mardi 19 novembre 2024

Naître garçon et devenir chat

 

J'ai emprunté cette image au site:  https://www.slate.fr/story/95139/chercheuse-convention-furry

On a cru que c’était vrai. Lorsqu’en août 2023, sur Tiktok, une mère a raconté que son fils se prenait pour un chat, qu’elle l’a amené, comme il le souhaitait, chez le vétérinaire et que celui-ci à refusé de l'examiner (« Je vais peut-être porter plainte » a-t-elle ajouté), beaucoup d’internautes ont cru au  canular*. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette histoire est plausible et corrobore des fantasmes qui sont dans l’air.

 

« Rumeurs et légendes urbaines – écrivaient Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard en 2002 – sont objet de croyance et de diffusion (…) parce qu’elles remplissent des fonctions psychologiques et sociales qui font que le contenu d’une rumeur ou d’une légende apparaît comme vraisemblable, intéressant, important et finalement nécessaire » De source sûre. Nouvelles rumeurs d’aujourd’hui  Payot, 2002, (p. 331).

 

Le charme de cette rumeur réside dans sa capacité démonstrative : elle confirme l’impression (impétueuse chez les observateurs les moins optimistes) que la société contemporaine est en train de perdre ses repères : « Vous avez vu ? Je l’avais dit  … On commence à tout relativiser, à remettre en cause les frontières entre les êtres, les choses ... et voici le résultat ». **

 

*J’ai trouvé cette information sur un site que je ne connaissais pas (https://www.demotivateur.fr/insolite/tiktok-son-fils-s-identifie-comme-un-chat-mais-son-veterinaire-refuse-de-le-soigner-sa-mere-s-insurge-dans-une-etonnante-video-38301). Je laisse au lecteur la charge de vérifier sa fiabilité.

** Une variante récente, m’a-t-on signalé, remplace le chat par  une chèvre. S’agit-il bien d’une variante ou de la réalité qui rejoint la fiction ?

samedi 16 novembre 2024

L'inactualité des anciens

 

Pas d’inspiration ce matin. Juste ce proverbe du jour politiquement incorrect :

 

 « À la Sainte-Elisabeth (17/11), tout ce qui porte fourrure n’est point bête ».

 

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, je ne viens pas de l’inventer.

jeudi 14 novembre 2024

 

Il y a quelques temps, un brillant anthropologue attirait mon attention sur le caractère ringard du terme « ruralité ». Je lui ai répondu que de mon point de vue tout dépend de son usage. Chez certains folkloristes, la référence au rural peut rappeler la nostalgie pétainiste pour le retour à la terre dans ses aspects pittoresques, réactionnaires et stéréotypés.  Loin d’être ringarde - pour donner juste un exemple - la revue Études rurales est en revanche très appréciée dans le domaine des sciences humaines et sociales*. Je lui ai ensuite fait remarquer que le terme « écologie », si on prend un peu de distance, présente à son tour des aspects ringards, ambigus et galvaudés.

 

En tout cas, peut-on étudier l’écologie sans étudier la ruralité ? Vous trouverez une réponse à cette vaste question en suivant le séminaire Ruralités contemporaines en question (s). Voici le programme :

 

* Il suffit de consulter la liste de ses membres fondateurs.

 

 

Séminaire
Ruralités contemporaines en question(s)
ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES (Paris)
PROGRAMME 2024-2025


• Pierre Alphandéry, chercheur honoraire INRAE (hors EHESS)
• Christophe Baticle, MCF, Univ. Aix-Marseille LPED, Habiter le Monde(TH)
(hors EHESS)
• Sophie Bobbé, chercheure associée au laboratoire LAP – EHESS
• Sergio Dalla Bernardina, professeur émérite, Univ. Bretagne Occid.(TH)
(LAP-EHESS)
Maxime Vanhoenacker, chercheur CNRS (LAP), référent pour cette UE

Les lundis de 11H00 à 13H00
Salle AS1_23 - 54 bd Raspail 75006 Paris
EN PRÉSENTIEL ET EN VISIO
https://bbb.ehess.fr/b/sop-lhm-oav-qy4


