dimanche 30 avril 2017

Hirondelles (autour des présages et de leur bonne interprétation)


Hirondelle désorientée  cherchant à sortir d'un grenier

Dans son bel ouvrage Man and the Natural World l'historien anglais Keith Thomas nous rappelle que dans les sociétés traditionnelles  le domestique et le sauvage (là où cette notion existe) doivent rester à leur place. Il dresse ainsi la liste des présages négatifs que ses compatriotes tiraient, à l'époque élisabéthaine, de l'irruption dans la maison de bestioles censées rester dehors :
 " Il était toujours inquiétant voir des créatures sauvages empiéter sur le domaine des hommes : si une ville était subitement infestée de geais et de hiboux, par exemple, ou si une abeille sauvage entrait en volant dans une maison, ou si une troupe de requins accompagnait un navire, ou si un corbeau faisait son nid sur le clocher d'une église, ou si une corneille descendait par la cheminée, ou si une souris courait sur vos pieds, ou si un rouge-gorge tapait à la fenêtre (ce dernier événement étant une forme notoire d'« appel » qui, même à l'époque victorienne, faisait se mettre au lit les hommes en pleine santé)"*.
Heureusement, après être rentrés dans la maison, les animaux sauvages cherchent à en sortir. Ce qui, à mon sens, est un présage positif. Les deux présages, finalement, se neutralisent.


*Keith Thomas, Dans le jardin de la nature. La mutation des sensibilités en Angleterre à l'époque moderne (1500-1800), Paris, Gallimard, 1983, p. 99

vendredi 28 avril 2017

L'étourdissement préalable (de qui?)


 

Étourdissement préalable d'un électeur indécis

Je tape au hasard les mots  "animaux" et "Marine Le Pen", juste pour me renseigner sur les races préférées par l'ancienne représentante du Front National, et je découvre ses déclarations sur l'abattage rituel : "L'abattage sans étourdissement préalable, je suis désolée, ça devrait faire l'objet d'un étiquetage. D'ailleurs, je pense que l'abattage sans étourdissement préalable, ça devrait être interdit"*.

On comprend cet enthousiasme pour l'étourdissement préalable : en politique, comme le prouve la présence de Madame Le Pen au deuxième tour des présidentielles, il peut donner des résultats excellents.



* Cf. http://www.rtl.fr/actu/politique/presidentielle-abattage-des-animaux-le-grand-rabbin-de-france-repond-a-le-pen-7788298913

mercredi 26 avril 2017

L'avantage d'avoir été chiné


 
Couteau glauque truvé dans un tiroir. Qu'en faire? Le garder? Le jeter? L'enterrer?

Je n'ai rien contre les trophées de chasse et autres restes anatomiques recyclés à des fins utilitaires (porte-manteaux, abat-jours, tire bouchons etc.). Je suis quand même étonné lorsque dans la décoration contemporaine,  pour exorciser leur côté lugubre, on les réhabilité  au nom de la tradition (avec des commentaires du genre : "Cela crée une ambiance Basse-Bavière", "On se croirait chez Karen Blixen" etc.).
Une fois chiné tout objet, même macabre,  devient "amusant", "drôle", "innocent". C'est un peu comme si on disait : "J'aime bien la peine de mort parce que c'est vintage".

lundi 24 avril 2017

L' "effet dobermann" (en marge aux élections présidentielles)


Cela fait  plus de vingt ans, à la sortie d' Aix-en-Provence en direction du Lubéron. La dame de la station de service avait "embauché" un dobermann : "Comme ça, on est plus en sécurité".  À chaque fois  que je m'arrêtais pour mettre de l'essence je me faisais renifler par son chien. J'ai fini par m'approvisionner ailleurs.

Plus tard, pour d'autres raisons, j'ai quitté Aix-en-Provence, qui reste néanmoins une ville charmante.*

*Je sais bien que certains dobermann sont très gentils et que leurs propriétaires ne votent pas forcément pour l'extrème droite.

samedi 22 avril 2017

L'homme qui couvait des œufs. Métissages ontologiques au Palais de Tokyo


J'ai emprunté cette image au quotidien Le Monde*

On a beaucoup épilogué autour de l' "envie du pénis" qui, d'après Sigmund Freud, serait une constante du genre féminin. Or, s'il y a quelqu'un d'envieux, selon  l'anthropologue Françoise Héritier, ce sont bien les hommes : la domination masculine n'a rien de naturel, elle compense le chagrin de ne pas pouvoir procréer. Tout en feignant le contraire, autrement dit, l'homme jalouserait l'utérus et ses propriétés génésiques, ce qui est  assez vraisemblable.

