J’avoue avoir cuit des escargots. J'avoue aussi les avoir
ramassés avec plaisir. C’est enivrant, après la pluie, de fouiner dans les herbes, le nez au raz du sol, et
débusquer ces petits intermédiaires qui métabolisent pour nous, dans leur corps
protéiforme, les essences du pré*. Le problème est que pour les manger il faut
les tuer. Et avant, pire encore, il faut les nettoyer. D’abord on emprisonne l’escargot et on
l’oblige à jeûner. Après on l’immerge dans un mélange d’eau, sel et vinaigre
pour éliminer la bave. Pour le tuer on utilise l’eau bouillante mais certains
préfèrent que l’eau chauffe graduellement : dans la tentative de
s’échapper l’escargot reste en dehors de son habitacle, ce qui facilite le travail du cuisinier.
J’en ai vus qui cherchaient à sortir de la casserole comme des desperados mais
qui au beau milieu de l’ascension, par
la chaleur insupportable, retombaient dans l’eau.
Ce que je raconte est indécent. Pourquoi j’en
parle ? Pour donner libre cours à mes pulsions sadiques, probablement. Mais aussi pour maîtriser la
scène troublante**. Pour la partager.
Et pour retenir l’attention de mon prochain avec des moyens faciles et déloyaux.
C’est dans ce sens, je trouve, que décrire la mort des animaux est malsain et « pornographique ». Mais cacher ces
atrocités, lorsqu'on en est à l'origine, serait tout aussi
indécent. Ce qui accentue mon ambiguïté,
c’est que je ne décris pas ces horreurs pour que cela s'arrête. À la
prochaine occasion, en connaissance de cause, je crois bien que je
ramasserai d’autres escargots et que je les mangerai.
* Ce n’est pas pour nous qu'ils métabolisent, je le sais, mais ma
version m'arrange.
** C'est ça le "traumatisme" : le traumatisme du bourreau.