samedi 1 novembre 2025

Le cerf est nu (5). Le brame et le blâme

Infirmière suédoise présentant aux élèves des schémas des organes génitaux et du système reproducteur  (source : Wikiédia/Musée nordique, ref:NMA.0028135)

(Suite). J’en viens au cœur de mon raisonnement. Pourquoi donc au début de l’automne le cerf se met à brâmer ? Je pose la question à ChatGPT (l'oracle) qui me répond : « Le brame du cerf est un cri de puissance, de séduction et de rivalité. Il joue un rôle crucial dans la reproduction de l’espèce et dans la hiérarchie entre les mâles ».

« Certes que ce cerf - me dis-je – est un bel exemple de macho ». Il crie comme un hooligan, il cogne ses rivaux et il cherche à séduire les femelles   en montrant ses muscles. Je suis saisi par un doute et je demande à l’oracle : « Quel est l’état physique d’un cerf pendant le brame ? ». Il me répond : « Le stress lié à la compétition et à la recherche de partenaires provoque une production accrue de testostérone, qui stimule l’agressivité, mais affaiblit aussi son système immunitaire ».

Donc, entre septembre et octobre, on se rend dans les bois pour écouter, dans un silence presque religieux, les gémissements spectaculaires d’un érotomane cogneur.

J’imagine la réaction de l’agent de l’ONF m’entendant prononcer cette hérésie : « Mais ça ne va pas ? Vous êtes un pervers. Je suis là pour faire de la didactique, pour accompagner ces néophytes dans la découverte des mystères de la nature, pour expliquer son fonctionnement, pour les aider à savourer le charme nocturne de la forêt, qui s’exprime par ces sons envoûtants et qui nous donne par-là ses leçons de vie … et vous sortez ces cochonneries. C’est indécent ». Je lui répondrais : « Si moi je suis indécent, vous, vous êtes hypocrite, parce que le référentiel du brame, derrière vos doctes éclairages zoologiques, est bien le coït. C’est comme si vous vous rendiez dans la forêt pour écouter les grognements de l’Homme sauvage qui se prépare à honorer sa compagne en gueulant comme un bariton.  Et je n’ai pas de mal à me figurer les images subliminales, pleines de comparaisons, de rapprochements, de parallélismes, de mensurations, qui vous traversent l’esprit – le vôtre et celui de vos apprenti.e.s – pendant que vous les introduisez aux secrets de la Wilderness ».

Bref, c’est comme dans l’histoire des habits neufs de l’empereur :  le priapisme de la scène est sous les yeux de tout le monde, mais personne ne le voit parce que tout le monde est complice. (À suivre).

jeudi 30 octobre 2025

Le vivant et la mémoire des lieux

  Shaman toungouse en communication directe avec le Vivant (qui autrefois s'appelait autrement, mais ce n'est pas lui qui décide).

Je reviens souvent sur notre côté « animiste ». J’ai le sentiment que le Vivant nous observe*, analyse nos comportements et, si on lui prête attention,  nous communique même les résultats. Parfois il nous sanctionne, parfois il a envie de nous encourager. 

Cette année, pour l’instant, j’ai été plutôt bien noté. À chaque fois que je suis allé aux champignons j’en ai trouvé pas mal. Et les animaux sauvages, dans les bois, se laissaient surprendre comme si j’étais au zoo**.

Cela fait plaisir, on a le sentiment d’être accepté : « T’es revenu ! On te connaît, tu sais ? On se souvient de quand tu étais petit, avec ton duffle-coat microscopique.Tu gambadais comme un desperado sous les châtaigniers, un panier  à la main plus grand que toi. On se souvient également de tes aïeuls, qui étaient déjà membres de notre collectif.  Et même de tes ancêtres préhistoriques, qui vnaient ici, au flanc de la montagne, ramasser les silex ».

On me dira : « Tous ces champignons, tous ces animaux de la forêt qui te font coucou comme chez Walt Disney … c’est juste à cause du  réchauffement climatique »

* Très à la mode le substantif "Vivant" est devenu un terme fourre-tout aussi polyvalent qu'un couteau suisse.

** Oui, c’est une hyperbole. 

mardi 28 octobre 2025

Le cerf est nu (4). Les vertus de la synesthésie

 


Arte Sella Theatre “The Cube” di Rainer Gross, 2015. Installation artistique permettant d’apprécier une performance esthétique (pièce de théâtre,  concert etc.) dans un cadre très chargé de sollicitations sensorielles. 

