vendredi 19 juillet 2024

Pour cause de vacances

 

 

Un Chinois. Combien il y en a -t-il en Chine ? 1,412milliard. Eh bien, depuis quelques jours, parmi les visiteurs de mon blog il y a un Chinois. Ce n’est pas encore le buzz, mais ça à de quoi rendre optimiste.

Avec ma ménagerie, nous avons décidé de prendre deux semaines de vacances. Nous espérons que le Chinois en question, à la rentrée, sera toujours là.

mercredi 17 juillet 2024

Comment réduire la sur-fréquentation touristique ? Les multiples de Trente


Est-ce une trouvaille pour réduire l’afflux de touristes dans une région à forte composante identitaire ? Toujours est-il que le coureur à pied strasbourgeois dont parle la presse du 15 juillet, aurait mieux fait d’aller courir dans les Pyrénées, où les ours sont d’une politesse notoire (bien gérés par les administrateurs locaux et mieux compris qu'en Italie du nord par une population plus empathique). À la différence d’Andrea Papi mort sur place en plein jogging sylvestre, le randonneur français a réussi à s’en sortir avec les jambes et les bras sérieusement abîmés. Le retour des ours, nous rappellent leurs défenseurs, aide à restaurer les équilibres naturels. Pour favoriser la cohabitation, ils proposent d’interdire aux promeneurs les territoires fréquentés par les plantigrades, qui pourront ainsi se propager sereinement dans des surfaces de plus en plus étendues*. Du point de vue écologique c’est clairement la bonne solution : davantage d’ours, moins de touristes et de bergers dans les espaces alpins, plus de Wilderness (et moins de « fascisme », si on prend au pied de la lettre le panneau que j’ai publiée dans le billet précédent).

* Tout en s’arrêtant gentiment à la frontière lorsqu’on leur demandera de respecter les accords.

lundi 15 juillet 2024

Le devenir de l’antispécisme


Manifestation à Trente après la suppression d'un ours "à problèmes"

 

 Tiens, me suis-je dit, j’ai passé des années à signaler les excès de l’antispécisme, les ambiguïtés de certaines fondations pour la défense des animaux, l’attitude presque religieuse des végétariens les plus intransigeants, et après, tout à coup, ma ferveur « savonarolienne  » s’est atténuée. À l’époque, je travaillais encore sur les espèces invasives et l’expansion de ces idéologies émergentes, de ces lectures alternatives de notre rapport à la réalité me paraissait irréversible - opportune dans une certaine mesure, mais inquiétante. Je crois avoir trouvé la raison de mon changement d’attitude. Ma perception de l’actualité a changé depuis que j’ai arrêté de consulter Twitter (ça s’appelait encore comme ça).  Sur Twitter je m’étais abonné à une brochette de sites dédiés à la nature et à la question animale. J’ai ainsi fini par faire coïncider le réel des relations que nous entretenons avec le « vivant » avec la réalité toute particulière des militants les plus engagés.   Depuis que j’ai arrêté avec Twitter le monde a pris une forme plus courante, avec ses carnivores décomplexés, des propagateurs de blagues salaces et/mais marrantes sorties des tréfonds de l’imaginaire collectif, des gens tout à fait normaux indifferents aux animaux et qui n’ont pas honte de le reconnaitre. Vue dans cette optique, la trajectoire de ces mouvements « fondamentalistes » qui me donnait le sentiment d’une dynamique colonisatrice portant atteinte à la biodiversité culturelle, me fait penser à l’évolution de certaines espèces invasives. On croyait qu’elles auraient saturé l’écosystème, elles finissent souvent  par se contenter d’une niche où elles prospèrent à côté des autres espèces, contribuant à l’harmonie collective (et à ses quelques dissonances).

vendredi 12 juillet 2024

Des loups, des pétards et le sentiment du sublime

Pétards (le fait qu’ils s’appellent « Lupo » est une curieuse coïncidence)

 19h. La lumière commence à faiblir. Nous cueillons des russules, il y en a partout. Elles nous attendaient, très probablement.

 - Y a-t-il des ours et des loups ici ?

Moment de silence.

- Eh ben … oui. Mais nous n’avons rien à craindre. L’ours, peut-être, mais statistiquement … il faudrait avoir vraiment de la malchance…

- Oh, moi, les statistiques ...

 Je continue à ramasser en me disant : « il n’y a rien à craindre,  mais on y pense quand même ».

