dimanche 7 décembre 2025

Les confessions d’un cannibale ou presque (1sur3)



Paolo Dalla Bernardina, Chevreuil nocturne

D’ici quelques jours je changerai de registre pour présenter, coupée en morceaux, ma contribution à la séance introductive du séminaire « Penser les ruralités contemporaines » consacré, cette année, au traitement des émotions dans les sciences humaines et sociales.

Pour l’instant, je vais rester dans l’ambiance féérique des apparitions et des présages. J’en profiterai pour avouer un crime (trente ans s’étant écoulés, je ne risque plus rien). J’en ai peut-être déjà parlé sur ce blog, mais, comme c’est typique chez les criminels, je ressens le besoin d’y revenir.

J’allais rejoindre un collègue (j'évite de le balancer puisqu'il était mon complice), pour visiter avec lui un roccolo très réputé, exemple remarquable d’art topiaire*. C’était pour recueillir du matériel visuel destiné à la salle de la chasse que nous étions en train d’installer dans un musée ethnographique de la région alpine **.

La journée avait démarré par une scène presque héraldique. Pendant que je roulais, derrière des peupliers qui laissaient entrevoir un étang, j’ai aperçu un chevreuil qui nageait dans ma direction. C’était un mâle, avec des ramures tout à fait convenables. Il avait l’air serein et concentré.

J’ai pensé : « Tiens, quelle étrange coïncidence : alors que je pars en mission pour documenter la chasse, cette modalité immémoriale de notre rapport aux animaux, voilà que le gestionnaire invisible de la faune sauvage m’envoie un émissaire pour me signifier son approbation ». Qui sont ces gestionnaires invisibles ? Potnia Theron, Artémis, Diane… et bien d’autres Maîtresses ou Maîtres des animaux.

J’ai poursuivi mon chemin avec optimisme, en me disant que l’image d’un chevreuil qui nage à l’ombre des peupliers ferait un ex-libris remarquable. (À suivre).

* On trouvera des informations sur le roccolo en parcourant les anciens billets de ce blog.

** Un musée que je ne vais pas balancer non plus. Cette salle n’existe plus, comme ce sera peut-être le cas pour la chasse d’ici quelques années.

samedi 6 décembre 2025

Le pouvoir performatif des passions (annonce)


Séminaire
 Ruralités contemporaines en question(s)
ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES (Paris)
 
Pierre Alphandéry, chercheur honoraire, INRAE
Christophe Baticle, MCF, Univ. Aix-Marseille, LPED Habiter le Monde
Sophie Bobbé, chercheure associée au laboratoire LAP–EHESS
Sergio Dalla Bernardina, professeur émérite, Univ Bretagne Occid, LAP-EHESS
Maxime Vanhoenacker, chercheur CNRS, LAP-EHESS, référent pour cette UE
 
 Séance du lundi 8 décembre 2025, 11-13 heures
 Salle AS1-23 - 54 bd Raspail 75006 Paris
En présentiel et en visio :
 

 

 

 

André Micoud, Ces passions qui fabriquent une nouvelle ruralité.

 

Présentation : Sophie Bobbé

 

Travaillant depuis longtemps sur les changements du monde rural, je ne saurais cacher combien me tiennent à cœur toutes les initiatives qui s'attachent à le rendre toujours plus vivant et plus solidaire. En pensant bien ne pas prendre mes désirs pour la réalité, je reviendrai sur les créations qui dynamisent des villages et tentent de faire des campagnes des lieux de vie désirables. Pour ce faire, je m'appuierai sur mes expériences dans les Parcs naturels régionaux, sur les positions de l'Association des maires ruraux de France, les émissions radiophoniques de « Carnets de campagne », la revue Village... et sur le réseau de mes amis campagnards.


vendredi 5 décembre 2025

Le retour de Saint Nicolas



C'est la nuit du 5 décembre. Saint Nicolas se présente tout seul.

- Et l'âne?

- Eh l'âne, hélas  ... Les loups ... Mais c'est bon pour la biodiversité.

mardi 2 décembre 2025

Sémiologues de l’invisible


Image tirée du film Uccellacci e Uccellini de Pier Paolo Pasolini

 

Après, on a commencé à parler de paranoïaques, mais les devins, autrefois, avaient une place légitime dans la société et voyaient des signes partout. Derrière l’apparence des choses, il y avait toujours des significations latentes.