1.) Lundi 25 novembre 2024 : Bernard KALAORA (professeur honoraire de l’Université de Picardie Jules Verne, Amiens, chercheur associé à l’UMR LAP-EHESS, membre de l’association Littocean, pour des espaces maritimes équitables), Mers et forêts : lesmarges comme lieux de tous les possibles (présentation : Christophe Baticle)

2.) Lundi 9 décembre 2024 : Gaëlla LOISEAU (anthropologue, Paris Panthéon-Sorbonne,
ISJPS) : Gitans et voyageurs dans les espaces périurbains en Occitanie : faire sa place
à travers la relation aux animaux (présentation : Bernadette Lizet)

3.) Lundi 13 janvier 2025 : Céline PESSIS (socio-historienne, AgroParisTech, UMR
SADAPT), Une histoire désorientée de la motorisation : « suréquipement » et souci du sol dans la France des années 1950 (présentation : Pierre Alphandéry)

 

4.) Lundi 27 janvier 2025 : Alexandra BIDET (sociologue, chargée de recherche au CNRS, CMH, ENS Paris), Le vivant au-delà de l'humain ? Saisir la genèse de nos attachements à nos milieux de vie et de travail (présentation : Christophe Baticle)

5.) Lundi 10 février 2025 : Sergio DALLA BERNARDINA (anthropologue, professeur émérite, université de Bretagne occidentale, LAP), Du « Viandard » au « Rural éco-responsable ». Aller et retour d’un mythe urbain? (présentation : SophieBobbé)

6.) Lundi 10 mars 2025 : Véronique DASSIÉ (anthropologue, chargée de recherche CNRS,Cergy Paris Université, directrice de l’UMR Héritages : Culture/s, Patrimoine/s, Création/s), Les forêts entre centralité et périphérie (présentation : Sergio Dalla Bernardina)

7.) Lundi 24 mars 2025 : Autour du dernier ouvrage de Martin de LA SOUDIÈRE (anthropologue émérite, CNRS, LAP) Le cahier vert : journal d'un ethnologue en Gévaudan (1973-1978) (présentation : Martyne Perrot, Philippe Bonnin)

8.) Lundi 12 mai 2025 : Agnès TACHIN (historienne HDR, maîtresse de conférences, Cergy Paris université, UMR Héritages : Culture/s, Patrimoine/s, Création/s), Les traditions maraîchères du Val de Saône auxonnais entre mémoire et oubli (présentation : Sergio Dalla Bernardina)

9.) Lundi 26 mai 2025 : Christophe BATICLE (socio-anthropologue, maître de
conférences, Aix-Marseille Université, UMR LPED, Habiter), Les communautés ruralesdes régions forestières d'Afrique centrale : des ressorts ethniques pour une exploitation mondialiste (projet de recherche RESSAC), (présentation : Sophie Bobbé)

 

 

 

mardi 12 novembre 2024

Le point de vue de Maurice (1). Une analyse trumpeuse?

 


L’autre matin Maurice, dont je n’arrive pas à saisir l’orientation politique, a fait une courte apparition sur le rebord de ma fenêtre.  Il a proféré quelque mots d’un ton déclamatoire, à la manière des reporters  radiophoniques des années quarante. Il a dit  « Trump », me semble-t-il, « victoire » et – je ne vois pas le lien – « wokisme ».  Ça avait tout l’air d’une analyse politique. Du coup, un chat est survenu et il s’est  tu.

dimanche 10 novembre 2024

La chasse : une fanfaronnade ? (4) L’anthropologue solitaire

 

 


Porteur de la bonne parole expliquant aux néophytes comment reconnaître une fanfaronnade

 

(Suite et fin). Dans une revue avec laquelle j’ai collaboré pendant quelque temps, j’évoquais les « bravades » provençales. Je venais de les découvrir grâce aux beaux articles de Danièle Dossetto consacrés à ce sujet. C’était dans une comparaison avec les  rave-parties. J’avais écrit :

« J’y vois une version postmoderne des « bravades » provençales : au milieu de la fête, les hommes du village sortaient leurs fusils et tiraient en l’air, boum-boum-boum, juste parce que ça faisait plaisir à tout le monde**. J’y vois la même fierté anthropocentrique qui inspirait les  anciennes battues de chasse,  lorsque par les cris  des rabatteurs, les aboiements des chiens, les barrissements des cors et les détonations des arquebuses on ramenait la civilisation dans les territoires hantés par les fauves et les esprits ».

