vendredi 18 juillet 2025

Donner la vie, donner la mort (pour un partage équitable des fonctions)


Dans son ouvrage Donner La Vie, Donner La Mort. Psychanalyse, Anthropologie, Philosophie (Paris, La Bibliothèque du Mauss,  Le bord de l’eau, 2014),  Lucien Scubla pointe un paradoxe : les analyses anthropologiques et même psychanalytiques ont tendance à refouler une évidence : dans les sociétés traditionnelles, en raison de leur pouvoir physiologique, les femmes sont connotées du côté de la naissance, des soins, de la réparation, de l’apaisement. Elles sont les « gardiennes de la vie ». Ce n’est pas le cas des hommes à qui on demande, lorsque c’est nécessaire, de savoir donner la mort. Pendant longtemps, cette donnée de base a joué un rôle fondamental dans l’organisation symbolique des groupes humains les plus disparates.

Aujourd'hui,  il est normal que même les femmes revendiquent le droit de donner la mort. Aux Etats- Unis, cela fait plus de dix ans qu’elles ont obtenu le droit de servir dans les unités de combat de l'armée, y compris dans les positions les plus exposées au front. En France – c’est une vieille statistique - Le nombre de chasseresses a augmenté d'environ 25% en 10 ans, passant de 25 000 en 2014 à 31 200 en 2023.

J’ai du mal à imaginer une société à venir où il y aura plus de chasseresses que de chasseurs. Mais on ne sait jamais.

lundi 14 juillet 2025

Dénoncer, profiter de la vie, laisser une trace


À quoi sert un blog comme le mien, très proche du monologue ? À laisser une trace. Pendant un moment (relativement long, désormais), un type a profité d’un sujet parmi tant d’autres pour mettre les événements à distance, les relire à la lumière de ses sentiments personnels et les commenter. On alimente un blog comme on prend des photos, dans l’illusion qu’il puisse avoir la même longévité que les vieilles photos que nous gardons dans nos tiroirs. Quelqu’un, plus tard, tombera dessus, comme on tombe sur des clichés anonymes achetés chez un brocanteur, et se dira : «   À cette époque, il y avait des gens qui voyaient les choses comme ça ».

Mettre les événements à distance revient aussi à lutter contre la tentation d’augmenter notre dose de tristesse quotidienne en revenant systématiquement, comme le font les médias (c’est bien leur fonction) sur les atrocités qui nous entourent. Rappeler, par exemple, que Benyamin Netanyahou et ses souteneurs exterminent ab ovo les enfants Palestiniens de peur que, une fois adultes, ils ne soient tentés de venger la mort de leurs proches, me paraît important. On ne peut pas faire grand-chose, mais on peut au moins témoigner, rappeler qu’on a vu, qu’on a pris note.  D’un autre côté, cependant, j’ai le sentiment que l’objectif de ces semeurs de mort, soit de nous entraîner par tous les moyens dans leur spectacle nécrophile : « Que tu le veuilles ou pas, je t’oblige à me regarder, je t’oblige à parler de moi, je t’oblige à renifler mon insupportable puanteur ».

Il se peut que, si le Bon Dieu devait exister, un jour il nous dise : « Mais comment ... le monde est complexe, d’accord, et il y a du tragique partout …  mais toi, tu avais eu de la chance. Chez toi ce n’était pas si mal que ça.  Tout ce qu’il y avait de beau, dans ma création, était à ta portée. Mais toi, au lieu de te réjouir, de contempler, d’honorer cette opportunité, tu as passé ton temps à râler. Je suis gentil par nature.  Donc je te pardonne*.   Mais tu mériterais l’enfer ».

Pour cette raison, à la place d’une photo des massacres quotidiens  perpétrés en Palestine au nom des valeurs de l’Occident, je propose cette image bucolique, prise dans les Alpes**, nous montrant une population tranquille, bien dans ses baskets (et dans ses territoires), qui ne craint pas les exactions des colons et qui, pour se nourrir,  n’a pas besoin de faire la queue sous les tirs des snipers.

* Il y a des Dieux qui sont plus gentils que d’autres.

