lundi 28 juin 2021

L'inquiétante étrangeté (3). Pureté et souillure chez les geais



Si l’apparition du geai m’avait donné un sentiment de saleté, finalement, ce n'est pas que je déteste les geais. Dans son célèbre ouvrage De la souillure, l’anthropologue britannique Mary Douglas explique que le caractère pur ou impur d’une entité n’est pas intrinsèque, il dépend du contexte. Est impur tout ce qui, se trouvant hors contexte, porte atteinte à l’ordre des choses. C’était bien le cas du geai.  Et il le savait. En sortant du feuillage, d’ailleurs, il n’avait pas l’air outré, genre : « Bande d’importuns, je quitte les lieux mais  vous aurez de mes nouvelles … ». Il est parti à la sauvette, avec un petit plongeon latéral. Je crois même qu’il a dit : « Bon, d’accord, d'accord, je m’en vais ».  Avait-il délogé le merle de mon père ? Pire, avait-il gobé sa progéniture ? La question, à la limite, n’est pas là. Peu importent les événements. Peu importent les responsabilités concrètes. La faute principale de ce corvidé multicolore était d’ordre symbolique : sa présence remettait en cause l’organisation mémorielle du jardin.

samedi 26 juin 2021

L'inquiétante étrangeté 2 (un geai dans mon jardin)



Je dois préciser que je n’ai rien contre le geai.  J’aime son plumage brun-beige,  presque rose, ses extrémités en noir et blanc  qui rappellent la pie mais sans exagérer, juste une citation. J’aime notamment - ça va de soi - les touches  de bleu qui donnent à ses ailes une note tropicale.  Ce patchwork volant montre que l’on peut être un corvidé sans besoin d’être noir - voire, plus abstraitement, que corvitude et gaieté ne sont pas incompatibles*. Cette idée est confirmée par l’anagramme du nom « geai » : les femelles des geais sont gaies (les garçons aussi, j’espère).  J’apprécie également le collectivisme du geai : si un intrus pénètre dans le bois, c’est lui qui donne l’alerte**. Pourquoi donc l'irruption d'un geai dans mon champ visuel  aurait-elle dû me troubler ? C’est que, dans mon esprit, ce geai-là n’était pas à sa place. Je ne veux pas dire qu’il se cachait dans un laurier alors que son arbre totémique est le chêne. C’est qu’il s’était installé dans le laurier du merle de mon père. C’était à la fois une usurpation, une atteinte à la mémoire familiale et une mise en désordre.  (À suivre).

* En même temps - ce qui peut paraître contradictoire -  j’aime beaucoup les corbeaux en raison de leur noirceur absolue, qui dépasse le simple perçu pour s’élever au rang d’un concept.

** Je l’apprécie conceptuellement, un peu moins sur le plan empirique, lorsque je cherche l’anonymat à l’ombre du taillis.

 

jeudi 24 juin 2021

L’inquiétante étrangeté (autour des jardins, de la mémoire et de la notion de collectif)

 

Devenu vieux et n’ayant pas grand-chose  à faire pendant la journée, mon père  passait quelques moments à la fenêtre, notamment le matin. Il regardait un  laurier que j’avais ramené de Rome des années auparavant dans une poche de ma veste de velours à la James Taylor * : juste une petite racine enfouie dans sa motte de terre, une tige et deux feuilles microscopiques. Maintenant c’est un arbre respectable bien intégré dans le collectif dont il fait partie.  Un merle y avait fait son nid. Mon père suivait sans trop de commentaires le va-et-vient de ce bipède sautillant.  Dire que ça lui remplissait la journée serait faux. Juste une courte contemplation. C’est pratique : on s’identifie à l’oiseau, on se projette dans son monde (dans son Umwelt, comme le dirait Jakob von Uexküll), et on oublie sa propre finitude.  Sans y penser, tout à l’heure, je regardais le laurier, qui est toujours là,  comme le faisait mon père. Dans le feuillage quelque chose a bougé. Le merle, sans doute.  Non, c’était un geai. Aurais-je vu sortir un rat, ça ne m'aurait pas troublé davantage. (À suivre)

 

* Dans certains milieux, à l'époque, on s'habillait "country-folk".

vendredi 18 juin 2021

Végétarien comme un renard

  

Tableau de Philip Reinagle  contribuant à la criminalisation des renards. L’art, d’accord, mais la vérité scientifique alors ? Et la morale ? Il faudrait censurer ces images diffamatoires, sanctionner, faire quelque chose … .

