Photo empruntée à : https://www.lavocedeltrentino.it/2020/06/25/abbattimento-orso-insorgono-le-associazioni-animaliste
En 2019 l’ours M49 a été protagoniste de 44 attaques : 26
étables, 11 ruches, 7 maisons. Il a dépecé 13 vaches , 7 chevaux, 17 moutons et chèvres, 3 poules, tout en blessant d’autres animaux dans la province de
Trento. De quoi mettre de l’ambiance dans la verdure monotone des vallées alpines.
Dans mon post du 17 octobre je
parlais de l’ambiguïté des appels au progrès moral qui nourrissent le débat animalitaire. Si j’insiste comme un obsédé
sur ce point, c’est que, bien que les enjeux soient primordiaux (la respectabilité
du citoyen, sa légitimité sociale,
son « rang »)*, cette ambiguïté fait l’objet d’un refoulement
collectif **. Le raisonnement est
pourtant très simple : où est
passée la violence qui trouvait son expression dans la chasse, dans la corrida
et dans les autres folk games qui
avaient pour victimes des bêtes innocentes ? Elle n’a pas disparu, elle s’est juste déplacée. Elle prend
la forme d’un lynchage moral à l’adresse des catégories qui n’ont pas intégré le
nouveau paradigme (les catégories qui continuent de pratiquer la mise à mort
des animaux sans la déléguer aux autres***). Elle joue sur l’indignation pour disséminer partout des
images sanglantes qui restaient associées, autrefois, à des lieux et à des moments spécifiques. Elle
s’exprime – et c’est encore par délégation - dans l’action des grands
prédateurs qui font couler le sang
dans des circonstances éthiquement irréprochables.
Dans Faut qu’ça saigne j’écris :
« Mais si cette saignée périodique de bêtes innocentes remplit des
fonctions pharmacologiques, peut-on vraiment s’en priver ? Peut-on renoncer
à l’efficacité symbolique assurée par un « vrai mort », un mort en chair et en
os, pour se contenter de sa copie ? En d’ autres termes, comment conserver le
rôle cathartique du massacre des innocents assuré par les chasseurs sans
octroyer à ces derniers le droit de tuer ? Rien de plus simple : en déléguant à
d’ autres la fonction sacrificielle »****.
* La facilité
avec laquelle n’importe quel
« zoophile » improvisé peut aujourd'hui délégitimer des personnes parfaitement
raisonnables en les qualifiant de
« stupides » et d’ « arriérés » pose des questions éthiques qu’il serait temps de débattre.
** Je rappelle l’existence, à côté des enjeux animalitaires,
d’enjeux personnels, de pouvoir ou économiques, dont les animaux ne sont que le
prétexte.
*** Celles qui ne cachent pas le drame objectif de la mort
animale en le réduisant à une question de « bonne » et de
« mauvaise » mort.
**** Faut qu'ça saigne.
Écologie, religion, sacrifice, Éditions Dépaysage, 2020. L’insistance sur
cette ambiguïté, à l’époque où l’amour pour les animaux est devenu un devoir et
un status symbol, rend ce livre
imprésentable ou, plus précisément, « immonde » au sens étymologique.