Cela dit, s'il y a quelqu'un qui est manifestement habité par des fantasmes utérins c'est bien Abraham Poincheval. Dans le passé, à la manière des ermites mais aussi des fœtus,  il  a vécu des journées entières niché dans une pierre "matricielle" de douze tonnes. Plus tard, au Musée de la chasse et de la nature, il  s'est installé dans le ventre d'un ours où il a séjourné pendant 13 jours,  question de développer une perception du monde de type chamanique.
Tout récemment, en avançant dans sa quête, il s'est perfectionné en passant  du stade de fœtus à celui de maman.  Les visiteurs du Palais de Tokyo ont ainsi pu l'admirer logé dans une vitrine pendant qu'il couvait  des œufs de poule suivi par des caméras. 
Des poussins sont nés. L'artiste nous assure qu'ils ne seront pas mangés. Je trouve que c'est judicieux. Ce serait du cannibalisme.


*Le Monde | 02.04.2014 à 10h50 • Mis à jour le 03.04.2014 à 21h58 | Par Emmanuelle Jardonnet

jeudi 20 avril 2017

Des nuages et des requins




"Tiens, des jolis nuages dans le ciel brestois, me suis-je dit, je vais prendre une photo".  Et après j'ai pensé : "Mais non, cherchons plutôt à  les interpréter". Le  fait est que pour bien interpréter les nuages il faut du temps. Je suis donc allé récupérer mon portable. J'avais été attiré par un groupe de nuages blancs, solidaires mais bien séparés les uns des autres, vaquant honnêtement à leurs occupations météoriques.  Entre temps un gros nuage noir est arrivé. Avant qu'il ne s'échappe, je l'ai photographié. En revenant sur l'image, je trouve qu'il a une gueule de requin. J'aperçois  distinctement son petit œil blanc, sa bouche famélique et on dirait même une oreille. Je ne pense pas qu'il entende grand chose.  Il n'est pas là pour écouter, il est là pour tout avaler.

Mon interprétation n'est pas très joyeuse. C'est que tout récemment j'ai vu le film  Les animaux fantastiques (David Yates - JK Rowling, Steve Kloves). Depuis, lorsqu'un nuage noir se profile à l'horizon, j'ai tendance à me méfier.


D'autres lectures sont sans doute possibles.

mercredi 19 avril 2017

Vers une banalisation de la zoophilie?


Henri Matisse, L'enlèvement d'Europe, 1929

Je profite de cet espace pour annoncer mon intervention à la prochaine séance du séminaire: 

Appropriation de la nature, entre remords et mauvaise foi : la prédation comme spectacle (EHESS-IIAC-Centre Edgar Morin)

Le 24 avril, de 15h à 17h en salle 10
EHESS, 105 bd Raspail, 75006 Paris


"Circulez, il n'y a plus rien à voir. Vers une banalisation de la zoophilie?"


Acte de prédation impliquant un échange asymétrique (l'humain impose, l'animal subit), l'amour interspécifique  constitue un  fantasme socialement réprouvé dont la mythologie, l'art, le folklore montrent l'universalité.   À l'époque du Mouvement pour la libération des animaux et  de la remise en cause des frontières ontologiques l'interdit qui pèse sur cette pratique semble avoir perdu, chez les esprits les plus anticonformistes, une bonne partie de sa sacralité. L'abolition des différences que cela entraîne pose des problèmes évidents qui, avant même d'être moraux, sont d'ordre symbolique.

Le séminaire est ouvert au public

mardi 18 avril 2017

Fin peu glorieuse d'une plante ornementale



Cassiflore ou Cassis-fleur

Je ne l'ai même pas prise en photo, et je n'y ai pas trop pensé pendant que j'opérais. Elle s'était installée spontanément  dans le mur en pierres sèches qui nous sépare du voisin. Une cassiflore enviable (groseiller à fleurs). Le problème est qu'entre les murs à sec  et ce genre de plantes il y a une certaine incompatibilité.
Je sais  ce qu'elle s'est dite : " Ce type vient de planter des branches de cassiflore partout en espérant qu'elles mettent racine. Et moi, qui ai poussé toute seule, suis extirpée".
J'ai fait vite. Non seulement je n'a pas pris de photos, mais je crois même que j'ai cherché à tomber du mur pour me faire pardonner.

dimanche 16 avril 2017

L'ordre du vivant



Savoir que nous sommes des "Êtres organisés" me remplit d'orgueil*.