La rédaction m’a suggéré de remplacer cette phrase par la suivante, à peine modifiée (juste un mot et des guillemets) : « J’y vois une version postmoderne des « bravades » provençales : au milieu de la fête, les hommes du village sortaient leurs fusils et tiraient en l’air, boum-boum-boum, juste parce que ça faisait plaisir à tout le monde. J’y vois la même fanfaronnade anthropocentrique qui inspirait les anciennes battues de chasse, lorsque par les cris des rabatteurs, les aboiements des chiens, les barrissements des cors et les détonations des arquebuses, on amenait la « civilisation » dans les territoires hantés par les fauves et les esprits… ».

Ça peut paraître dérisoire, mais derrière cette proposition on aperçoit une tendance, de plus en plus prononcée dans l’univers médiatique contemporain ainsi que dans le monde scientifique. C’est une forme de scientisme qui se voudrait progressiste (mais qui rappelle l’optimisme positiviste dans ses aspects les plus « coloniaux »), faisant coïncider la bonne cause avec la vérité : « Vous êtes dans l’erreur mais n’ayez pas peur : on va vous améliorer. Et pour vous améliorer il faut bien remettre en cause votre lecture du monde, bande de retrogrades machistes et fanfarons ». Sa caractéristique principale est de ne pas accepter la controverse. On procède par occultation. La fierté du chasseur est une ostentation priapique? On la rabat en la  rebaptisant. Cette censure silencieuse vaut dans bien d'autres domaines : les comportements anorexiques impliquent-ils une forme de chantage ? Il ne faut pas en parler, ça stigmatise une communauté … Complices au lit (assez souvent), tout laisse penser que les hommes et les femmes le soient  aussi en matière de  barbecue.  C’est un sujet trop complexe ...  on n’a pas assez d’espace …

 

C’est ainsi que l’acteur rural qui, fidèle à son passé pyrotechnique, décharge son fusil  contre la lune au lieu de se  conformer au bon sens écologiste, perd sa légitimité pour devenir un fanfaron. Et l’anthropologue solitaire*qui, sans la protection d’un réseau, interprète les mobiles de ce  chasseur non-moderne en refusant les clichés à la mode, le devient aussi**.

 

* Chargée de victimisme, la formule « anthropologue solitaire » que je viens de forger se prête à plusieurs lectures. D’un côté, elle fait penser au lonely cowboy, avec tout ce que cela implique de pathétique, de pittoresque et de kitsch. De l’autre, elle renvoie à l’image du ver solitaire : un intrus que la corporation de chercheurs qui gère actuellement le discours sur l’animal et sur  la vie sauvage (je ne donnerai pas de noms) aimerait bien expulser.

** Cela dit (un commentateur superficiel pourrait trouver que je suis contradictoire) j’ai en horreur les « pistoleros », qu’ils soient armés pour leur défense personnelle ou qu’ils aient choisi leur métier parce qu’ils aiment les armes et leur utilisation. Cela fait partie de mon « antifascisme » et cela explique ma tristesse face au retour de Rambo à la présidence des États-Unis.  Je prétends que les chasseurs ne font pas nécessairement partie de cette catégorie (même s’il y en a un certain nombre, n’en déplaise aux représentants des chasseurs qui, dans leur jésuitisme, préfèrent cacher cette évidence).

vendredi 8 novembre 2024

La chasse : une fanfaronnade ? (3) La fonction sacrée du pétard


 

Jules Breton, La Fête de la Saint-Jean, 1875, musée des Beaux-Arts de Philadelphie.

