samedi 22 février 2025

L’Église et les corvidés (pour le rétablissement de la vérité éthologique)

 



Francesco Bergoglio, ces derniers temps, n’est pas très en forme et dans la Cité du Vatican, comme on sait, il n’a pas que des amis. « Autour de lui – dit Monseigneur Vincenzo Paglia président de l’Académie pontificale pour la vie – il y a des “corbeaux“ qui spéculent sur la maladie du Pape ».

Pauvres corbeaux, toujours le mauvais rôle. J' attends les remontrances de la Ligue pour la Protection des Oiseaux*. 
 
Je me permets de faire de l'humour pour tourner en ridicule le "politiquement correct" en matière d'animaux. Ce n'est peut-être pas  le bon moment. Ce Pape-ci, en tout cas, suscite chez moi une certaine sympathie (sympathie d'agnostique)


jeudi 20 février 2025

Éco-chasseurs d'hier et de demain

 


  
         Exposition des trophées à la Fiera della caccia, pesca, natura,  de Longarone, dans les Alpes de Vénétie. ( Avril  2024). Cliché : Sergio Dalla Bernardina.
 
Ruralités contemporaines en question(s)
 
  LUNDI 24 FEVRiER
de 11H00 à 13H00

de préférence en présentiel (salle AS1-23, 54 boulevard Raspail, Paris)
mais possiblement en distanciel


Cette cinquième séance de l'année accueillera

Sergio DALLA BERNARDINA
Anthropologue, professeur émérite, université de Bretagne occidentale, LAP

pour une séance intitulée :
 
Du « Viandard incontinent » au « Rural éco-responsable ». Aller et retour d’un mythe urbain ?

Les dynamiques acculturatives, on le sait, ne sont pas unidirectionnelles. Les victimes du démantèlement des visions du monde non-modernes (les visions du monde des « Vaincus », pour recycler une vieille formule) finissent souvent par imiter les « Gagnants » : ils assimilent leurs valeurs, leurs comportements voire même leurs narrations. Les imitateurs aussi, à leur tour, peuvent être imités, il suffit seulement de laisser le temps à la mémoire collective d’effectuer ses tris et ses ajustements.  La migration d’un récit d’une culture à l’autre fait parfois l’objet d’un véritable va-et-vient qui remet en cause la notion d’« authenticité ». C’est le cas du mythe du « Bon chasseur rural », version moderne du mythe du « Bon sauvage ».

Présentation : Sophie Bobbé

mardi 18 février 2025

Des loups et des pitbulls. Errare caninum est


 Chien errant, mais pas trop

Pourquoi les appelle-t-on chiens errants ? Parce qu’ils se trompent. Et en quoi se trompent-ils ? C’est qu’ils croient avoir le droit de circuler à droite et à gauche comme ça leur chante, sans tatouage, sans maître, sans foi ni loi. Et puisqu’ils ont tendance à se tromper, on en profite pour mettre sur leur compte des fautes qu’ils n’ont pas commises. Des moutons égorgés dans un champs ?  Pourquoi penser automatiquement aux loups ? L’autre jour on a bien vu un chien à l'allure très suspecte  qui passait par là …

Dimanche 16 février,  un pitbull a dévoré une petite de 9 mois qui dormait à côté de son père dans un appartement d’Acerra, près  de Naples. Ce dernier, au départ, a accusé du forfait un fantomatique « chien errant »*. Invité par les gendarmes à un peu plus de sincerité, il a fini par balancer son fidèle compagnon**.

* Le même que tout à l'heure, vraisemblablement.

** Les chiens de ce genre, en Italie, tuent une dizaine de personnes par an.  J’en profite pour demander aux lecteurs s’ils ont des nouvelles de Curtis, le staffordshire  dont on a pas mal parlé sur ce blog, présenté par Brigitte Bardot comme le Dreyfus des chiens de défense (dans ce cas, les "vrais coupables" de la mise à mort d'une jeune femme enceinte n’étaient pas des chiens errants mais des chiens de chasse).

dimanche 16 février 2025

Acronymes

 


UNEDIC, CIRAD, CEMAGREF... Les Français adorent les acronymes. Moi pas trop. Je me suis donc inscrit au MLCA  : Mouvement pour la  Lutte Contre les Acronymes.

vendredi 14 février 2025

Entre tradition et postmodernité. (6 Faut-il déconstruire le Carnaval ?