Même les chercheurs en sciences humaines et sociales partent du présupposé que, derrière la transparence apparente des choses, les causes et les significations occultes foisonnent. Morale : tout bon chercheur doit être un peu paranoïaque.

Certains paranoïaques, peuvent êtres chercheurs et devins à la fois.

L’autre jour, en traversant la France en diagonale avec ma voiture périclitante, je suis  tombé sur une immense prairie, comme on en trouve encore lorsqu’on échappe aux conseils du GPS. Au bord de cette surface monochrome deux silhouettes se détachaient. Il s’agissait d’un faucon et d'un corbeau, couple peu habituel. On aurait dit qu’ils conversaient. C’était sans doute un présage, mais je ne saurais pas l’interpréter.

dimanche 30 novembre 2025

Noblesse oblige

 

 


 Françoise Gilot, 1950, Fleurs et poissons,

On fait la queue chez le poissonnier. C'est le tour d'une dame qui lui demande sur un ton assuré :

 - La lotte, c’est un poisson noble, n’est-ce pas ?

 Sans lever la tête des encornets qu'il est en train de vider, le poissonnier lui répond :

 - Oui.

 - C’est comme le Saint-Pierre, n’est-ce pas ?

 - Beh ... oui.

- Mais quel est le plus noble, la lotte ou le Saint-Pierre ?


Les clients  se regardent. Les maquereaux et les grondins sourient.

vendredi 28 novembre 2025

Le poids du symbolique

On qualifie une plante aquatique   d’ « algue tueuse », on se laisse piéger par la métaphore  et  on finit par la personnifier. J’en parlerai le 3 décembre dans le cadre d’une rencontre sur fond maritime dont je livre ici le programme :

 



 

mercredi 26 novembre 2025

Réenchanter le monde à l’époque du tournant ontologique

 


C’est la nuit entre le 5 et le 6 décembre. Deux existants non humains de catégories différentes mais appartenant au même collectif entrent dans la chambre*. Allongés sur des artefacts, de jeunes humains se trouvent dans un état modifié de la conscience du monde extérieur (sans perte de la réception sensitive), accompagné d'une diminution progressive du tonus musculaire. Le non humain anthropomorphe sort de son dispositif des parallélépipèdes de tailles différentes enrobés dans du papier recyclé. Sur le bord de la fenêtre deux contre-dons d’ordre alimentaire les attendent**.  Donnant libre cours à leur activité sensorielle, ils les consomment sur place.

- Pas mal cet existant biotique issu du raisin.

- Le mien n’était pas mal non plus.

Ils parlent doucement, de peur que les enfants ne se réveillent.

* Maitrisant mal ces nouvelles classifications, un doute me saisit : est-ce que les saints rentrent dans la catégorie des esprits ou celle des humains?  J'aurais tendance à choisir la première option.

** La scène doit se passer dans les Alpes orientales, ou en Autriche, où pour remercier  de leur visite Saint Nicolas et son âne, il était coûtume de leur offrir un verre de vin et une bouchée de foin.

dimanche 23 novembre 2025

Cattle song




Marc Chagall, 1954, La Vache jaune

Poème nuer dédié aux vaches (version adaptée)

Ô ma vache, ma compagne brillante,
Ta robe claire est l’aube qui revient.

Quand tu marches, la poussière te suit
Comme un enfant court derrière sa mère.

Tes cornes sont des lunes jumelles,
Elles veillent sur moi quand la nuit tombe.

Ton mugissement traverse la plaine,
Il appelle mon cœur par son nom.

Tu es la richesse que nul ne peut voler,
La chaleur qui me garde vivant,
La force que je porte dans mon chant.


D’où vient ce texte ? Eh bien, c’est un remaniement. J’avais demandé à ChatGPT  s’il (elle?) avait sous la main un poème nuer sur la vache. Ça a engendré l'ode que vous venez de lire, accompagnée par le commentaire suivant :

 

« Les Nuer ont une tradition poétique très riche autour du bétail, en particulier les chants de louange dédiés aux bovins (appelés cattle songs). Ces poèmes sont généralement chantés, pas écrits, et transmis oralement. L’anthropologue E. E. Evans-Pritchard en a collecté plusieurs dans les années 1930. Voici un exemple authentique, reformulé et traduit en français moderne pour respecter le caractère oral tout en restant fidèle au contenu connu de ces chants ».

