mercredi 27 février 2019

Les cent vies du loup






« Meglio vivere un giorno da leone che cento anni da pecora »  (Mieux vaut vivre un jour comme un  lion que cent ans comme un  mouton), proclamait Benito Mussolini*. Le Duce, manifestement, préférait les prédateurs aux proies. Aujourd’hui on pourrait traduire cette formule par le dicton : « Mieux vaut la vie d’un louveteau que celle de cent agneaux ». Les idéologies changent, la tendance à  hiérarchiser les vies des uns et des autres, pas forcément.



* Reprenant ainsi une formule à la mode dans les tranchées  pendant la guerre de 14-18

lundi 25 février 2019

Agir comme des ingrats




 
Jeune berger bodaado (Cliché de Yassine Kervella-Mansaré)


« [Chez les Peul] les vaches ont chacune un nom. Leur généalogie est parfaitement connue, autant qu’elle peut l’être sur une échelle de temps analogue à celle de la famille. Celles qu’on agrège autour d’elles, quand elles ont été acquises par achats ou échanges n’ont évidemment pas le même statut. S’il est nécessaire de le faire, un éleveur Peul peut se séparer de ces dernières, mais jamais – sauf situation de misère extrême – de celles dont la valeur symbolique à ses yeux excède largement la valeur marchande. Sinon il agirait à la façon d’un ingrat ou d’un inconscient pour qui le travail accompli par ses aïeux ne compterait pas. Il trahirait leur mémoire ». Yassine Kervella-Mansaré,  « Le Peul au miroir de sa vache » article à paraître dans une publication en ligne du CTHS dont je donnerai bientôt le titre.


Et chez nous ? Sommes-nous propriétaires de ce que nous héritons ? Tout dépend du sens que nous donnons au passé. Pour certains l’héritage n’est qu’un prêt. S'ils reçoivent quelque chose c'est pour la transmettre, pour que l’aventure continue. D’autres en revanche se considèrent comme le terminus. L’histoire s’arrête avec eux.  Pas d’ancêtres à honorer, pas de mémoire à préserver. « Après moi le déluge. Je déguste, je flambe, j'ai trouvé tout ça fort bon, merci beaucoup et au revoir ». D'où viennent ces entorses  téméraires  à la règle du don et du contre-don? De la Modernité? De l'Individualisme occidental? C'est psychologique? C'est social? C'est génétique? Va savoir.

samedi 23 février 2019

Traumatismes de guerre (aux innocents) (3) : mort non-accidentelle d’une araignée de mer.






L’araignée de mer est moins intelligente que les poulpes, je crois. Et elle se prête encore moins à l’identification (je me sens plus proche d’un poulpe que d’une araignée de mer). Il n’empêche qu’elle arrive aussi, par des petits gestes expressifs, à troubler la fête de son futur mangeur.  On aimerait bien que, plongée dans l’eau bouillante, elle rejoigne soudain le monde des non-vivants. La réalité est plus prosaïque : l’araignée gesticule et cherche à s’échapper. Il y a quelque temps, pour ne pas assister à la scène, j’ai baissé le feu et couvert la casserole. Quelques secondes plus tard le couvercle a bougé et une patte est sortie. Elle semblait dire  « non ! », « stop ! », « j'abandonne !». Elle semblait dire  « bye-bye ».  Glaçant.

jeudi 21 février 2019

Mangez moral, mangez crétin


L’article d’Anna Mannucci que je viens de lire (https://www.corriere.it/animali/18_dicembre_06/intelligenza-polpo-seppie-giganti-05dd15f6-f92d-11e8-ae58-9c21af36aa5f.shtml) trouble ma conscience de mangeur d’animaux. Je découvre en fait que le poulpe est particulièrement intelligent*

Je me suis posé deux questions :
1) aurais-je épargné le poulpe marseillais si j’étais au courant de ses facultés intellectuelles ? 
2) dois-je donc me résigner à ne manger que des animaux stupides ?   

