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dimanche 7 mai 2023

Manger au plus proche (Ichtyophagie rituelle)

 

Les sensibilités changent.  Autrefois on aurait trouvé immoral de laisser pourrir un animal comestible sur la plage sans en profiter (que sa mort prématurée serve à quelque chose, au moins). Mais le dauphin, c’est vrai, est  un proche de l’homme. Pour faire les choses correctement, il aurait fallu incinérer le défunt, organiser un rituel approprié, médiatiser le deuil (« Venez assister au spectacle émouvant de notre tristesse ») et disperser les cendres sur la surface marine - au risque que le trépassé se dise : « Avec ces gesticulations ridicules on se fout de ma gueule ». 

La solution adoptée par le pêcheur à la retraite interpellé par la police de Douarnenez est tout aussi respectueuse, voire plus humaine  : c’est un cas évident de cannibalisme funéraire.

samedi 19 novembre 2022

  Soyons sérieux, rien de sacrificiel dans la corrida



« Mais où est le lien entre la corrida  et le sacrifice ? Foutaises ! Il faudrait croire à la théorie des archétypes pour avancer des généralisations  pareilles. Si on accepte ça, alors tout devient sacrificiel, inutile de s’informer, de se déplacer... on sait tout à l’avance, sans besoin d’interroger les protagonistes, le public… c’est le contraire d’une bonne anthropologie.  La tauromachie, par ailleurs,  est une création récente, lointaine de l’archaïsme du sacrifice sanglant  ».

Tout ceci est très pertinent, me dis-je. Et je pense avec tendresse à ces aficionados qui, naïvement,  voyaient dans le sacrifice un bel argument  pour anoblir leur passion*. Les autres interprétations de la tauromachie sont sans doute plus précises et plus respectueuses du point de vue des intéressés (voire même de celui du taureau, chez les interprètes les plus doués).

Cela dit, je revendique le droit d'attribuer à la lecture sacrificielle, non pas la place principale, mais une place quand même.  Je ne parle pas du sacrifice analysé par  Henri Hubert et Marcel Mauss,  Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant, Luc De Heusch etc. Je parle du sacrifice tel qu’il a été conceptualisé par René Girard.  Derrière le sacrifice, le lynchage. Le lynchage  et ses effets cathartiques.  Nier, pour la corrida, la légitimité des motivations  évoquées par ses défenseurs serait injuste et superficiel. Nier que la violence collective trouve dans le spectacle tauromachique un formidable moyen  pour s’exprimer et pour se dissiper (momentanément), est simplement hypocrite**.

* Un peu comme ces chasseurs, sur lesquels je reviens périodiquement, qui se prennent pour d'anciens druides protégeant l’environnement depuis la nuit des temps.

** Ce n'est qu'un moyen parmi d'autres, comme je l'explique dans Faut que ça saigne. Écologie, religion, sacrifice. Son principal défaut, comme pour la chasse à courre, c'est d'être trop explicite. Inutile donc d'accabler les toréadors et leur public. La logique sacrificielle hante aussi les détracteurs des spectacles sanglants.

samedi 12 novembre 2022

Sylvophiles et sylvophobes. Faire de l’art dans les bois

 

 

Henrique Oliveira, Commun Root - Arte Sella, 2019

UE286 - Séminaire De l’humain animalisé au vivant humanisé

Lundi 14 novembre de 12h30 à 14h30, Campus Condorcet-Centre de colloques , Salle 3.06 , Centre de colloques, Cours des humanités 93300 Aubervilliers 

 

Sergio Dalla Bernardina

Sylvophiles et sylvophobes. Faire de l’art dans les bois

Nous nous pencherons sur une évidence : dans leur théâtralité intrinsèque, les espaces naturels attirent les artistes contemporains. Les argumentaires et les rhétoriques varient, mais autour d’un  nombre restreint de motifs : celui du « dialogue avec la nature », par exemple. De quelle nature s’agit-il ? Souvent, d’une nature conventionnelle, générique, idéal-typique. Les tempêtes, incendies et autres catastrophes aident à préciser son identité.

samedi 23 avril 2022

Pornographie de guerre. Que faut-il montrer?


