samedi 30 juillet 2016

De l'incompatibilité du chat avec le chardonneret




Carel Fabritius 1622-1654. Le Chardonneret



Pour socialiser davantage avec mon chardonneret, j'avais commencé à laisser quelques miettes de pain sur le bord de la table du jardin. Il n'a fallu que trois jours, au chardonneret,
pour intégrer cette nouvelle habitude.  Et au chat, pour s'en apercevoir.

Cette histoire fausse, que je dédie à Anna Mannucci et à ses protégés, pourrait être vraie. Heureusement, en connaissant les ruses pratiquées par les braconniers pour appâter leurs proies, j'ai rapidement compris qu'en renforçant mes liens avec le volatile je l'aurais voué  à une mort certaine.

jeudi 28 juillet 2016

Malentendu. Autour de l'amitié homme-animal






Les chardonneret dont il est question

Tous les matins, entre huit heures et dix heures,  un chardonneret vocalise comme un forcené sur le  laurier de mon jardin. Ce laurier vient de loin. Lorsque je l'ai déterré, dans le parc d'une villa du côté de Rome, il était assez petit pour rentrer dans une poche de ma veste en velours à la Bob Dylan. Ici, entre Venise et l'Autriche, il est devenu un arbre et se porte très bien.

Le chardonneret est peut-être le même que j'ai remis dans son nid au mois de juin.  Il était tombé au sol comme une poire et, perturbé par l'événement,   attendait passivement l'arrivée d'un chat.  Il s'adresse à moi avec éloquence, pendant que je prends mon thé, comme si j'étais une sorte de Saint François à l'envers qui, au lieu de parler aux oiseaux,  écoute leur sermon. 

Notre émotion partagée se base sur le refoulement. Lui, il fait semblant de ne pas savoir que les habitants de cette région, traditionnellement,  mangeaient les chardonnerets. Moi, tout en me sentant un grand sauveteur de chardonnerets,  je fais semblant de ne pas me souvenir que, au cours de ma vie,  je dois bien en avoir mangé quelques uns.

mardi 26 juillet 2016

Manger de la viande (5 et fin). Toute-puissance et immortalité




Célèbre écrivain russe  échappant, par le refus de l'alimentation carnée,  à toute une série de péchés capitaux.
 
Le déni du corps dont je parlais dans le billet précédent peut prendre la forme non pas d'un refus de la sexualité en tant que telle, mais d'un refus de la reproduction, refus de la sexualité en ce qu'elle a de viscéral et de physiologique,  refus de notre animalité, en quelque sorte, de notre finitude et de notre dépendance de l'autre. Ce processus de purification, commençant par la chasteté alimentaire  et s'achevant par la chasteté sexuelle, apparaît comme un véritable projet dans les écrits d'un des ancêtres les plus cités du végétarisme contemporain : Léon Tolstoï  : "Si la viande, au moins, était un aliment nécessaire ou utile! Au contraire, elle sert seulement à développer des instincts agressifs, la lubricité, la luxure, l’alcoolisme"*.  

Le refus de manger de la viande, dans ce sens, renvoie à une refus de la commensalité au sens propre et au sens figuré :  refus de se retrouver avec d'autres autour d'une table. Refus de se retrouver avec d'autres dans un lit.

Lev Tolstoï, Il primo gradino (La première marche)  trad. de Gloria Gazzeri,  Ed. Gli amici di Tolstoi/Il bastoncino verde, p. 19) (ma traduction à partir de la version italienne). Je traite (rapidement) la question à la fin du texte suivant : Manger moral, manger sauvage.
  

dimanche 24 juillet 2016

Manger de la viande (4). Le refus de la viande comme refus de la chair

 George Grosz, Le boucher

A côté des raisons explicites justifiant le végétarisme il y en a d'autres qui échappent aux entretiens classiques et aux observations anthropologiques (dans le sens où une partie des motivations reste de l'ordre de l'intime ou de l'inavouable). On les repère en analysant les associations d'idées produites par les personnes engagées dans la stigmatisation du régime carnivore.


Les cas de figure évidemment sont  multiples, on peut refuser la viande parce qu'on ne l'aime pas, pour des raisons éthiques, parce qu'on veut vivre jusqu'à cent ans. On peut ne pas manger de viande tout en étant des buveurs invétérés et des copulateurs enthousiastes. Mais il n'est pas rare de voir se dessiner (ce n'est qu'une des modalités, encore une fois),  le refus de l'alimentation carnée comme refus de la corporalité.