 

(Dernier épisode) Et c’est en remontant une pente goudronnée que la modernité vient à notre rencontre. Un homme masqué descend à grands pas, comme s’il venait d’accomplir une mission. Il montre sa langue, la tête entourée par des cheveux fauve en pétard qui forment une sorte de crête. « Excusez-moi, lui dis-je, me permettez-vous de vous prendre en photo ? » « Ça ne se fait pas comme ça, nous répond-il, je dois me préparer ». Il se plante au milieu de la ruelle, les jambes légèrement écartées. J’attends un instant et je prends ma photo. C’est à ce moment qu’il ouvre grand son imperméable pour étaler un phallus de proportions considérables (artificiel, je crois). On le remercie et il repart. « Mince, il a baissé le rideau trop vite ».  Heureusement, l’ami qui est avec moi a réussi à réaliser le cliché : « Tu me l’envoies ? C’est pour mon blog ». « Bien sûr ».

Ce qui nous amène vers la conclusion. « L’exhibitionniste, ai-je pensé, voilà une figure de la modernité, un masque qui échappe à la tradition dolomitique, un emprunt métropolitain, tout aussi hors contexte qu’un imperméable dans cette région de forgerons, de guides alpins et de moniteurs de ski ».

Je me dis plusieurs choses à la fois. 1) C’est un masque tout aussi double que la Gnaga puisqu’il héberge, dans un seul support,  deux individualités*. 2) Je pense à la frustration de son porteur, obligé, en présence des enfants, à garder implicite la partie luciférine de son identité. Je ne l’ai pas vu en action. Comment opère-t-il ? Scrute-t-il l’horizon avant de faire papillonner son imperméable ?   3) Sur le plan de la logique du Carnaval, de sa grammaire, cette trouvaille est impeccable : elle normalise un comportement déviant, elle fait imploser dans le périmètre de sécurité du cadre festif des fantasmes pervers portant atteinte à l’ordre de la société. C’est bien ce qu’on demande à cette institution millénaire. 3) Une apparition de ce genre est encore possible ici, dans un bourg perdu de la montagne italienne. Le serait-elle aussi dans un carnaval citadin ? Peut-être, mais au risque de susciter des réactions véhémentes du type : « Il faudrait mettre fin à ces vieux relents phallocratiques » ou, plus argumenté : « On ne peut pas tout accepter :  ce masque priapique est un résidu obscène de la culture patriarcale. Remplaçons-le par des masques moins machistes et plus inclusifs », « Je porte plainte! » etc. 4) D’accord, mais un carnaval moralisé, déconstruit, où on censure tout ce qui fait scandale, n’est plus un carnaval. C’est comme une bière sans alcool.

En tout cas, tout en ayant le sentiment de trahir le carnaval et de contribuer à l’entreprise de castration de l’imaginaire collectif qui avance masquée sous le drapeau progressiste, j’ai décidé de ne pas afficher le cliché « avec phallus » sur mon blog**.

-  Comment, tu n'affiches pas l’exhibitionniste sur ton blog ?

- Oui, je le mets, mais sans la scène centrale. Je garde seulement les deux photos qui précèdent et suivent l’exhibition.

- C’est lâche. Ce n’est pas comme ça que tu vas faire le buzz!.

 

* Le phallus, comme le scénarise si bien Alberto Moravia dans son roman Moi et lui (1971), ayant sa personnalité, son indépendance et son point de vue sur le monde. (Cela doit valoir aussi pour l’autre sexe, je suppose).