En rentrant, je cherche dans la presse locale quelques informations sur les dernières apparitions du loup dans la zone et je découvre l’existence d’un type de loup plus gênant que les autres : c’est le loup confiant :

“Les comportements du loup confiant – précisent les spécialistes - sont les trois suivants : « Le loup est repéré pendant plusieurs jours à moins de 30 mètres des maisons habitées », « le loup permet à plusieurs reprises aux personnes de s'approcher à une distance inférieure à 30 mètres » ou semble s'intéresser aux gens. Face à ces comportements, les forestiers pourront désormais mettre en place des actions dissuasives. Celles-ci sont toutefois précisées par écrit dans le décret présidentiel et seront mises en œuvre au moyen de « sources sonores (pétards, tirs à blanc et dissuasifs automatiques pour la faune), de sources lumineuses (phares) ou par l'utilisation de balles en caoutchouc d'un calibre ne dépassant pas 12"”/

(https://www.iltquotidiano.it/articoli/dai-proiettili-di-gomma-ai-petardi-fugatti-autorizza-).

Pour être plus tranquille, dorénavant, je ne partirai aux champignons qu’après m’être procuré  un forestier et des pétards.

mardi 9 juillet 2024

Après le vote

 

 


Maurice, l’autre jour, faisait profil bas et évitait de croiser mon regard. Je ne suis pas sûr que le résultat des dernières élections l’ait rempli de joie.

samedi 6 juillet 2024

Appeler un chat un chat (et garder les distances)



Je lis dans un quotidien italien: « non resiste alla scomparsa della sua umana e si lascia morire” “ il ne résiste pas à la disparition de son humaine et se laisse mourir ». Au départ je ne comprends pas : qu’est-ce que ça veut dire « son humaine ? ». Mais, oui, c’est évident, on parle d’un chien ou d’un chat qui a perdu sa maîtresse. On dit « son humaine » pour ne pas dire « sa maitresse », qui sonne mal. Le raisonnement est sans faille : si moi j’ai le droit de dire « mon chat », pourquoi lui n’aurait-il pas le droit de dire « mon humain » ? On peut apprécier cette nouvelle manière de s’adresser aux animaux. Personnellement je la trouve hypocrite On cherche à abolir par le langage une distance objective, un rapport asymétrique ancré dans la nature des choses. « Les rapports de pouvoir n’ont rien de fatal », commentera  l'auteur de l'article *, sortons des schémas du patriarcat». D’accord, mais évitons aussi de dissimuler le caractère contraignant des frontières ontologiques. Quittons le patriarcat, mais aussi le paternalisme.

Je croise un chat. Il me regarde. J’ai envie de le vouvoyer.

* Que j’instrumentalise ici, lui prêtant des intentions qui ne sont peut-être pas les siennes. Dans son humanitarisme il va sans doute me pardonner.

mercredi 3 juillet 2024

Pour qui voter dimanche prochain ? Le point de vue d’un animal parmi tant d’autres


 

Je me souviens de l’époque où je commentais  avec effroi la victoire électorale de Donald Trump, ou celle de Matteo Salvini, le chef de file de la Ligue du Nord devenu plus tard ministre de l’intérieur du gouvernement italien.  Dans un vieil article qui s’appelle “« Je interdit ». Le regard presbyte de l’ethnologue”*, j’ai expliqué pourquoi, dans la recherche en sciences humaines et sociales,  le locuteur a le devoir de se positionner. Ce n’est pas du narcissisme. Cela permet à  l’interlocuteur de connaître l’orientation (psychologique, morale, idéologique …), de la personne qui lui parle et de mieux comprendre le sens de ce qu'elle dit. C’est une bonne règle dans plusieurs champs de la communication. Donc, même si je ne suis pas concerné personnellement (je vote en Italie), j’aime bien me positionner : je prétends être de gauche sans être pour autant populiste, les deux choses n’allant pas forcément ensemble**. C’est à partir de ma sensibilité de gauche que périodiquement, sur ce blog,  je me permets d’attirer l’attention sur l’intolérance, l’intégrisme, parfois même l’agressivité, de certains représentants  de la gauche actuelle. Je ne passe pas mon temps à critiquer l’extrême droite,  cela me paraît implicite et superflu.  Il me semble plus utile de signaler le danger constitué par ceux et celles qui, au nom des valeurs que je défends depuis des décennies, cherchent à brider les libres penseurs. Je les considère particulièrement nocifs/nocives parce que,  par leur sectarisme et leur penchant pour le politiquement correct, ils/elles poussent des démocrates sincères, anciens militants, activistes …   à ne plus se reconnaître  dans la gauche et, parfois, à retrouver leurs affinités  ailleurs, ce qui n’est pas mon cas ***.