J’y avais pensé mais je n’osais pas en parler. C’est la question des images qui nous sont proposées pour documenter les atrocités de la guerre en Ukraine. Elles sont précieuses. Elles nous incitent à la prise de conscience et à l’action. On ne peut qu’admirer les journalistes courageux qui mettent  en danger leur vie pour rendre visible ce que les envahisseurs russes cherchent à dissimuler. Dans l’émission radiophonique Radio Anch’io du 22 avril  une de ces journalistes – un pédigrée irréprochable, correspondante de l’étranger en Afghanistan, Somalie, Algérie, otage en Irak -  nous invitait à faire la part entre les images utiles et nécessaires, et les images sensationnalistes – liées à la logique de la société du spectacle – censées plaire à un public de voyeurs en quête d’émotions fortes.  Elle a parlé, comme je le fais pour l’exhibition gratuite de la souffrance animale,  de «pornographie ». Ses collègues, et notamment le directeur du quotidien La Stampa,  n’ont pas trop aimé son intervention. Je dirais qu’ils ne l’ont  même pas comprise. Et pourtant c’est un vrai dilemme : comment distinguer  la documentation sincère et nécessaire d’un fait tragique de sa mise en spectacle pour augmenter l’audience ?

jeudi 27 janvier 2022

Pistons les brebis (nous trouverons les loups)

 

 
 
Collier de chien de berger qu'il faudrait interdire (il risque de blesser les loups)

 

Dialogue imaginaire mais jusqu’à un certain point :

- Tu sais ? En 2020, en France, les loups ont fait 11 849 victimes entre dalmatiens,  furets et autres animaux de compagnie.

- Mais c’est monstrueux ! C’est inacceptable !

- C’était pour rigoler. En réalité ils ont  fait  11 849 victimes entre moutons, chèvres, ânes,  vaches, chevaux …

- Ah,  tu me rassures …

dimanche 16 janvier 2022

Sapin malin ? Néron à Brest

 

Les arbres sont intelligents, nous assure le forestier et écrivain allemand Peter Wohlleben. Chez les humains, en revanche,  il y a un peu de tout.*

 

 

* Il ne faudrait pas y penser, je le reconnais, mais ça doit avoir donné lieu à une flambée spectaculaire.



vendredi 27 août 2021

Base jumpers et autres victimes sacrificielles. Autour de l’obsolescence médiatique du loup

 

 
Cai Guo-Qiang  loups (détail)

Quelques nouvelles des loups dans les Préalpes orientales. On n’en parlait plus. Je croyais qu’ils étaient partis ailleurs. Mais non … ils étaient toujours là. Dix brebis d’un côté, trois chèvres de l’autre … Ça continue. C’est juste devenu normal.

Et tout mon vacarme autour du fait qu’ « il faut que ça saigne », et que les grands prédateurs s’en occupent en sacrifiant pour nous les animaux domestiques ? J’ai la réponse. Pendant l'été, dans la région alpine, ça saigne partout : le free climber qui dévisse, le base jumper qui se désintègre, le mountain biker qui prend un raccourci. Dans les espaces verdoyants de la chaîne alpine, tout au long de la saison touristique, les victimes humaines pullulent et nourrissent généreusement  la presse locale.  La mort sanglante de quelques herbivores domestiques déchiquetés  par des prédateurs passe forcément au second plan.

jeudi 6 mai 2021

Avez-vous dit initiatique ? Le massacre des dauphins aux îles Féroé

 

Tous les ans, en époque estivale, les îles Féroé  sont le théâtre du Grindadráp, un événement spectaculaire qui commémore  la première rencontre des représentants de l’Occident éclairé avec la population indigène. Lorsque tout est prêt, les jeunes autochtones rabattent vers la plage des globicéphales et les tuent à l’arme blanche sous les yeux du public. Une des particularités de ces mammifères aquatiques est d’être pleins de sang, qui au cours du rituel se répand partout. C’est affreux mais très cinématographique. Les journalistes filment et, dans leurs commentaires outrés, on saisit toute leur indignation. Les locaux se laissent docilement filmer, jouent leur rôle de sauvages avec beaucoup de naturel et clament haut et fort leur droit à perpétuer leurs pratiques initiatiques*.  À la fin de la cérémonie les participants rentrent  joyeux chez eux,   les uns fiers d’avoir montré leur virilité et leur attachement aux traditions, les autres fiers d’avoir prouvé  leur bonté et l’infériorité morale de la population insulaire. Fiers aussi d’avoir effectué un scoop fantastique qui engrangera des milliers des « likes » sur les réseaux sociaux.