* Je le savais déjà, en fait, mais je cherchais à l’ignorer.

mardi 19 février 2019

Traumatismes de guerre (aux innocents) (2) : la mort du poulpe


 

Planche issue de l’ouvrage : Histoire naturelle générale et particulière des céphalopodes acétabulifères vivants, et fossiles…/ 1835-1848



C’était à Marseille, au  vieux port. Les poissons venaient d’être déchargés des bateaux et frétillaient sur les bancs. « Regardez : tout vivant, tout vivant ! ». Les gens achetaient leur merluchon  et repartaient tranquilles. Dans le sac en plastique les merluchons avaient le temps d’effectuer leurs dernières convulsions. Moi, ce jour-là,  j’avais acheté un poulpe. Il bougeait pas mal lui aussi. Je l’ai laissé dans le frigo pendant un instant et, lorsque je suis revenu, il avait disparu. Pendant la recherche  j’ai cru apercevoir deux jeux qui me fixaient.  Derrière les yeux se trouvait  le poulpe. Il avait pris  la même couleur que le frigo. Je l’ai attrapé, je l’ai tué*, je l’ai vidé, je l’ai lavé et je l’ai mis dans l’eau bouillante.

Au fur et à mesure que sa peau devenait rouge mon sentiment de culpabilité s’atténuait.  



* Je pourrais utiliser un euphémisme, ou dire qu’il était déjà presque mort. En fait, je l’ai bien tué.

dimanche 17 février 2019

Traumatismes de guerre (aux innocents) (1)





Le trophée de chasse permet à la fois de célébrer un triomphe et d’honorer le vaincu. On prend et on restitue à la fois.*  Le récit de chasse remplit la même fonction : d’un côté il décrit une victoire sur l’animal, de l’autre il justifie sa mise à mort. Trophée et récit permettent de savourer à volonté « ce moment-là », le moment  où on a tué. Ils donnent à l'événement une raison, une perspective.  Si le chasseur revient sur la scène du meurtre c’est pour partager sa joie mais aussi pour mettre de l’ordre,  purifier, momifier. Moi aussi l’autre jour, en décrivant la suppression d’une bestiole  qui rongeait mes livres j’ai reproduit le même modèle. N’y avait-il pas du plaisir sadique dans la description du corps de l'insecte qui éclate comme une baie sous la pression de mes doigts? C’est difficile à nier. Mais si j’ai gardé à l’esprit cet épisode somme toute ordinaire (j’ai tué d’autres insectes dans ma vie) c’est aussi peut-être qu’il m’a troublé. Quelque chose  dans la procédure n’a pas marché. Et pour exorciser le détail obscène j’ai eu besoin de le représenter.  Loin de s’opposer, les mobiles sadique et cathartique  ont tendance à cohabiter.  J’y reviendrai.

* On prend, on prétend restituer.

jeudi 14 février 2019

Des hermines partout




Des traces dans la neige. Une hermine de mer, vraisemblablement. 



Sur les traces et leur interprétation forcément conjecturale (le chercheur en Sherlock Holmes),  je renvoie au bel ouvrage de Carlo Ginzburg :  Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire,  Verdier/poche, 2010

mardi 12 février 2019

Esprit tutélaires (mais jusqu’à un certain point)



Hermine de terre

Chez les Inuits, « Le plus redouté de tous les esprits tutélaires était l’hermine de mer. Elle ressemblait  à l’hermine continentale mais elle était plus svelte, plus souple, plus rapide. Elle bondissait si inopinément hors de l’eau, qu’il était impossible de lui résister. Elle se faufilait dans la manche du batelier et, courant le long de son corps, elle l’emplissait d’un tel effroi, qu’il en perdait presque le sens ».
Je crois bien avoir croisé quelques hermines de mer, dans ma vie. Mais j’ai eu tellement peur que j’ai oublié.
Knud Rasmussen, Du Groenland au Pacifique (Récit de la Cinquième Expédition Thule, 1921-24),  Paris, éditions du CTHS, 1994, p. 127-128

dimanche 10 février 2019

Après la viande in vitro, les lapins sans tête



Blemmy

- Je voudrais un lapin.  Coupé en petits morceaux, si vous pouvez, ça s’imprègne mieux.
- Vous gardez le foie ?

- Certes

- Et la tête ?

- Non, la tête non. J’aimerais bien mais après … à la maison. Ça rappelle trop l’animal. Et pourtant je sais bien, la langue est délicieuse, et  même la cervelle.

- Eh oui, c’est ... comme on dit … c’est psychologique.

- Oui, c’est psychologique.

