programme de recherche de l’IDEAS, notamment la pluralité des esthétiques et la subjectivation des actions qui s’y rapportent ; la pluralité des manières de penser et de faire (agies par d’autres existants), les invitations ou les exhortations conjecturales à une bonne vie.


Sergio Dalla Bernardina (Professeur émérite à l’Université de Bretagne Occidentale)

Montrer le mort et vivre heureux. Du bon usage des reliques.

« Il faut que ça saigne », mais on fait mine de rien. De nouvelles pratiques, aujourd’hui, donnent en spectacle la mort animale : on les interprète comme des  compensations (on dédommage la victime transformée en objet d’art) ou comme des actions militantes  (on rend public le martyre et on dénonce  les responsables). Limiter l’analyse à cet ordre de motivations permet de respecter le point de vue des acteurs, c’est vrai, mais  en fermant les yeux sur notre ambiguïté. La scène sanglante effraie et attire à la fois. Comment l’expliquer ? Les hypothèses ne manquent pas. Pour le plaisir du jeu, Sergio Dalla Bernardina propose de tester la conjecture suivante : orphelins du dispositif  sacrificiel, nous cherchons à en reproduire les effets cathartiques par d’autres moyens.

Mots clefs : mort, animalité, ritualité, esthétisation

 

 

Séance 2 : 16 novembre 2023, 14h-16h, MMSH

Valérie Feschet (IDEAS, MMSH, AMU)

« Tout part à vau l’eau » : Retenir l’érosion du temps

“ Gardez la maison ! ». Mais qui parle ? Qui pleure ? Valérie Feschet propose de documenter et de formaliser le balancier de la mémoire quand la montagne ruisselle et que le musée parfois répare les consciences à partir d’un terrain réalisé dans les Alpes de Haute Provence, dans les plus hauts hameaux encore habités aujourd’hui (Maljasset, La Rousse, Les Maurels dans la vallée de l’Ubaye). Conjuguer le temps humain avec une intention de conservation dans le futur de ce qui fut est une injonction culturelle qui définit bon nombre de sociétés humaines, si ce n’est toutes, chacune selon un mode opératoire singulier et conjecturel (transmissions orales d’une mémoire généalogique et/ou incarnation de cette même mémoire dans des artefacts dont font partie les archives). Les restes médiateurs permettent aux défunts d’être auprès des vivants et soufflent à l’oreille quelques injonctions diffuses ou péremptoires, quand ce n’est pas quelques gratifications intimes ou publiques qui posent comme nécessaires certaines actions de mise en mémoire. A travers une série d’entretiens et de photographies prises sur trois terrains différents, la pluralité des « voix » qui participent à la lutte contre l’érosion du temps sera présentée.

Mots clefs : transmission, généalogie, patrimonialisation, subjectivation, Alpes

 

Séance 3 : 23 novembre 2023, 14h-16h, MMSH

Véronique Dassié (UMR Héritages)

« Faut couper ! » Protéger les forêts pour réparer le monde

Depuis les années 2000, les forêts font l’objet d’une attention croissante, réactivée régulièrement par l’actualité médiatique estivale et les incendies. Les inquiétudes concernant les changements climatiques renforcent l’idée selon laquelle les forêts sont un bien commun qu’il faut préserver. Dans ce même contexte se développe aussi la volonté d’utiliser des matériaux durables et des énergies renouvelables, que le bois alimente. Alors que l’abattage des arbres devient une question sensible, les besoins en bois ne cessent donc de croître. La gestion sylvicole est ainsi devenu un point de crispation dès qu’il s’agit d’envisager la question du « bien faire » pour les forêts. A travers trois situations dans lesquelles des arbres ont été ou sont abattus (Versailles, une forêt privée, l’inscription de la futaie régulière de chêne au PCI), Véronique Dassié questionnera ce qu’il convient de réparer lorsqu’on se préoccupe du devenir des forêts. La manière dont la notion de catastrophe ou de désastre y fait sens appelle des réponses contrastées et des lectures patrimoniales concurrentes. Les enjeux écologiques ne sont pas les seuls mobilisés.

Mots clefs : catastrophes, engagements, réparations, naturalités, forêts

 

Séance 4 : 30 novembre 2023, 14h-16h, MMSH

Séance de reprise (mise en perspective avec une étude de cas)

Gabriele Orlandi, IDEAS, MMSH, AMU

« On ne peut pas laisser les choses comme ça ! » : la forge de la modernité montagnarde

Entamée dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la crise des économies pastorales mixtes représente une période de rupture pour les populations des Alpes occidentales, à tel point qu’encore aujourd’hui, la déprise agricole et le déclin démographique questionne la possibilité même de leur existence dans la modernité contemporaine, sinon d’une manière subalterne. Les enquêtes les plus récentes montrent toutefois que ce récit est loin de résister à l’épreuve du terrain. Autochtones ou « néos », des personnes de toute âge et toute profession s’attèlent –de façon bénévole– à imaginer et à mettre en œuvre des solutions censées assurer un avenir meilleur aux espaces de montagne. Quels sont les mobiles de leurs actions ? Comment rendre compte d’une dépense d’énergie d’une telle ampleur ? À partir d’une enquête conduite sur les pratiques de labellisation et de régulation économique dans les Alpes italiennes, Gabriele Orlandi se penchera sur quelques modernisateurs de la montagne, pour en décrire les profils et les trajectoires, et ainsi faire émerger les passions qui les animent.