Cela s'exprime, par exemple, dans la mise en scène de la figure du boucher, présenté comme un "viandard" au double sens du terme, celui qui aime la viande et celui qui aime la chair fraiche. Armé de son couteau, passant son temps à tripoter et à pénétrer toutes sortes de matières carnées, le boucher apparait souvent comme le représentant d'une pulsion priapique naturelle, oui,  mais déplorable,  propre à l'ensemble du genre masculin (exemplaire, à ce sujet, le récit d'Aline Reyes, Le boucher, Seuil, 1997).

samedi 23 juillet 2016

Manger de la viande (3). Les empêcheurs de manger en rond




Duccio di Buoninsegna : L'ultima cena (1308-1311). Sur la table, du pain, du vin et un agneau rôti.

On interprète  trop souvent le refus de l'alimentation carnée comme le résultat d'une prise de conscience : depuis que l'on a appris que les bêtes sont des  "proches de l'homme " (on le savait depuis longtemps mais on faisait semblant de rien), nous ne pouvons plus les manger le cœur léger. Il n'empêche que  derrière l'argument "animalitaire" se cachent  souvent d'autres motivations, tout aussi idéologiques que celles  justifiant l'engouement pour la viande. Derrière la viande, finalement, on refuse autre chose.

Cela vient de très loin. Les Pythagoriciens, par le refus de la viande, refusaient l'institution du sacrifice qui était au cœur du pouvoir politique. Ne pas manger de la viande revenait à contester le pouvoir en place. Mais tout au long de notre histoire, finalement, des mouvements hérétiques ou subversifs ont exprimé leur dissidence par des choix alimentaires alternatifs. Des études récentes sur la communauté antispéciste montrent que le refus de manger de la viande s'accompagne assez souvent du refus de l'autorité paternelle, de l'autorité étatique et, plus généralement, des normes et de valeurs qui règlent notre société*. "Je ne mange pas de viande pour ne pas me conformer". "Je ne mange pas de viande pour ne pas être comme vous!". "Je ne mange pas de viande pour saboter votre plaisir d'être à table, votre commensalité !"... .*



* Cf. Catherine-Marie Dubreuil, Libération animale et végétarisation du monde. Ethnologie de l'antispécisme. Éditions du CTHS, 2013

* Refus de l'alimerntation carnée et commensalité ne sont pas incompatibles, je le sais. Comme le dit le psychanalyste Octave Mannoni, "Je sais bien mais quand même ...". 


jeudi 21 juillet 2016

Manger de la viande (2). Une variable culturelle.



 
Terrine de ragondin,  magiquement transformé en lièvre des marais




Sur le plan symbolique manger de la viande collectivement (que ce soit celle d'une proie ou d'une victime sacrificielle) est souvent un geste important qui renforce le lien social. Cela dit, on aurait tort de prêter à l'ensemble de l'humanité un  intérêt constant pour cet aliment.   Même au sein des sociétés de chasseurs-cueilleurs l'apport de viande est très variable.  L'ingestion de certains animaux est parfois considérée comme extrêmement dangereuse pour le corps et pour l'âme, au point que chez des communautés amazoniennes, par précaution, on transforme magiquement la viande en poisson avant de la consommer (elle reste apparemment de la viande mais dans la perception indigène elle est devenue poisson)*



*Cf. à  ce propos,  Stephen Hugh-Jones, (1996). Bonnes raisons ou mauvaise conscience?. De l'ambivalence de certains Amazoniens envers la consommation de viande (Terrain No. 26, pp. 123-148). Ministère de la culture/Maison des sciences de l’homme.


mardi 19 juillet 2016

Manger de la viande (1). Les antécédents.



Mangeur de viande



On ne peut pas dissocier l'importance nutritionnelle de la viande des conditions sociales de son acquisition et de son partage.  Manger une proie ou une victime sacrificielle est une "mise en commun" de l'animal (et des responsabilités de sa mise à mort).  Il s'agit d'un "événement" qui marque la vie sociale du groupe.


Dans la Grèce ancienne, la consommation des viandes issues d'une chasse collective soudait le groupe autour de la proie (pour avoir le droit de s'assoir au banquet des adultes, nous rappelle Pierre Vidal-Nacquet,  il fallait avoir tué son premier sanglier). Même effet de cohésion par rapport à la  victime sacrificielle.  Manger la viande rituelle  permettait au citoyen d'afficher son appartenance et de  définir sa place au sein de la communauté. 

