mercredi 11 décembre 2024

LGBTQ : par souci d'exhaustivité

Paysage de montagne japonais

 

Je me souviens d’une intervention radiophonique de Michel Serres. Il était déjà relativement âgé. Il commentait une expérience récente.  Pendant ses vacances, il venait d’atteindre le sommet d’une falaise (Serres aimait l’alpinisme). Il y avait du monde. Le voyant surgir du gouffre, un jeune homme a proféré : « Tiens, un vieux ! » Le philosophe n’a pas apprécié. 

 

Morale : à partir d’un certain âge, l’élan vital est une sorte de caprice - pour ne pas parler de la sexualité, qui devient une  perversion*. À l'instar d'autres catégories de malheureux, les vieux sont discriminés. C’est pourquoi, je propose d’enrichir l’acronyme LGBTQ par la lettre V.

 

* La  notion  de « Vieux porc », dans la richesse de ses implications,  mériterait à elle seule l'organisation d'une table ronde.

lundi 9 décembre 2024

LGBTQ+Z. L’évolution d’un acronyme?

 


Pablo Picasso, 1938 Nature morte à la bougie palette et Tête de minotaure rouge

On vient de me signaler que « le groupe Zoophilia Pride demande la décriminalisation du sexe avec les animaux, et appelle le mouvement LGBTQ+ à ajouter un Z à son nom ». La chose ne m’étonne pas. En 2014, dans un article publié dans la revue  Anthropologie et société, j’écrivais :

“ Peter Singer ne prétend pas affirmer que les rapports sexuels entre membres d’espèces différentes  sont « normaux » ou « naturels », il se limite à nous rappeler qu’une fois reconnu le caractère arbitraire, purement idéologique, de la hiérarchisation des espèces, « de tels rapports cessent de constituer une offense envers notre statut et notre dignité d’êtres humains » (ibid). S’il ne défend donc pas la zoophilie, il fournit néanmoins un support philosophique à ceux qui aujourd’hui, à l’instar des zoophiles accusés de « sodomie » et brûlés sur la place publique à l’époque de la Renaissance, pensent que faire l’amour avec un animal est non seulement « normal » et « naturel », mais, au bout du compte, que c’est même mieux. Et ces humains attirés par les non-humains sont, paraît-il, nombreux. Il y en a même qui ont créé un mouvement (dont l’analyse mériterait un traitement à part entière) qui s’appelle ZETA,  « l’unique fédération officielle de zoophiles du monde », qui prétend représenter l’orientation de 100.000 citoyens et s’oppose  publiquement à la nouvelle loi qui interdit la zoophilie en Allemagne. Son  leader, Michael Kiok, est un bibliothécaire qui cohabite paisiblement, depuis un moment, avec une bergère allemande de 8 ans. Il a déclaré à la presse qu’ « un Animal sait très bien montrer ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas », que  « Les Animaux sont parfois plus faciles à comprendre que les femmes » et que «derrière la défense des animaux, se cache en fait un retour à la morale et à l’intolérance». Kiok, finalement, n’aurait trouvé rien de déplacé dans les propositions coquines de Koko, la gorille anthropophile ”.

Cet article, qui s’appelle « Amours sans frontières. Nouveaux horizons de la zoophilie à l’époque de la libération animale » est en libre accès à l’adresse suivante : https://www.erudit.org/fr/revues/as/2015-v39-n1-2-as01900/1030841ar/resume/

J’y reviendrai prochainement.

vendredi 6 décembre 2024

Traditions revisitées : la Saint-Nicolas

 

J'ai failli oublier que le 6 décembre c’est la Saint-Nicolas, moment tout aussi central, dans mon enfance,  que le jour de mon anniversaire. J’ai déjà tout raconté à ce propos, j’insisterai juste sur ce détail :  Saint Nicolas, chez nous, arrivait avec un âne, moins noble qu’un renne mais très apprécié  par les loups.