(Suite) Comme les communautés bariolées qui se réunissent à l’automne sous la houlette d’un spécialiste pour être initiées aux mystères du brâme, moi aussi je fantasme*. Je me permets donc d’imaginer que, derrière les motivations officielles (« J’aime la nature et je tiens à la connaître dans tous ses replis … ») l’esprit de l’éco-touriste soit traversé par des « parasites » qu’il n’a aucune envie de nous faire partager*. Derrière les explications officielles et les fantaisies individuelles, sur le plan fonctionnel,  il y a l’attrait du cadre : le plaisir de se retrouver tous ensemble dans un décor majestueux, prêts à l'avènement  d'une manifestation sonore qui aura l’effet d’une épiphanie. Il n’y a pas d’encens, remplacé par des arômes tout aussi prégnants, mais tous les éléments contribuant au sentiment du sacré sont réunis. L’architecture des cathédrales gothiques ne tire-t-elle pas son inspiration de la végétation arborée?

On appelle synesthésie l’association de plusieurs sollicitations sensorielles (visuelles, olfactives, sonores, tactiles), qui convergent dans une même expérience. Le beau de ces expériences est qu’en jouant sur les instincts, donc sur des réactions éthologiques, elles permettent de donner du sens à des choses qui, prises singulièrement, n’ont pour nous qu’un charme relatif. On procède par addition. La marche en montagne m’intéresse moyennement ? Les quatuors de Schubert me fatiguent ?  Il suffit que ces mêmes quatuors soient joués à l’aube, et à 2000 mètres d’altitude, pour me réconcilier à la fois avec la musique de chambre et avec l’alpinisme*.

La surabondance des sensations aide à compenser la carence de sens.

Même dans le cas du brame il est question de sens, mais au pluriel : cet  appel libidineux venant du fond des bois nous parle des sens ( les nôtres et ceux de la bête) et de leur force impérieuse.

 (À suivre).

* Et pour rendre compatible la musique de chambre, qui comme son nom l’indique serait à jouer dans un espace restreint, avec l’immensité des pâturages alpins. 

dimanche 26 octobre 2025

Moi et la grive. Histoire sordide mais vraie

 



Il y a quelques jours, sur les marches du jardin, il y avait une grive morte. Elle était dodue et encore tiède. Sur le corps, aucune trace de violence. Empoisonnée ? Très improbable. Assassinée par un chat ? Il y aurait eu des plumes partout. Un avertissement de la mafia qui désormais fait la pluie et le  beau temps partout, même en Vénétie ? (Cette fois c’est une grive, la prochaine ce sera une tête de cheval …)

Je me suis demandé s’il fallait l’enterrer. Après j’ai décidé que, puisqu’on ne se connaissait pas …  enfin, pour tout avouer, je l’ai balancée dans la broussaille,  de l’autre côté de la route, où les visiteurs de la nuit ont sans doute procédé à sa dissolution.

En rentrant à la maison, j’ai remarqué une plume minuscule qui vibrait au beau milieu de la fenêtre. Alors j’ai tout compris. La journée était radieuse et la fenêtre réfléchissait le ciel, un ciel automnal d’une pureté extrême. La grive s’est trompée et au lieu de s'élancer vers le ciel, s’est projetée contre la vitre.

Et c’est là que l’histoire devient sordide.   

Pendant un moment, comme dans une interférence radio, mon cerveau reptilien a pris les commandes : « Tu es vraiment bête. Mais tu n’as pas compris que c’était un don ? C’était pour toi, cette belle grive dodue. Tu n’avais qu’à la plumer, la préparer avec quelques lardons et deux ou trois baies de genévrier. Quel manque de reconnaissance ! Quel gaspillage ! ».

Si j’étais une grive, aimerais-je mieux finir mon dernier vol dans l’estomac d’un humain ou dans celui d’un non-humain ?

 

vendredi 24 octobre 2025

Le cerf est nu (3). La volonté de savoir

 


Appeau à Cerf Hubertus (Marque Fritzmann) - Embouchure Bois, Tubes Coulissants - #33332-16*

(Suite) Le brame, donc, est un moment à ne pas rater. Et que faut-il faire pour ne pas le rater ? J’ai interrogé l’Oracle (ChatGPT) et voici sa réponse : « Pour vivre une expérience collective d'écoute du brâme, on peut participer à des sorties guidées organisées par des professionnels de la nature, souvent des agents de l'Office national des forêts (ONF) ou des associations locales, pendant la période du rut (mi-septembre à mi-octobre). Ces sorties, qui se déroulent généralement à l'aube ou au crépuscule, offrent un cadre idéal pour observer et écouter le cerf en toute sécurité, loin des zones sensibles, et permettent de bénéficier de l'expertise des animateurs pour comprendre ce phénomène naturel ».

