Cette photo de Karen Blixen semblerait contredire mes propos et ceux des deux auteurs cités ci-dessous. La référence au statut aristocratique de cette chasseresse un peu spéciale, qui perpétue un privilège et anticipe une tendance (les femmes qui chassent sont en train d'augmenter), nous aide à surmonter cette contradiction apparente.
(Suite) Si les accidents de chasse ont un pouvoir évocateur très prononcé c’est par identification, bien entendu, parce qu’ils nous rappellent notre statut de victimes potentielles. Mais c’est aussi – j’en parlais dans un billet précédent – par leur exemplarité, par leur familiarité avec des modèles mythiques. Dans le cas de la randonneuse tuée dans le Cantal, un autre élément s’ajoute aux précédents. Le chasseur, cette fois, est une femme. Une femme qui verse le sang d’une autre femme. Cela rentre en conflit avec une manière assez répandue de se représenter l’ordre du monde. Certains commentateurs trouveront peut-être normal que, dans une société qui se démocratise, il puisse arriver même aux femmes de tuer leur prochain pendant une battue de chasse*. Mais l’ordre social et l’ordre symbolique n’évoluent pas à la même vitesse. La société se démocratise mais certains préjugés sont longs à mourir, comme l’idée que les hommes et les femmes n’occupent pas la même place par rapport au droit/devoir de verser le sang.
On ne me croit pas ? Eh bien, on n’a qu’à lire les études d’Alain Testart (L’amazone et la cuisinière. Anthropologie de la division sexuelle du travail, Paris, Éditions Gallimard, 2014) et de Lucien Scubla : Donner la vie, donner la mort. Psychanalyse, anthropologie, philosophie, Lormont, Le Bord de l'eau, coll. « La bibliothèque du Mauss », 2014. (À suivre).
* Et ils pourraient ajouter que c’est même un progrès, à la limite, vers l’égalité des sexes.
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