Bref, à quand les lapins sans tête ?

vendredi 8 février 2019

Toujours sur la mort du poisson d’argent




 

Une fois décidé que le poisson d’argent devait mourir, il fallait choisir une stratégie.
Vais-je l’empoisonner ? Ce ne serait pas une mort écologique, ni rapide.
Vais-je l’endormir avant de le « réformer »* ?
Vais-je le noyer dans les toilettes ? Et s’il remonte ? Et s’il va infester mon voisin du troisième ?
Vais-je l’attraper doucement et le défénestrer ? Pas mal. Je pourrais mettre sa mort sur le compte du froid, ou de l’oiseau qui passe.
J’ai enfin décidé d’assumer mes responsabilités. Écoute … je l’écrase avec un doigt, ce sera rapide et moins hypocrite. Et j’ai même trouvé une échappatoire morale :  pendant que je l’écrase il faut que je m’indigne. En passant à l’acte j’ai donc pensé intensément à ce raton laveur sauvé l’autre jour par une association humanitaire et euthanasié juste après par décision de l'État (pas de pitié pour les ratons laveurs ! Ils sont vraiment sans cœur ces gens-là. Je suis révolté)*.
La peau tendue de l’insecte a offert une légère résistance, comme lorsqu’on écrase une baie. Je me suis lavé les mains et je suis passé à autre chose.


* C'est la formule adoptée par les éleveurs
** Cf, sur ce sujet ‏

mercredi 6 février 2019

Bêtes culturophages (questions d’éthique animale).




 
Poisson d'argent et clémentine
Il cherchait à sortir d’une coupe à fruits mais à chaque fois ça glissait et il se retrouvait en bas, à côté d’une clémentine. « Je sais d’où tu viens, lui ai-je dit, de mon Journal des voyages de 1896, ou du Bescherelle de 1865  dont tu as déjà bouffé un certain nombre de pages ». En famille ils l’appellent l’Ibé. Je pensais que c ‘était son nom français, ou sa dénomination scientifique. C’était tout juste l’acronyme de « Immonde bête ». C’est vrai qu'en matière d’insectes j’ai vu mieux*. Fallait-il l’éliminer ? Je l’ai regardé encore un peu, pendant qu’il cherchait à regagner ma bibliothèque. « Si je le gracie, me suis-je dit », il n' épargnera que mon exemplaire de  La libération animale de Peter Singer.  

* Ce propos n'engage que moi. Et en plus, à un examen plus attentif, je le trouve même pourvu d'une certaine grâce.

lundi 4 février 2019

Cannibalisme indirect



Le célèbre Figatellu corse (source Wikipédia)

Encore un mot sur les sangliers.  Lors de mes enquêtes en Corse on m’a raconté que, au cours de la libération de l'Ile, l’armée allemande avait subi des pertes importantes. Le repérage des corps n'était pas toujours très aisé :

- Il y en a qui sont restés comme ça, dans le maquis, sans enterrement.

- Oui et  remarque ... les sangliers, cette année-là, étaient bien plus gras.

Cet ainsi que, à chaque fois que  je vois un figatellu corse, je pense à la guerre et à ses méfaits.  



Il faut dire qu’on raconte plein d’histoires farfelues aux ethnologues,  juste pour le plaisir de les induire en erreur.

samedi 2 février 2019

Fantasmes lycophobes. Autour de la mystérieuse disparition d'un randonneur dans les Alpes orientales



 

Cela fait un moment,  dans les Alpes de Vénétie, qu'on a perdu les traces d’un randonneur qui était sorti pour son jogging habituel. Disparu. Volatilisé. J'ai pensé :  « tiens, c’est précisément à cet endroit que les loups ont sévi à plusieurs reprises ». J’ai tout de suite compris que ma remarque était imbécile:  1) les loups n’attaquent pas l’homme. 2) on aurait sûrement trouvé les restes.   Après je me suis demandé : « et s’il était mort de mort naturelle et les sangliers étaient passés par-là ? ». Oui, parce que même les sangliers ont investi cette région. Désormais ils pullulent. Et on connaît bien leur penchant nécrophage. Mais dans ce cas aussi, me suis-je dit, on aurait trouvé quelques traces. Ne serait-ce que les baskets ou les lunettes.