Pourquoi donc des collectifs se réunissent entre chien et loup dans un drôle de cortège dirigé par un « professionnel de la nature » ? Mais bien sûr, c’est « pour comprendre un phénomène naturel ». Oui, parce qu’il arrive parfois, pendant la nuit, qu’on ait du mal à s’endormir tellement le besoin de comprendre un phénomène naturel nous tracasse « Pourquoi le brame ? Il faut absolument que je sache ! ». (À suivre).

* « Attirez les cerfs avec précision grâce à l'appeau à cerf Hubertus, référence #33332-16. Cet appeau haut de gamme est conçu pour reproduire fidèlement le brame du cerf grâce à son embouchure en bois et ses tubes coulissants qui permettent de moduler facilement le son. Que vous soyez un chasseur passionné ou un amateur de nature, cet appeau vous garantit des résultats exceptionnels sur le terrain. Fabriqué avec des matériaux durables, l'appeau Hubertus est un outil essentiel pour réussir vos sorties en période de rut ».

 J'aime la nature? J'achète un appeau pour duper le cerf qui trouvera ça très drôle. Rien de plus naturel.

mercredi 22 octobre 2025

Rien ne justifie la chasse ? Demandez-le à votre chien




C’est l’automne, ce qui m’incite à reparler de la chasse. Je viens de visionner un clip qui circule beaucoup en Italie. On y voit un chasseur avec son chien, un cerf dans toute sa splendeur, une biche tout aussi splendide, un lapin, magnifique lui aussi dans son genre, un loup en pleine forme qui hurle comme il se doit au sommet d’un rocher. Le paysage est féérique. Le chasseur s’arrête et vise le cerf. Le chien s’approche de son maître et touche son bras délicatement, comme pour dire, « Ne tire pas, ce sera encore mieux ».  Le chasseur comprend le message, renonce à tirer et embrasse son chien.

 

La scène repose sur un grand mensonge ou, plus précisément, sur une mystification éthologique, attribuant au chien des sentiments qui sont loin de lui appartenir.  Mais ce qui compte est la « vérité » qu’elle entend transmettre : Niente giustifica la caccia (Rien ne justifie la chasse). 

Ce spot publicitaire qui, pour de « bonnes raisons »,  fait dire à la nature ce qu’elle ne dit pas, trahit, derrière son apparence sympathique,  le refus d'accepter d’autres visions du monde que la sienne - une vision tellement juste qu'il faut l'imposer à tout prix : « Le bien-fondé éthique de mon point de vue est tellement évident qu'il m’autorise à  falsifier le réel ».

 

La cible de cette campagne, à première vue, est légitime. Elle concerne la proposition de loi du gouvernement italien, appelée par l’opposition, la « legge sparatutto »,   (la loi « tire sur n’importe quoi ») qui restitue aux chasseurs des opportunités qu’on leur avait enlevées au nom de la défense de l’environnement. Cette loi prévoit, entre autres, l’allongement de la saison de chasse, la possible réduction des zones naturelles protégées et beacoup d’autres « optionals » censés faire la joie des chasseurs/électeurs les plus enfantins*.

Le problème est que le but implicite de l’association à l’origine de ce spot (la Fondazione Capellino, liée à une grande entreprise de « pet food »), n’est pas tant la mise en adéquation de la chasse avec les valeurs de l’écologie, mais l’abolition de la chasse tout court **.

Comme je le disais dans mon billet du 23 septembre, en transformant le monde de la chasse en une version moderne du Pays de Cocagne, le gouvernement qui gère actuellement l'Italie***  parviendra peut-être à exaspérer l'opinion publique et à obtenir ce résultat  (la fin de la chasse) par le déclanchement d'un référendum.

 

* Quelques aspects de cette proposition, notamment ceux qui concernent la préservation de certaines chasses traditionnelles profondément liées à l’histoire du territoire, ne peuvent pas laisser insensible l’ethnologue que je suis. Mais ils deviennent douteux par contamination, affectés par l’esprit populiste et électoraliste qui gère l’ensemble.