Dans mon post précédent j'ai été injuste vis-à-vis de Victor Hugo et assez prétentieux*. C'était pour dire que personnellement, en matière de « cattle songs », je me sens plus proche d’un Nuer que d'un poète de l'époque romantique.

* Je n'ai aucune compétence m'autorisant à évaluer des poèmes.

vendredi 21 novembre 2025

Être une vache chez les Romantiques

 


Vache

Que pouvait-on dire d’une vache en 1837 ?

On pouvait dire ça, par exemple :

 

« La Vache »

Devant la blanche ferme où parfois vers midi
Un vieillard vient s’asseoir sur le seuil attiédi,
Où cent poules gaîment mêlent leurs crêtes rouges,
Où, gardiens du sommeil, les dogues dans leurs bouges
Écoutent les chansons du gardien du réveil,
Du beau coq vernissé qui reluit au soleil,
Une vache était là, tout à l’heure arrêtée.
Superbe, énorme, rousse et de blanc tachetée,
Douce comme une biche avec ses jeunes faons,
Elle avait sous le ventre un beau groupe d’enfants,
D’enfants aux dents de marbre, aux cheveux en broussailles,
Frais, et plus charbonnés que de vieilles murailles,
Qui, bruyants, tous ensemble, à grands cris appelant
D’autres qui, tout petits, se hâtaient en tremblant,
Dérobant sans pitié quelque laitière absente,
Sous leur bouche joyeuse et peut-être blessante
Et sous leurs doigts pressant le lait par mille trous,
Tiraient le pis fécond de la mère au poil roux.
Elle, bonne et puissante et de son trésor pleine,
Sous leurs mains par moments faisant frémir à peine
Son beau flanc plus ombré qu’un flanc de léopard,
Distraite, regardait vaguement quelque part.

 

Et que pouvait-on dire de la Nature ?

 

Ainsi, Nature ! abri de toute créature !
Ô mère universelle ! indulgente Nature !
Ainsi, tous à la fois, mystiques et charnels,
Cherchant l’ombre et le lait sous tes flancs éternels,
Nous sommes là, savants, poètes, pêle-mêle,
Pendus de toutes parts à ta forte mamelle !
Et tandis qu’affamés, avec des cris vainqueurs,
À tes sources sans fin désaltérant nos cœurs,
Pour en faire plus tard notre sang et notre âme,
Nous aspirons à flots ta lumière et ta flamme,
Les feuillages, les monts, les prés verts, le ciel bleu,
Toi, sans te déranger, tu rêves à ton Dieu !


La Vache  -  Les Voix intérieures,  Collection Bouquins, Robert Laffont, Œuvres complètes de Victor Hugo, Poésie I, p 858.

Je trouve ce poème intéressant, mais seulement sur le plan anthropologique :  il me parle de l’altérité, à savoir d’un univers émotionnel très éloigné du mien, que je cherche à apprécier sans y parvenir.

Chez les vaches, les variétés sont nombreuses. Chez les humains aussi.
.

mercredi 19 novembre 2025

S'émouvoir, se mouvoir

 

 

 

Image empruntée au quotidien Le Monde

 

Cette année nous nous pencherons sur

 les émotions, leur fabrication et leur exploitation. Voici le programme complet :


Séminaire

Ruralités contemporaines en question(s)

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES (Paris)


PROGRAMME 2024-2025  

•     Pierre Alphandérychercheur honoraire INRAE (hors EHESS)

•     Christophe BaticleMCF, Univ. Aix-Marseille LPED, Habiter le Monde(TH)  (hors EHESS)

•     Sophie Bobbéchercheure associée au laboratoire LAP – EHESS

•     Sergio Dalla Bernardinaprofesseur émérite, Univ Bretagne Occid.(TH) (LAP-EHESS)

Maxime Vanhoenacker, chercheur CNRS (LAP), référent pour cette UE

 

Les lundis de 11H00 à 13H00

Salle AS1_23 - 54 bd Raspail 75006 Paris

EN PRÉSENTIEL ET EN VISIO

https://bbb.ehess.fr/b/sop-lhm-oav-qy4

 

24 novembre : Séance introductive : « Production, circulation et réception des émotions dans les mondes ruraux », intervenants : Christophe Baticle, Sophie Bobbé, Sergio Dalla Bernardina,

8 décembre : « Ces passions qui fabriquent une nouvelle ruralité », intervenant : André Micoud, sociologue. Présentation Sophie Bobbé

12 janvier : « Lire l’écologisation des mœurs dans les haies », intervenant : Léo Magnin, sociologue.  Présentation Bernadette Lizet et Pierre Alphandéry.