** Un blog dans lequel je prends soin de ne pas montrer, même pour de « bonnes raisons », des images faciles (de victimes martyrisées, de bêtes souffrantes etc.) attirant à bon marché l’attention du public. En me réclamant moi aussi du progressisme (le progressisme critique que recommande de temps en temps),  j’en profite pour rappeler la nécessité de démasquer les « nouveaux curés » qui, au nom du progrès moral, jouent un rôle de plus en plus lourd dans l’érosion de notre liberté.




mercredi 12 février 2025

Entre tradition et postmodernité. (5 Figures de la transgression carnavalesque


 


(Suite) J’assiste au défilé en songeant au rôle de défouloir rempli par le Carnaval et je m’interroge sur la manière locale d’imaginer la transgression.   Si l’Homme Sauvage est transgressif, c’est qu’il n’est pas domestique, cela va de soi. Pour d’autres personnages le côté « monde à l’envers » est moins facile à déceler. Il me faudrait l’appui d’un exégète du coin, mais je suis là en touriste et tout va très vite. Le fossoyeur est transgressif parce qu’il tourne en caricature ce qui, hors du cadre carnavalesque, ne fait pas rire du tout. La policière l’est aussi parce que, en principe, on ne rigole pas avec les lois de l’État*. Je remarque un jeune homme aux cheveux longs à l’allure christique qui danse avec une vieille (quelqu’un qui porte le masque d’une vieille, pour être précis). On pourrait y voir – mais ce n’est que dans ma tête, je le crains - l’allégorie d’une transgression fort redoutée par les communautés montagnardes : le mariage entre partenaires n’appartenant pas à la même classe d’âge. Quant à la nourrice, je crois avoir vu quelqu’un lui toucher les seins (artificiels, a priori), mais c’est peut-être un geste propitiatoire, comme toucher la bosse  du bossu, dont on a annoncé la présence dans le défilé mais que je n’ai pas croisé. Là où le manquement aux normes est flagrant, c’est chez un personnage que je vois pour la première fois, habillé en copeaux de bois, qui fourre son doigt dans le nez et puis le frotte, nonchalant, sur le dos des passants. Rien de particulièrement séditieux, au bout du compte. Nous quittons le cortège pour nous aventurer dans la partie moins tolkiénienne du bourg, avec des maisons plus récentes en style montagnard (À suivre).

* Ce qui prouve, de la part de l’État, un faible sens de la réciprocité.

 




lundi 10 février 2025

Entre tradition et postmodernité. 4) Etre ours dans les Dolomites

 


En attendant que le cortège mené par le Matazin, sorte d’Arlequin sautillant, passe une deuxième fois (j’ai raté la première, c'est ma spécialité), je m'intéresse aux œuvres des artisans locaux. L’exposition des masques est remarquable. Un peu plus loin, mon regard est attiré par une sculpture en bois : un ours à côté d'une femme habillée d'une façon très approximative.  Je dis : « Tiens, c’est le thème folklorique de l’ours kidnappeur. Partout, dans les Pyrénées, en Anatolie, … lorsqu’il y a des ours on tombe sur la même histoire : l’ours enlève une jolie bergère et l’amène avec lui dans sa tanière* ». On réagit à mon propos sur un ton humoristique : « Ici, les hommes sont un peu des ours … il y a beaucoup de solitaires … de célibataires. Dans la montagne on a du mal à trouver une épouse »**. Pour faire le pitre, je remarque qu’en France on règle le problème en répondant aux annonces matrimoniales du Chasseur Français. On cherche une épouse ? Rien de plus facile, il suffit de s’abonner.

Le cortège arrive. À côté de moi, des enfants masqués, sept-huit ans au maximum, commentent son passage avec la précision d’un chroniqueur de télé. Je comprends plus ou moins ce qu’ils disent parce que je viens de la même région, mais je dois m’accrocher. Ils sont surexcités. En constatant la désinvolture avec laquelle ils maîtrisent ce langage presque initiatique je suis ému. Il y a bel et bien de la résilience, ici. On migre, on se brasse, en revient avec des conjoints teutoniques***, mais la langue locale (pour le moment ?)  reste vivante. Un des petits s’aperçoit que je les écoute et que je comprends ce qu'ils disent puisque je souris. Il pose sa main sur la bouche de son copain, comme pour dire « tais toi ».  Ils se mettent à parler  dans un italien fluide et sans accent tout en lançant des confettis sur le masque de l'Om salvarech (l'Homme sauvage) (à suivre)****.

* Les bergères sont toujours jolies. Un beau lièvre, un sacré caractère, une jolie bergère ...

**L’ours de la sculpture, à moitié ours et à moitié vieil homme solitaire (ce single à l'insu de son plein gré, comme le dirait très justement Virenque) résume bien cette idée. Cela dit, il se peut que l'ensemble  fasse référence à une légende locale qui n'a strictement rien à voir avec mes élucubrations.