** En une semaine, la pétition associée au film, a recueilli 40.000 signatures. 

*** La patrie de Verdi et de Garibaldi, certes, mais aussi de Polichinelle et Aldo Maccione

 

 

 


lundi 20 octobre 2025

Le cerf est nu (2). Un deux trois, soleil

 

Au premier plan, cerf taxidermisé (cliché SDB) 

(Suite) Je comprends que des chasseurs puissent s’intéresser au brâme du cerf. Ils suivent le cerf tout au long de l’année, donc, pourquoi pas à ce moment-là ? Et puis, entendre le cerf qui pousse ses hurlements favorise sa localisation. Absorbé dans son enthousiasme reproductif, il est moins méfiant et on peut en profiter. On l’approche sans faire de bruit comme dans le jeu « un deux trois soleil » et, puisqu'on est bon tireur, on met fin à ses braillements par un tir impeccable qui lui permettra d’accéder au Walhalla des cervidés sans même s’en apercevoir.

Il se peut que, dans ses fantaisies, le chasseur se projette dans la scène nuptiale qu’il vient de bouleverser, mais ce n’est pas en lui posant la question qu’on en saura davantage.  On trouve des indices qui vont dans ce sens, cependant, dans ses poèmes et ses souvenirs littéraires. J'en fais l'analyse dans mon article « Sur qui tire le chasseur ? Jouissances dans les bois », in Terrain, Jouir ? n. 67, 2017 librement accessible en ligne : https://journals.openedition.org/terrain/16152

 (À suivre)

samedi 18 octobre 2025

Ne lisez surtout pas mon blog (6 - dernier épisode).

 


(Suite et fin). Pour tout avouer, troublé par la réponse diplomatique (trop diplomatique, à mes yeux), de l’Intelligence Artificielle j’ai eu le sentiment qu’une instance transcendante, animée par un esprit normalisateur, œuvrait à l’invisibilisation de mon blog.  Après je me suis dit : « Sois sérieux, c’est une belle manière de justifier ton échec sans assumer tes responsabilités ». Alors, j’ai cherché une issue compatible avec mon amour propre, mais moins complotiste. Je l’ai trouvée dans l’anthropologie des controverses de Bruno Latour et Michel Callon : pour avoir de la visibilité il faut appartenir à un réseau, appartenir à une paroisse. Les Cani sciolti, comme on les appelle en italien (les électrons libres dirait-on en français, mais je préfère « chiens sans laisse »), qu’ils mordent à fond comme des loups, ou doucement comme des brebis, sont censés s'évaporer dans les brumes de l’anonymat. C’est triste, comme constat, mais c’est déjà anoblissant. Cela fait Lonely Cowboy.

J’ajoute une dernière tentative d’explication (il y en aurait d’autres liées, par exemple, aux thématiques de René Girard, mais je vous les épargne) et j’ai fini.

Jeanne Favret-Saada, dans un passage remarquable de son ouvrage consacré, derrière la sorcellerie, à la méthode ethnologique, nous rappelle une évidence qu’on a tendance à sous-estimer : le regard fixé sur le « Je » ou sur le « Ils » du récit ethnologique tend à nous faire oublier que lorsque l’ethnologue dit : « Ils » (« Là-bas ils pensent ceci, ils font comme ça »), c’est par rapport au « Tu » à qui il s’adresse. Or, dans mon blog, le « Tu » à qui je m’adresse est trop générique.

Les chasseurs le savent bien : lorsqu’on voit passer un vol d’oiseaux, il ne faut pas tirer dans le tas.  Il faut en choisir un en particulier, sinon on risque de tous les rater.

__________

À la fin du raisonnement, quand-même, j’ai été saisi par un doute :

Mais moi, est-ce que j’interviens dans les blogs des autres ?

 

jeudi 16 octobre 2025

Le cerf est nu (1). Un spectacle à ne pas rater

 

Scène de séduction entre cervidés (détail extrait du Livre de Chasse de Gaston Fébus/Phoebus/Phébus composé entre 1387 et 1389)

Il y a longtemps, dans l’Utopie de la nature, je dessinais les traits de ce que, plus tard, j’ai pris l’habitude d’appeler l’« éco-voyeurisme ». En consultant les revues de voyage et les reportages naturalistes, j’avais constaté une certaine prédilection, chez les photographes et leur public, pour les scènes de poursuite/dévoration et de « fiançailles ». J’avais trouvé une confirmation explicite à cette prédilection chez les auteurs mêmes de ces reportages, comme par exemple chez Yann-Arthus Bertrand qui déclarait :