26 janvier : « L’histoire enfouie du remembrement », intervenante : Inès Léraud, journaliste. Présentation Bernadette Lizet et Pierre Alphandéry

9 février : « La sociabilité du compost », intervenant : Bruno Maresca, sociologue et guide-composteur sur la commune des Lilas. Présentation Pierre Alphandéry

9 mars : « S’émouvoir : se mettre en mouvement vers et sur le terrain. L’accueil des personnes exilées et des personnes en situation de handicap dans le Massif Central », intervenante : Élise Martin, géographe. Présentation Christophe Baticle

23 mars : « Parcours d’une communauté alternative : entre pratique, théorie et émotions », intervenants : Michel Lallement & la Communauté du Mallouestan. Présentation Sophie Bobbé

13 avril : « Empathiser, emphatiser. Les émotions du chercheur », intervenant : Sergio Dalla Bernardina, ethnologue.

11 mai : « Le castor et ses barrages : les émotions face aux transformations paysagères », intervenante : Chloé Lebris. Présentation Christophe Baticle

8 juin : Présentation d’un documentaire audiovisuel (sous réserve) 

lundi 17 novembre 2025

Porter la fourrure, pas si bête que ça

 

Le 17 novembre, c’est la Saint-Élisabeth.

En cherchant une inspiration pour mon billet d’aujourd’hui, je suis tombé sur le dicton suivant :

« À la Sainte-Élisabeth, tout ce qui porte fourrure n’est point bête. »

L’adage me semble un peu trop affirmatif, mais il ouvre plusieurs pistes de réflexion et pose une véritable problématique. Cela mériterait au moins une table ronde.




samedi 15 novembre 2025

L' État pense à nous (même lorsqu'on ne le mérite pas). Le port du casque dans les pistes de ski

 

Franz Sedlacek Scène de foule de ski, 1924

 

Que l’on soit au travail ou en vacances, l’État pense à nous. C’est la raison pour laquelle à partir de cette année, en Italie, le port du casque sur les pistes enneigées est devenu obligatoire. C’est déjà bien, mais on pourrait aller plus loin.

Pour réduire davantage les risques liés au ski, ce loisir irremplaçable, source de liesse et de profit, j’ai une idée géniale :

il n’y a qu’à éliminer les sapins.

jeudi 13 novembre 2025

Une rencontre dans les bois

 

Il ne pleut pas. Je me promène dans les bois des Monts d’Arrée avec un petit sac,  bien conscient que, pour trouver des  champignons, il aurait fallu que je m’y rende quelques semaines plus tôt. L’avantage, ici, c’est que les concurrents sont rares. Dans cette région pleine de mystère les autochtones s'intéressent à autre chose. Les Anglais poussent comme des champignons. Mais ils ne les ramassent pas.

Je m’efforce de rejoindre l’état d’ataraxie que l’isolement, le silence, le parfum intense des feuilles mouillées devraient favoriser. Je n’y parviens pas. C’est qu'en regardant l’heure, juste avant d’entrer dans le fourré, j’étais tombé sur un reportage consacré au réarmement nucléaire. J’ai beau me mettre sous le nez  les feuilles tanniques du châtaigner et remuer la terre à la manière des sangliers pour renouer avec mon passé  chtonien*. Mon corps est dans le bois mais ma tête divague.

Je croise un cyborg. C’est un pneu, mais avec le dos végétalisé.

Je le salue en lui disant : « Salut le pneu. Toi, plus tard, tu seras encore là. Moi … nous ... ».

En poursuivant je me surprends en train de  fredonner une vieille chanson de Francesco Guccini rendue célèbre en Italie par le groupe I Nomadi. Elle s’appelle : Noi non ci saremo. « Nous ne serons plus là »  :

« Vedremo soltanto una sfera di fuoco
più grande del sole, più vasta del mondo;
nemmeno un grido risuonerà
solo il silenzio come un sudario si stenderà
fra il cielo e la terra
per mille secoli almeno
ma noi non ci saremo, no, noi non ci saremo »
.