** Cette Photo a été prise à Fornesighe, dans la vallée de Zoldo. J’ai largement parlé de ce village insolite à propos du carnaval local, organisé tous les ans autour du masque de la Gnaga. En été, l’ambiance est plus propice à la méditation.

samedi 12 juillet 2025

Anniversaires (les Alpes, tant bien que mal, sont toujours là)

 


- Écoute, ça commence à bien faire.  C’est la troisième fois que tu me dis : « Encore dix minutes et on arrive au col ».

- Je suis désolé, et pourtant … j’étais sûr que …

-  C’est toujours la même histoire. C’est pas comme ça que tu me feras aimer la montagne.

Mon frère s’appelait Paolo. Il était sensible à l’ambiance alpestre, mais sans en faire une priorité. Je me demande où et quand il a rencontré les vaches immortalisées dans ces croquis.

Aujourd’hui c’est son anniversaire.

jeudi 10 juillet 2025

Les fleurs du miel

 


- Il est à quoi ton miel?

- Beh, c'est du miel toutes fleurs.

- Oui, mais c'est quoi les fleurs de ton jardin?

- Donc ... j'ai  du muguet, de l'aconit, du cytise et ... ah oui ...  de la digitale.

mardi 8 juillet 2025

Démocrates par intermittence

 


- Ça alors, Boualem Sansal, vieux, malade et condamné à cinq ans pour un délit d'opionion s’est vu refuser la grâce présidencielle  et toi tu ne te scandalises pas ?

- Beh non, il ne fait pas partie de notre équipe. 

- Équipe ?

- Oui, ou de notre paroisse, si tu préfères.

dimanche 6 juillet 2025

Des cygnes et des oies

 


Le poète italien Gabriele D’annunzio, c’est bien connu, était assez excentrique. Parmi ses extravagances - mais ça doit être une rumeur - on lui attribue le fait d’avoir entretenu des rapports sexuels avec les oies*. J’y pense pendant ma visite à l’exposition Animal ?! (Fonds Hélène & Edourd Leclerc, Landerneau,  14 juin-  2 novembre). Une salle de cette exposition était consacrée au Mythe de Léda, dont les représentations picturales et sculpturales foisonnent depuis l’antiquité.  « Tiens, me suis-je dit,  les scènes de ce genre deviennent licites si la protagoniste de l’échange zoophile est une femme, elles le sont moins lorsque, comme dans le cas de D’annunzio avec son oie, il s’agit d’ un homme »

Force est de constater le caractère asymétrique de la morale occidentale en matière de sexualité.

Je reviendrai prochainement  sur cette exposition qui a suscité mon intérêt à plusieurs titres.

* Il semblerait que, mis à part les problèmes d'ordre moral, cela pose des problèmes techniques.

vendredi 4 juillet 2025

Prendre en photo la biodiversité

 


Ails des ours

Quelques ours ici et là pendant que je ramasse mes champignons … j’aime bien finalement. Ça donne à mes ramassages un peu plus de noblesse. Et si ça devait mal se terminer … pas de chance, c’est tout.

Celui qui n’a pas eu de chance est le motard italien qui l’autre jour, dans les Carpates, a pris des selfies à proximité d’une ourse. On les a retrouvés dans son smartphone.  Au cours des vingt dernières années, en Roumanie, les ours ont fait une trentaine de victimes.*

* Qui ne savaient pas que les ours, lorsqu’on les croise de trop près … et que  les femelles,  lorsqu’elles ont des petits, etc. etc. Les gens ne se renseignent pas et  enfreignent allègrement les règles de sécurité. Après ils vont se plaindre.

mercredi 2 juillet 2025

Porcs des pics

 

 

« Porc de montagne », lit-on dans l'étiquette. J'en ai rencontrés rarement dans ma vie. Je me demande si c'est une dénomination zoologique ou une appréciation morale.

lundi 30 juin 2025

Bonjour les Françaises, bonjour les Français. Aujourd’hui il fait chaud.