Bref,  manger de la viande était à la fois une "messe" et une "communion".

dimanche 17 juillet 2016

Sciacallaggio (stigmatisation du chacal dans la langue italienne).






Anubis


Sciacallaggio (littéralement "chacalage",  geste propre aux mœurs du chacal).

1) Vol, saccage de lieux et personnes frappés par des calamités naturelles, malheurs (et attentats, pourrions-nous ajouter).
2) (Par extension) Action cynique contre quelqu'un qui se trouve déjà en difficulté. (Sabatini Coletti, Dizionario della lingua italiana, ma traduction).

La formule "sciacallaggio" semble particulièrement adéquate pour définir les réactions d'un certain nombre de représentants politiques à la tragédie de Nice.

Est-ce que les vrais chacals se comportent vraiment comme cela? 

vendredi 15 juillet 2016

La religion comme prétexte




Francisco Goya. Saturne dévorant un de ses enfants.

Depuis l'Italie je viens d'apprendre ce qui s'est passé à Nice. Cela enlève toute envie de faire de l'humour.  

Il faudrait peut-être que je change le titre de mon blog et que je l'appelle  "Le Créateur comme prétexte".

L'obsoléscence du steak


Claude Monet 1864 Nature morte

Dans le supplément du monde de dimanche-lundi derniers, la journaliste Marlène Duretz consacre une enquête à  la consommation de viande qu'elle résume dans les termes suivants : "Jamais sans mon steak. Hors de pris, néfaste pour l'environnement et la santé, moteur de la souffrance animale, la bidoche n'a plus la cote. Un discours culpabilisant qui agace les carnivores de tout poil. Les viandards sortent les crocs.  (Marlène Duretz, "L'os à la bouche", Le Monde, cahier du  dimanche   - "L'Époque" -  10 et lundi 11 juillet)*.



Pendant la réalisation de son reportage la journaliste a eu la gentillesse de me solliciter, en tant qu'ethnologue qui a travaillé sur ce thème, en me posant deux ou trois questions. Je lui ai répondu en rappelant essentiellement que l'alimentation carnée  renvoie à l'imaginaire de la prédation et que  si manger beaucoup de viande, autrefois, marquait l'appartenance aux  élites, cette même habitude, aujourd'hui, classe le mangeur du côté des parvenus. Cet entretien m'a donné envie de développer la réflexion en ajoutant quelques points sur les implications symboliques  du refus du régime carnivore.  Je les exposerai par fragments, de façon un peu anarchique,  dans les billets qui suivent. 

*La version en ligne, pour les abonnés, est accessible à l'adresse : www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/07/.../mordus-de-viande_4966333_4497916.htm.. 

mardi 12 juillet 2016

Charcuterie fine



Chez mon pourvoyeur habituel de saucissons :

Moi : "Vois avez entendu? Un toréro vient de  se faire descendre par un taureau".

Lui, en me passant le saucisson : "Il est peut-être là-dedans".

Marrant.


dimanche 10 juillet 2016

Faire du mal aux mouches


Ṛṣabhanātha or Lord Ṛṣabha, the first Jina (17th-century). Image by Gift of Diandra and Michael Douglas © public domain.


"Il ne ferait pas de mal à une mouche", dit-on en français (en  italien aussi). C'est le cas des adeptes du Jainisme, religion d'origine indienne datant du VIe siècle, au moins,  avant notre ère. On les voit circuler  avec une bande de tissu devant la bouche pour ne pas avaler des insectes,  leur programme existentiel prévoyant  de ne pas nuire aux différentes  formes de vie qui peuplent notre planète.

Personnellement j'ai une attitude ambivalente vis-à-vis des mouches. Lorsque j'en repère une grosse, en raison peut-être de son bruit, qui fait penser à une sorte de  bavardage, j'ai tendance à ouvrir la fenêtre pour qu'elle parte discuter ailleurs. C'est à cause du principe de précaution : dans le folklore alpin les grosses mouches hébergent parfois l'âme d'une sorcière sortie de son corps pendant le sommeil pour aller faire un tour. Avec les plus petites c'est différent.  Tout en sachant que ce n'est pas vrai, je suis persuadé   qu'elles ont un point de vue, qu'elles ont des préférences,  qu'elles ne m'aiment pas et qu'elle font du bruit exprès pour me déranger*. Lorsque j'en attrape une, après l'avoir jetée dans la poubelle,  je me remets au travail fier de moi comme si j'avais accompli une bonne action.

