dimanche 9 novembre 2025

Le cerf est nu septième et dernier épisode. Des miroirs et des brames


(Suite et fin). C’est bête, mais lorsque j’entends le mot « brame » je ne peux pas m’empêcher de penser à Grimhilde, la méchante marâtre  de Blanche neige.  Dans la version italienne du récit, en s’adressant au miroir pour connaître le palmarès des beautés régionales*, elle emploie la formule  :

Specchio, specchio delle mie brame, chi è la più bella del reame ?

A savoir : « Miroir, miroir de mes désirs, qui est la plus belle du royaume ? »

Brama, en italien, signifie : « Désir démesuré, incontrôlable, qui se reflète dans les habitudes et dans chaque acte de l’individu : soif d’honneurs, de richesses, de plaisirs ».

Je viens de lire que la racine de ce terme est probablement onomatopéique. Ça ne m'étonne pas. Son étymologie est particulièrement intéressante : « Du germanique bramōn "hurler, rugir"; proprement "hurler de désir"]. – Désirer ardemment : brûler de posséder des richesses ; brûler de savoir ; désirer la mort de quelqu’un »**.

Quand on « brame », en italien, c’est qu’on est habité par un désir impérieux, peu importe que ce soit  d’amour, de connaissance ou de mort.  Le désir varie, mais ses effets restent théâtraux. 

Cette histoire de brames et de miroirs  pourrait intéresser les communautés rurales en quête d’attractions éco-touristiques. N’y a-t-il pas, au fond du bois, les vestiges d’un vieux manoir en ruine ? Eh bien, c’est le château de Grimhilde, la Reine-Sorcière.  Pendant les nuits sans lune, lorsque souffle le vent, un gémissement insolite,  furieux et langoureux à la fois, parcourt ces pierres vénérables. Ce n’est pas le brame du cerf, phénomène banal auquel on assiste partout, désormais, sans même besoin de quitter sa bagnole. C’est la bramosia de la Marâtre, l’expression sonore de son désir véhément et politiquement peu correct d’être la plus belle du royaume.

J'imagine l'annonce suivante affichée dans les locaux de la mairie :

« Pendant votre séjour dans la région, les animateurs de l’association  Wilderness et durabilité  vous permettront d’accéder à ce phénomène mystérieux, à la frontière entre le mystique et le paranormal ».

Et j'imagine aussi les réactions : 

- Moi, franchement,  je n’ai rien entendu !

- C’est que vous ne le méritiez pas. Et quoi qu'il en soit ... elle ne passe pas tous les jours.

* Le miroir de Grimhilde, manifestement, anticipe l’IA.

** "dal germanico *bramōn «urlare, ruggire»; propriamente «urlare dal desiderio»]. – Desiderare ardentemente: b. ricchezze; b. di sapere; b. la morte di qualcuno;https://www.treccani.it/vocabolario/ricerca/bramare/ - 

vendredi 7 novembre 2025

Où est passé Maurice ?


 
On dirait Maurice, mais il faudrait vérifier

- T’as vu Maurice ces derniers  temps ?

- Pas trop, deux ou trois fois …

- Ah …

- Je pense qu’il a un rapport toxique avec Gustave*.

- C’est quoi un rapport toxique ?

- C'est qu'ils se font peur mutuellement, alors qu'ils pourraient être alliés.

* Gustave est un chat

mercredi 5 novembre 2025

Le cerf est nu (6). Il n'y a pas que le cerf qui brâme

 

 

Théophile-Alexandre Steinlen Chat et Chatte (1903)

(Suite) Préambule 1) : Dans mon post du 15 septembre je taquinais un journaliste qui faisait des acrobaties pour ne pas utiliser le mot « chienne » qui lui paraissait trop connoté. Je découvre que moi aussi, tout en faisant mon désinvolte, je ressens un certain embarras en utilisant le mot « chatte » pour parler de la femelle du chat*.

Préambule 2) : Je reviens souvent sur la « sylvofilie » ambiante : actuellement, tout ce qui vient de la forêt (de la sylva) est noble alors que ce qui a été soumis au processus de domestication ne l’est pas. Je développe ce sujet dans Faut qu’ça saigne en insistant sur le décalage, en termes de « droit à la vie », entre le statut de l’ours et celui d’un âne ou d’un mouton.