 

À quoi servent les feux d’artifice ? À l’origine, on le sait, ils servaient à éloigner les mauvais esprits. « Vous rôdez autour de nous avec vos intentions sinistres ? Alors, regardez ce que nous savons faire, nous les humains. Regardez bien, tremblez, et dégagez ! ». Les feux d’artifices tatouent, pour un instant,  le corps inaltéré de la nature*. Ils affichent dans le ciel la capacité poïétique de notre espèce**. En même temps, ils nous permettent d’exprimer notre joie d’être-là. Ils soulignent notre présence par un feu multicolore dans la nuit. La nuit, c'est connu, on aime allumer des feux.

Lorsqu’on n’a pas de pétards à portée de main et qu'on veut marquer la liesse collective par le bruit – un bruit qui nous console de la tristesse champêtre, intimide les fantômes et autres diablotins qui hantent les venelles mal éclairées - on sort son fusil et on tire, collégialement, vers le ciel. C’est ce que, dans le sud de la France, on appelait les « bravades ». (À suivre)

* « Ce n’est pas vrai », objectera l’établisseur de vérités scientifiques et morales qui surveille nos dérapages, « les feux d’artifice polluent, dérangent les animaux, coûtent plein d’argent qui pourrait être utilisé de façon bien plus raisonnable ». Peut-on lui donner tort ? La réponse est non (d’autant plus que notre désaccord le remplirait de tristesse).

** Poïétique : du grec ancien ποιητικός (« propre à fabriquer, à confectionner »).

mercredi 6 novembre 2024

La chasse : une fanfaronnade ? (2) Le chant des tronçonneuses

 

Paul Jean Flandrin (1811-1902) La solitude.

 

Je poursuis donc, avec un petit détour qui aura tout l’air d’une sortie de route, mon raisonnement sur les « fanfaronnades » des chasseurs. L’autre jour, en traversant le fond d’une vallée particulièrement sombre, on apercevait ici et là des petites maisons isolées, juste au bord de la route, tristes comme tout, écrasées par l'immensité de la montagne boisée qui les surmontait.

 

- Qui peut vivre dans ce trou ?

 

-  C’est vrai, pour supporter la vie dans ce trou il faudrait boire comme des trous. 

 

- C'est le soleil intérieur. 

 

Des maisons de cantonnier, peut-être, de garde-chasse, de forgeron, de meunier  … derrière ces choix d’ermite il y a forcément une raison pratique. Je pense à la notion médiévale de « désert » : « Lieu déserté par les humains », et à celle de mélancolie :  « Caractéristique dominante de quelque chose qui inspire de la tristesse ».

La nature sauvage est mélancolique. Et lorsque, perdu dans la verdure, on entend de loin le son d’une cloche, on est envahi par un sentiment de proximité, de restauration du lien social, de … « home sweet home ».

L’anthropologue Ernesto de Martino parlerait d’« appaesamento » : on aperçoit le clocher du village et le dépaysement s’arrête, on recommence à graviter autour d’un centre, on retrouve sa place dans un espace ordonné, un cosmos.   

Pour ceux qui viennent juste de découvrir qu’il faut aimer la nature, bien intentionnés et porteurs des certitudes de la mystique néo-rurale, cela peut paraître scandaleux. Mais dans le silence obstiné des forêts, même l’écho d’une tronçonneuse peut résonner comme le son rassurant d’une cloche qui nous relie à l’humain : pas très loin il y a quelqu’un, on ne se voit pas mais cela suffit,  on est là, on s’industrie … .

Et je reviens à la chasse. On dira que c'est indécent, mais un coup de fusil dans le silence automnal peut avoir le même effet sécurisant et apotropaïque qu’un tintement de cloche ou un bruit de tronçonneuse*. (à suivre)

 

* A fortiori en hiver, époque de l’année où les espaces boisés retrouvent leur autonomie et leurs habitants non-humains, visibles et invisibles, rétablissent leur souveraineté - Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’imaginaire folklorique. – Apotropaïque : « Se dit d'un objet, d'une formule servant à détourner vers quelqu'un d'autre les influences maléfiques ». (Larousse).

