mercredi 30 novembre 2022

Autour des arbres qu’il faut remplacer (1)

 


Cet arbre me fait de la peine. Quelqu’un est passé et a imprimé sur son tronc une marque et une date. J’imagine que l'arbre s’est dit : « Moi ? Ce n’est pas possible, je suis en pleine forme. Je n’ai jamais été si vif, si conscient, si expérimenté.  Il y a sûrement un malentendu ».

lundi 28 novembre 2022

La chasseure française (ou chasseuse ? ou chasseresse ? Allez savoir)

 

La presse cynégétique ne veut pas de moi. Ces dernières années  j’ai écrit deux bouquins qui parlent de la chasse. Aucune réaction,  même pas pour dire « Il y a un drôle qui écrit sur nous des choses invraisemblables »*. Même attitude chez des institutions liées à ce monde périclitant qui, après un enthousiasme initial,  ont fini par couper  tout lien avec moi.  « C’est que tu fais de l’ironie », me dis-je pour me consoler, « tu désacralises,  alors qu’en matière d’écologie et de rapport à l’animal les curés prolifèrent ». Cependant  je reste optimiste. Dans l'univers de la chasse les femmes augmentent et elles sont plus ouvertes, plus démocratiques. Lorsque Le Chasseur français sera rebaptisé La Chasseure française, mon point de vue trouvera sûrement sa place.  

* Ça doit être lié au fait que dans le domaine des sciences humaines et sociales les études sur la chasse foisonnent.                                 

vendredi 25 novembre 2022

Dans le grand théâtre de la nature

Rainer Gross, 2015 Théâtre d’Arte Sella, « Le cube » (cliché SDB)

 

UE286 - Séminaire De l’humain animalisé au vivant humanisé


Lundi 28 novembre de 12h30 à 14h30, Campus Condorcet-Centre de colloques , Salle 3.06 , Centre de colloques, Cours des humanités 93300 Aubervilliers
 

Sergio Dalla Bernardina

Dans le grand théâtre de la nature. Autour du Land Art
 et de son devenir

Cette séance reprend le thème abordé le 14 novembre.  Le « Land-artiste », officiellement, instaure un dialogue avec la nature (une nature « personne »,  une nature « sujet »). Parfois, cependant, son discours prend des formes incantatoires dans une nature/théâtre réduite à  ses effets synesthésiques. Derrière l’échange simulé, alors, on croit entendre le monologue, l’énonciation ventriloque.


jeudi 24 novembre 2022

Tirs croisés*

 Mirador pris en photo à partir d'un autre mirador

 

*Je regarde les statistiques du blog et je m’interroge :  24 Sud-coréens ont regardé ce post.  Il n’y a aucune raison. Après je comprends. Ça doit être à cause du titre : Tirs croisés.

mardi 22 novembre 2022

Un pétition en faveur de la corrida (mes perplexités)

 


Une pétition circule en faveur de la tauromachie. Les signataires sont nombreux, l’un plus respectable que l’autre. Je remarque, par exemple, Florence Delay, Georges Didi-Huberman, Catherine Millet, Francis Wolff,  les intellectuels célèbres ne manquent pas. Personnellement, je ne suis pas trop attiré par l’imaginaire tauromachique. La corrida est un art, c’est indéniable, avec une esthétique et une éthique qui lui sont propres (je cherche à  les comprendre et en partie j’y parviens, je crois,  mais je les trouve lointaines de ma sensibilité). L’abolition de la corrida par décret,  manu militari,  me dérangerait. Il s’agirait d’un fâcheux préalable à bien d’autres interdictions portant sur des activités qui, pour ceux qui les pratiquent, n’ont rien d’anachronique : la chasse en général, et après ? La pêche, bien sûr, la cueillette, le droit de faire de l’ironie sur les bêtes, de les exploiter  dans nos métaphores,  de critiquer les gestionnaires du discours  sur les animaux, d’émettre des doutes sur leurs motivations, d’insinuer que « celui-là est un opportuniste frivole et vaniteux », que « celle-là, grâce à la souffrance animale, s’est refait une visibilité »,   … ). J’aurais du mal, cependant à signer la pétition en question. Ceci, notamment à cause des deux passages suivants :

Mon dernier ouvrage s’appelle La langue des bois : l’appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi*. J’y traque le dispositif de la « Comédie de l’innocence » dans ses manifestations anciennes et contemporaines. Ce mécanisme consiste à  dissimuler le « scandale » du prélèvement d’une vie (humaine, animale, végétale) par sa ritualisation et par sa mise en rhétorique. Or, les deux passages que je viens de citer sont pour moi un exemple patent de « Comédie de l’innocence ». Ce que je déplore, dans cette pétition bien argumentée, c’est qu’elle n’assume pas la partie sombre des plaisirs associés aux spectacles tauromachiques. Lue dans ma perspective, l’expression : « Contrairement à ce qu’on entend, elle n’est pas un spectacle sadique de la mort mais une liturgie rituelle », est une dénégation et, justementune mise en rituel  aux effets incantatoires**.