*** Donnée à vérifier. C’est mon imaginaire qui me fait dire ça.

**** Face au mot "confettis" le lecteur italien serait tenté d'imaginer des enfants qui lancent des dragées. Ce n'est pas le cas.

 

samedi 8 février 2025

Entre tradition et postmodernité. 3) Un masque bicéphale pour une communauté bicéphale

 


Figures du Carnaval à Fornesighe (Dolomites)

(Suite) En arrivant dans la partie ancienne de Fornesighe on monte des marches asymétriques entourées par des constructions en bois encastrées l’une dans l’autre comme des Lego. Un plant de vigne d'un âge vénérable relie les balcons, métaphore vivante de l’enracinement territorial et du lien communautaire.  Les anciens ateliers sont ouverts au public :  « Entrez …  cette grange appartenait à sept propriétaires différents, chacun avec son espace à lui ». C’est banal, je sais, mais je songe aux Hobbits*.  À la fin de la visite nous commandons une bière à une jeune dame déguisée (en quelque chose que j'ai eu du mal à identifier)  et, comme c’est mon habitude, je pose une question de candide pour lancer le dialogue : « Mais qu’est-ce qu’on faisait ici, autrefois, pour vivre ? Les bucherons, les bergers … ? ». Elle me regarde d’un air indulgent comme pour dire « Bonté divine, il faut vraiment tout leur expliquer … ». « Oui, ils travaillaient le bois, ils avaient quelques bêtes, ils vendaient des marrons et des poires cuites, ils faisaient des clous et après … ils sont partis à l’étranger pour faire des glaces». « Des clous ? » « Oui, des clous ». Fin de la conversation.

Il me reste à découvrir les autres figures carnavalesques de cette société à deux têtes, comme la Gnaga,  où l’archaïsme résiduel (en restait-il quelques traces en dehors des bâtiments ?) et l'avant-gardisme des nouvelles générations (une jeunesse qui a grandi dans les métropoles européennes), sont censés cohabiter (À suivre).

** Sans ressentir la moindre affinité, pour autant, avec le gouvernement italien qui, en quête de repères culturels, est en train de squatter Tolkien.

jeudi 6 février 2025

Entre tradition et postmodernité. 2) La Gnaga de Fornesighe

 


(Suite) Un masque, la  Gnaga, donne son nom au cortège carnavalesque de Fornesighe. C’est un masque insolite, qui condense en une seule pièce deux personnages : une vieille dame aux gros sabots qui porte sur son dos, dans une hotte, un jeune homme en pleine forme qui ne semble pas gêné du tout. Ça symbolise, parait-il,  la vieille année qui s’en va pour céder sa place à la nouvelle. Mais c’est aussi une représentation du monde à l’envers typique du carnaval* :  le jeune homme, en fait, profite sans raison des attentions normalement réservées aux vieillards. Avant d’aller à Fornesighe je me suis renseigné sur l’origine du masque. Si le cortège, comme on le présente officiellement, est « archaïque », le masque ne l’est que très faiblement, ce qui n’enlève rien à sa prégnance,  à son « mana », diraient les Mélanésiens. Il date de 1897 et on connait même les généralités de son inventeur, ce qui n'est pas très fréquent en matière de traditions ancestrales*.

Son nom aussi pose quelque problème, dans le sens qu’à Venise, avec le même appellatif, on désignait un masque tout à fait différent, représentant le museau d’une chatte. Ce déguisement était porté par les hommes qui, en l’endossant, étaient censés adopter un ton de voix plus aigu et des comportements féminins (l’inversion des identités, encore une fois). Bref,  la Gnaga des Dolomites a des origines assez confuses, donc bien accordées à l’esprit du carnaval. (À suivre)

Il s'appellait Valentino Toldo, dit Nin di Rosa, et c'est en Suisse, peut-être qu'il a trouvé sa source d'inspiration.

** Cela appartient clairement à la famille des adynata, pour employer le langage de Giuseppe Cocchiara.


lundi 3 février 2025

Entre tradition et postmodernité. 1) Résilience du folklore alpin ?