 


J’écoute le journal radio français (je préfère ne pas être distrait par les images de la télé). En replay, j’écoute aussi le journal italien. Et je compare.  J’aime bien l’esprit des journalistes français, ils arrivent à nous dire des choses importantes en gardant un minimum de distance personnelle qui frôle parfois l’ironie. Tout en respectant le script qu'ils ont sous les yeux, ils laissent entendre que derrière l’information  il y a un individu qui la transmet, avec sa personnalité et ses points de vue. Mes concitoyens transalpins, dans le style qu’on leur demande d'adopter, ont un ton plus officiel et patriotique*. Ils semblent parler  au nom de l’État. Ils sont toujours fébriles, excités, comme s’ils étaient en train de courir à côté des coureurs dont ils relatent les exploits, ou de combattre à côté des combattants dont ils rapportent les péripéties.

Cela dit, l’autre jour, je cherchais à me renseigner  sur ce qui se passe dans le monde. France Inter a démarré en parlant de la canicule. Ça ne s’arrêtait plus : reportages dans les écoles et sur les parkings autoroutiers,  entretiens avec les spécialistes, conseils … . Au même moment, la canicule sévissait aussi en Italie. Très sobrement, la radio Italienne n’en a parlé qu’après treize minutes, et très vite.   « Mais les Italiens, dira-t-on, sont habitués à la chaleur et moins sensibles à la notion de prévention. Chacun ses priorités ... ». D'accord, ce n'est qu'une question d '« ethnostyle », peut-être, mais il faut rester vigilant : je crains le moment où les informations météorologiques occuperont la totalité du journal radio.

* C’est dommage parce que les Italiens aussi, quand ils veulent, savent manier l’ironie  avec une certaine compétence. 

samedi 28 juin 2025

Des cerfs sachant voler

 


23h30. La fête de la musique se termine. Les musiciens rangent leurs instruments. Je rentre à la maison. Dans la cage d’escalier je croise un lucane cerf-volant. Je lui dis : «  Ça alors, tout le monde est dehors pour écouter la musique et toi tu snobes ? ». Il est manifestement mal à l’aise, il bouge à peine, ses pattes glissent sur le carrelage. « D’abord, je te prends en photo ». Je le saisis doucement derrière le cou, comme j’ai appris à le faire quand j’étais petit, et j’ouvre la porte. En face, de l’autre côté de la rue, il y a un grand arbre feuillu. Je dis au coléoptère : « Maintenant, puisque tu es un cerf-volant, je te conseille de voler ». Je le propulse vers le ciel, qui est parfaitement noir, et j'attends un instant en espérant entendre le bruit de ses ailes.

jeudi 26 juin 2025

Collectionner : une passion dangereuse

 

Il y en a qui chinent des trophées. Mais comment être sûr que l’esprit de l’animal ne va pas se venger ? (chevreuil empaillé en vente sur ebay)

Est-ce que les objets ont une âme ? Est-ce qu’ils gardent les traces de leur passé ? Est-ce que le destin de leurs anciens propriétaires leur colle à la peau ? Est-ce que ce destin, éventuellement, est contagieux ? Dans ce cas, avant d’introduire un objet chiné dans la maison, il faudrait pratiquer des rituels propitiatoires.  Personnellement, je me limite à réciter des formules incantatoires du genre : « Comporte-toi bien, sinon je te ramène chez Emmaus ».

mardi 24 juin 2025

Maurice et le Bronx


Cette fois je parle du vrai Maurice, pas celui que je squatte pour lui faire dire n’importe quoi à la manière des ventriloques. L’autre jour il me suivait de loin, derrière une fenêtre, pendant que je déplaçais des objets. Lorsqu’il a aperçu mon bâton de marche en houx (auquel je tiens beaucoup  et que je perdrai sûrement dans la frénésie d’une rencontre avec des cèpes ou des coulemelles), il est parti comme un endiablé.  J’ai alors compris qu’il a eu une jeunesse difficile, avec des scènes de violence et autres traumatismes. Il m’a fait de la peine. Du coup, je le nourris plus volontiers.

lundi 23 juin 2025

Scènes d’agrainage au Moyen-Orient

 


Distributeur d'épis de maïs.  Source : Wikipédia

Ce n'est pas très sportif, c'est vrai, mais certains chasseurs pratiquent l'agrainage*. Dans les Alpes, autrefois, on avait plutôt recours aux saline. Les herbivores sauvages, on le sait, ont du mal à se procurer du sel. Ils en ont pourtant besoin. Il suffit donc d’enterrer du gros sel  dans une clairière pour être certain de  trouver sur place, à l’ouverture de la chasse, toute sorte de gibier petit, grand et moyen.   La technique des saline est strictement interdite, bien entendu : c’est trop facile, ce n’est pas loyal.