Autant dire les choses franchement : nous sommes traversés par des pulsions multiples, contradictoires,  et ce qui nous motive dans notre rapport au vivant n’est pas que l’amour pour l’art, le beau geste et la  biodiversité. 

* Paris, Éditions du muséum National d’Histoire Naturelle, 2020

** Dénégation : procédé de défense par lequel un sujet formule un désir, un sentiment tout en niant qu'il lui appartienne.

lundi 21 novembre 2022

Chasse et corrida : un lyncheur peut en cacher un autre

 

Je reviens sur mon rapprochement  entre la corrida, le sacrifice et le lynchage. Ce thème m’intrigue tout particulièrement parce qu’il présente une grande proximité avec les phénomènes que j’ai analysés dans Faut qu’ça saigne. Écologie, religion sacrifice (éds. Dépaysage, 2020). Dans cette étude je me demandais : où est passée la violence qui, dans les sociétés traditionnelles, trouvait son exutoire dans des rituels collectifs tels que la chasse à courre et autres loisirs sanglants ? Les commentaires qui accompagnent la mort d’un chasseur parlent clair : les participants au lynchage médiatique se réunissent sur le réseau pour déverser l’agressivité ambiante sur le chasseur, cette  nouvelle incarnation du négatif, du mal absolu. On réactualise ainsi la scène sanglante (qui a toujours son charme ... on dénonce et on savoure à la fois), on conspue le chasseur, et à la fin du rituel on se sent plus propre. Voici un exemple d'anathème parmi tant d’autres :

« Que dire …. La justice divine a voulu te punir  … j’espère seulement que tu n’es pas mort sur le coup … mais seulement après une bonne dose d’agonie et de souffrance … au froid , seul, avec tes souvenirs du sang et de mort que tu as causés  …  (op. cit. p. 57).

 

Comme le montre ce dessin humoristique repéré sur internet, il en va de même pour les toréros.

( http://www.perrochaudsaffiche.fr/portfolio/2376/ )*

 

* Cela dit, j’aime les œuvres de ce portfolio, mais c’est un autre discours.

samedi 19 novembre 2022

  Soyons sérieux, rien de sacrificiel dans la corrida



« Mais où est le lien entre la corrida  et le sacrifice ? Foutaises ! Il faudrait croire à la théorie des archétypes pour avancer des généralisations  pareilles. Si on accepte ça, alors tout devient sacrificiel, inutile de s’informer, de se déplacer... on sait tout à l’avance, sans besoin d’interroger les protagonistes, le public… c’est le contraire d’une bonne anthropologie.  La tauromachie, par ailleurs,  est une création récente, lointaine de l’archaïsme du sacrifice sanglant  ».

Tout ceci est très pertinent, me dis-je. Et je pense avec tendresse à ces aficionados qui, naïvement,  voyaient dans le sacrifice un bel argument  pour anoblir leur passion*. Les autres interprétations de la tauromachie sont sans doute plus précises et plus respectueuses du point de vue des intéressés (voire même de celui du taureau, chez les interprètes les plus doués).

Cela dit, je revendique le droit d'attribuer à la lecture sacrificielle, non pas la place principale, mais une place quand même.  Je ne parle pas du sacrifice analysé par  Henri Hubert et Marcel Mauss,  Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant, Luc De Heusch etc. Je parle du sacrifice tel qu’il a été conceptualisé par René Girard.  Derrière le sacrifice, le lynchage. Le lynchage  et ses effets cathartiques.  Nier, pour la corrida, la légitimité des motivations  évoquées par ses défenseurs serait injuste et superficiel. Nier que la violence collective trouve dans le spectacle tauromachique un formidable moyen  pour s’exprimer et pour se dissiper (momentanément), est simplement hypocrite**.

* Un peu comme ces chasseurs, sur lesquels je reviens périodiquement, qui se prennent pour d'anciens druides protégeant l’environnement depuis la nuit des temps.