*Dans ce domaine, cependant, je ne crois pas avoir évolué beaucoup.

vendredi 14 avril 2017

Carnivore sentimental. Berlusconi et le massacre des innocents




 


J'ai emprunté cette image édifiante au Corriere della Sera  du 8 avril


C'est hilarant : pour la semaine de Pâques la presse italienne diffuse une vidéo réalisée par la Ligue italienne pour la défense des animaux et de l'environnement (Lega italiana difesa animali e ambiente) présidée par Madame Michela Brambilla: on y voit Silvio Berlusconi (en bleu comme la Sainte Vierge) nourrissant au biberon  un agneau d'un blanc impeccable (on dirai l'agneau de Cajoline).  Le milliardaire  attendri  vient de "sauver cinq agneau destinés à la restauration" et affiche un grand sourire à la Fernandel. Les commentaires foisonnent *.



Ce que nous reprochons à Berlusconi, mais aussi à la famille Le Pen qui se fait photographier avec ses chats, ou à Brigitte Bardot qui nous invite à fraterniser avec les animaux et à nous désolidariser d'une bonne partie de la population mondiale, est de faire de l'humanitarisme à bon marché.



Berlusconi en militant animaliste nous fait rire, mais d'un rire jaune. Par son comportement grotesque, en fait, il rend visible l'hypocrisie ambiante : la nôtre, de carnivores sentimentaux (je renonce à l'agneau, qui me fait de la peine, pour mieux accéder à tout le reste), mais aussi l'hypocrisie des donneurs de leçons qui profitent de la cause animale pour se mettre en lumière.



* Il faut néanmoins rappeler que  des millions d'Italiens aiment Berlusconi et attendent avec impatience son retour à la tête du gouvernement. Le monde est bizarre.

mercredi 12 avril 2017

Les leçons du folklore 1) : Les adjuvants magiques.



Adjuvants magiques 

A-t-on vraiment besoin de la psychanalyse lorsqu'on dispose du folklore?  La question est bête, je sais, mais je la pose également. Personnellement j'aime autant la psychanalyse que le folklore. Ce que j'apprécie dans le folklore c'est qu'il dessine des profils psychologiques sans besoin de remonter à leurs causes. Prenons les sœurs de Cendrillon. Pourquoi sont-elles comme cela?  Parce qu'elles sont nées sous une mauvaise étoile? Parce que leurs parents  ne les ont pas assez bichonnées? On ne le sait pas et on s'en fiche :  elles sont nulles et envieuses, c'est tout.  Ce qui est pire, elles sont sadiques. Pour des raisons familiales elles disposent d'un pouvoir sur Cendrillon et elles l'exercent de façon perverse. Cela s'explique :  à côté de la quête désespérée d'un prince charmant cette activité persécutrice donne un sens à leur vie.  Odieux! Mesquin! Répugnant!

Heureusement, dans l'histoire, arrivent des petits animaux que les folkloristes appellent les "adjuvants magiques".  Ils ne payent pas de mine, ils ne sont pas des super-héros, mais il aident Cendrillon à sortir de l'impasse.

Lorsqu'on voit arriver ces petits animaux - dans les contes merveilleux ainsi que dans la vie courante -  on est toujours très content.


Le folklore, dans sa naïveté clairvoyante, nous apprend que les êtres maléfiques existent pour de vrai.  

lundi 10 avril 2017

L'équivalence homme animal, La Repubblica et Pâques Cruelty free


Lorenzo Lotto, Adorazione dei pastori (1534)

Heureusement le Bon Dieu a changé d'avis à la dernière minute, sinon Abraham, on le sait, aurait sacrifié son fils Isaac. A la place on a immolé un mouton. Pour  ceux qui, comme moi, ne mettent  pas les bêtes et les humains sur un même plan, il s'agit d'un progrès indiscutable (s'il faut choisir, mieux vaut sacrifier un mouton).
Un article tout récent de La Repubblica, en jouant  sur l'équivalence enfant-agneau, nous invite à pousser encore plus loin le processus de substitution : à la place de l'agneau il nous propose d'immoler des fruits et des légumes (ou des œufs à la limite)*.

En regardant le communiqué, ému par le talent de l'acteur Tullio Solenghi, je me suis senti très humain (tout en restant carnivore).  Je pense que cela me fait du bien. Tout à l'heure, d'ailleurs,  je vais  retourner sur le site de La Repubblica pour me sentir encore plus humain*.