 

À quoi sert le carnaval ?  À plein de choses, bien sûr. Les historiens et les anthropologues ont réalisé des études merveilleuses à ce sujet. Et les folkloristes aussi, bien entendu, comme Giuseppe Cocchiara, célèbre par son ouvrage Il mondo alla rovescia ( Le monde à l’envers)*.  Parmi les fonctions du carnaval, on le sait, il y a celle de nous représenter la société telle qu’elle serait si les conventions qui la règlent n’étaient pas respectées : si les lapins, armés de fusils, faisaient la chasse aux chasseurs, si les bœufs, avec de grands coutelas, écorchaient vifs les bouchers, si les ânes faisaient tirer la charrette aux fermiers, si les pauvres faisaient l’aumône aux riches etc. Le Carnaval permet de revenir au monde indifférencié des origines, là où les identités sont encore fluctuantes. Dans ce monde où on peut être plusieurs choses à la fois, et la rigueur de la loi est suspendue**, on a le droit de transgresser et de se défouler.  La transgression n’est pas seulement permise, elle fait l’objet d’une prescription : « et à ceux qui ne font pas la fête, dit le refrain d’un chant traditionnel, nous couperons la tête … ».  Bref, on fait imploser les désirs refoulés et les fantasmes socialement réprimés au sein d’un périmètre de sécurité : l’espace/temps de la scène carnavalesque.

Le Carnaval est aussi le moment du retour des exclus : les morts, qui rejoignent la communauté pour faire un rapide coucou, les hommes sauvages et autres personnages fantastiques qui circulent la nuit dans les bois, les animaux de la ferme qui se mélangent à la foule comme si on était tous copains - pour ne pas parler des bêtes de la forêt qui nous aident à représenter, derrière le masque, notre sauvagerie à nous.

On sait que dans les Alpes les cortèges carnavalesques sont encore assez vivants***. Je viens d'assister à celui de Fornesighe, près de Forno di Zoldo, le seul hameau de la vallée, m’a-t-on précisé, épargné par les flammes qui menacent fatalement les fragiles structures en bois de l’architecture locale. Dans les deux ou trois billets suivants je ferai état de mes sentiments de témoin occasionnel.

 

* Giuseppe Cocchiara, Il Mondo alla rovescia, Torino, Boringhieri, 1981.  
** Ou, pour être plus précis, « licenciée » : la libertas decembrica donnait la licence de ne pas respecter les codes moraux en vigueur (Cf. Carl Gustav Jung dans l’ouvrage collectif consacré à la figure du Trickster : (Paul Radin, Charles Kerenyi, Carl Gustav Jung), Le Fripon divin, Georg éditeur, 1993 [1958]

*** Comme dans les Pyrénées, célèbres pour la fête de l’ours devenue de plus en plus une attraction touristique.


dimanche 2 février 2025

La boîte magique et les pantegane (3 sur 3)


(Suite et fin) Au bout de l’allée, derrière le virage, trônait un gros conteneur en plastique en forme de pyramide destiné au compostage. C’était un composteur magique : on avait beau le remplir, il restait toujours à moitié vide.

On comprit plus tard son secret. C’est comme pour le chien. Si son maître et sa famille avaient été végétariens, il n’y aurait pas eu de problèmes. Et s’ils avaient respecté les consignes en matière de compostage tout se serait bien passé. Le fait est qu’ils utilisaient  le composteur pyramidal comme une micro-décharge, pour ne pas dire un charnier : « Mais tu y mets les peaux du fromage et les coquilles d’œuf ? ». « Bien évidemment, c’est de la matière organique ». « Et les os du poulet » ? « Bien sûr, ça se décompose : "Souviens-toi que tu es poussière, et que tu redeviendras poussière" … ».

Ayant dépassé l'âge adulte depuis un long moment, le chien quitta la scène. Son maître en profita pour disperser du raticide partout. Les pantegane, qui sont intelligentes, quittèrent les lieux et  allèrent contribuer à la biodiversité quelque part ailleurs.

Le composteur n’était pas très en forme lui non plus et on décida de le supprimer. Surprise : son fond avait disparu, complètement rongé par les rats. De son emplacement partaient des tunnels qui s’enfonçaient dans la terre mélangée à des morceaux de plastique de toutes les couleurs. La colline était devenue un immense gruyère et, pour éviter qu’elle s’écroule, il fallut la bétonner.