Cela dit, à un moment où prendre position devient important, je n’ai aucune hésitation : je voterais pour le Nouveau Front Populaire. Je trouve  immoral et opportuniste que l’on prétende mettre sur un  même plan l’extrême droite et  la gauche. Je trouve  tout aussi inadmissible que l’on prétende mettre sur un  même plan l’extrême droite et l’extrême gauche, même si certains  représentants de LFI, d'après moi,  trouveraient bien leur place de l’autre côté***.

Ils est à la mode, aujourd'hui, de décréter la fin de l'opposition droite/gauche, mais les deux ethos ne se ressemblent pas.  Les conceptions de l’humain, de ce qui fait notre dignité, sont tout aussi éloignées. Ne serait-ce que par rapport à la liberté d’opinion et d’information, à la défense de la culture et de l’environnement****, de la  création artistique, des droits civiques, de la paix sociale,  l’extrême droite au pouvoir aurait des effets ravageurs.

J'ai un peu honte du ton solennel de ce billet, alors que sur ce blog je passe mon temps à faire le pitre.  Mais je suis inquiet.

*« Je interdit ». Le regard presbyte de l’ethnologue, in (Georges Ravis-Giordani éd.), Ethnologie(s). Paris, CTHS, 2009 p. 18-40 

** Mussolini au départ était socialiste, je sais, mais ce n'est pas un  bon exemple.

*** Il faudrait leur dire, ils se sentiraient plus à l'aise.

**** Culture au sens anthropologique du terme, la vision « patrimonialiste » du RN  ramenant la notion de culture à l’époque du pittoresque et de l’Académie Celtique. Grandiose institution, l’Académie Celtique, mais aux débuts du XIXème siècle.


lundi 1 juillet 2024

Pour qui ont voté les chasseurs ? J’ai un doute*

 

 Couverture de la revue Venatoria (Cynégétique), organe officiel de la Fédération nationale fasciste des chasseurs italiens.

Deux ethnologues  ont joué un rôle important au tout début de mon évolution professionnelle  : Pietro Clemente, à Sienne, qui m’a introduit au « folklore progressif » (réhabilitant les savoirs vernaculaires et la créativité populaire) et  à la pensée d'Antonio Gramsci. Ses cours de  Littérature des traditions populaires  nous faisaient saisir la noblesse morale des études sur les « vaincus ». Ils nous donnaient envie de devenir des « intellectuels organiques »** et de travailler en synergie avec les « classes subalternes »  pour lutter contre la « culture hégémonique » et contribuer ainsi à l’ émancipation des « damnés de la terre »***.  Christian Bromberger, à Aix-en-Provence, a suivi et encouragé mes recherches sur la chasse, acceptant de diriger une thèse dans un domaine qui pouvait paraître ringard mais dont il avait saisi tout l’intérêt anthropologique. C’était rare à l’époque.  Tout au long de ma carrière, j’ai poursuivi avec passion mes enquêtes dans cet univers en déclin qui, en dépit de sa perte de légitimité,  reste un lieu d’observations stratégique pour la compréhension des rapports entretenus par  notre civilisation avec le monde de la nature – des rapports qui ont duré assez longtemps pour structurer en profondeur nos perceptions, notre imaginaire, nos  repères symboliques.

Le résultat des dernières élections françaises (et italiennes), me fait penser que le projet gramscien a en quelque sorte réussi, mais en prenant une direction inattendue.  Perdant sa subalternité,  la culture de  la « majorité silencieuse », snobée et mal comprise par les élites, s’est finalement imposée. Fatigués par les élucubrations  des représentants de la culture officielle jugées comme  « fumeuses » et  « déconnectées du réel », onze millions d’électeurs français viennent de voter pour l’extrême droite. Ils n’ont plus besoin d’« idiots utiles » comme moi (l’ont-ils jamais eu, d’ailleurs ?). Leurs « intellectuels organiques » sont bien là : ils s’appellent Marine Le Pen et Jordan Bardella. J’attends de découvrir leurs collaborateurs****.

* J’ai des soupçons, mais le gouvernement actuel, à vrai, dire, a pris plusieurs initiatives en faveur des chasseurs. Voter pour l'extrême droite  serait presque le trahir.