« Par la simple observation discrète vous obtiendrez souvent un scoop formidable. Les animaux sont dans leur territoire, vous êtes des intrus, en cage mais en trop. Respectez-les, ils vous accepteront. Une chose encore, ne brulez pas toutes vos pellicules le premier jour ; ce qui paraîtra exceptionnel à votre premier Game drive, vous le retrouverez presque tous les jours. A moins de tomber sur une chasse ou sur un accouplement, attendez que la lumière soit bonne ».*

Si on s’intéresse à ces séquences très dynamiques, et  très chargées émotionnellement, c’est pour connaitre en profondeur la vie des animaux, mais pas seulement. On apprend et, en même temps, on fantasme, on s’identifie.

Cet éco-voyeurisme qui ne dit pas son nom vient de trouver une forme institutionnalisée  :  désormais tous les ans, entre septembre et octobre, les médias nous invitent à « ne pas rater » le brâme du cerf, car « c’est le moment propice ».

Puisque le moment est propice, n'hésitons pas à jeter un coup d'œil nous aussi sur ce fait de société. (À suivre).

* Cité dans L’utopie de la nature. Chasseurs, Écologistes, Touristes, Paris, Imago, 1996, dans le chapitre : Pornographie animale, p. 210 et suivantes.

mardi 14 octobre 2025

Ne lisez surtout pas mon blog (5 )-. Un regard objectif

 

 



L’esprit de mon blog selon l’Intelligence artificielle (je caricature à peine)

(Suite) D’accord, si mon blog ne marche pas c’est, tout bonnement, qu’il ne le mérite pas. Mais alors, pourquoi ? J’ai interrogé l’Oracle, à savoir CHATGPT. D’abord, juste pour le tester, je lui ai demandé d’écrire un billet pour mon blog en cherchant à respecter mes idées et mon style (je l’ai publié dans un post du 15 décembre 2024). Il en est sorti quelque chose d’assez décevant : l’intelligence artificielle me faisait passer pour un gentil, plein d’amour pour les animaux et bourré de bons sentiments. Après j’ai pris courage et je lui ai demandé : « Pourquoi mon blog, malgré sa longue présence dans le réseau, ne produit pas assez de réactions ? ». CHATGPT m’a traité avec beaucoup de respect et je dirais même d’humanité, comme on le fait avec le candidat à un poste de Maître de conférences lorsqu’on lui annonce que ce poste, hélas, a été donné à quelqu’un d’autre : « Et pourtant votre dossier était bon. Même trop bon ! ».

Il a fini par me donner toute une série de conseils techniques, en bonne partie utiles je crois, pour améliorer ma visibilité. Mais ce n’est pas ce que j’attendais. Dans un souci d’auto-objectivité, je me suis alors posé la question du décalage éventuel entre ce que je crois écrire et ce que j’écris réellement. Je lui ai donc demandé de parcourir les mots clé qui accompagnent le blog, et de les lister en fonction de   leur récurrence statistique. La réponse était, à première vue, prévisible : nature, sauvage, domestique, frontière, mémoire,  identité / altérité, violence, loup, ours, chien(s).

D’après moi, il manquait quelque chose. (À suivre).

dimanche 12 octobre 2025

Par-delà nature et culture. (À propos de mon chien)

  

 


 Paysage fluvial très propice à la promenade avec son chien  (Cliché SDB)

L’altérité des non-humains (la distance radicale censée les séparer des humains) est une construction sociale, je suis prêt à le reconnaître. 

J’étais très proche de mon chien. J’ai passé ma jeunesse à me promener avec lui dans les champs, les bois et, lorsqu’on n'avait pas le temps pour s'éloigner, dans la broussaille qui longe le fleuve. On adorait tous les deux ces détours improductifs. La principale différence entre lui et moi, était que moi je disposais d’une maison, lui d’un jardin et d’un merveilleux chenil en dur avec tous les conforts d’un mobil-home. Il me semblait naturel que, en tant qu’animal, il vive dehors*. J’ajouterai que j’ai toujours ressenti une certaine antipathie pour les chiens casaniers et pantouflards.

Mais voici le problème : l’idéal de mon chien était la cohabitation et la porte d’entrée de la maison était vitrée. Le matin, lorsque je regagnais la cuisine pour préparer le thé, il était déjà sur place, le nez collé à la vitre. Je sortais et je le saluais affectueusement : « Tiens tiens, regardez qui est là. As-tu bien dormi, mon vieux ?». Je le caressais un peu, c’était plutôt une accolade, et je lui donnais quelque chose à bouffer.