** Ce n'est qu'un moyen parmi d'autres, comme je l'explique dans Faut que ça saigne. Écologie, religion, sacrifice. Son principal défaut, comme pour la chasse à courre, c'est d'être trop explicite. Inutile donc d'accabler les toréadors et leur public. La logique sacrificielle hante aussi les détracteurs des spectacles sanglants.

vendredi 18 novembre 2022

Greenwashing ferroviaire

 



Quelle joie. De l’eau neuve dans le TGV. Elle n’est pas donnée,  2euros 70 les 33 cl., à savoir plus de 6 euros le 75 cl. Le prix d’une bouteille de Côtes du Rhône au supermarché.  Mais elle est neuve, naturelle* et de montagne -  comme le café de montagne qui, tout le monde le sait, a un goût plus corsé. Et l’emballage est 100% eco-responsable. C'est important de le préciser. Pendant que je la savoure le paysage français défile à toute vitesse sous mes yeux. Je me sens comme Pétrarque à Fontaine–de-Vaucluse : « Claires fraiches, douces eaux … ».

* Il faut se méfier de l'eau innaturelle, je le dis depuis toujours.

 

mercredi 16 novembre 2022

Chasseurs et toréadors : même combat ?


 


Le 24 novembre, j’y reviendrai, les députés français sont censés débattre autour d’une proposition de loi portant sur  l’abolition de la corrida. Je commenterai cet événement dans mes prochains billets. Pour l’instant, je me limite à constater que j’ai du mal à me positionner.  D’un côté, je comprends les opposants à la corrida, comme je comprends ceux qui s’opposent à la chasse à courre. D’un autre côté, je comprends ceux qui aiment et défendent ces deux pratiques.  Je ne me considère pas comme  un observateur super partes, ce serait trop facile.  Moi aussi j’ai des passions triviales.  Je viens d’acheter  de la viande de cerf, par exemple, que je m’apprête à mariner dans un bain de vin,  carottes,  céleri et parfums variés   (cet été j’ai cueilli  du genévrier dans le but explicite d'aromatiser mes daubes). Et  je suis content qu’il ne s’agisse pas d’un cerf d’élevage mais d’un cerf qui a été chassé.  Cela ne m’empêche pas de reconnaître le caractère troublant des entreprises chorales,  spectaculaires, de poursuite et de mise à mort des (autres) animaux.  Je pense que l'interdiction de ces activités qui perturbent une partie de l'opinion publique (la plus sensible? la plus morale? la plus évoluée?) ne serait en fait qu’un début. Et ça m’inquiète.

lundi 14 novembre 2022

L’appel du domestique (à propos des sangliers et de leurs préférences alimentaires)

 


 

Alors que nous glissons vers l’alimentation sauvage, les sangliers s’orientent vers le domestique. Un agriculteur de 92 ans, près de Mantova (Italie), est en fin de vie. Un sanglier l’a attaqué dans la cour de sa maison et lui a bouffé un bras, puis il est  passé aux jambes. À l’arrivée du fils de sa victime, le suidé a pris la fuite. On le cherche partout. Et si on parvenait à l'arraisonner ? Autrefois, sans mentionner les réactions les plus immédiates, on lui aurait peut-être fait un procès*, ou on l'aurait confié à un cirque (« Venez admirer le sanglier anthropophage …  attention à ne pas trop vous en approcher »). Aujourd’hui, notre sensibilité ayant progressé, il serait confié à un centre de réhabilitation pour sangliers borderline.

Cf, à ce sujet, Evans Edward P., (1906) 1987 The Criminal prosecution and Capital Punishment of Animals. The Lost History of Europe’s Animal Trials, London, Faber&Faber.

samedi 12 novembre 2022

Sylvophiles et sylvophobes. Faire de l’art dans les bois

 

 

Henrique Oliveira, Commun Root - Arte Sella, 2019

UE286 - Séminaire De l’humain animalisé au vivant humanisé

Lundi 14 novembre de 12h30 à 14h30, Campus Condorcet-Centre de colloques , Salle 3.06 , Centre de colloques, Cours des humanités 93300 Aubervilliers 

 

Sergio Dalla Bernardina

Sylvophiles et sylvophobes. Faire de l’art dans les bois

Nous nous pencherons sur une évidence : dans leur théâtralité intrinsèque, les espaces naturels attirent les artistes contemporains. Les argumentaires et les rhétoriques varient, mais autour d’un  nombre restreint de motifs : celui du « dialogue avec la nature », par exemple. De quelle nature s’agit-il ? Souvent, d’une nature conventionnelle, générique, idéal-typique. Les tempêtes, incendies et autres catastrophes aident à préciser son identité.