Il s’avère qu’un autre animal, à côté du cerf, émet des hurlements impressionnants au moment du rut. Il s’agit de la chatte. Or, personne, à ma connaissance, n’organise des expéditions touristico-didactiques pour aller écouter le brame de la chatte. C’est plutôt le contraire. Ses miaulements pleins de désir sont très embarrassants, notamment lorsqu’on est à plusieurs à l’entendre simultanément, comme à la terrasse d’un restaurant. Ces gémissements lascifs sont d’autant plus insupportables qu’ils suscitent chez nous, automatiquement, l’identification. On a beau faire de l’humour, ou chercher à lancer une conversation intéressante pour détourner l’attention … la chatte insiste et on aurait envie de se barrer. Pour arrêter ce rappel véhément à nos pulsions refoulées, certains maîtres et maîtresses ont recours à la stérilisation.

En plein air c’est autre chose. Wilderness is beautiful. L’aube et le crépuscule sont les moments idéaux pour se rendre tous ensemble dans les bois écouter les mugissements du cerf en chaleur (À suivre).

* En Italie, par contre, je peux employer le mot « gatta » sans problème*. Ce qui varie d’un pays à l’autre est juste l’espèce : je pourrais vous proposer toute une série de noms d’animaux et même de végétaux désignant, en italien,  des parties anatomiques du corps humain bien connues.

lundi 3 novembre 2025

Être vache aujourd'hui

 

 

Vache suisse qui n’a aucun intérêt à passer la frontière française

Je viens d’entendre cet aphorisme :  

« On tue les vaches pour qu’elles ne meurent pas de maladie, on contrôle les réseaux sociaux pour protéger la démocratie ».

J'aime bien le rapprochement.*

* Un rapprochement vaguement "complotiste" qui renvoie au thème tout aussi complotiste des motivations occultes et à la question qui en découle : "Qui contrôle les contrôleurs "?

 


samedi 1 novembre 2025

Le cerf est nu (5). Le brame et le blâme

Infirmière suédoise présentant aux élèves des schémas des organes génitaux et du système reproducteur  (source : Wikiédia/Musée nordique, ref:NMA.0028135)

(Suite). J’en viens au cœur de mon raisonnement. Pourquoi donc au début de l’automne le cerf se met à brâmer ? Je pose la question à ChatGPT (l'oracle) qui me répond : « Le brame du cerf est un cri de puissance, de séduction et de rivalité. Il joue un rôle crucial dans la reproduction de l’espèce et dans la hiérarchie entre les mâles ».

« Certes que ce cerf - me dis-je – est un bel exemple de macho. Il crie comme un hooligan, il cogne ses rivaux et il cherche à séduire les femelles   en montrant ses muscles ». Je suis saisi par un doute et je demande à l’oracle : « Quel est l’état physique d’un cerf pendant le brame ? ». Il me répond : « Le stress lié à la compétition et à la recherche de partenaires provoque une production accrue de testostérone, qui stimule l’agressivité, mais affaiblit aussi son système immunitaire ».

Donc, entre septembre et octobre, on se rend dans les bois pour écouter, dans un silence presque religieux, les gémissements spectaculaires d’un érotomane cogneur.

J’imagine la réaction de l’agent de l’ONF m’entendant prononcer cette hérésie : « Mais ça ne va pas ? Vous êtes un pervers. Je suis là pour faire de la didactique, pour accompagner ces néophytes dans la découverte des mystères de la nature, pour expliquer son fonctionnement, pour les aider à savourer le charme nocturne de la forêt, qui s’exprime par ces sons envoûtants et qui nous donne par-là ses leçons de vie … et vous sortez ces cochonneries. C’est indécent ». Je lui répondrais : « Si moi je suis indécent, vous, vous êtes hypocrite, parce que le référentiel du brame, derrière vos doctes éclairages zoologiques, est bien le coït. C’est comme si vous vous rendiez dans la forêt pour écouter les grognements de l’Homme sauvage qui se prépare à honorer sa compagne en gueulant comme un bariton.  Et je n’ai pas de mal à me figurer les images subliminales, pleines de comparaisons, de rapprochements, de parallélismes, de mensurations, qui vous traversent l’esprit – le vôtre et celui de vos apprenti.e.s – pendant que vous les introduisez aux secrets de la Wilderness ».

Bref, c’est comme dans l’histoire des habits neufs de l’empereur :  le priapisme de la scène est sous les yeux de tout le monde, mais personne ne le voit parce que tout le monde est complice. (À suivre).