 

lundi 4 novembre 2024

La chasse : une fanfaronnade? (1) Retours joyeux

 


Karl LIESKE (Groß-Schönau bei Zittau, 1816 – München, 1878)
Retour de chasse au cerf en montagne

Le mot fanfaronnade employé dans le post précédent et la référence à un monde amélioré parcouru par des "Ennemis de Rabelais"*  moralement irréprochables m’incitent à prolonger mes considérations sur l’automne, la nature et l’art de la chasse.

 

Dans mon ouvrage « Faut qu’ça saigne », salué dans les revues de chasse par une réaction unanime**, j’insistais sur les manifestations de liesse qui, dans le passé, accompagnaient le retour des chasseurs. C’était le retour à la maison des hommes du village avec quelque chose de bon à manger, ce « surplus aléatoire » sortant du circuit économique et de la notion de travail au sens strict. Sur un plan symbolique, c’était aussi le retour des héros civilisateurs qui revenaient de leur incursion dans l’ailleurs, ce no man’s land inquiétant, réceptacle des entités (animales, humaines, surhumaines …) les plus angoissantes. Les chasseurs revenaient du monde « d’à côté » qui envoie périodiquement ses émissaires vers les enclos et les champs cultivés, un univers sombre et désordonné qui attend ses dompteurs, ses inspecteurs, ses exorcistes, bref, ses démiurges.  (À suivre).


*J'entends par-là les ennemis du corporel et du physiologique, disposition psychologique et morale finement décrite et analysée par Mikhaïl Bakhtine dans :  L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance – Gallimard, coll. Tel,  1982.

 ** C’est à dire par un silence presque funéraire.



vendredi 1 novembre 2024

L’automne et ses fruits

 

 

Giuseppe Arcimboldo, L'automne


C’est l’automne. Les journées sont radieuses. Il ne faudrait pas, je sais, mais je pense aux tableaux, si présents dans la tradition occidentale, qui célèbrent les joies de la chasse. Joies sensorielles et plaisirs d’ordre gastronomique partagés par l’ensemble de la communauté. L’automne est la saison des récoltes. Et la chasse en est une.  On ramasse les châtaignes, les champignons … les lièvres, les grives et les bécasses. C’est un cycle.

 

Pendant mes promenades je ne rencontre pas de chasseur. Pas un seul coup de fusil. J’ai une sorte de vision : je divague en pleine nature dans un monde amélioré.   À la place des chasseurs, dans la splendeur des couleurs automnales, je croise des individus moralement irréprochables qui ont tous le visage de Sandrine Rousseau. L’image est insoutenable*.

 

* Des énergumènes, dans les réseaux sociaux, souhaitent "raser la tête" de cette représentante dynamique de l’électorat français. Je déplore leurs fanfaronnades. C’est comme tirer sur Donald Trump. Ça ne fait qu’augmenter sa popularité.

mercredi 30 octobre 2024

L’esprit latin

 


Venise, il y a quelques jours. Les goélands ne manquent pas à Campo santa Margherita. Ils attendent impassibles un geste  de la part  du poissonnier. Je les observe minutieusement, comme si je n’avais jamais vu un goéland. Je compare leur allure à celle de Maurice, qui est un Celte, en cherchant les indices de   leur latinité*.

 

*Maurice est un goéland brestois qui fréquente mon balcon. Il intervient sur ce blog avec une certaine régularité.

dimanche 27 octobre 2024

Il n’y a qu’à (4) Science et croyance

Ours solitaire qui déambule depuis quelques mois  dans la région de Seren del Grappa, dans les Alpes de Vénétie (et il déambule vraiment partout. Je crois même l'avoir déjà surpris une ou deux fois sur ce blog).