* Ce qui, sur le plan symbolique,  suggère une équivalence entre les enfants et les légumes.


*http://video.repubblica.it/edizione/milano/milano-solenghi-testimonial-della-pasqua-cruelty-free-piccolo-e-morbido-salva-un-agnello/271997/272499?ref=RHRD-BS-I0-C6-P3-S3.6-T1

samedi 8 avril 2017

Des pulsions animales dans l'électorat américain?



J'apprécie beaucoup Vittorio Zucconi, un des plus grands journalistes italiens. Il faut dire que l'autre jour, en commentant le limogeage de Stephen Bannon du Conseil de sécurité des Etats Unis,  il a tenu des propos politiquement peu correctes : "Finalement des bonnes nouvelle en provenance de la Maison blanche : (...) la destitution de Bannon représente une victoire des "adultes" de la Maison Blanche (...) sur des personnages qui n'ont aucune compétence politique et qui servent tout juste à exciter les esprits les plus animaux  (sic) du président et de ses électeurs".

Opposer les "adultes" aux "animaux" n'est plus à la mode. Autrefois, il était courant de reprocher aux tribuns de l'extrême droite de réveiller  notre "partie animale". Aujourd'hui, avec une formule de ce genre,  on risque d'être attaqué en justice aussi bien par les leaders populistes que par la SPA*.

* Je ne saurais pas situer, dans ce débat, le point de vue de Brigitte Bardot.

http://video.repubblica.it/dossier/trump-presidente/trump-rimuove-bannon-zucconi-finalmente-una-buona-notizia-dalla-casa-bianca/272441/272949?ref=RHPPLF-BH-I0-C8-P2-S1.8-T2





jeudi 6 avril 2017

Plénitude et condition animale : le salon de Guipavas



J'aime taquiner les amis des animaux. Je veux dire les militants et, plus précisément, ceux qui font de leur passion pour les animaux un  marqueur identitaire ("Moi, Monsieur, j'aime les animaux ...").  C'est que, comme Pierre Bourdieu,  j'ai une certaine méfiance vis à vis de ceux qui parlent au nom des autres*.  Dans la vie concrète, cependant,  je trouve cette communauté tout à fait attachante.

Il y a quelques jours j'ai visité le Salon du bien-être animal à Guipavas (Finistère). Il n'y avait que des gens tranquilles avec quelques animaux parfaitement anonymes. Ils n'étaient pas là pour se faire remarquer. La composante utopiste (ou tout simplement avant-gardiste) était majoritaire. Certains offraient des services, à savoir des compétences, des soins, des produits homéopathiques. Nous avons parlé de furets à héberger, de porcelets à ne pas castrer, de chats à caser (et parfois à castrer, parce qu'ils prolifèrent), de taxis pour animaux malades, d'une association qui signale les chiens errants et cherche à identifier les accidentés de la route, d'éducation canine, de l'efficacité du silicium pour rajeunir les chevaux, de la souffrance animale, du pouvoir cancérigène du saucisson et des différentes diètes végétariennes. Je ne citerai pas ceux qui avaient occupé le salon  pour des raisons bassement commerciales (en confondant le bien être de l'animal avec celui de son propriétaire) et qui  n'étaient pas très nombreux.


* Je reconnais en même temps que les animaux, sans intermédiaires, auraient  du mal à s'exprimer.  Je cite Bourdieu parce que cela accroit mon pouvoir symbolique : Cf., à ce propos : "La délégation et le fétichisme politique", in Langage et pouvoir symbolique, Seuil "Points", 2001

mardi 4 avril 2017

Bonnes nouvelles pour les éco-voyeurs





On le croyait disparu. Eh bien non,  le tigre de Tasmanie  est toujours là : on vient d'en  repérer un exemplaire dans l'État du Queensland.
Vite, vite  ... allons lui casser les pieds.

dimanche 2 avril 2017

Digestion et transcendance


Paolo Uccello. Chasse nocturne. 

Selon l'anthropologue Eduardo Viveiros de Castro les Araweté pensent que les dieux dévorent les âmes des défunts, ce qui  permet à ces derniers de devenir des dieux à leur tour.

Dans la France traditionnelle on croyait qu'une bête poursuivie par les chiens juste avant son abattage était plus savoureuse et moins coriace.


L'addition de ces deux croyances donne une explication plausible à nos souffrances  dans cette "vallée de larmes" : plus on a souffert, plus on est facile à digérer.