Il ne pleut pas. Je me promène dans les bois des Monts d’Arrée avec un petit sac, bien conscient que, pour trouver des champignons, il aurait fallu que je m’y rende quelques semaines plus tôt. L’avantage, ici, c’est que les concurrents sont rares. Dans cette région pleine de mystère les autochtones s'intéressent à autre chose. Les Anglais poussent comme des champignons. Mais ils ne les ramassent pas.
Je m’efforce de rejoindre l’état d’ataraxie que l’isolement, le silence, le parfum intense des feuilles mouillées devraient favoriser. Je n’y parviens pas. C’est qu'en regardant l’heure, juste avant d’entrer dans le fourré, j’étais tombé sur un reportage consacré au réarmement nucléaire. J’ai beau me mettre sous le nez les feuilles tanniques du châtaigner et remuer la terre à la manière des sangliers pour renouer avec mon passé chtonien*. Mon corps est dans le bois mais ma tête divague.
Je croise un cyborg. C’est un pneu, mais avec le dos végétalisé.
Je le salue en lui disant : « Salut le pneu. Toi, plus tard, tu seras encore là. Moi … nous ... ».
En poursuivant je me surprends en train de fredonner une vieille chanson de Francesco Guccini rendue célèbre en Italie par le groupe I Nomadi. Elle s’appelle : Noi non ci saremo. « Nous ne serons plus là » :
« Vedremo soltanto una sfera di fuoco
più grande del sole, più vasta del mondo;
nemmeno un grido risuonerà
solo il silenzio come un sudario si stenderà
fra il cielo e la terra
per mille secoli almeno
ma noi non ci saremo, no, noi non ci saremo ».
plus grande que le soleil, plus vaste que le monde ;
pas même un cri ne résonnera,
seulement le silence, tel un suaire, s’étendra
entre le ciel et la terre
pour mille siècles au moins,
mais nous ne serons plus là, non, nous ne serons plus là ».
Ce texte aux accents prophétiques, à sa sortie, correspondait parfaitement à mes goûts, mes attentes et ma perception du futur. J'aimais notamment le passage suivant » :
« E catene di monti coperti di neve
saranno confine a foreste di abeti
mai mano d'uomo le toccherà,
e ancora le spiagge risuoneranno delle onde
e in alto, lontano, ritornerà il sereno
ma noi non ci saremo, no, noi non ci saremo ».
feront frontière à des forêts de sapins ;
jamais main d’homme ne les touchera,
et encore les plages résonneront du bruit des vagues,
et là-haut, au loin, reviendra le beau temps,
mais nous ne serons plus là, non , nous ne serons plus là »**.
Les adolescents de l’époque, dont
je faisais partie, étaient des
hippies débutants. Ils ne connaissaient pas encore grand-chose du monde, juste
les trois ou quatre accords nécessaires pour singer les Nomadi (do ;
sib ; do ; sol …) et pour gérer leur angoisse en
annonçant l’apocalypse.
* Des temps antédiluviens où j’étais une taupe ou un blaireau. Mon post, cette
fois, est plein de mots difficiles. C’est pour me donner des airs.
** On trouvera la version intégrale de "Noi non ci saremo" à l’adresse suivante : https://www.musixmatch.com/it/testo/Nomadi/Noi-non-ci-saremo
Les Monts d’Arrée, même sans pluie, semblent vous préserver d’un optimisme béat.
RépondreSupprimerDans les années 70, j’avais le même genre d’extase morbide en écoutant avec ma sœur l’album des Pink Floyd, « Atom heart mother ».
Vous dites « prophétique », il faut que vous vous trompiez, et que l’égrégore des langueurs adolescentes n’ait pas le pouvoir de susciter un monde toujours plus cauchemardesque.
Armelle Sêpa.
Mon extase face à l’apocalypse imminente était effectivement un phénomène courant, typique de l’adolescence. Cet enthousiasme « millénariste » s’expliquait, en bonne partie, par le fait que, dans mon for intérieur, l’apocalypse en question restait très hypothétique (à l’époque, j’aurais sans doute nié cet aspect). Je suis d’accord avec vous. Éloignons de nous les pensées cauchemardesques et cherchons à mieux apprécier ce qu’il y a de solaire dans le quotidien.
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