vendredi 4 février 2022

Faut-il brosser les chasseurs dans le sens du poil ? A propos d’un ouvrage récent de Glauco Sanga comparant les chasseurs aux marginaux.

 

 


Je suis parfois étonné de la désinvolture avec laquelle les chasseurs contemporains se réclament de ces « ancêtres mythiques » que sont devenus pour eux  les chasseurs-cueilleurs. Leur référentiel, assez souvent,  est un « chasseur-cueilleur pour philosophes », sorte de « bon sauvage » déduit à partir  de ce que nous sommes. Et  puisque nous sommes des gaspilleurs et des ennemis de la nature, le « bon chasseur d’antan » sera forcément un protecteur de l’environnement et un ami des animaux.

D’autres lectures sont pourtant possibles, qui n’emporteraient pas l’enthousiasme des porte-parole du monde cynégétique qui cherchent dans le passé lointain, ou dans  l’exotisme, les arguments pour anoblir le chasseur contemporain*. J’y pense en lisant ce passage particulièrement insolite et intrigant, dans lequel l’anthropologue et linguiste Glauco Sanga, nous parlant de la fable, de ses antécédents et de ses voies de propagation, compare les chasseurs-cueilleurs aux marginaux contemporains :

« Quel rapport y a-t-il entre les marginaux et les chasseurs ? Si nous comparons systématiquement les caractéristiques de la culture des marginaux avec celles des chasseur-cueilleurs nous trouvons des analogies surprenantes sur le plan économique, environnemental, social, idéologique, psychologique. Les chasseurs-cueilleurs n’ont pas un « mode de production » mais un « mode d’exploitation », selon la définition de Meillassoux (…), alors que l’agriculture, l’élevage, l’industrie, « produisent » les ressources, la chasse et la cueillette «  prédatent  » [exercent la prédation sur] les ressources existantes : « L’homme puise tout ce qui lui sert dans la nature sans l’améliorer ni la modifier » (…). Les marginaux, de la même manière, se procurent leurs ressources par la prédation, non pas dans l’environnement naturel mais dans l’environnement social : le vol et la fraude (homologues de la chasse avec des armes et des pièges) et la mendicité (homologue de la cueillette). La mendicité (comme la cueillette) est individuelle, tandis que le vol et la fraude (comme la chasse), peuvent prendre des formes coopératives. Le temps consacré à la prédation, parmi les marginaux comme parmi les chasseurs-cueilleurs, est dans son ensemble limité, mais irrégulier, et présente cette allure fluctuante, assez caractéristique,  que Sahlins a défini le « rythme paléolithique ».  (…). Les ressources, même si elles peuvent parfois abonder, sont aléatoires. Aucune forme d’accumulation de la richesse n’est pratiquée ; il s’ensuit un régime de fluctuation existentielle où l’on voit s’alterner les périodes d’abondance et celles de pénurie. Sur le plan environnemental les marginaux, comme les chasseurs-cueilleurs, pratiquent également le nomadisme, c’est à dire la dispersion territoriale pour pouvoir exploiter les ressources selon la logique de la  rotation ; et en montrant une grande capacité d’adaptation à l’environnement, qui n’est pas modifié mais parasité. Même sur le plan social les marginaux présentent la caractéristique typique des chasseurs-cueilleurs, c’est à dire la flexibilité des groupes sociaux : le groupe fondamental est la bande, une agrégation souple et instable reliée à l’exploitation des ressources. Il y a une forte idéologie solidaire et égalitaire ; le produit du vol (comme celui de la chasse) est équitablement partagé par le groupe. À l’instar de la chasse par rapport à la cueillette, le vol et la fraude sont valorisés par rapport à la mendicité, comme sont valorisées l’intelligence, l’habileté, l’astuce, l’audace et la capacité de s’exposer au risque, ainsi que la liberté et l’absence de contraintes. Pour finir, on retrouve, aussi bien chez les chasseurs-cueilleurs que chez les marginaux, l’immersion dans le présent (le fait de vivre au jour le jour) ; l’aversion pour le travail (en tant que contrainte, discipline, obligation) ; la propension à l’oisiveté, à la dépense, à l’excès ; un fort sentiment identitaire et de supériorité qui, dans le contact avec les populations qui produisent, engendre une idéologie de l’inversion des valeurs (le « monde à l’envers) et une opposition systématique des deux mondes : les marginaux opposent les droits aux gagi [les paysans perçus comme des poulets à plumer], comme les Pygmées Mbuti opposent la forêt au village » (…). Glauco Sanga, La fiaba. Morfologia, antropologia, storia. Padova, CLEUP Università di Padova, 2020, p. 268-270**. Je reviendrai sur cet ouvrage, probablement.

*Je rappelle que je n’ai rien contre le chasseur contemporain. Je n’aime pas trop, cependant, le chasseur fanatique ou obtus (il y en a quelques uns). Je parle de celui  qui ne tolère pas l’ironie, qui pense que pour valoriser la chasse il faut cacher les évidences fâcheuses, qui aime seulement les analyses partisanes brossant le chasseur dans le sens du poil.

** Ma traduction un peu hâtive.

 

 

2 commentaires:

  1. Et le chien… il a oublié le chien ! Pas de chasseur sans chien, ça, nous l’avons compris, « cet animal fidèle que le ciel a créé pour lui », mais pas non plus de punk à chien sans chien… J’en ai d’ailleurs vu un l’autre jour devant le Monoprix : il partageait avec son bon ami, un animal tout aussi hirsute que lui, un carré de roquefort comme tout un dessert ! c’est vous dire…

    RépondreSupprimer
  2. V. Pecresse et E. Zemour brossent dans le sens du poil... «  premiers amoureux de la nature » pour l’une, »les vrais écologistes «  pour l’autre, heureux chasseurs en ce 15 février 2022 !

    RépondreSupprimer