J’ai lu quelque part que les renards ne prélèvent pratiquement pas d’oiseaux sauvages. Il se peut que, à l’instar des ours, ils ne mangent que des myrtilles.

mercredi 16 juin 2021

Le dilemme de Panoramix

 


Brest. Je traverse le cours Dajot. Les arbres vénérables qui faisaient face, gaillards, aux brumes de l'Océan (ce matin j’ai la veine poétique …) étaient malades et viennent d’être mutilés. Je songe à cet hiver et à la myriade d’étourneaux qui y séjournaient sereins après nous avoir émerveillés par leurs vols fantasmagoriques dans le soleil couchant (encore plus poétique, je trouve).  Du coup je comprends : entre les mœurs de ces volatiles collectivistes et le dessèchement de leurs insignes perchoirs* il y a une connexion. Que faut-il privilégier ? Le bien-être des arbres ou celui des étourneaux ? Il faudrait poser la question aux néo-druides, qui dans cette région ne manquent pas**.

* Le cyprès de Lambert ou Cupressus macrocarpa entre autres.

** Je n’adresse pas la question à la fondation Brigitte Bardot qui proposerait sans doute d’héberger les  étourneaux et de les stériliser.

lundi 14 juin 2021

Si Maurice exagère, Mauricette aussi (éthologie et écriture inclusive)



On m’a fait remarquer que Maurice est, peut-être, une Mauricette. Dans le doute, je reprends  mon  post d’avant-hier en l’adaptant  aux exigences de l’écriture inclusive.

"Je dois avouer que Maurice·tte commence à me fatiguer. L’autre jour il·elle a boudé le pain sec que je lui avais proposé. « Il·elle préfère les pâtes à l'amatriciana·o, on m’a dit ». J’ai découvert ainsi que, gâté·e par les autres membres de la famille, il·elle ne mange désormais que des restes « de qualité ».   Et il·elle devient de plus en plus impatient·e. Pendant que je fais la cuisine il·elle me surveille, comme si je travaillais pour lui·elle. Si je tarde à la·le satisfaire, il·elle tape sur la vitre avec l’insistance d’un·e ivrogne et, d’une voix irritée qui oscille entre le·la ténor·e et le·la soprano, il·elle multiplie les appels. On dirait un·e coach de la piscine communale (« hop-hop-hop-plus-vite-plus-vite-plus-vite … » ) ou un·e bonimenteur·euse*(« par-ici-messieurs-dames-venez-assister-au-spectacle-fabuleux-du·de-la-goéland·e-qui-déguste-un-tiramisù  »). Excédé, je quitte les fourneaux et je lui dis : « Espèce de goujat·e, aurais-tu la politesse de patienter un instant ? ». Ma remarque a le pouvoir de la·le fâcher. Il·elle émet alors  des  borborygmes de vieil·eille imprécateur·rice tout en arpentant le balcon à pas nerveux  comme un·e philosophe péripatéticien·ne". 
 
Bonimonteuse ou bonimonteure ? Allez savoir.

samedi 12 juin 2021

Maurice exagère (au-delà de l’empathie)

 


Je dois avouer que Maurice commence à me fatiguer. L’autre jour il a boudé le pain sec que je lui avais proposé. « Il préfère les pâtes à l’amatriciana, on m’a dit ». J’ai découvert ainsi que, gâté par les autres membres de la famille, il ne mange désormais que des restes « de qualité ».   Et il devient de plus en plus impatient. Pendant que je fais la cuisine il me surveille, comme si je travaillais pour lui. Si je tarde à le satisfaire, il tape sur la vitre avec l’insistance d’un ivrogne et, d’une voix irritée qui passe du  ténor au soprano, il multiplie les appels. On dirait un coacher de la piscine communale (« hop-hop-hop-plus-vite-plus-vite-plus-vite … » ) ou un bonimenteur (« par-ici-messieurs-dames-venez-assister-au-spectacle-fabuleux-du-goéland-qui-déguste-un-tiramisu  »). Excédé, je quitte les fourneaux et je lui dis : « Espèce de goujat, aurais-tu la politesse de patienter un instant ? ». Ma remarque a le pouvoir de le fâcher. Il émet alors  des  borborygmes de vieil imprécateur en arpentant le balcon à pas nerveux  comme un philosophe péripatéticien.

jeudi 10 juin 2021

Zoopoétique

 Je profite de cet espace pour annoncer, à côté de la prochaine séance de  séminaire "De l'humain animalisé au vivant humanisé", la parution d'un ouvrage d'Anne Simon très proche de nos questionnements.