En se faisant bouffer par les loups, aujourd’hui, l’âne contribue à la biodiversité.

mercredi 4 décembre 2024

Déboullonages : le loup change de statut

 

Statue du loup  au Cloître-Saint-Thégonnec)*

 

Je viens de lire que le comité permanent de la Convention de Berne a approuvé la proposition de l'UE d'assouplir le statut de protection du loup. Pour certains c’est une triste nouvelle, mais je trouve que cela restitue au loup, qui avait été réduit au rang d’assisté, de maintenu, de prédateur casanier, une partie de son ancienne dignité. 

 

*Je ne sais plus où j’ai mis mes clichés. En attendant de les retrouver, j’ai emprunté celui-ci à Ouest-France : https://www.ouest-france.fr/sciences/animaux/l-image-du-nuisible-lui-colle-a-la-peau-mal-aime-le-loup-a-pourtant-sa-capitale-en-bretagne-6fc9e4ae-9004-11ed-8732-c929ccc6462c

 

lundi 2 décembre 2024

Les pies et le retour du refoulé

 

Certains proverbes sont contagieux. Je crois avoir déjà parlé de l'adage : « Quand on voit une pie, tant pis; quand on en voit deux, tant mieux. ». J’ai beau être rationnel, lorsque le matin je tombe sur  une pie (rien de plus fréquent )  je regarde à droite et à gauche dans l’espoir d’en apercevoir une deuxième. Comment  régler le problème? Dans mon imagination,  je me suis mis dans la peau d’un tyran, genre « Le Roi et l’Oiseau », et j'ai promulgué l'ordre suivant : « Dorénavant, pour la sérénité générale, toutes les pies seront bannies du royaume ».  J’ai vite compris mon erreur, qui a engendré  ce nouveau proverbe : « Au pays où on a banni les pies, on passe son temps à scruter l’horizon ».

vendredi 29 novembre 2024

La double vie de Maurice?

 

On m’a parlé de l’histoire touchante, à Brest, de l’amitié qui s’ est instaurée entre un habitant de la ville,  Alain Theillier, sa chienne Ambre et son goéland Arek. Arek a commencé par se présenter à la fenêtre de Monsier Theillier avec régularité. Un beau jour la fenêtre étant ouverte, le goéland est entré et tout le monde a familiarisé.

Depuis, je regarde Maurice d’un air méfiant. Ne s’agirait-il pas d’Arek ? Le chat gris qui séjourne actuellement chez moi  le regarde aussi, et d’un air très attentif. C'est le regard d'une panthère. Quelque chose me dit que, si j’ouvre la fenêtre, ils ne vont pas familiariser du tout.

mercredi 27 novembre 2024

Le talent de Brigitte Bardot

 

Anacapri : la villa de Curzio Malaparte

Avec du retard par rapport à sa date de parution (1963) je viens de visionner « Le mépris », de Jean-Luc Godard. Je suis ébloui par le professionnalisme de Brigitte Bardot et je me surprends à murmurer : « C’est quand même une grande. Son talent est incontestable »*. Du coup, je m’en veux de l’avoir si   lourdement canardée dans mes écrits et sur ce blog. De sa personne émane une authenticité  qui, vraisemblablement, reste la  même lorsqu’elle parle de son amour pour les animaux. Je me sens mesquin.

En rangeant le DVD dans le boîtier, cependant,  la violence des propos qu'elle tient depuis un long moment à l'égard de l'espèce humaine** me revient à l'esprit. Je pense à mes sentiments vis-à-vis de Louis-Ferdinand  Céline et je me dis : « Toute proportion gardée, c’est un peu pareil : comme écrivain, je l’apprécie beaucoup ...  ».

 

* Alors que lorsque j'étais jeune je ne le voyais pas.  C'est superficiel, je sais, et très lié à des questions d'amour-propre, mais on a du mal à admettre que les gens puissent être très beaux et talentueux à la fois.

** D'une partie non négligeable de l'espèce humaine.

lundi 25 novembre 2024

L’animal-machine (à sous) 3) Qu ‘est-ce qu’on taxe, au juste ?