** C’est une formule d’Antonio Gramsci, justement.

*** Cette définition, en revanche, on la doit à Franz Fanon.

**** J’anticipais ces remarques dans mon article « Les confessions d’un traître.» De l’indécence du regard ethnologique et de la manière de s’en sortir ». In (P. Alphandery, S. Bobbé dir.),  Postures et cheminements du chercheur, Communications n. 94, p. 91-107.

samedi 29 juin 2024

Éco-touristes et autres pisteurs de parking

 

 

Pour croiser Callum on n’avait pas besoin de se rendre dans le saltus, cet espace intermédiaire entre le domestique et le sauvage propice aux rencontres interspécifiques. Il suffisait de garer sa voiture sur le parking de Torridon, dans les Highlands (Écosse). Le cerf était là, prêt à seconder toutes sortes de selfies. On lui offrait des Rice Krispies, des fruits et des barres de céréales qu’il acceptait de bon gré. Ses dents ont pourri et sont tombées l’empêchant de prolonger son régime herbivore. Il a fallu l’euthanasier.

jeudi 27 juin 2024

Pour qui votent les propriétaires de dobermans ?

 


Arrêtons avec les  préjugés, tous les dobermans ne sont pas d'extrême droite. Leurs propriétaires non plus.

En Italie ce n'est pas comme en France. Certains électeurs de  Madame Meloni  se réclament ouvertement du fascisme, ce fascisme authentique, originaire, à la bonne franquette, qui pendant vingt ans a satisfait la  plupart des patriotes péninsulaires.

On réhabilite le fascisme en disant qu’il y a des gentils et des méchants un peu partout, ce qui n’est pas complètement faux.

Mon sentiment -  je le rappelle de temps en temps – est que le fascisme, avant d'être une idéologie, est un tempérament (que l'on peut  retrouver chez les membres de n'importe quelle formation politique mais à des doses variables*). Et je propose la définition suivante : le fasciste est celui qui cherche à imposer  son point de vue  par l'usage de la force**. Lorsque la majorité des électeurs partage le point de vue du fasciste,  cet usage devient superflu. On parlera alors de choix démocratique***.
 
* Certaines traditions politiques se montrant plus attrayantes  que d'autres pour les individus présentant ces traits de caractère et cette mentalité.
** Ou de la ruse, de la désinformation, du chantage ... Autre définition : le fasciste est celui qui n'a pas de doutes  sur l'excellence de sa vision des choses et prétend l'imposer à tout le monde. On appréciera, j'espère, l'œcuménisme de cette formule : libéré de son ancrage historique  ("Ne faisons pas d'amalgames, dit le post-fasciste, le vrai fascisme correspond à une époque précise et révolue ...") l'adjectif "fasciste" récupère sa fonctionnalité, celle d'une représentation sociale (au sens technique du terme) qui nous permet de nous entendre autour d'une idée complexe,  aux nuances variables, dont nous partageons le noyau dur (et qui peut s'exprimer par des propos du genre :  "Arrête de te comporter comme un.e fasciste!").  
*** Ai-je le droit d'ironiser? Je sais bien que  le vote pour l'extrême droite, aujourd'hui,  n'a rien de "caractériel". Ça répond à un véritable malaise sociétal et figure pour certains comme un dernier recours. C'est l'appel désespéré, après avoir tout tenté, à un  deus ex machina  censé sauver les victimes d'une gestion calamiteuse de la vie publique qui a duré trop longtemps. La correspondance de certains tempéraments avec certaines manières de pratiquer la politique (et de choisir son chien, pour continuer avec ce parallélisme caricatural) ne cesse toutefois de m'interpeller. J'ajouterai une dernière remarque : la partie de la population française qui vote pour l'extrême droite par désespoir ne doit pas nous faire oublier l'autre partie, qui le fait  parce qu'elle est intrinsèquement, structurellement ... je peux éviter de dire "fasciste", si on trouve que ce terme n'est pas assez précis. Les synonymes ne manquent pas.

mardi 25 juin 2024

Cauchemar préélectoral


Je voulais rédiger, tant qu'il est encore temps,  un billet intitulé « Tradition rurale,  pesticides et biodiversité ». Pendant un instant, je me suis projeté dans le futur et j’ai imaginé un fonctionnaire du nouveau gouvernement français (plus patriotique  que le précédent),  m’invitant à arrêter mes plaisanteries au nom de l’intérêt national : « C'en est fini, les messieurs je-sais-tout, d'entraver le développent économique et moral du Pays avec vos balivernes radical-chic. On va vous remettre sur le rail ».