Dès que je rentrais il commençait à gratter à la porte. Je sortais à nouveau et je lui disais : « Écoute …  toi tu es un chien, moi non. Il faut que tu comprennes. T’as la chance d’avoir un jardin et un abri confortable ».

C’est inhumain, je le sais. Mais c’est comme ça. C’est très idéologique, mais j’ai le sentiment qu’un setter anglais qui vit à la maison trahit sa nature propre, son programme, sa physis, comme l'aurait dit Aristote*.

Hier matin, dans la pénombre, j'ai cru voir ses yeux qui me fixaient. Entre la porte vitrée et la cuisine, heureusement, il y a une autre porte qui normalement reste ouverte. Comme je le faisais lorsque mon chien était là, je l’ai fermée pour continuer mon petit déjeuner dans le calme.

* Moi aussi je suis un animal, je le sais. 

** Pareil pour les setters irlandais. Je parle de mon chien au singulier, mais je devrais employer le pluriel. 

vendredi 10 octobre 2025

Ne lisez surtout pas mon blog (4)

 


 "The Ogre's Feast" par uauiejon

(Suite) Parler de nouvelles écritures dans les sciences humaines c’est aussi parler des nouvelles manières de consolider sa présence en tant qu’auteur. On peut donc bien comprendre que le manque de réponses que je viens d’avouer m’ait rendu vaguement paranoïaque. Je croyais qu’afficher mes idées dans l’espace public m’aurait permis d’en assurer la paternité. J’avais même imaginé que quelqu’un aurait pu citer des passages du blog dans des textes sérieux (en ouvrant un jeu intéressant et subversif entre l’officiel et l’officieux). Le problème est que le blog est un espace bâtard. Un no man’s land qu’on peut traverser régulièrement sans que personne n’enregistre notre passage.

Vous savez à quel point, dans la recherche en sciences humaines, on tient à ses inventions (enfin, à celles qu’on considère comme ses propres inventions alors que d’autres, souvent, y avaient déjà pensé). J’étais donc fier d’afficher sur le blog les fruits tout frais de ma réflexion. Mais à partir d’un certain moment, je me suis dit : « Tiens, un collègue peu loyal, pourrait se servir de mes trouvailles comme dans un restaurant : il regarde la carte, il choisit les morceaux les plus appétissants, il les assaisonne à sa sauce, et il les incorpore ». Et dans ma rêverie morbide j’imagine sa réaction :

« Moi, m’inspirer de votre blog ? Mais de quel blog parlez-vous ? »*.

Je parle comme si j’avais des trouvailles à revendiquer alors que le problème, peut-être, est là.

Avec le temps, et avec le sentiment de solitude qui me saisissait par moments, une idée a commencé à me tarauder. C’est la même qui vous traverse l’esprit pendant que je vous parle : si ce blog ne marche pas c’est, tout simplement, qu’il ne le mérite pas. (À suivre). 

* Mon rêve caché, dans ce sens, serait que par un disfonctionnement du système, ou par l’action d’un hacker providentiel, je puisse connaître l’identité des visiteurs de mon blog. Je délire, c’est flagrant.  Et après je m’étonne …

mercredi 8 octobre 2025

Le vivant et le mécanique : les mots et les choses

 



APE (Abeille), moyen de locomotion sans prétention devenu très « tendance »  sur  la Côte d’Azur 

  • Taupe : Machine de forage souterrain (notamment pour les tunnels).
  • Araignée : Grue mobile ou treillis de chantier aux bras multiples.
  • Scarabée : Petit engin compact, parfois utilisé pour le transport de matériaux.
  • Mille-pattes : Transporteur exceptionnel avec très nombreuses roues.
  • Caterpillar :  Important groupe industriel américain fabriquant des équipements de construction, des machines minières, des moteurs et d'autres produits.

Je viens de lire que le Fonds souverain de Norvège se retire de Caterpillar, dont les bulldozers sont utilisés par Tsahal dans la bande de Gaza.

lundi 6 octobre 2025

Ne lisez surtout pas mon blog (3). Le décollage

Hayao Miyazaki, Porco Rosso

(Suite) Quel est donc l’objet de mon blog ? Ce n’est pas le monde animal. C’est la manière dont nous parlons des animaux, celle dont nous les squattons pour parler de nous-mêmes, pour nous mettre en scène, pour afficher notre sensibilité et notre philanthropie …

Je dis bien « nous » et pas « ils », les « autres », parce que les sentiments que je mets en avant ou que je stigmatise, je les retrouve d’abord chez moi.