 

 

 

(Suite et fin). Le paradoxe de cette proposition (taxer les animaux de compagnie) est qu’elle contredirait l’esprit de la loi française. En 2015, en fait, l’animal domestique a cessé d’être un « bien meuble » (code napoléonien) pour accéder au statut d’ « être vivant doué de sensibilité ». Taxé comme  une moto ou un paquet de cigarettes, l’animal perd une bonne partie de sa proximité avec l’humain pour redevenir une « chose ».  « Ce n’est pas vrai -  répondrait  le porteur du projet – on  ponctionne son maître, mais l’amitié demeure. Croyez-vous que les Allemands, depuis qu’ils payent un impôt,  sont devenus moins copains  avec leurs chiens et  leurs chats ? ». C’est bien le problème. Dans les pays qui ont adopté cette loi, on taxe le fait d’avoir un ami. On taxe le bonheur suscité par la présence de quelqu’un à côté de nous. Bref, on taxe le bonheur tout court, ce bien de luxe qui tend à échapper  aux contrôles de l’État.

 

Taxer l’amitié

 

Taxer notre joie de vivre ? Évitons de divulguer cette idée. On risquerait d’être facturé en fonction de la taille de notre réseau d’amis, de notre carnet d’adresses, de la quantité de nos « followers » sur Tiktok. On deviendrait  imposable sur la base du nombre de personnes qui nous recherchent ou qui nous veulent du bien. 

 


 

samedi 23 novembre 2024

L’animal-machine (à sous) 2) Taxer le vivant

 

 

(Suite du post précédent) Je pense à cette histoire (celle des animaux machines) à propos d’une rumeur qui circule actuellement. On prétend que le gouvernement français, s’inspirant de l’Hundesteuer (un impôt sur les chiens qui a permis à l’état allemand de récolter 421 millions d’euros en une seule année), prévoit de renflouer ses caisses en mettant à contribution les propriétaires d’animaux d’appartement : 100 € pour un chien ou un chat, 20 € pour un oiseau, 1 € pour un poisson. Cette proposition extravagante a tout l’air d’une trouvaille complotiste, mais certains prétendent qu’il y a du vrai.   Si elle  fait penser à la théorie de Pascal et Malebranche c’est que l’animal « fiscalisé », sans être classé chez les automates ou les poupées mécaniques,  s’apparente néanmoins à une voiture : on  taxe son propriétaire à partir d’un numéro d’immatriculation.

Panique dans les animaleries

On imagine  bien les effets collatéraux : les détenteurs d’un animal de compagnie peu fortunés seraient obligés de se débarrasser de leur trésor (et ils en ont parfois plusieurs) comme on le faisait autrefois avec les frigos, les mobilettes et autres « non-animaux » abandonnés au bord des routes  ou plongés dans le ravin le plus proche en profitant d’une nuit sans étoiles.  Les rayons des supermarchés consacrés aux non-humains  réduiraient leur surface comme peau de chagrin. Le nombre  des toutous à bichonner, toiletter, amener chez le psychologue, le vétérinaire, s’effriterait lamentablement, ainsi que les recettes de la TVA correspondant à la vente de performances et de produits animaliers. (À suivre)

jeudi 21 novembre 2024

L’animal-machine (à sous) 1) Pascal et Malebranche présentaient-ils des troubles du spectre de l'autisme?

 


Les experts d’éthique animale  connaissent bien la théorie des « Animaux machine ». On attribue à Pascal et Malebranche l’idée que « nos amis les bêtes » ne sont au fond que des automates, des poupées mécaniques : ils/elles font semblant de souffrir mais ce n’est que  de la mise en scène. On aime rappeler cette histoire pour montrer à quel point l’Occident « naturaliste »  cherche à refouler ses racines animales*. Tourner en dérision cette théorie obsolète offre plusieurs avantages : cela renforce notre amour propre (« J’ai du bon sens, moi …  ce n’était pas leur cas ! »). Ça permet de taquiner les philosophes et les intellectuels en général qui, installés dans leurs tours d’ivoire, perdent tout contact avec le vivant, sa matérialité, ses frémissements. ses pulsations.