C'est dire si je suis paranoïaque*.

* D'autant plus que mon blog n'intéresse pas grand monde, ce qui me laisse  libre de gesticuler tant que je veux.  Et il est vrai que les responsables du Rassemblement national ne sont plus ceux qui à Marignane, en 1996, ont mis un terme à l'abonnement de la bibliothèque municipale au quotidien Libération, remplacé par Présent et Rivarol cf. https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/12/20/la-bibliotheque-de-marignane-prefere-present a-liberation_3744558_1819218.html

 

dimanche 23 juin 2024

Les prévisions de Maurice

 


Le 9 juin Maurice a frappé à la fenêtre vers onze heures du soir. Il était très excité. J’ai capté quelques mots décousus : « 40% », «opportunité historique » « patriotes », « décomplexés ». Il est vite reparti. Il étai déjà loin dans le ciel lorsque j'ai entendu une dernière phrase. Je n’ai pas bien compris s'il disait « Ils reviennent » ou « On revient ». Quelqu'un lui a répondu : « Ils ont toujours été là ».

vendredi 21 juin 2024

Des friches partout? Le réensauvagement de la planète et ses implications

N'hésitez pas à participer à la prochaine séance (la dernière pour cette année universitaire)  du séminaire : Ruralités contemporaines en question (s).

 

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES (Paris)

 

Pierre Alphandéry, chercheur honoraire INRAE

Christophe Baticle, MCF, Univ. Aix-Marseille LPED / Habiter le Monde

Sophie Bobbé, chercheure associée au laboratoire LAP – EHESS

Sergio Dalla Bernardina, professeur émérite, Univ. Bretagne Occid (LAP-EHESS)

Maxime Vanhoenacker, chercheur CNRS (LAP), référent pour cette UE

 

Lundi 24 juin 2024, 11h-13h

 

Salle AS1-24 - 54 bd Raspail 75006 Paris

En présentiel et en visio :

 

https://bbb.ehess.fr/b/sop-isd-pab-gfr

 

Le Réensauvagement et les marges rurales européennes.

Récits idylliques, résistances et frictions du réel

 

Régis BARRAUD

Géographe, Professeur des universités, Université de Poitiers, laboratoire UR MIMMOC

 

Présentation : Sergio Dalla Bernardina

 

Le rewilding (ci-après RW), que l’on traduira ici par « réensauvagement » en langue française, est devenu un attracteur puissant dans les champs de la conservation de la nature, des médias, de la production scientifique et artistique. Formalisée au début des années 1990, l’idée du RW est née aux Etats-Unis à la lisière de l’environnementalisme radical et de la biologie de la conservation.

Il s’agit d’un processus intentionnel qui s’inscrit dans une stratégie de conservation de la nature et de restauration écologique à grande échelle, valorisant l’autonomie des milieux (Barraud, 2020a). Les initiatives de RW en Europe sont portées par des ONGs environnementales, des propriétaires privés, ou encore des fondations. Ce mouvement est de plus en plus médiatisé et le RW s’impose comme une solution technique crédible pour un nombre croissant de praticiens de la conservation, y compris au sein d’aires protégées.

Ce faisant, le RW tend à devenir un mot magique et, s’affranchissant de son origine radicale initiale, il semble promis à rejoindre les vastes répertoires du mainstream  et des mots-valises. Porteur d’espoir, il vise à réenchanter les discours de la conservation de la nature et à susciter un enthousiasme nouveau dans un contexte de grand péril écologique planétaire. D’une certaine manière, le RW alimente des récits solutionnistes qui répondent à celui de l’Anthropocène. Cependant, la belle histoire d’un monde plus sauvage et plus humain s’affranchit, selon nous, d’aspérités et de frictions que nous souhaitons mieux appréhender. Si le RW est relativement ubiquiste, ses effets sur les espaces périphériques et fragiles doivent être évalués. Cette proposition s’inscrit dans le champ des humanités environnementales et de l’approche Political Ecology. Premièrement, il s’agira d’identifier les types de RW en cours de déploiement à l’échelle européenne tout en mettant en évidence les caractéristiques spatiales de ce processus. Deuxièmement, des études de cas permettront d’illustrer cette typologie et d’ouvrir la discussion sur les formes d’ancrages sociopolitiques des initiatives de RW étudiées.