J’y pense à propos des Palestiniens qui tous les jours, désormais, se font abattre par dizaines en tentant d’atteindre les points de distribution des aides alimentaires. C’est trop facile, Monsieur Netanyahou, ce n’est pas loyal**.

* Il y en a de plusieurs sortes, en réalité, agrainages vertueux et agrainages   immoraux. 

** Arrêtons de qualifier des propos comme celui-ci d'antisémites. Avec son action disproportionnée, l'actuel gouvernement israélien a transformé le  massacre criminel du 7 octobre en une sorte d'alibi. Celle que l'opinion publique occidentale, mis à part quelques leaders politiques sans scrupules, a interprété  dans un premier temps comme une réaction dure mais  compréhensible (l'exaspération légitime des Palestiniens ne justifiant en aucun cas l'atroce boucherie orchestrée par le Hamas)   est devenue le prétexte pour exterminer un peuple et s'accaparer ses terres.

samedi 21 juin 2025

Des bêtes dans nos villes et l’abolition des frontières

 

Un  troupeau longe le fleuve à proximité du centre ville. Liza Minelli assiste au défilé (Cliché S.D.B.)

Je suis en train de traduire Le retour du prédateur en italien, ce qui explique l’insistance avec laquelle je reviens sur un texte qui a désormais quinze ans.  Il commence et il se termine avec des références aux animaux sauvages dans les centres habités. Je ne m’en souvenais presque plus. Ce qui m’inspire l'évidence suivante : on écrit des choses, après on oublie. D’autres, les lisent … et ils oublient aussi. 

« La prédiction [du prophète] semble se réaliser. Nouveaux « mendiants », les sangliers circulent en ville, nourris de spaghetti par des gens compassionnels.  Les ours polaires sont soignés par des dentistes alors que les chats et les chiens, encore plus proches de l’homme qu’ils l’étaient auparavant,  vont chez le psychologue et prennent du Prozac. Las de vivre dans les bois,  les piverts s’installent dans les maisons secondaires et creusent des trous dans les fenêtres « à l’ancienne » (c’est ce qu’on appelle la multipropriété : lorsque les humains s’absentent les pivert réaménagent).  Grâce à la médiation des chiens  « Patou », le loup habite déjà ou presque avec l’agneau. Le paysan, dûment apprivoisé, ne s’oppose plus à l’ensauvagement  de ses terres (ici et là, il faut l’avouer, on trouve encore quelques poches de résistance, mais avec l’aide d’un bon négociateur …)». Le retour du Prédateur. Mises en scène di sauvage dans la société postrurale, PUR, 2011, p.122.

jeudi 19 juin 2025

Les Dolomites se préparent aux jeux olympiques


« La  nature se venge », elle « reprend ses droits » … Ce n’est pas de l’animisme mais presque. Dans l’Occident contemporain, personnifier la nature  est juste une facilité rhétorique, on le sait*. Mais parfois, lorsqu’on lui prête des intentions comme si elle avait un point de vue,  on a l’impression d’être proche du vrai.

Cortina d’Ampezzo va héberger les prochains jeux olympiques d’hiver. Pour bien préparer l’événement, les responsables locaux ont  bétonné, goudronné, coupé des mélèzes centenaires,  modifié le paysage. Tout autour, comme par enchantement, les Dolomites ont accéléré leur effritement. Les falaises tombent, les éboulis coupent les routes : un scénario dantesque (les scénarios sont souvent dantesques, voilà un autre stéréotype. Difficile de les éviter).

* Enfin, de moins en moins. Nous tendons vers le néo-animisme, comme je cherche à le montrer  dans « Nouveaux animismes. À quoi sert-il de personnifier les végétaux ? », in La langue des bois. L’appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi. Paris, Muséum National d’Histoire Naturelle, 2020, p. 225-247.