La condition humaine

Cette mise en robot du non-humain était l’aboutissement d’une réflexion philosophique, c’est vrai, mais j’ai entendu une explication  alternative dotée d’une certaine crédibilité. Bien que « mécanistes », Pascal et Malebranche étaient des croyants. Ils pensaient donc que si le Bon Dieu nous a logés dans cette vallée de larmes, c’est que nous le méritons. Si nous souffrons, en fait, c’est à cause du péché originel. Mais les animaux, eux, n’ont commis aucune faute. Pourquoi devraient-ils souffrir ? Ce serait injuste et en contradiction avec l’esprit divin. Il en découle que les animaux ne souffrent pas : ils se limitent à faire des cris et des grimaces. La théorie des animaux machine, dans ce sens, répondrait plus à des raisons théologiques qu’à des considérations scientifiques. (À suivre)

*Le « naturalisme », selon Philippe Descola, correspond à la vision Occidentale moderne considérant qu’une frontière infranchissable sépare les humains des non-humains.


mardi 19 novembre 2024

Naître garçon et devenir chat

 

J'ai emprunté cette image au site:  https://www.slate.fr/story/95139/chercheuse-convention-furry

On a cru que c’était vrai. Lorsqu’en août 2023, sur Tiktok, une mère a raconté que son fils se prenait pour un chat, qu’elle l’a amené, comme il le souhaitait, chez le vétérinaire et que celui-ci à refusé de l'examiner (« Je vais peut-être porter plainte » a-t-elle ajouté), beaucoup d’internautes ont cru au  canular*. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette histoire est plausible et corrobore des fantasmes qui sont dans l’air.

 

« Rumeurs et légendes urbaines – écrivaient Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard en 2002 – sont objet de croyance et de diffusion (…) parce qu’elles remplissent des fonctions psychologiques et sociales qui font que le contenu d’une rumeur ou d’une légende apparaît comme vraisemblable, intéressant, important et finalement nécessaire » De source sûre. Nouvelles rumeurs d’aujourd’hui  Payot, 2002, (p. 331).

 

Le charme de cette rumeur réside dans sa capacité démonstrative : elle confirme l’impression (impétueuse chez les observateurs les moins optimistes) que la société contemporaine est en train de perdre ses repères : « Vous avez vu ? Je l’avais dit  … On commence à tout relativiser, à remettre en cause les frontières entre les êtres, les choses ... et voici le résultat ». **

 

*J’ai trouvé cette information sur un site que je ne connaissais pas (https://www.demotivateur.fr/insolite/tiktok-son-fils-s-identifie-comme-un-chat-mais-son-veterinaire-refuse-de-le-soigner-sa-mere-s-insurge-dans-une-etonnante-video-38301). Je laisse au lecteur la charge de vérifier sa fiabilité.

** Une variante récente, m’a-t-on signalé, remplace le chat par  une chèvre. S’agit-il bien d’une variante ou de la réalité qui rejoint la fiction ?

samedi 16 novembre 2024

L'inactualité des anciens

 

Pas d’inspiration ce matin. Juste ce proverbe du jour politiquement incorrect :

 

 « À la Sainte-Elisabeth (17/11), tout ce qui porte fourrure n’est point bête ».

 

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, je ne viens pas de l’inventer.

jeudi 14 novembre 2024

 

Il y a quelques temps, un brillant anthropologue attirait mon attention sur le caractère ringard du terme « ruralité ». Je lui ai répondu que de mon point de vue tout dépend de son usage. Chez certains folkloristes, la référence au rural peut rappeler la nostalgie pétainiste pour le retour à la terre dans ses aspects pittoresques, réactionnaires et stéréotypés.  Loin d’être ringarde - pour donner juste un exemple - la revue Études rurales est en revanche très appréciée dans le domaine des sciences humaines et sociales*. Je lui ai ensuite fait remarquer que le terme « écologie », si on prend un peu de distance, présente à son tour des aspects ringards, ambigus et galvaudés.