 

mercredi 19 juin 2024

Guy de Maupassant et le plaisir de tuer 2) Un froid de canard

 


Voici donc la scène finale du récit que j'ai évoqué dans la billet précédent. Maupassant y décrit le moment où, engourdi par un froid polaire, il procède avec son cousin à l’abattage de deux canards sauvages :

« Le jour s’était levé, un jour clair et bleu ; le soleil apparaissait au fond de la vallée et nous songions à repartir, quand deux oiseaux, le col droit et les ailes tendues, glissèrent brusquement sur nos têtes. Je tirai. Un d’eux tomba presque à mes pieds. C’était une sarcelle au ventre d’argent. Alors, dans l’espace au-dessus de moi, une voix, une voix d’oiseau cria. Ce fut une plainte courte, répétée, déchirante ; et la bête, la petite bête épargnée se mit à tourner dans le bleu du ciel au-dessus de nous en regardant sa compagne morte que je tenais entre mes mains.

Karl, à genoux, le fusil à l’épaule, l’œil ardent, la guettait, attendant qu’elle fût assez proche.

— Tu as tué la femelle, dit-il, le mâle ne s’en ira pas.

Certes, il ne s’en allait point ; il tournoyait toujours, et pleurait autour de nous. Jamais gémissement de souffrance ne me déchira le cœur comme l’appel désolé, comme le reproche lamentable de ce pauvre animal perdu dans l’espace.

Parfois, il s’enfuyait sous la menace du fusil qui suivait son vol ; il semblait prêt à continuer sa route, tout seul à travers le ciel. Mais ne s’y pouvant décider il revenait bientôt pour chercher sa femelle.

— Laisse-la par terre, me dit Karl, il approchera tout à l’heure.

Il approchait, en effet, insouciant du danger, affolé par son amour de bête, pour l’autre bête que j’avais tuée.

Karl tira ; ce fut comme si on avait coupé la corde qui tenait suspendu l’oiseau. Je vis une chose noire qui tombait ; j’entendis dans les roseaux le bruit d’une chute. Et Pierrot me le rapporta.

Je les mis, froids déjà, dans le même carnier... et je repartis, ce jour-là, pour Paris »*.

 

On peut être étonné par le caractère schizophrène de cette narration. L’auteur nous montre à quel point il est conscient de la profonde « humanité » de ce couple d’oiseaux et, en même temps, de l’atrocité de son geste. Cependant, il ne conclut pas comme on pourrait l'imaginer, par une phrase du genre  : « Depuis ce jour, j’ai accroché mon fusil au mur ». Avec une lucidité glauque de fossoyeur, il se limite à constater, de façon lapidaire, que les deux corps qui vont se rejoindre  dans le carnier sont déjà froids.

En parlant de son ambivalence, qu’il observe de l’extérieur tout aussi ébahi que son lecteur, Maupassant parle de la complexité de la nature humaine en général.

 

* Guy de Maupassant : Amour. Texte publié dans Gil Blas du 7 décembre 1886, puis publié dans le recueil Le Horla (pp. 69-84). 

lundi 17 juin 2024

Guy de Maupassant et le plaisir de tuer. 1) Primitivismes

 


 

Il m’arrive parfois de citer un passage de Maupassant où il avoue son attrait pour les aspects sanglants de l’acte de chasse : « Je suis né avec tous les instincts et les sens de l’homme primitif, tempérés par des raisonnements et des émotions de civilisé » écrit-il, témoignant ainsi de la même  fascination pour le monde des origines que l’on retrouve chez Lawrence, London ou Conrad. Et juste après : « J’aime la chasse avec passion ; et la bête saignante, le sang sur les plumes, le sang sur mes mains, me crispent le cœur à le faire défaillir ». J’ai l’habitude de présenter ce propos comme une sorte de coming out à une époque où ce genre de dispositions commençait à rentrer dans l’ordre de l’indicible*. J’ai toujours omis d'évoquer, parce que ça ne servait pas à ma démonstration, le reste du récit que je commenterai dans le prochain billet.