Et j’en viens au côté mélodramatique de mon propos. En dix ans de présence sur le web j’ai publié 1700 billets. Ce chiffre m’impressionne. J’ai donc eu tout le temps pour me faire connaître et pour créer un puissant réseau de complices et d’antagonistes aguerris.

Eh bien, ce n’est absolument pas ce qui s’est passé. À la fin de la première année, l’exiguïté de mon public était déjà une évidence.  Heureusement, un noyau d’aficionados, auquel je suis extrêmement reconnaissant, m’a permis de ne pas mettre la clé sous la porte tout de suite. J’avais pourtant fait de mon mieux pour solliciter des réactions.

J’avais présenté avec enthousiasme les recherches des collègues qui travaillent sur les mêmes sujets. J’avais critiqué avec autant d’enthousiasme des collègues bien connus dont je ne partage pas les analyses  (par exemple en matière de bien – être animal, ou autour de l’écologisme fantasmé du chasseur rural). J’avais rédigé des billets denses et peut-être prétentieux, raconté des anecdotes que je trouvais marrantes et des souvenirs, dans un style plus littéraire - oui, parce tout ethnologue, avouons-le, se sent un peu écrivain sur les bords.  Et les références à l’actualité politique ne manquaient pas. Bref, pendant dix ans, pour me faire entendre, j’ai gesticulé comme un fou. Ça a  été comme crier dans le désert, ou presque. (Je dramatise légèrement (À suivre).

samedi 4 octobre 2025

Quand l’aubépine est en fleurs

 

On passait forcément devant pour rejoindre la plaine, les gens s’arrêtaient pour boire un verre ou profiter de la cuisine, à la bonne franquette et avec des produits du terroir. Nous aussi on y faisait étape, même si on préferait l'auberge à la sortie du bourg, qui fidélisait les voyageurs avec du fromage, de la saucisse et de la polenta grillée.

Après ils ont fermé. Un client, qui revenait de la chasse, avait commandé du chevreuil. Puisque sa portion était copieuse, il décida de la partager avec son chien. Mais celui-ci, au lieu d’apprécier, se mit à trembler et à gémir comme un veau.

Dans la chambre froide du restaurant - qui s’appelait Il Biancospino, (L’Aubépine) - les inspecteurs sanitaires trouvèrent les cadavres de plusieurs chiens de taille grande, petite et moyenne. Glaçant.

Dans la région, quelques décennies après les faits,  on en parle encore.

jeudi 2 octobre 2025

Ne lisez surtout pas mon blog (2). De l'intérêt d'animer un blog


  

(Suite). Et là je vais glisser vers l’autobiographisme radical :

Oui, parce que je ne vais pas parler des blogs en général, mais de mon blog en particulier. Ce blog s’appelle « L’animal comme prétexte » et vient de fêter son dixième anniversaire. Son objectif était de traiter les mêmes sujets que j’aborde en tant que chercheur, tout en m’autorisant une écriture plus libre et passionnelle. Le blog, me disais-je, me permettra de contourner la censure éditoriale qui refroidit notre créativité. D’un seul coup – toujours selon mes prophéties - je pourrai entrer en contact avec le public éclairé qui n’aime pas le style formel et jargonnant du langage académique. Je pourrai aussi héberger les collègues qui travaillent sur les mêmes thèmes que moi et qui y trouveront un espace moins conventionnel pour exprimer leur point de vue. Je susciterai plein de réactions, non seulement des chercheurs que je taquine, mais aussi des responsables des associations (les Antispécistes, le mouvement L214  et Brigitte Bardot, par exemple),  des personnalités politiques (Nicolas Hulot, Sandrine Rousseau …)  Sans parler des particuliers bien sûr, qui profiteront de cette arène pour se confronter. Ce sera une belle controverse en temps réel. Pas besoin d’attendre des années avant la publication de son article dans des espaces presque initiatiques comme Terrain ou Ethnologie Française (où je suis très fier d’avoir publié, par ailleurs)

Eh bien, par rapport à ce qui s’est passé dans la réalité, ces beaux projets me font penser à la fable de Perrette et du pot au lait. (À suivre).

mardi 30 septembre 2025

Tel maître, tel chien ?