 

En tout cas, peut-on étudier l’écologie sans étudier la ruralité ? Vous trouverez une réponse à cette vaste question en suivant le séminaire Ruralités contemporaines en question (s). Voici le programme :

 

* Il suffit de consulter la liste de ses membres fondateurs.

 

 

Séminaire
Ruralités contemporaines en question(s)
ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES (Paris)
PROGRAMME 2024-2025


• Pierre Alphandéry, chercheur honoraire INRAE (hors EHESS)
• Christophe Baticle, MCF, Univ. Aix-Marseille LPED, Habiter le Monde(TH)
(hors EHESS)
• Sophie Bobbé, chercheure associée au laboratoire LAP – EHESS
• Sergio Dalla Bernardina, professeur émérite, Univ. Bretagne Occid.(TH)
(LAP-EHESS)
Maxime Vanhoenacker, chercheur CNRS (LAP), référent pour cette UE

Les lundis de 11H00 à 13H00
Salle AS1_23 - 54 bd Raspail 75006 Paris
EN PRÉSENTIEL ET EN VISIO
https://bbb.ehess.fr/b/sop-lhm-oav-qy4


1.) Lundi 25 novembre 2024 : Bernard KALAORA (professeur honoraire de l’Université de Picardie Jules Verne, Amiens, chercheur associé à l’UMR LAP-EHESS, membre de l’association Littocean, pour des espaces maritimes équitables), Mers et forêts : lesmarges comme lieux de tous les possibles (présentation : Christophe Baticle)

2.) Lundi 9 décembre 2024 : Gaëlla LOISEAU (anthropologue, Paris Panthéon-Sorbonne,
ISJPS) : Gitans et voyageurs dans les espaces périurbains en Occitanie : faire sa place
à travers la relation aux animaux (présentation : Bernadette Lizet)

3.) Lundi 13 janvier 2025 : Céline PESSIS (socio-historienne, AgroParisTech, UMR
SADAPT), Une histoire désorientée de la motorisation : « suréquipement » et souci du sol dans la France des années 1950 (présentation : Pierre Alphandéry)

 

4.) Lundi 27 janvier 2025 : Alexandra BIDET (sociologue, chargée de recherche au CNRS, CMH, ENS Paris), Le vivant au-delà de l'humain ? Saisir la genèse de nos attachements à nos milieux de vie et de travail (présentation : Christophe Baticle)

5.) Lundi 10 février 2025 : Sergio DALLA BERNARDINA (anthropologue, professeur émérite, université de Bretagne occidentale, LAP), Du « Viandard » au « Rural éco-responsable ». Aller et retour d’un mythe urbain? (présentation : SophieBobbé)

6.) Lundi 10 mars 2025 : Véronique DASSIÉ (anthropologue, chargée de recherche CNRS,Cergy Paris Université, directrice de l’UMR Héritages : Culture/s, Patrimoine/s, Création/s), Les forêts entre centralité et périphérie (présentation : Sergio Dalla Bernardina)

7.) Lundi 24 mars 2025 : Autour du dernier ouvrage de Martin de LA SOUDIÈRE (anthropologue émérite, CNRS, LAP) Le cahier vert : journal d'un ethnologue en Gévaudan (1973-1978) (présentation : Martyne Perrot, Philippe Bonnin)

8.) Lundi 12 mai 2025 : Agnès TACHIN (historienne HDR, maîtresse de conférences, Cergy Paris université, UMR Héritages : Culture/s, Patrimoine/s, Création/s), Les traditions maraîchères du Val de Saône auxonnais entre mémoire et oubli (présentation : Sergio Dalla Bernardina)

9.) Lundi 26 mai 2025 : Christophe BATICLE (socio-anthropologue, maître de
conférences, Aix-Marseille Université, UMR LPED, Habiter), Les communautés ruralesdes régions forestières d'Afrique centrale : des ressorts ethniques pour une exploitation mondialiste (projet de recherche RESSAC), (présentation : Sophie Bobbé)

 

 

 

mardi 12 novembre 2024

Le point de vue de Maurice (1). Une analyse trumpeuse?