On dirait une obsession, mais malgré mes bonnes intentions, l’actualité m’oblige à revenir sur la conférence consacrée à l’ours et aux loups à laquelle j’ai assisté au début du mois. Si elle m’a fasciné, c’est que je l’ai trouvée exemplaire, tellement elle arrivait à bien illustrer le discours des techniciens de l’environnement concernés par le retour des grands prédateurs. Ce qui m’a frappé, entre autres, c’est l’usage de la notion de « science ». Les données étaient précises, mais leur utilisation rappelait le ton de ces médecins et vétérinaires du XIXème siècle qui ont beaucoup aidé les folkloristes en leur donnant des informations précieuses sur les opinions et les coutumes rurales en matière de soin des plantes, des animaux et des humains. Leurs écrits, que l’on retrouve aisément dans les bibliothèques municipales de la zone alpine, visaient à éradiquer les superstitions. Et pour les éradiquer il faut bien les décrire. L’orateur nous a proposé un beau croquis montrant au public la différence entre le domaine de la science et celui de la croyance*. L’objectif était de remettre en cause toutes les « rumeurs » concernant l’apparition des ours dans la région. Je rappellerai au passage que, pour les anthropologues, la frontière entre science et croyance est très difficile à établir et fait l’objet d’un débat de plus en plus complexe et sophistiqué.

 

Le discours est vite passé à l’ours qui, de lui même, a décidé de s’installer pas loin du bourg où se tenait la conférence. Je résume en quelques mots les mots du zoologiste, qui utilisait un langage accessible et imagé pour transmettre ses connaissances à une population qui n’a pas forcément de diplôme en sciences naturelles. « Pourquoi les ours se déplacent tout seuls ? Beh, c’est comme chez les humains, ils se déplacent à la recherche d’une fiancée. De toute façon, les indices sont formels, je vous assure qu’il n’y a qu’un ours, ici, il faut vivre avec, parce que c’est de plus en plus inévitable de cohabiter avec la faune sauvage, mais il n’y a aucune raison de s’inquiéter ».

 

Un jeune homme, dans la salle, a osé prendre la parole :

 

- Est-on vraiment sûr qu’il n’y en qu’un ? Si l’ours s’est installé ici, c’est peut- être qu’il y a une femelle.

 

La remarque n’a pas plu au naturaliste, qui a rappelé la fiabilité des données dont il disposait et la distance entre la science, dont il était le représentant, et l’univers des opinions personnelles : « C'est votre opinion. Libre à vous de penser ce que vous voulez ! ». Le jeune homme, imperméable aux certitudes du savoir académique, n’avait pas l’air très convaincu et a répliqué : « Bon, on verra ».

 

Il y quelques jours, à une dizaine de kilomètres du lieu de la conférence, deux personnes ont aperçu un animal qui cherchait à soulever avec son museau le grillage du terrain de foot. Il s’agissait d’un ourson **.

 

Morale : science et croyance peuvent parfois se rejoindre. Il n’y a qu’à attendre quelques jours.

 

* Je l’ai pris en photo, mais je ne pense pas avoir le droit de le diffuser.

**https://www.ilgazzettino.it/nordest/belluno/orso_campo_calcio_alba_tomo_feltre-8437268.html



jeudi 24 octobre 2024

Il n’y a qu’à (3). Du grillage au grill

 

 

Image empruntée au site suivant : https://www.ako-agrar.com/fr/protection-contre-animaux-sauvages/defense-contre-loup/clotures-filets

Je reviens une dernière fois sur la conférence de l’autre soir, où j’ai appris plein de choses sur les comportements des ours et des loups. Une nouvelle rassurante, par exemple est que, contrairement â ce que pensent les éleveurs, les clôtures de protection fonctionnent à merveille. Tout dépend de qui les installe. Lorsque c’est l'éleveur, ça ne marche pas à tous les coups. Mais lorsque c'est le zoologiste lui-même, le succès est assuré. La hauteur des protections ne compte pas pour grand-chose. Le loup est un acrobate et gravit les grillages avec l'agilité d'un funambule. Il faut donc les électrifier. 12 volts ce serait l'idéal (c'est peu-être gênant pour les enfants, ces touche-à-tout ingouvernables, mais on ne fait pas d’omelette etc … ).