 

*Cf.  L’utopie de la nature. Chasseurs, Écologistes, Touristes, Paris, Imago, 1996, p. 25 et suiv.

samedi 15 juin 2024

Tricksters, médiateurs, animaux qui surgissent etc. Autour de quelques vieilles idées auxquelles je tiens

 


Dans l’introduction à mon ouvrage La langue des bois. L’appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi, Paris, Éditions du MNHN, 2020 (qui maintenant, je le rappelle, est en libre accès : https://books.openedition.org/mnhn/7745), j’ai résumé une partie de mes idées en matière d’anthropologie de la chasse et de la nature.  J’ai cherché à ne pas trop insister sur celles que j’ai exprimées dans L’Utopie de la nature. Chasseurs, écologistes, touristes (Paris, Imago, 1996) et, dans un cadre plus ethnographique, dans des articles en français publiés au début de mes recherches. Je les avais rassemblés dans l’ouvrage : Il miraggio animale : per un’antropologia della caccia nella società contemporanea (Roma, Bulzoni, 1996, troisième édition élargie, 1997).

L’autre jour je suis tombé sur cette vieille publication et je me suis aperçu que dans sa présentation je faisais déjà référence aux questions qui animent le débat contemporain, à commencer par celle de l’écologisme vrai ou présumé du chasseur « traditionnel ». Je me suis alors demandé quelles sont les autres idées, développées dans mes premiers travaux, auxquelles je tiens particulièrement. Trois ou quatre d’entre elles  me sont venues immédiatement à l’esprit. La première concerne la structure du témoignage cynégétique. En comparant entre eux les récits d’avant la prise de conscience écologiste j’ai constaté l’existence d’une scénographie  de longue durée issue de l’univers chevaleresque, et plus tard romantique, jouant sur une double rhétorique : la chasse comme noble confrontation (le chasseur duelliste et guerrier), la chasse comme poursuite d’un objet de désir (le chasseur amoureux). Sur un autre registre, je tiens beaucoup  à mon recours à la figure du Trickster pour définir la psychologie et le rôle des accompagnateurs autochtones, ces guides, ces médiateurs qui facilitent le contact du chasseur urbain avec la nature dite sauvage.* J’ai été particulièrement content du  chapitre de L’Utopie de la nature « Les délices du safari-photo » (et du paragraphe « Très anglais, très raffiné, très “Good Morning Sir”»), où je montre l’importance des antécédents illustres et des modèles littéraires, dans la passion des contemporains pour le tourisme culturel et pour le safari-photo. Dans l’Utopie de la nature j’insiste également sur la rencontre de l’animal en tant qu'apparition (cf. le paragraphe « L’apparition de la proie, (p. 117 et suiv.)** et, plus largement, sur le caractère fictionnel de la nature sauvage et de la manière dont le chasseur construit le caractère « désertique » des espaces qu’il investit dans ses divagations sylvestres. Je cite à ce propos la notion de « désert » telle qu’elle a été analysée par les médiévistes. Cette même idée est au cœur  de l’ouvrage collectif  Terres incertaines. Pour une ethnologie des espaces oubliés, PUR, 2014». Dans l’introduction j’avance l’hypothèse que l’opacité statutaire des espaces marginaux, loin d’être la conséquence d’un manque d’information, est une ambiguïté délibérément entretenue.

Cela vaut aussi pour d'autres domaines du réel dont l'opacité nous arrange.

 

* Ce rapprochement revient très souvent dans mes travaux, comme par exemple dans l’article « Une place dans la nature . Boiteux, borgnes et autres médiateurs avec le monde sauvage » Communications,  Nouvelles figures du sauvage, 2004 n. 76 pp. 59-82

** J’ai repris cette analyse, en l'appliquant à l’engouement actuel pour la rencontre avec l’animal, dans Faut qu’ça saigne. Écologie, religion, sacrifice, éd. Dépaysage, 2020 (cf. le paragraphe « L’homme (ou la femme), qui a vu le loup », p. 73 et suiv. 

 

 

 

jeudi 13 juin 2024

Heureusement qu'il y a les loups (pour continuer la chasse par animal interposé)


 Le Parmesan (1503-1540) : Le mythe de Diane et Actéon

La conférence présentée il y a quelques semaines   dans le cadre du Forum Universitaire de l'Ouest Parisien  organisé par la Bibliothèque de Boulogne-Billancourt a été reprise par la chaine Canal U et est accessible au  lien suivant : https://www.canal-u.tv/chaines/fudop/et-si-les-grands-predateurs-commencaient-a-nous-fatiguer-le-declin-de-la-chasse-comme