 


L’autre matin Maurice, dont je n’arrive pas à saisir l’orientation politique, a fait une courte apparition sur le rebord de ma fenêtre.  Il a proféré quelque mots d’un ton déclamatoire, à la manière des reporters  radiophoniques des années quarante. Il a dit  « Trump », me semble-t-il, « victoire » et – je ne vois pas le lien – « wokisme ».  Ça avait tout l’air d’une analyse politique. Du coup, un chat est survenu et il s’est  tu.

dimanche 10 novembre 2024

La chasse : une fanfaronnade ? (4) L’anthropologue solitaire

 

 


Porteur de la bonne parole expliquant aux néophytes comment reconnaître une fanfaronnade

 

(Suite et fin). Dans une revue avec laquelle j’ai collaboré pendant quelque temps, j’évoquais les « bravades » provençales. Je venais de les découvrir grâce aux beaux articles de Danièle Dossetto consacrés à ce sujet. C’était dans une comparaison avec les  rave-parties. J’avais écrit :

« J’y vois une version postmoderne des « bravades » provençales : au milieu de la fête, les hommes du village sortaient leurs fusils et tiraient en l’air, boum-boum-boum, juste parce que ça faisait plaisir à tout le monde**. J’y vois la même fierté anthropocentrique qui inspirait les  anciennes battues de chasse,  lorsque par les cris  des rabatteurs, les aboiements des chiens, les barrissements des cors et les détonations des arquebuses on ramenait la civilisation dans les territoires hantés par les fauves et les esprits ».

La rédaction m’a suggéré de remplacer cette phrase par la suivante, à peine modifiée (juste un mot et des guillemets) : « J’y vois une version postmoderne des « bravades » provençales : au milieu de la fête, les hommes du village sortaient leurs fusils et tiraient en l’air, boum-boum-boum, juste parce que ça faisait plaisir à tout le monde. J’y vois la même fanfaronnade anthropocentrique qui inspirait les anciennes battues de chasse, lorsque par les cris des rabatteurs, les aboiements des chiens, les barrissements des cors et les détonations des arquebuses, on amenait la « civilisation » dans les territoires hantés par les fauves et les esprits… ».

Ça peut paraître dérisoire, mais derrière cette proposition on aperçoit une tendance, de plus en plus prononcée dans l’univers médiatique contemporain ainsi que dans le monde scientifique. C’est une forme de scientisme qui se voudrait progressiste (mais qui rappelle l’optimisme positiviste dans ses aspects les plus « coloniaux »), faisant coïncider la bonne cause avec la vérité : « Vous êtes dans l’erreur mais n’ayez pas peur : on va vous améliorer. Et pour vous améliorer il faut bien remettre en cause votre lecture du monde, bande de retrogrades machistes et fanfarons ». Sa caractéristique principale est de ne pas accepter la controverse. On procède par occultation. La fierté du chasseur est une ostentation priapique? On la rabat en la  rebaptisant. Cette censure silencieuse vaut dans bien d'autres domaines : les comportements anorexiques impliquent-ils une forme de chantage ? Il ne faut pas en parler, ça stigmatise une communauté … Complices au lit (assez souvent), tout laisse penser que les hommes et les femmes le soient  aussi en matière de  barbecue.  C’est un sujet trop complexe ...  on n’a pas assez d’espace …

 

C’est ainsi que l’acteur rural qui, fidèle à son passé pyrotechnique, décharge son fusil  contre la lune au lieu de se  conformer au bon sens écologiste, perd sa légitimité pour devenir un fanfaron. Et l’anthropologue solitaire*qui, sans la protection d’un réseau, interprète les mobiles de ce  chasseur non-moderne en refusant les clichés à la mode, le devient aussi**.

 

* Chargée de victimisme, la formule « anthropologue solitaire » que je viens de forger se prête à plusieurs lectures. D’un côté, elle fait penser au lonely cowboy, avec tout ce que cela implique de pathétique, de pittoresque et de kitsch. De l’autre, elle renvoie à l’image du ver solitaire : un intrus que la corporation de chercheurs qui gère actuellement le discours sur l’animal et sur  la vie sauvage (je ne donnerai pas de noms) aimerait bien expulser.