Dans une étude pionnière que j'ai déjà citée dans ce blog, Sophie Bobbé montre que dans l’imaginaire collectif l’ours et le loup fonctionnent comme un couple oppositif. Si l’un a certaines caractéristiques, l’autre aura des caractéristiques opposées. L’ours est marqué par la verticalité (il est plantigrade), le loup par l’horizontalité (les loups procèdent l’un derrière l’autre à la queue leu leu). C’est ainsi que certains commentateurs refusent l’idée qu’un loup puisse gravir les grillages avec l’agilité d’un funambule, prérogative réservée aux ours.

mardi 22 octobre 2024

Il n’y a qu’à (2). Éco-dissuaseurs à l’ancienne

 


Ce que les ours ne supportent pas, nous expliquait le zoologiste Renato Semenzato il y a quelques jours, est de se retrouver à l’improviste face à un représentant de notre espèce. Il réagit automatiquement. C’est éthologique. Dans une zone fréquentée par les ours, pour ne pas désacraliser la forêt en parlant trop fort (« Martine, regarde là, c’est une chanterelle! » « Je vois, c’est une chanterelle, mais pourquoi tu cries comme un malade ? Je ne suis pas sourde ! »), on peut se munir d’une clochette.

J’ai tout de suite pensé aux lépreux, censés déambuler avec une clochette pour prévenir les bien-portants de leur arrivée. Le rapprochement n’est pas sans fondement : dans la nature sauvage - ne serait-ce que pour les plus purs chez les amateurs d’espaces non-contaminés - nous sommes des intrus polluants et contagieux.

À la place de la clochette, souvent, les lépreux utilisaient une crécelle. J’imagine le joyeux boucan (je dis joyeux parce que trop de silence, c’est vrai, rend mélancolique).

Ça me donne des idées. Je vais me lancer dans la production de crécelles anti-loup. Je les appellerai « Éco-dissuaseurs à l’ancienne ». Et j’ai déjà la formule d’accompagnement : « Un clin d’œil sympathique à la tradition ». En plus c’est biodégradable. Je deviendrai riche et fameux.

dimanche 20 octobre 2024

« Il n'y a qu'à » (1).Dans le grand cancan de la nature. Nuisances sonores et wilderness

Répulsif par ultrasons (le vacarme se déploie à des fréquences que nous n'entendons pas, ce qui est l’essentiel) 

La nature sauvage? Dans l’imaginaire collectif cela rime avec « contemplation », « sublime », « C’est ravissant », « C’est magique », « C’est mystique », « La forêt ? Une immense cathédrale dans le vert»...

 

Le retour des grand prédateurs a tout bouleversé : autrefois, dans les bois, nous parlions doucement pour ne pas effaroucher les animaux et pouvoir les admirer dans leur intimité*. Aujourd'hui, les techniciens de l’environnement nous conseillent de parler fort pour éloigner les ours et les loups**.

 

* Nous qui ? On mesure toute l’ambiguïté de ce pluriel.

** Morale : aujourd'hui, qui aime vraiment la nature (et a bien compris l'importance des grands prédateurs pour la préservation de la biodiversité) fait du bruit dans les bois.
 

vendredi 18 octobre 2024

La place des Martyrs

 

Vénus Anatomique. Cliché réalisé par moi-même et tout récemment publié dans l’ouvrage Bio-art: Varieties of the Living in Artworks from the Pre-modern to the Anthropocene.

 

A-t-on le droit de garder les morts à la maison ? Oui, lorsque cela concerne des non-humains. Il peut s’agir de trophées de chasse mais aussi d’œuvres d’art utilisant des bêtes taxidermisées. Pour les humains c’est plus complexe. Autrefois, les fidèles les plus pieux accrochaient un crucifix dans la pièce centrale de leur habitation. Du matin au soir, ce faisant, ils avaient sous les yeux la vision d’un homme agonisant. Ceux qui pouvaient se le permettre, prenaient en location les reliques des saints les plus réputés. Stationnant quelques mois sur la commode, elles diffusaient dans l’espace domestique des ondes bénéfiques. Tout ça n’a rien à voir avec la nécrophilie. Si on exhibe les morts, c’est pour des raisons pratiques : leur état, en fait,  nous convient.