Cette année, je me suis souvenu de cet événement  grâce aux réactions indignées de la Fondation Brigitte Bardot (ce sont  des « aficionados » du Grindadráp, désormais) et du journaliste Hugo Clément. Mais j’ai déjà traité ce sujet dans mon article « Le show animalitaire . Mises en scène de la souffrance animale » :

https://books.openedition.org/editionsehess/21551?lang=fr

 

*« Initiatiques mon œil », chante le chœur des spectateurs.

lundi 12 avril 2021

Du sang dans les prés, mais pour la bonne cause

 

Les fauves reviennent et il est de bon ton de s’en réjouir. 

J’aborderai  ce thème mercredi prochain  à 18h dans le cadre des conférences  du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques.

Mon intervention s'intitule : 

"Les herbivores domestiques sous la dent des grands prédateurs : autour d’une compassion à géométrie variable".

On pourra la suivre en se connectant au lien suivant : https://zoom.us/j/94031306306

lundi 4 janvier 2021

Pas assez de bruit dans Landerneau


 

Parmi mes souvenirs de l’année passée, il y a la visite au Fonds Leclerc, à Landerneau. C’était à propos de l’exposition « Cabinets de curiosités » que j’ai déjà eu l’occasion de commenter.  Voici un court fragment où  je décris mon étonnement face à une « curiosité » tout à fait surprenante :

 

« Non loin [du salon de la chasse] des visiteurs à l’expression indéchiffrable fixent, silencieux, une vitrine. Elle contient la dépouille momifiée de madame Germaine D., "Femme à barbe". Je pense plusieurs choses à la fois : ça doit être terrible de se retrouver ici, pour l’âme de cette dame dont on pérennise la pilosité (…). Connaissant la polémique déclenchée par les tribulations posthumes de la "Vénus hottentote", je fais part de mon étonnement à un jeune gardien qui livre des explications sur le contenu de la salle :

 

— Personne ne dit rien à propos de cette dame ?

— Si, il y en a qui ont des doutes. Mais des analyses sont en cours pour prouver que la barbe est vraiment la sienne* ».

 

*Faut qu’ça saigne. Écologie, religion, sacrifice,  éd.  Dépaysage, 2020, p.40

samedi 21 novembre 2020

Pulsion de vie, pulsion de mort (psychanalyse bon marché)

 


Image joyeuse

J’insiste avec mes soupçons concernant les mobiles latents des montreurs de souffrance. Je sais que c’est pour la bonne cause. Je pense, cependant, que la noblesse de cette cause peut cacher d’autres motivations, plus triviales.  En montrant l’animal souffrant, je déclenche une réaction empathique. Par ce biais j’attire l’attention sur la victime, c'est vrai. Mais je l'attire aussi, par ricochet, sur le dénonciateur de l'acte de cruauté, à savoir sur moi-même. Puisque ce que je dénonce  est gravissime (le massacre quotidien d'une myriade d'innocents), tout autre argument passe au second plan. Résultat : je suis le maître du discours sur les animaux.

Voici une autre motivation inavouable : ai-je un penchant pour les fantasmes sadiques ou nécrophiles ? La dénonciation des violences infligées aux animaux, images à l’appui,  me permet de les partager et  savourer avec d’autres "indignés".