** Cela dit (un commentateur superficiel pourrait trouver que je suis contradictoire) j’ai en horreur les « pistoleros », qu’ils soient armés pour leur défense personnelle ou qu’ils aient choisi leur métier parce qu’ils aiment les armes et leur utilisation. Cela fait partie de mon « antifascisme » et cela explique ma tristesse face au retour de Rambo à la présidence des États-Unis.  Je prétends que les chasseurs ne font pas nécessairement partie de cette catégorie (même s’il y en a un certain nombre, n’en déplaise aux représentants des chasseurs qui, dans leur jésuitisme, préfèrent cacher cette évidence).

vendredi 8 novembre 2024

La chasse : une fanfaronnade ? (3) La fonction sacrée du pétard


 

Jules Breton, La Fête de la Saint-Jean, 1875, musée des Beaux-Arts de Philadelphie.

 

À quoi servent les feux d’artifice ? À l’origine, on le sait, ils servaient à éloigner les mauvais esprits. « Vous rôdez autour de nous avec vos intentions sinistres ? Alors, regardez ce que nous savons faire, nous les humains. Regardez bien, tremblez, et dégagez ! ». Les feux d’artifices tatouent, pour un instant,  le corps inaltéré de la nature*. Ils affichent dans le ciel la capacité poïétique de notre espèce**. En même temps, ils nous permettent d’exprimer notre joie d’être-là. Ils soulignent notre présence par un feu multicolore dans la nuit. La nuit, c'est connu, on aime allumer des feux.

Lorsqu’on n’a pas de pétards à portée de main et qu'on veut marquer la liesse collective par le bruit – un bruit qui nous console de la tristesse champêtre, intimide les fantômes et autres diablotins qui hantent les venelles mal éclairées - on sort son fusil et on tire, collégialement, vers le ciel. C’est ce que, dans le sud de la France, on appelait les « bravades ». (À suivre)

* « Ce n’est pas vrai », objectera l’établisseur de vérités scientifiques et morales qui surveille nos dérapages, « les feux d’artifice polluent, dérangent les animaux, coûtent plein d’argent qui pourrait être utilisé de façon bien plus raisonnable ». Peut-on lui donner tort ? La réponse est non (d’autant plus que notre désaccord le remplirait de tristesse).

** Poïétique : du grec ancien ποιητικός (« propre à fabriquer, à confectionner »).

mercredi 6 novembre 2024

La chasse : une fanfaronnade ? (2) Le chant des tronçonneuses

 

Paul Jean Flandrin (1811-1902) La solitude.

 

Je poursuis donc, avec un petit détour qui aura tout l’air d’une sortie de route, mon raisonnement sur les « fanfaronnades » des chasseurs. L’autre jour, en traversant le fond d’une vallée particulièrement sombre, on apercevait ici et là des petites maisons isolées, juste au bord de la route, tristes comme tout, écrasées par l'immensité de la montagne boisée qui les surmontait.

 

- Qui peut vivre dans ce trou ?

 

-  C’est vrai, pour supporter la vie dans ce trou il faudrait boire comme des trous. 

 

- C'est le soleil intérieur. 

 

Des maisons de cantonnier, peut-être, de garde-chasse, de forgeron, de meunier  … derrière ces choix d’ermite il y a forcément une raison pratique. Je pense à la notion médiévale de « désert » : « Lieu déserté par les humains », et à celle de mélancolie :  « Caractéristique dominante de quelque chose qui inspire de la tristesse ».

La nature sauvage est mélancolique. Et lorsque, perdu dans la verdure, on entend de loin le son d’une cloche, on est envahi par un sentiment de proximité, de restauration du lien social, de … « home sweet home ».

L’anthropologue Ernesto de Martino parlerait d’« appaesamento » : on aperçoit le clocher du village et le dépaysement s’arrête, on recommence à graviter autour d’un centre, on retrouve sa place dans un espace ordonné, un cosmos.   