« Nous ne verrons qu’une sphère de feu,
plus grande que le soleil, plus vaste que le monde ;
pas même un cri ne résonnera,
seulement le silence, tel un suaire, s’étendra
entre le ciel et la terre
pour mille siècles au moins,
mais nous ne serons plus là, non, nous ne serons plus là ».

 

Ce texte aux accents prophétiques, à sa sortie, correspondait parfaitement à mes goûts, mes attentes et ma perception du futur. J'aimais notamment le passage suivant » :

« E catene di monti coperti di neve
saranno confine a foreste di abeti
mai mano d'uomo le toccherà,
e ancora le spiagge risuoneranno delle onde
e in alto, lontano, ritornerà il sereno
ma noi non ci saremo, no, noi non ci saremo ».


« Et des chaînes de montagnes couvertes de neige
feront frontière à des forêts de sapins ;
jamais main d’homme ne les touchera,
et encore les plages résonneront du bruit des vagues,
et là-haut, au loin, reviendra le beau temps,
mais nous ne serons plus là, non , nous ne serons plus là »**.


Les adolescents de l’époque, dont je faisais partie,  étaient des hippies débutants. Ils ne connaissaient pas encore grand-chose du monde, juste les trois ou quatre accords nécessaires pour singer les Nomadi (do ; sib ;  do ;  sol …) et pour gérer leur angoisse en annonçant l’apocalypse.

* Des temps antédiluviens où j’étais une taupe ou un blaireau. Mon post, cette fois, est plein de mots difficiles. C’est pour me donner des airs.

** On trouvera la version intégrale de "Noi non ci saremo" à l’adresse suivante : https://www.musixmatch.com/it/testo/Nomadi/Noi-non-ci-saremo

mardi 11 novembre 2025

Les races, les métiers et le QI

Je tombe souvent sur des articles — peu rigoureux, je crois — qui dressent la liste des races de chiens les plus intelligentes. À chaque fois, cela me rappelle une conversation à laquelle j’ai pris part, il y a longtemps, dans un restaurant universitaire.
Nous parlions des vocations. À mes côtés se trouvait l’invitée, une spécialiste de la parenté qui venait de donner sa conférence. En face, un collègue avec son épouse.
« Et d'ailleurs mon mari, a déclaré cette dernière pour étayer son opinion par un exemple probant, avait entamé de brillantes études dans une discipline scientifique. Après l’accident, il a dû se rabattre sur l’ethnologie. »

J’ai ri, tout en sachant qu’elle ne voulait pas faire de l’humour.


dimanche 9 novembre 2025

Le cerf est nu septième et dernier épisode. Des miroirs et des brames


(Suite et fin). C’est bête, mais lorsque j’entends le mot « brame » je ne peux pas m’empêcher de penser à Grimhilde, la méchante marâtre  de Blanche neige.  Dans la version italienne du récit, en s’adressant au miroir pour connaître le palmarès des beautés régionales*, elle emploie la formule  :

Specchio, specchio delle mie brame, chi è la più bella del reame ?

A savoir : « Miroir, miroir de mes désirs, qui est la plus belle du royaume ? »

Brama, en italien, signifie : « Désir démesuré, incontrôlable, qui se reflète dans les habitudes et dans chaque acte de l’individu : soif d’honneurs, de richesses, de plaisirs ».

Je viens de lire que la racine de ce terme est probablement onomatopéique. Ça ne m'étonne pas. Son étymologie est particulièrement intéressante : « Du germanique bramōn "hurler, rugir"; proprement "hurler de désir"]. – Désirer ardemment : brûler de posséder des richesses ; brûler de savoir ; désirer la mort de quelqu’un »**.

Quand on « brame », en italien, c’est qu’on est habité par un désir impérieux, peu importe que ce soit  d’amour, de connaissance ou de mort.  Le désir varie, mais ses effets restent théâtraux. 

Cette histoire de brames et de miroirs  pourrait intéresser les communautés rurales en quête d’attractions éco-touristiques. N’y a-t-il pas, au fond du bois, les vestiges d’un vieux manoir en ruine ? Eh bien, c’est le château de Grimhilde, la Reine-Sorcière.  Pendant les nuits sans lune, lorsque souffle le vent, un gémissement insolite,  furieux et langoureux à la fois, parcourt ces pierres vénérables. Ce n’est pas le brame du cerf, phénomène banal auquel on assiste partout, désormais, sans même besoin de quitter sa bagnole. C’est la bramosia de la Marâtre, l’expression sonore de son désir véhément et politiquement peu correct d’être la plus belle du royaume.