C'est immoral, je le sais : les mouches, comme les loups,  se limitent à faire  leur métier et il faudrait les laisser tranquilles.


* En italien pour dire, "il lui a fait perdre patience", on dit  "il lui a  fait sauter la mouche au nez".

vendredi 8 juillet 2016

Le chien idéal



Giuseppe Arcimboldo, l' automne, 1573
 
Viril et  racé,  ardent,  enveloppé mais pas gras, voire fin et nerveux. Peu importe qu'il soit raide et sévère ou souple et délicat. On lui demande à être  noble et élégant, puissant et équilibré.


En fait, on l'aura compris,  les adjectifs de ce portrait-robot, tout en renvoyant à des propriétés psychologiques, sont tirés du vocabulaire du vin. Les anthropologues de l'école évolutionnistes verraient peut-être dans cette personnification de la vigne et de ses produits ce qu'ils appelaient des "survivances", anciens résidus d'une manière païenne de concevoir l'ordre du monde.

mercredi 6 juillet 2016

Même pas mort



Jean-Jacques Audubon : Grands Tétras


Le Grand tétras, dit-on, a les réflexes d'un animal préhistorique. Touché en plein vol, au lieu de tomber, il se raidit et continue sa trajectoire  à la manière d'un planeur. Il est mort, mais il fait mine de rien. 

lundi 4 juillet 2016

"Couche-toi, mon grand-père"


Griffon ressemblant vaguement à mon arrière-grand-père maternel.

On dit souvent que les animaux de compagnie finissent par ressembler à leurs propriétaires. C'est peut-être plus que cela. Mes chiens et mes chats (j'en ai eu un certain nombre) m'ont toujours regardé comme si on se connaissait depuis l'origine du monde. Nous nous  perdons de vue pendant un moment et après, de façon cyclique, nous nous retrouvons.  

Ceci n'a rien d'étonnant. Dans un article consacré à la gestion des chiens au Nunavik, en expliquant  que l'âme* d'un défunt  peut migrer dans un nouveau né aussi bien que dans un chien, l'ethnologue Francis Lévesque reporte la citation suivante tirée d'une étude de Diamond Jennes :

"Les chiens hurlaient depuis le début de la soirée, un gros chien gris étant le pire de tous. Icehouse [une femme], qui l'avait nommé du nom de son grand-père lui cria : "Couche-toi, mon grand-père. Tu n'as pas travaillé aujourd'hui. Tu as été nourri. Ton estomac n'a-t-il pas de fond?"  


* Je dis l'âme pour faire court (ce qui n'est pas sérieux). Lévesque emploie le terme  atiq : "entité autonome et immortelle qui véhicule un ensemble de relations sociales, de qualités, de capacités et de désirs.  A la mort de l'individu, l'atiq quitte le corps du défunt et se met à la recherche d'un autre corps à habiller.  Francis Lévesque, "La où le bât blesse. Soixante ans de gestion des chiens au Nunavik", in, Michèle Cros, Julien Bondaz, Frédéric Laugrand, Bêtes à pensées. Visions des mondes animaux. Paris, Editions des archives contemporaines, 2015.  

samedi 2 juillet 2016

Le bestiaire de La Repubblica III


Hérissons heureux.

Dernièrement il y a trop d'événements à commenter (le sadisme dans les abattoirs, les  implications du Brexit sur la migration des oiseaux ... ) pour consacrer du temps au  bestiaire de La Repubblica. Je cède néanmoins à la tentation d'évoquer les titres d'une  trilogie animalière parue dans l'édition  du 30 juin : "Chez le dentiste avec la dog therapy : sur le fauteuil avec le chien"; "L'escalade du petit chat pour rencontrer son ami le chien" (alors que chez les humains on organise des  référendums pour quitter ses congénères); "Il a perdu sa maman et sa maison. Une nouvelle vie pour Rocco le hérisson".

Cette dernière information nous remplit tout particulièrement de joie. Comme le disait une amie romaine : "Contento Rocco, contenta tutta la rocca" (Lorsque Rocco est heureux, tout le monde est heureux)*.


* Elle tenait ce proverbe de sa tante originaire de Subiaco, dans le Latium,  où les  rocche pullulent. Merci de bien vouloir me proposer une version française de ce dicton suggestif.