Pour ceux qui viennent juste de découvrir qu’il faut aimer la nature, bien intentionnés et porteurs des certitudes de la mystique néo-rurale, cela peut paraître scandaleux. Mais dans le silence obstiné des forêts, même l’écho d’une tronçonneuse peut résonner comme le son rassurant d’une cloche qui nous relie à l’humain : pas très loin il y a quelqu’un, on ne se voit pas mais cela suffit,  on est là, on s’industrie … .

Et je reviens à la chasse. On dira que c'est indécent, mais un coup de fusil dans le silence automnal peut avoir le même effet sécurisant et apotropaïque qu’un tintement de cloche ou un bruit de tronçonneuse*. (à suivre)

 

* A fortiori en hiver, époque de l’année où les espaces boisés retrouvent leur autonomie et leurs habitants non-humains, visibles et invisibles, rétablissent leur souveraineté - Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’imaginaire folklorique. – Apotropaïque : « Se dit d'un objet, d'une formule servant à détourner vers quelqu'un d'autre les influences maléfiques ». (Larousse).

 

lundi 4 novembre 2024

La chasse : une fanfaronnade? (1) Retours joyeux

 


Karl LIESKE (Groß-Schönau bei Zittau, 1816 – München, 1878)
Retour de chasse au cerf en montagne

Le mot fanfaronnade employé dans le post précédent et la référence à un monde amélioré parcouru par des "Ennemis de Rabelais"*  moralement irréprochables m’incitent à prolonger mes considérations sur l’automne, la nature et l’art de la chasse.

 

Dans mon ouvrage « Faut qu’ça saigne », salué dans les revues de chasse par une réaction unanime**, j’insistais sur les manifestations de liesse qui, dans le passé, accompagnaient le retour des chasseurs. C’était le retour à la maison des hommes du village avec quelque chose de bon à manger, ce « surplus aléatoire » sortant du circuit économique et de la notion de travail au sens strict. Sur un plan symbolique, c’était aussi le retour des héros civilisateurs qui revenaient de leur incursion dans l’ailleurs, ce no man’s land inquiétant, réceptacle des entités (animales, humaines, surhumaines …) les plus angoissantes. Les chasseurs revenaient du monde « d’à côté » qui envoie périodiquement ses émissaires vers les enclos et les champs cultivés, un univers sombre et désordonné qui attend ses dompteurs, ses inspecteurs, ses exorcistes, bref, ses démiurges.  (À suivre).


*J'entends par-là les ennemis du corporel et du physiologique, disposition psychologique et morale finement décrite et analysée par Mikhaïl Bakhtine dans :  L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance – Gallimard, coll. Tel,  1982.

 ** C’est à dire par un silence presque funéraire.



vendredi 1 novembre 2024

L’automne et ses fruits

 

 

Giuseppe Arcimboldo, L'automne


C’est l’automne. Les journées sont radieuses. Il ne faudrait pas, je sais, mais je pense aux tableaux, si présents dans la tradition occidentale, qui célèbrent les joies de la chasse. Joies sensorielles et plaisirs d’ordre gastronomique partagés par l’ensemble de la communauté. L’automne est la saison des récoltes. Et la chasse en est une.  On ramasse les châtaignes, les champignons … les lièvres, les grives et les bécasses. C’est un cycle.

 

Pendant mes promenades je ne rencontre pas de chasseur. Pas un seul coup de fusil. J’ai une sorte de vision : je divague en pleine nature dans un monde amélioré.   À la place des chasseurs, dans la splendeur des couleurs automnales, je croise des individus moralement irréprochables qui ont tous le visage de Sandrine Rousseau. L’image est insoutenable*.

 

* Des énergumènes, dans les réseaux sociaux, souhaitent "raser la tête" de cette représentante dynamique de l’électorat français. Je déplore leurs fanfaronnades. C’est comme tirer sur Donald Trump. Ça ne fait qu’augmenter sa popularité.