J'imagine l'annonce suivante affichée dans les locaux de la mairie :

« Pendant votre séjour dans la région, les animateurs de l’association  Wilderness et durabilité  vous permettront d’accéder à ce phénomène mystérieux, à la frontière entre le mystique et le paranormal ».

Et j'imagine aussi les réactions : 

- Moi, franchement,  je n’ai rien entendu !

- C’est que vous ne le méritiez pas. Et quoi qu'il en soit ... elle ne passe pas tous les jours.

* Le miroir de Grimhilde, manifestement, anticipe l’IA.

** "dal germanico *bramōn «urlare, ruggire»; propriamente «urlare dal desiderio»]. – Desiderare ardentemente: b. ricchezze; b. di sapere; b. la morte di qualcuno;https://www.treccani.it/vocabolario/ricerca/bramare/ - 

vendredi 7 novembre 2025

Où est passé Maurice ?


 
On dirait Maurice, mais il faudrait vérifier

- T’as vu Maurice ces derniers  temps ?

- Pas trop, deux ou trois fois …

- Ah …

- Je pense qu’il a un rapport toxique avec Gustave*.

- C’est quoi un rapport toxique ?

- C'est qu'ils se font peur mutuellement, alors qu'ils pourraient être alliés.

* Gustave est un chat

mercredi 5 novembre 2025

Le cerf est nu (6). Il n'y a pas que le cerf qui brâme

 

 

Théophile-Alexandre Steinlen Chat et Chatte (1903)

(Suite) Préambule 1) : Dans mon post du 15 septembre je taquinais un journaliste qui faisait des acrobaties pour ne pas utiliser le mot « chienne » qui lui paraissait trop connoté. Je découvre que moi aussi, tout en faisant mon désinvolte, je ressens un certain embarras en utilisant le mot « chatte » pour parler de la femelle du chat*.

Préambule 2) : Je reviens souvent sur la « sylvofilie » ambiante : actuellement, tout ce qui vient de la forêt (de la sylva) est noble alors que ce qui a été soumis au processus de domestication ne l’est pas. Je développe ce sujet dans Faut qu’ça saigne en insistant sur le décalage, en termes de « droit à la vie », entre le statut de l’ours et celui d’un âne ou d’un mouton.

Il s’avère qu’un autre animal, à côté du cerf, émet des hurlements impressionnants au moment du rut. Il s’agit de la chatte. Or, personne, à ma connaissance, n’organise des expéditions touristico-didactiques pour aller écouter le brame de la chatte. C’est plutôt le contraire. Ses miaulements pleins de désir sont très embarrassants, notamment lorsqu’on est à plusieurs à l’entendre simultanément, comme à la terrasse d’un restaurant. Ces gémissements lascifs sont d’autant plus insupportables qu’ils suscitent chez nous, automatiquement, l’identification. On a beau faire de l’humour, ou chercher à lancer une conversation intéressante pour détourner l’attention … la chatte insiste et on aurait envie de se barrer. Pour arrêter ce rappel véhément à nos pulsions refoulées, certains maîtres et maîtresses ont recours à la stérilisation.

En plein air c’est autre chose. Wilderness is beautiful. L’aube et le crépuscule sont les moments idéaux pour se rendre tous ensemble dans les bois écouter les mugissements du cerf en chaleur (À suivre).

* En Italie, par contre, je peux employer le mot « gatta » sans problème*. Ce qui varie d’un pays à l’autre est juste l’espèce : je pourrais vous proposer toute une série de noms d’animaux et même de végétaux désignant, en italien,  des parties anatomiques du corps humain bien connues.

lundi 3 novembre 2025

Être vache aujourd'hui

 

 

Vache suisse qui n’a aucun intérêt à passer la frontière française

Je viens d’entendre cet aphorisme :  

« On tue les vaches pour qu’elles ne meurent pas de maladie, on contrôle les réseaux sociaux pour protéger la démocratie ».

J'aime bien le rapprochement.*

* Un rapprochement vaguement "complotiste" qui renvoie au thème tout aussi complotiste des motivations occultes et à la question qui en découle : "Qui contrôle les contrôleurs "?