Or, dans le cadre d'une performance "animalitaire", comment dissiper ces soupçons d’opportunisme et de nécrophilie? C’est facile. Il suffit d'alterner les images insoutenables et les images paradisiaques : le vison écorché vif c'est bien, le cheval squelettique c'est pas mal non plus ...  mais il faut les assortir au porcelet joyeux, au veau qui sautille et au chat qui fait le pitre  : « Vous voyez ? Nous ne sommes pas là que pour vous montrer la mort ! ». Je salue tout particulièrement, dans ce domaine, les progrès accomplis par le mouvement L214*.

* Je fais pareil, je le sais. La seule différence, peut-être, c’est que je le reconnais. 

mercredi 30 septembre 2020

Transitions écologiques et progrès moraux



Mme Barbara Pompili, Ministre de la Transition Écologique, vient d’annoncer des mesures fortes en faveur des animaux sauvages en captivité. Qu’aurais-je voté dans le cadre d’un référendum ? Au départ j’aurais peut-être eu des doutes, en songeant à la richesse et à la complexité des univers qui vont bientôt disparaître en raison de ce choix.   Mais j’aurais fini par cautionner cette décision inévitable : le spectacle d’un animal emprisonné, conditionné, humilié, torturé, n’est plus compatible avec  la sensibilité d’aujourd’hui (y compris la mienne).

Il se peut, cependant, que la tendance à exploiter  les animaux souffrants à des fins spectaculaires*,  à jouir même de leur souffrance sous prétexte de la dénoncer, soit toujours là, de mieux en mieux dissimulée.

* Avec tous les profits qui en découlent.

dimanche 6 septembre 2020

Jouer (Les animaux de compagnie : des objets transitionnels?)


J’ai toujours été intrigué par ce jouet à ressort. Si on pousse à fond,  l’animal s’écroule comme un mort. Si on relâche, il retrouve sa prestance initiale. Si on presse le ressort plus légèrement, on peut lui faire assumer les positions que l’on veut.

Qu’est-ce qu’on aime dans ce jouet fragile et captivant? Certains aiment voir la bête ressusciter : "Il était  mort ... mais il a survécu ...".  Les plus méchants, peut-être, aiment la voir succomber une, deux, trois, dix fois : "Oh le pauvre cheval ... c'est indigne ... il faut regarder, il faut montrer, il faut faire quelque chose ..."*. D’autres encore, je crois, aiment le sentiment de toute-puissance, de domination absolue, que sa manipulation procure: « Je suis le Démiurge : je te tue, je te ressuscite, je te fais adopter les poses les plus tristes, les plus tendres, les plus embarrassantes, les plus acrobatiques. Je te protège, je te pomponne »**.

Tout comme avec les animaux réels.

 

C’est la rentrée. Je profite de cette occasion pour m’accorder une semaine de vacances. Le blog rouvrira  le 14 septembre

 

* Mais non, cela n'existe pas. Chez les chasseurs, éventuellement …

** On peut imaginer  plein de motivations moins odieuses que celles que j'évoque ici, bien évidemment.

vendredi 4 septembre 2020

(Ba)lanceurs d’alerte infiltrés dans le milieu

 

Je tombe sur ce tweet. Il m’interpelle. Ce n’est pas son contenu qui me dérange, mais sa forme (qui recèle des contenus moins évidents mais tout aussi importants).  J’ai la plus grande admiration pour les lanceurs d’alerte, ces individus courageux qui bravent les interdits, et souvent le sens commun, en criant  haut et fort ce  que l'on cherche à cacher*. J’en profite, au passage, pour rappeler que Julian Assange est toujours en prison**. Je suis donc attristé par le galvaudage de ce néologisme ("lanceur d'alerte" est une expression toute récente) trop souvent employé pour  anoblir des comportements équivoques. À ce rythme n’importe quel délateur («mouchard », « balance », « donneur », « indic », « poucave », « sycophante », « cafard », « collabo », « traître », « Judas »***) devient un lanceur d’alerte.

 

* Ils ne hurlent pas avec les loups, ils ne titillent pas l’angélisme et le voyeurisme ambiants.

** On pourrait qualifier Julian Assange de balanceur balancé (et j’arrête-là parce que ça nous amènerait très loin. Certains auront compris ce que je suis en train d’insinuer). 

***  Source : Wikipédia