 

mardi 17 juin 2025

Cohabiter avec le loup

 


Les Italiens n'avaient pas de lieutenants de louveterie.  Plus modestement, ils se limitaient à financer des  lupari.

 

- Ça y est, maintenant on peut  tirer sur les loups.

- Les paysans français, quand même, quelle  mentalité ! 

- Alors qu'à l'étranger ... Regarde aux Abruzzes, par exemple  :  eux ils ont toujours cohabité  avec les loups.  Et  harmonieusement, sans aucun problème. 

 

Vieille lupara


dimanche 15 juin 2025

Typhaine Cann


« Ici, les gens sont choqués d’apprendre qu’on mange de l’agneau, mais s’excusent de nous paraître barbares parce qu’ils tuent eux-mêmes leurs bêtes. Ils n’ont pas vraiment idée de ce qu’a pu être la vie dans les campagnes européennes il n’y a pas si longtemps. Le résultat, c’est qu’ils voient de l’originalité dans à peu près tout ce qui, selon eux, les caractérise. J’aurais tendance à beaucoup relativiser. »
(Typhaine, jeudi 24 avril 2025)

Je suis devant mon ordinateur depuis un moment. Je cherche à imaginer quelles facettes de son profil Typhaine Cann aimerait que je retienne pour annoncer sa disparition (je me demande d’ailleurs si elle apprécierait que j’en parle). Quelques mots me traversent l’esprit : « enracinée dans le Finistère mais étrangère à toute forme de réseau », « habitée par une ferveur spirituelle et un désintérêt pour la matérialité du monde qui semblaient venir d’une autre époque », « terrassée par une grippe en Mongolie, comme un personnage de roman ».

Elle était d’abord une anthropologue, même si, jusqu’à son dernier message, elle me faisait part de ses doutes : « Le suis-je vraiment ? Ai-je le droit ? ». Elle était aussi biographe, tant sa thèse — novatrice en matière d’anthropologie de la mer — portait, en toile de fond, sur le souvenir de son père, technicien supérieur à l’Ifremer*. Elle avait un don pour la peinture, que j’ai découvert à l’occasion de sa maîtrise : une recherche de terrain dans les bistrots du littoral breton, où chacun de ses informateurs, comme dans les carnets de voyage des pionniers de notre discipline, avait eu droit à un portrait très réaliste.

Typhaine Cann avait également un don pour les langues. Dès son premier séjour à Oulan-Bator (de la mer d’Iroise aux steppes eurasiatiques, question de ne pas trop se perdre dans les brumes celtiques), elle avait acquis des connaissances suffisantes pour faciliter les échanges entre immigrés mongols et administration hexagonale — un travail de subsistance, exercé avec passion, qui lui a permis de garder le lien avec la langue et la culture mongoles. Ces compétences, avec le temps, n’ont fait que s’approfondir. En quelques années, elle est devenue traductrice : on lui doit La Tamir aux eaux limpides du grand écrivain Chadraabalyn Lodoidamba (Transboréales, 2024).

Animée par le désir d’aller toujours plus loin, elle a soutenu une deuxième thèse à l’université de Szeged : Heroes, exemplars and mediators. The concept of patriotism in the Mongolian historical novel of the socialist era. Son CV avait atteint un niveau qui aurait fait pâlir bon nombre de candidats à un poste de maître de conférences. Je conserve dans mon ordinateur son dernier travail, inédit, intitulé : L’invention du patrimoine terminologique vernaculaire de la Mongolie — un sujet très académique, qui aurait encore renforcé la légitimité de son parcours.

Je regrette profondément la disparition de cette amie très originale, pleine de projets, précieuse dans un milieu ethnologique qui manque parfois de courage, enclin au conformisme et au politiquement correct.

* L’invention du paysage culturel sous-marin : le traitement en patrimoine des épaves de la mer d’Iroise et ses ambiguïtés. Thèse reprise dans l’ouvrage Secrets d’épaves. Plongeurs, archéologues et collectionneurs, Presses universitaires de Rennes, 2016.

vendredi 13 juin 2025

Make Israel Great Again ? (deuxième épisode)

 


- T’as entendu ? Les Israéliens ont attaqué l’Iran.