Elle est consacrée au déclin de la chasse et aux métamorphoses. Pourvoyeur d'un spectacle sanglant apprécié et offert au grand public par des générations de peintres et d'écrivains,  le chasseur change de statut.  Ce n'est pas la première fois :  Actéon, regardant Artémis de trop près, fut transformé en cerf et devint ainsi la proie de ses chiens. Le chasseur contemporain se limite à disparaître. Il est remplacé par le loup, qui continue à nous assurer le plaisir d’assister à des « immolations » - pour dire les choses de façon imagée -  sans besoin de nous salir les mains .*

 

*En réécoutant la conférence, je découvre que, pris dans la spirale des métamorphoses, à un certain moment,  j'ai transformé Artémis en Vénus (alors que Vénus, par rapport à Artémis,  aurait réagi différemment). J’espère qu’elles me pardonneront ce fâcheux  quiproquo.

mardi 11 juin 2024

Théologie et éthologie. Autour d'une anagramme.

 

Augustin, saint patron des théologiens,  dans son cabinet de travail

(Botticelli, vers 1480).

Dans une réaction récente à mon blog je suis tombé sur le terme néuro-éthologiste. Dans un premier temps, par distraction,  j’ai lu « néuro-théologiste » et je me suis dit : « Tiens, c’est une drôle de spécialité ! ».

Ça doit venir de mes origines italiennes : etologo  (le spécialiste  du comportement animal) est l’anagramme de teologo (le spécialiste des prérogatives divines). 

Mais ça vient aussi de ma tendance à voir dans la controverse contemporaine sur le statut des animaux la multiplication des  confessions et des chapelles, avec leurs prêtres et leurs gourous. On ne se chamaille plus au nom de la religion, on le fait au  nom de la science.

L’éthologie, par une sorte d’évolution darwinienne, est en train de remplacer la théologie.*

 

* Je demande pardon aux éthologues, pour qui j'ai la plus grande considération. Ce n'est pas leur discipline que je me permets de critiquer, mais son détournement à de fins idéologiques.

dimanche 9 juin 2024

L'œil du gallinacé

 

 

Poule. Merci pour cette photo inspiratrice

Les poules, ces énigmes à deux pattes. On les regarde dans les yeux et on comprend  tout de suite qu’elles partagent avec nous la même stupidité *

 

*  Ce que je dis est parfaitement infondé, je le sais, d'autant plus que l'on vient de m'apprendre plein de choses  inattendues sur la variété des profils psychologiques des poules  et sur le caractère complexe de leur vie sociale. N’étant pas éleveur ni éthologue, je me permets de fantasmer (de façon raciste, pourrait-on objecter), autour de l'unité du vivant et de ses conséquences. Chez les humains,  il y a des composantes que l'on retrouve également  chez le loup, le cerf,  l'aigle, le lion ...  ce qui favorise la compréhension interspécifique et nous permet de concevoir des blasons très avantageux. Mais si nous avons quelque chose en commun avec l'aigle et le lion, nous avons des affinités aussi avec la poule et le  canard. Dans ma première enfance, d'ailleurs, je m'identifiais à Donald Duck.

vendredi 7 juin 2024

Le statut du chat (et du kentia)

 


 

J’aime beaucoup mon kentia. On cohabite depuis trente ans.  Il anoblit ma pièce et lui donne un ton exotique,   avec ses branches de palmier qui n’ont rien à voir avec mes racines alpestres. Je le contemple avec admiration, dans son ancienneté bien réussie, comme s’il était une  sorte de stradivarius. J’aime aussi le chat qui circule depuis quelque temps dans la maison. Mais il est bien plus récent.  Il s’avère que ce chat a pris l’habitude de mordiller les feuilles du kentia. Il sait qu’il ne devrait pas, je lui en ai parlé à plusieurs reprises, mais j’ai beau le menacer,  il récidive.  Je l’ai surpris tout à l’heure en plein  repas végétarien*. Il m’a regardé d’un air indifférent comme pour dire : « Eh ben oui, c’est comme ça ».

Alors je lui ai dit : « Écoute, je ne sais pas si tu es au courant, mais notre conception du vivant est en train d’évoluer. Les végétaux, désormais, valent autant que les animaux. Si tu continues comme ça, je vais te taxidermiser ».

Je pense qu’il a compris.

 

* L’herbe à chat ne lui convient pas, il la trouve une pitance  de petit-bourgeois.

mercredi 5 juin 2024

Maurice au présent

 

On m’a demandé ce que devient Maurice.

Maurice est toujours là, je crois. Il me regarde de loin, dans une sorte de décalage spatial et chronologique, comme si j’étais une vieille diapositive.