 

EHESS Séminaire De l’humain animalisé au vivant humanisé

Lundi  14 juin de 15h à  17h

Anne Simon

Traversé par l’altérité : le langage poétique par-delà “l’Oxydent”.

À propos de l’ouvrage : Une bête entre les lignes, essai de zoopoétique. Éditions Wildproject, 2021

mardi 8 juin 2021

Nouvelles de Maurice

 


 

Pendant quelques  jours Maurice s’était absenté. Les goélands sont des rats ailés, je sais, mais on s’attache*. J’ai mis son absence sur le compte de la municipalité : une histoire d’œufs stérilisés. L’autre soir, pour mieux contempler la place Wilson éclairée par le soleil couchant, j'ai entrouvert une fenêtre à proximité du toit**. Aussitôt,  mon extase a été interrompue par le vol des goélands qui criaient comme des malades. Il était tard, pourtant. Y avait-il un prédateur dans le coin ? J’ai vite réalisé que le prédateur c’était moi. Ils m’avaient pris pour un employé communal censé réduire leur impact démographique. Maurice aussi s'était fourvoyé, je crois. Après il a compris et il est revenu.

* Les goélands sont des rats ailés alors que  les rats sont des goélands sans ailes. 

** J'aime cette place, la sveltesse du kiosque a la faculté de m'émouvoir.

dimanche 6 juin 2021

Nous et les autres (animaux)

Le construction et le démantèlement des frontières qui nous séparent des autres animaux alimentent à la fois ce blog et le séminaire de l'EHESS « De l’humain animalisé au vivant humanisé » dont j’évoque de temps en temps les contenus.


Lundi 7 juin entre 15h et 18h,
 
-  Anaïs Gall  
Viande et féminité, de la naissance d'un motif viande à son utilisation comme matériau dans les œuvres d'arts, le cas de la "Robe en viande" de Jana Sterbak.
Après une rapide présentation de Vanitas : robe de chair pour albinos anorexique,  le nom complet de la "robe en viande" de Jana Sterbak, je m'appliquerai à retracer la naissance d'un "motif viande" avant d'étudier son utilisation en tant que matériau à part entière. Ce travail a été grandement nourri par Johanne Lamoureux dont j'admire la recherche. Je complèterai cet exposé par l'étude et une réflexion critique du lien direct/indirect qui peut exister entre une forme de féminisme et la consommation de viande, notamment au travers de l'ouvrage de Carol.J.Adams La politique sexuelle de la viande, une théorie critique féministe et végétalienne.

- Marine Jeanpierre
Les courses hippiques. Le cheval de course : une machine ou un coéquipier ?
Au sein des courses, le cheval occupe une place particulière qui n’est pas tout à fait définie : son statut passe facilement de celui de l’animal machine à l’animal domestiqué, de l’animal objet à l’animal symbole d’une élite. Pourtant, l’opposition entre « nature » et « culture » semble claire pour tous au sein de ce milieu très fermé. Le cheval dépend de l’Homme, qui contrôle son activité, son alimentation, mais aussi sa santé, et sa vie tout simplement. Malgré tout, il existe un véritable fossé entre les discours tenus par les professionnels, et ce que l’on peut observer au sein d’une écurie de course : la frontière entre l’Homme et l’animal n’est pas si évidente, et c’est ce que je compte développer pendant mon intervention.

- Alice Hallé  
Le rapport anthropo-équin dans la relation de travail chez les équiciens  et moniteurs d'équitation .
Plan de l’exposé
I) le travail humain et le travail animal : une co-production? (Discussion de l'apport de l'école Porcher en sociologie du travail)
II) le sujet du bien-être équin, un soucis récurrent entre deux ontologies propres à deux cultures professionnelles différentes (présentation de mes premiers résultats d'enquête entre les deux groupes professionnels). L'exemple d'un conflit au travail, le cheval comme prétexte?
III) Discussion autour de l'avenir des métiers autour et avec le cheval dans la société Française / ou/ comment le débat général qui émerge des mouvements animalitaires touchent les professionnels humains auprès des chevaux dans leur travail?