J'explore la nature de  cette utilité dans un texte que j’ai appelé –« The Place of Martyrs. About the Artistic Recycling of Taxidermied Animals ». Il a été publié dans l’ouvrage   Bio-art: Varieties of the Living in Artworks from the Pre-modern to the Anthropocene, Transcript Verlag, 2024, dirigé par Julio Velasco et Klaus Weber. Voici le lien pour ceux qui en voudraient savoir plus :

 

https://www.transcript-publishing.com/978-3-8376-7177-3/bio-art/

mercredi 16 octobre 2024

Les guêpes et l’alcool

 

Les guëpes aiment le Müller Thurgau


Je me souviens que nous étions au bar, cela fait vraiment longtemps. C’était l’époque où certains Italiens buvaient encore du Pernod. Personne ne connaissait Peter Singer, figure tutélaire de l'animalisme contemporain,  et les guêpes n’avaient pas une bonne réputation.

 

Le Pernod de mon ami était presque terminé. Une guêpe est arrivée et est entrée dans le verre. Mon ami a fermé le verre avec la petite assiette des olives. Je lui ai fait remarquer que je n’aurais pas aimé être à la place de cette guêpe. « Ce n’est qu’un insecte », m’a-t-il répondu, « sa physiologie est différente de la nôtre, elle ne souffre pas ».

 

Enivrée par les exhalations du Pernod, en tout cas, la guêpe était narcotisée.

lundi 14 octobre 2024

Qui a pris mes lunettes? Doutes autour d'une salamandre

 

Je reviens sur la salamandre de l’autre jour. C’est comme le roitelet dont parle James Frazer dans son ouvrage consacré aux « Mythes sur l’origine du feu »*. Il faut savoir que seulement certains animaux, au départ,  savaient allumer le feu.  Et ils gardaient le secret pour eux. Le Prométhée qui a eu le courage et la générosité de le transmettre  à notre espèce est souvent un roitelet. Si l’imagination humaine trouve dans le roitelet une connexion avec le feu, c’est en raison de la tache jaune-rouge qui semble presque clignoter au sommet de son crâne (selon l'équivalence :  tache jaune=feu**). Il en va de même pour la salamandre qui, vraisemblablement,  est associée au feu à cause des décorations d’un jaune brillant qui taguent son corps.

 

Lorsque dans l’obscurité du bois j’ai vu la salamandre avancer tranquille, avec son allure de dinosaure, je lui ai dit : « Je suis content de te voir parce que d’après les folkloristes tu portes bonheur ». Pour bien la photographier j’ai posé mes lunettes, qui étaient embuées, je l’ai prise dans la main et je l’ai déplacée dans un endroit propice à la séance photographique. Elle était particulièrement froide, effectivement, on aurait dit du métal. Plus tard, montant dans ma voiture, j’ai réalisé que mes lunettes avaient disparu. Mon retour sur place, malgré une fouille approfondie, ne donna aucun résultat.

 

Morale : toutes les salamandres ne portent pas bonheur - à partir de mon expérience on pourrait presque supposer le contraire. « Et pourtant les anciens … il faut que je vérifie ». J’ai donc consulté plusieurs sources érudites.  Hélas, pas la moindre relation entre la salamandre et la chance. J’avais tout inventé et les matériaux folkloriques démentaient ma fausse croyance.

 

Ce qui nous amène à une seconde morale : le folklore n’est pas une science exacte mais presque.

 

* James George Frazer, Mythes sur l’origine du feu [1931] Payot, 2009.

**Chez les roitelets australiens, d’après le récit de Frazer, la tache est logée à l’autre extrémité (ce qui est normal, nous sommes là aux antipodes).