 

 

Alberto Giacometti, Chien (1951). 

Les Romantiques croyaient au « Génie des nations ».  Chaque peuple aurait son âme, son esprit, son tempérament, bref son essence. Cette essence laisserait son empreinte dans tous les domaines, y compris celui de la zootechnie. Dans ce sens, si les Romantiques avaient raison, on pourrait déduire l’esprit d’un peuple à partir du tempérament de ses animaux domestiques et de compagnie.

dimanche 28 septembre 2025

Ne lisez surtout pas mon blog (1) Préambule


Peu importe le support, quand la lecture est bonne.

Huang Yong Ping, Chevalier du XXIᵉ siècle empaillé (2019) (Photo que j'ai prise  au Fonds Leclerc  lors de l'exposition  :"Animal?")

Le 25 septembre j’ai présenté une communication dans le cadre du séminaire annuel de mon laboratoire (LACI Laboratoire d’Anthropologie Critique Interdisciplinaire, composante du LAP -CNRS-EHESS). Il était consacré aux nouvelles formes d’écriture dans les sciences humaines et j’en ai profité pour parler de mon blog. C’était une bonne occasion pour jeter un regard distancié sur cette entreprise qui, plus le temps passe, révèle son caractère démentiel.

 Dans la première partie, pour mettre le tout en perspective, je fais des considérations d’ordre général qui ne donneront au « profane » aucune envie de continuer la lecture (cette intervention était adressée à un club, avec ses coutumes et son jargon). Après, je crois, cela deviendra plus lisible.  Puisque ce texte fait 2000 mots, j’ai décidé de le saucissonner. J’alternerai chaque rondelle avec mes billets habituels traitant de l’actualité, des micro-événements du quotidien, des opinions de Maurice (on se reverra bientôt) etc.  Voici donc la première tranche, que je livre en l’état :

Pourvu que tu me lises. L’ethnologue et son public.

L’intervention que j’avais préparée prévoyait deux parties : dans la première, plus théorique, je décrivais quelque chose de relativement connu : l’émergence, chez les anthropologues, d’une écriture à la première personne du singulier (Leiris,  Devreux,  Jeanne-Favret-Saada etc.) Dans la seconde, plus anecdotique, je parlais de mon cas personnel. Lorsque j’ai su que j’avais juste vingt minutes, j’ai sacrifié la partie théorique et je me suis concentré sur la seconde, plus ethnographique.*

Pour relier ces deux moitiés, je rappelais que les anthropologues de la tradition classique  (Malinowski, Lévi-Strauss …   mais jusqu’à  Philippe Descola) ont souvent tenu une sorte de double comptabilité : le texte scientifique d’un côté, le récit autobiographique de l’autre. Ce partage, aujourd’hui, n’est plus nécessaire : la cohabitation du sujet (du sujet  narrant avec les passions qu’il ressent), avec le phénomène qu’il décrit est sous les yeux de tout le monde. On le saisit facilement chez les auteurs qui mettent en scène leurs rencontres avec ceux qu’on a pris l'habitude d'appeler les  « non-humains » : loups, ours, poulpes et compagnie.  Ce dépassement des postures traditionnelles est très bien représenté par le succès du mot « narratif » : toute analyse, toute reconstitution historique est désormais un « narratif ».  Il n’y a plus besoin d’éditer son texte scientifique chez Gallimard, si on a cet honneur, et son journal de voyage dans la collection Terres Humaines. Les deux manières de restituer une expérience anthropologique ont droit à la même dignité académique.

Depuis quelques temps, ajoutais-je, un nouvel espace, potentiellement immense, vient de s’ouvrir pour les chercheurs qui voudraient ménager la chèvre et le chou : C’est justement  le « blog ».

Enfin, c’est ce que j’avais cru. (À suivre).

Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur le préambule sérieux, puisque il entrait pleinement dans la problématique de notre rencontre, je renvoie à mon article :

« Dalla Bernardina Sergio 2009 – « “Je" interdit. Le regard presbyte de l’ethnologue ». In Ravis-Giordani Georges (sous la dir.), Ethnologie(s) : nouveaux contextes, nouveaux objets, nouvelles approches. Paris : CTHS, pp. 18-40 (Regard de l'ethnologue ; - “Je” interdits. Le regard presbyte de l’ethnologue, in (Ph. Forest et C. Gaugain éd.) Les romans du Je, Nantes, éd. Pleins Feux).»