- Maxime Vetier
L’existence sémantique des actions du loup
Dans une volonté de discussion interdisciplinaire, nous présenterons le concept de « programme » (Lescano, 2020 ; Camus & Lescano, 2021) spécifique à l’analyse discursive. Un programme est une entité sémantique « orientée vers l’action », c’est-à-dire une puissance d’agir située dans un espace politique, offrant des possibilités d’action discursives et non discursives. En l’associant à la notion d’ « agencement », nous rendrons compte de l’existence sémantique des actions du loup. Ainsi, nous questionnerons le processus d’interprétation des actions asémantiques et notamment celle de l’attaque de troupeau d’un loup.

- Maria Moracci 
Les débats ontologiques vers une nouvelle métaphysique
La présentation vise à aborder la fabrication d'une métaphysique amérindienne à travers les travaux d'Eduardo Viveiros de Castro. Pour cela, il est fondamental de passer par la problématique de la nature et de la culture en tant qu'opérateur épistémologique occidental et, à cet égard, rappeler les apports de la discussion entre Viveiros de Castro et Philippe Descola. Ces deux anthropologues se constituent comme les principales figures du dialogue sur la reformulation de l’animisme “moderne” au cours des années 1990. Alors que le premier s'appuie sur la notion de perspectivisme pour comprendre la cosmologie amérindienne, le deuxième relance l’ancien concept d'animisme utilisé depuis le XIXe siècle. Le concept de perspectivisme sera ici évoqué en vue de la production ultérieur de Viveiros de Castro, comme étant la porte d'entrée vers la fabrication d'une métaphysique amérindienne.







vendredi 4 juin 2021

Des loups-garous dans nos campagnes (ça favorise la biodiversité)

 


Zhou Chunya, Green Dog Haigen

Le journaliste du Corriere della Sera Fabrizio Rondolino a un chien « double face », domestique en ville et sauvage à la campagne. C’est dire s’ils sont adaptables ces merveilleux  artefacts que nous manipulons depuis des millénaires pour les adapter à nos exigences*.  Lorsque nous sommes à la campagne, écrit Rondolino, Valentino devient «  une sorte de louveteau sauvage qui se met à courir comme un fou, poursuivi  à perdre haleine par  Sandro et Bonnie**, qui se roule avec eux dans le pré, qui saute les haies, qui rentre et sort de la maison, qui aboie lorsqu’il entend des animaux et des présences étrangères … . Même à la campagne, naturellement, Valentino fait des bonnes siestes, et son comportement n’est jamais destructeur (c'est ça qui est admirable, chez Valentino, et qui mérite d’être souligné), mais c’est vraiment une autre vie. La nuit, s’il n’est pas déjà dehors,  il demande presque toujours de sortir avec les autres chiens, et fait souvent des tournées avec Sandro, sur la piste de quelques traces mystérieuses. Presque toujours, il en revient pas sale mais littéralement crasseux. Je n’arrive pas à comprendre où il va, ce qu’il fait et, notamment, comment il fait pour se réduire dans cet état  (…)».

Moi j’ai quelques hypothèses. Et les gardes champêtres aussi, j’imagine, pour ne pas parler des animaux, petits moyens et grands, que Valentino croise pendant ses échappées. Laisser divaguer des chiens est illégal. Mais lorsqu’il s’agit du nôtre … un peu de liberté quoi … la nature est à tout le monde … et c’est tellement émouvant …

* Mais non, je n’ai rien compris, il faut dire hommes et chiens co-évoluent depuis la préhistoire. 

** Appeler un chien avec un nom de chien, désormais, est devenu insultant.

mardi 1 juin 2021

Croquettes de chevreuil et bien–être animal

 


La remise en cause des frontières censées nous séparer des non-humains élargit l’espace démocratique. Pourquoi les  chairs délicieuses du chevreuil et du canard devraient être réservées à notre espèce ? Et  les chiens d’appartement alors ?  Et les chats ?  Ne sont-il pas eux aussi des créatures du Bon Dieu ? Chez Jardiland  cette injustice a été réparée.