- C’est pas vrai !  C’est tellement gros que ça me fait oublier ce qu’ils sont en train de faire à Gaza.

mercredi 11 juin 2025

Make Israel Great Again?




Pour rester serein, je cherche à ne pas trop y penser, mais je n’arrive pas à lever mon regard des images apocalyptiques qui nous parviennent de Gaza. L’étendue des dévastations montre sans équivoque un désir d’extermination qui va bien au-delà d’une « simple » vengeance ou « punition »*.

Je me demande à haute voix : « Où iront, l’année prochaine, les hirondelles qui bâtissaient leur nid sous les toits palestiniens ? ».  Du balcon on me répond : « En Lybie ».

 * Punition divine, le Bon Dieu ayant ses élus, ses délégués sur terre.

dimanche 8 juin 2025

Noms de plantes et noms d’oiseaux : même combat

 



Hibbertia, ou Fleur de Guinée. Plante qui va bientôt changer de nom, identifiée par le marchand et botaniste amateur George Hibbert (1757 - 1837),

Je reviens sur mon turdus ignobilis du 17 mai. Je réalise que le  débat sur ce sujet fermente  depuis un moment. Récemment, en amont du  20e Congrès international de botanique  qui se tiendra à Madrid du 21 au 27 juillet, une commission de botanistes s’est réunie pour rebaptiser les plantes dont le nom transmet des contenus racistes ou qui ont été découvertes par  des chercheurs racistes.

Comment renommer ces plantes ? Difficile à dire.

On pourrait  remplacer le nom associé à un  botaniste  raciste  par celui d'un botaniste non-raciste. Avec le temps, en profitant des alchimies de la mémoire collective,  il sera normal de considérer ce dernier comme le véritable découvreur  de la plante en question*.

* Je suis prêt à parier que personne n’a proposé une  solution de ce genre, ne serait-ce que explicitement. Cela nous ramène au thème de la cancel culture (et des motivations  « extra-humanitaires » qui peuvent s’y greffer). Le thème de l'effacement de la mémoire pour la bonne cause  - dans l'illusion du caractère impérissable de la vérité qui va être installée à sa place - renvoie à la problématique abordée par Maurizio Cattelan dans son exposition à Bergame (cf. le post du 2 juin).


vendredi 6 juin 2025

La yellowstonisation du monde

 


La forêt contemporaine, lieu de méditation.  gettyimages-472560450-612x612.jpg

La nature sauvage? « Un dépôt de costumes à louer pour le réveillon ». C’est ce que j’écrivais il y a une quinzaine d’années dans Le retour du prédateur. Entre temps, la yellowstonisation du monde a avancé à la vitesse du réchauffement climatique.

“ La question du retour du prédateur tient d’abord au domaine du symbolique. La fin des sociétés rurales a comporté une sorte de « dérégulation » des valeurs traditionnelles et libéré les représentations de la nature de leur référentiel concret. De plus en plus éloignée du cadre naturel qui lui donnait une sorte d’évidence (parfois trompeuse, une forêt plantée par les agents de l’ONF n’étant pas plus sauvage qu’un champ de maïs), l’opposition domestique/sauvage est devenue un champ rhétorique, un dépôt de costumes à louer pour le réveillon. Certains se déguisent en petit montagnard, d’autres en paysan, d’autres encore en homme des bois (« nature » ou « high tech », selon les goûts)… et pénètrent dans les forêts pour ramasser, pêcher, cueillir, gravir les sommets bardés comme des poilus (c’est le modèle « oplitique » de la Grèce ancienne)  ou grimper les falaises entièrement nus (comme les jeunes recrues lacédémoniennes - ce qui est « encore plus naturel »). A première vue les choix sont interchangeables. Mais dans le marché des signes (des signes de prestige) une tendance se dessine : les « actions » liées au domestique sont en chute libre. C’est le sauvage qui a la  cote (le rural aussi, d’un certain point de vue, mais à condition qu’il se présente sous une forme exotique)". Extrait de : Le retour du prédateur. Mises en scène du sauvage dans la société post-rurale, Presses Universitaires de Rennes, 2011, p. 116).

mercredi 4 juin 2025

Un lynx peut en cacher un autre

 



Hier on m’a raconté une sorte de parabole. Quelque part en Allemagne, on avait du mal à réintroduire le Lynx. Les chasseurs s’en sont chargés. Les lynx  ont apprécié l’endroit choisi et s'y sont installés. Ils ont vite proliféré. Comme par enchantement, les mouflons ont disparu.