Mots clefs : modernité, labellisation, Alpes, bénévolat

vendredi 3 novembre 2023

La dent de qui? Réalité historique et diplomatie



Mâchoire néandertalienne
 
J’ai menti. La dent que j’ai trouvée dans mon jardin ne me rappelait pas le sourire de mon oncle. Elle ressemblait à une dent de ma tante. En rédigeant mon commentaire, cependant,  je me suis dit : « Si j’écris ”ma vieille tante” on va m’accuser de misogynie, voire pire ». J’ai donc mis en scène mon oncle dont le dentier, dans mes souvenirs, était impeccable.

C’est comme pour la religion. Nous avons le droit d’ironiser sur la nôtre, ce qui me parait très sain. Mais si  nous nous mettons  à ironiser sur celle des autres nous risquons de nous faire couper la tête.

Cela peut paraitre dérisoire, mais plus le temps passe, plus je me vois obligé de m’auto-censurer. C’est au nom du pluralisme, parait-il.

mercredi 1 novembre 2023

Des herbivores dans mom jardin

Je l’ai trouvée en creusant dans le jardin. Elle faisait penser  à la dent d’un vieil oncle à moi au sourire étonnant. En la retournant, je me suis dit qu'elle devait appartenir à un herbivore. De quelle race? De quelle époque? Mystère*

 * Mon oncle, je dois préciser, n'était pas végétarien.




lundi 30 octobre 2023

Infiltrés

 

 


Pas beaucoup d'idées, ce matin. Juste l'image de cette vache qui cherche à se faire passer pour un mouton.

vendredi 27 octobre 2023

A la place du berger


Préalpes de Vénétie.  Oeuvre de l’artiste Erica Brazzo en hommage aux peintre Giovanni Segantini  (Cliché Sergio Dalla Bernardina)

Dans la région alpine, découragés par la présence des loups, certains bergers mettent fin à leur activité. Ici et là, on les remplace par des silhouettes métalliques rappelant leur ancienne présence dans les lieux.

lundi 23 octobre 2023

La mort indolore du crabe bleu

 


Crabe bleu n'ayant pas souffert pendant sa cuisson

Tu te souviens de Beatrice, celle qui tient ces beaux discours sur le bien être animal? Eh bien, je l’ai choppée avant-hier  au supermarché avec un sac plein de crabes bleus. Je lui ai demandé : «  Mais ils ne souffrent pas? » Elle m’a répondu : « Tu sais … c’est une espèce invasive… Et j’ai ma technique : je les place deux  heures dans le congélateur, lorsqu’ils sortent ils sont tellement engourdis qu’ils ne s'aperçoivent de rien. 

vendredi 20 octobre 2023

Du chien au loup (autour de quelques métaphores animalières)



Cliché du photographe luxembourgeois Pol Aschman (emprunté dans le site : https://www.ifp.cz/fr/galerie-35/event2506-exposition-luxembourg-annees-50#/

En Italie, à cause des événements récents, on est revenu sur les accords de Schengen. Il faut rétablir les contrôles aux frontières pour empêcher l’arrivée de terroristes isolés, ces improvisateurs autodidactes moins faciles  à repérer que les membres d’un réseau. Dans un premier temps, pour les définir, la presse italienne a utilisé la formule « cani sciolti » (chiens en liberté). Après, on doit avoir trouvé que cette métaphore  ne convenait pas (à qui? à la communauté canine, peut-être, qui ne mérite pas ces généralisations arbitraires). Depuis deux jours on parle donc di lupi solitari, à savoir de « loups solitaires ». J’attends les remontrances des amis du loup*.     

* Tout en étant solitaires, ces loups solidarisent avec les terroristes organisés. On pourrait donc les qualifier de lupi solidali (loups solidaires). L’esprit de  solidarité, on le sait, est une des principales caractéristiques de ces canidés sauvages.

mercredi 18 octobre 2023

Le chant de la truffe

 

Nature morte du photographe Patrick Mollema exposée à  la Biennale de Tulle la semaine passée

J’ai appris beaucoup de choses  à la Biennale Européenne d’histoire locale de Tulle. La première qui me vient à l’esprit est que la truffe, inodore tant qu’elle est vigoureuse, développe son parfum en mourant. C’est poétique et décadent à la fois. Une esthétique fin de siècle.

J’ai pu aussi constater  que, lorsqu’on quitte les grandes concentrations urbaines pour  se déplacer au coeur du Pays,  on peut parler des animaux qu'on aime et mange  à la fois (une chose n’empêchant   pas l’autre) sans trop de dérangements.

vendredi 13 octobre 2023

Les gloutons européens convergent à Tulle

Pieter Brueghel le Jeune, Douzième nuit, 1619

Je plaisante, juste pour faire le pitre. Il n’y aura pas que des carnivores, en tout cas. Et ce ne sera pas pour faire la fête, la circonstance est sérieuse. Il s’agit de la 2ème Biennale européenne d’histoire locale, 13-15 octobre 2023,  Tulle en Corrèze : Boire et manger localement Histoires de terroirs (https://www.biennale-tulle.fr/). Le programme est très chargé. Dimanche, dans ce cadre, je participerai à une table ronde sur le thème :  « Les viandes : pratiques et imaginaires ».

A partir de mardi prochain je profiterai de ce blog, où je traite habituellement des thèmes abordés dans cette rencontre (le végétarisme, l'antispécisme, le bien être animal, la mort animale, le statut de la viande, le statut du chasseur  et celui du gibier etc.), pour  restituer par écrit mon intervention.