jeudi 10 novembre 2022

Rewilding, greenwashing. La nature parle anglais

 

Manger sauvage, boire  sauvage … ce sont les plus gentils qui s’ensauvagent. Je ne plaisante pas. Si on cherche à s’ensauvager, aujourd’hui, c’est pour des questions morales. C’est pour se nourrir comme nos ancêtres préhistoriques, qui ne mangeaient que des animaux libres et fiers de l’être. C’est pour se  désaltérer la conscience tranquille, avec les fruits des vignes archétypales. Des vignes heureuses, traitées comme des partenaires et pleines de reconnaissance. 

Pour en savoir plus, il suffit de consulter l'ouvrage  suivant :

https://www.routledge.com/Rewilding-Food-and-the-Self-Critical-Conversations-from-Europe/Fournier-Dalgalarrondo/p/book/9781032152912  

Le rewilding est un thème émergent. Il passionne les chercheurs et a un grand futur devant lui. J’en reparlerai prochainement à propos d'un autre événement

 



mardi 8 novembre 2022

Les pêcheurs de la jetée (5) Épilogue écologiquement peu correct (mais joyeux)


 Paysage brestois (cliché de SDB)

(Suite et fin)

Bref, j’aime  l’atmosphère de la nouvelle jetée et le fait que les gens puissent y pêcher tranquillement, chacun à sa guise et avec ses motivations. J’aime bien que les gens puissent pêcher en général, chasser, et je dirais même braconner*.

Il y a une ambiance de complices dans ce no man’s land sur pilotis. Après, bien sûr, ça peut déplaire à certains. Les « amis du vivant » les plus intransigeants diront que ces adeptes de la prédation portent atteinte à la faune du port, que leur pratique est dangereuse (on s'assoit sur la rambarde, on se distrait ... et après qui paye le SAMU?), que les poissons sont bourrés de métaux lourds ... C'est qu'ils sont jaloux. En attendant qu’ils fassent installer des caméras pour surveiller la zone, et des éthylotests obligatoires pour trier les promeneurs, je multiplie mes déambulations. Le vivant est là, en train de pêcher et de pécher.

* Dans un sens très précis que j'explicite dans l'épilogue de l'ouvrage collectif  L'appel du sauvage. Refaire le monde dans les bois (Presses Universitaires de Rennes, 2016). Il s'intitule  :  « Éloge du braconnage ».

dimanche 6 novembre 2022

Les pêcheurs de la jetée (4). Effacer les traces ?


 

(Suite) Les anthropologues insistent beaucoup sur les précautions prises par les chasseurs-cueilleurs pour cacher les traces de leurs « animalicides ». Le sang du phoque sur la neige est une tâche criarde qu’il faut vite effacer. Les Pygmées aussi, de leur côté, cherchent à éliminer tout indice susceptible  d’attirer l’attention du Maître des animaux. Dans la jetée du port de Commerce les traces restent là, difficiles à laver : c’est l’ancre des seiches, preuve incontestable que quelque chose s’est passé. Quelque chose de quel genre ? De triste? De sale? D'utile? De normal? De joyeux? 

Quelque chose  de triste, de sale, d'utile, de normal et de  joyeux tout à la fois.

(À suivre).

vendredi 4 novembre 2022

Les pêcheurs de la jetée (3). Tu pêches? Moi aussi


 "Puis-je prendre une photo?" ." Allez-y". "Merci" . J'ai juste accentué  l'ambiance sépia.

(Suite) On pêche les mêmes poissons, sur la jetée, mais pour des raisons différentes. Je cherche à m’imaginer la vie de ceux qui comptent sur la capture d’un maquereau  ou d’une aiguillette, avec son long bec et son corps de serpent, pour assurer leur repas du soir. Ils semblent patients et concentrés, l’air nonchalant comme si leur nervosité éventuelle risquait de se transmettre aux poissons par le fil de la canne à pêche. Ils côtoient d’autres pêcheurs, à l’apparence tout aussi cool,  dont les objectifs, manifestement, sont d’ordre ludico-sportif.

mercredi 2 novembre 2022

La fête de tous les morts ou presque

 

 

Mercredi 2 novembre. En Italie, sans trop de détours, on dit « la fête des morts » (ils le méritent, de temps en temps). L’Église, je viens de le découvrir, l'appelle :  « La fête de tous les fidèles défunts ». Et les défunts infidèles alors ? Ben, les infidèles … qu’ils aillent se faire voir.