Je me suis posé la question suivante : si j’étais un mouflon, aimerais-je davantage  un territoire plein de chasseurs ou un territoire plein de lynx ?

lundi 2 juin 2025

L'aigle déconstruit de Maurizio Cattelan

 


Manifeste s'inspirant d'une sculpture en bronze, réalisée en 1938, qui faisait partie d'un monument commémorant le discours de Benito Mussolini à Dalmine en 1919.*

 

De temps en temps, dans mes recherches et dans ce blog, je reviens sur une évidence : l’attraction pour les grands prédateurs peut aller au-delà (ou rester en deça), de la simple admiration naturaliste. Comme je le rappelle dans Le retour du prédateur ** ou dans Faut qu’ça saigne***, l’aigle l’ours et le loup peuvent charmer en raison de l'emprise létale qu’ils exercent sur les autres animaux. La violence inhérente à leur éthologie peut encourager des parallélismes (darwinisme social, légitimation de la loi du plus fort, etc ...) et susciter  des identifications. Nous savons à quel point les régimes autoritaires aiment mobiliser, dans leur symbolique, toutes sortes de fauves et d’oiseaux de proie.

J’y pense en relation à la nouvelle exposition de   Maurizio Cattelan (Bergame, Palazzo della Ragione, du 7 juin au 26 octobre). L'affiche nous propose un aigle revisité (« déconstruit », dirait-on aujourd’hui). Son message est clair : faut-il effacer les symboles du fascisme? Non, il faut les conserver et les montrer. Il faut les obliger à rester parmi nous et à nous rendre des comptes.  Parce lorsqu'on oublie le  passé, on risque de le voir ressurgir à peine déguisé.

 

*(Cf. l’article : https://www.repubblica.it/cultura/2025/06/01/news/cattelan_mostra__in_italia_il_fascismo_non_e_mai_finito-424641594/?ref=RHLM-BG-P25-S1-F-fogliettone%27

** Le retour du prédateur. Mises en scène du sauvage dans la société post-rurale, Presses Universitaires de Rennes, 2011 ?

*** Faut qu’ça saigne. Écologie, religion, sacrifice. Éds. Dépaysage, 2020

samedi 31 mai 2025

Préparatifs


La voix du pilote annonce : « Préparez-vous au décollage ». Ne sachant pas trop comment obtempérer,  deux gamines se tiennent par la main*.

* Ce n'est pas un  grand scoop, je l'avoue, mais c'est mignon.

mercredi 28 mai 2025

Le merle enchanté

Merle qui regarde ailleurs(Cliché de S.D.B.)

Hier il a plu beaucoup. Le soir, le beau temps est revenu, avec le ciel tout propre et un parfum de fleurs mouillées. Nous étions ravis tous les deux. Moi et le merle, je veux dire, chacun à sa manière.

lundi 26 mai 2025

Vérifier les signatures

Fausses-fraises qui poussent dans mon jardin

Dans son célèbre Le rameau d’or, James Frazer parle du « Principe de similitude » qui est à la base de la pensée magique : le semblable agit sur le semblable. Si je mange une noix, dont le cerneau ressemble au cerveau humain, cela me fera passer le mal de tête. La « Théorie des signatures » va dans le même sens. Selon Paracelse, « tout ce que la nature crée, elle le forme à l’image de la vertu qu’elle entend y attacher ». Autrement dit, la forme ou la couleur d’une plante nous laissent deviner, par analogie,  à quoi elle peut servir.

L’important est de ne pas se tromper. La laitue des Alpes (cicerbita alpina) est délicieuse, mais elle ressemble terriblement à l’aconit, dont l’ingestion est mortelle. Leur signature est la même, leurs effets diffèrent.