Morale : certains humains sont moins éveillés que certaines pantegane.

vendredi 31 janvier 2025

La boîte magique et les pantegane (2 sur 3)





(Suite) En regardant par la fenêtre, on voyait débarquer les pantegane en plein jour. Elles apparaissaient furtives au fond de l’allée, hésitaient un moment, et se lançaient dans une course effrénée, comme des commandos sur une plage normande, pour atteindre la gamelle.  Le chien, imperturbable, s’en foutait. Il connaissait les pantegane de longue date. Ils s’appréciaient mutuellement.

Le maître du chien sortit de l’armoire sa carabine  à air comprimé et, la fenêtre entrouverte, se mit à tirer sur les pantegane. Pendant quelques jours il arriva à en foudroyer quelques-unes, sans ressentir le moindre remords. Mais bientôt la nouvelle se répandit. Un blessé, peut-être, rentré dans la tanière, fit circuler l’information : « Il y a un fada … je ne sais pas ce qui lui prend, il nous tire dessus ! ».  A partir de ce moment, les pantegane n’opérèrent que la nuit. Difficile de les chopper. Et mettre de la mort-aux-rats dans la gamelle du chien n'aurait pas été la bonne solution. (À suivre)

mercredi 29 janvier 2025

La boîte magique et les pantegane (1 sur 3)

 


Si le chien avait été végétarien les choses se seraient passées autrement. Sa gamelle était en bas de la fenêtre, à l’arrivée d’une petite allée. On y déposait toutes sortes de restes carnés à l’état de conservation très variable.

Lorsque, après une absence prolongée, le maître du chien s’en aperçut, c’était trop tard : les pantegane s’étaient installées.

En Vénétie, on appelle par ce nom le surmulot (rattus norvegicus ou, si on préfère, rat d'égout, rat de Norvège ou encore rat gris). L’étymologie vénitienne situe les origines de ce rongeur bien connu dans la Mer noire (du latin Ponticus). C’est un animal « indispensable pour la biodiversité », précisent les sources, et particulièrement intelligent, mais qui ne jouit pas d’une réputation excellente (je constate, au passage, l’assonance de « pantegana » avec le lombard « spantegàr » (disséminer avec perfidie) et avec « pandémie »). Les complotistes lui attribuent un rôle central dans la propagation de la peste (À suivre).

dimanche 26 janvier 2025

Pas sur mon parking. Short Story

 


 

Val di Zoldo (Dolomites) hier matin. Un jeune homme s’apprête à sortir avec son chien pour une promenade. En regardant par la fenêtre, il aperçoit sur le parking un loup qui est en train de dévorer un cerf. Il décide de rester à la maison.

vendredi 24 janvier 2025

À propos du « Dessein intelligent ». Short story.

 


Mousse artificielle Éternelle, Plante Verte

 

Voici une histoire vraie recueillie par moi-même il y a quelques années. Juste avant les fêtes, un père de famille s’était rendu dans les bois ramasser de la mousse pour la crèche de Noël. Dans la mousse il y avait une tique. Il est mort quelques mois plus tard.

mercredi 22 janvier 2025

La couleur des ongles lorsqu’on aime creuser



Lorsque j’étais petit, bien avant l’invention des « animateurs nature », bien avant que des émissions comme « C02 mon amour » ou « La terre au carré » nous apprennent à apprécier la Wilderness, j’aimais m’enfoncer dans les bois derrière la maison. J’y allais tout seul comme Henry David Thoreau (j’exagère un peu, j'y restais moins longtemps) et je revenais avec des cyclamens, des cailloux, des perce-neiges, des brindilles de saule annonçant le printemps. Mes ongles, pleins de terre, étaient toujours d’un noir profond. Pour me taquiner, on me disait : « Sergio, sei in lutto ? Ti è morto il gatto ? (« Sergio es-tu en deuil ? Est-ce que ton chat est mort? »*. Les gens riaient. Moi, je n’y arrivais pas. C’est dire si les sensibilités ont changé.  

* Les lecteurs auront sûrement saisi le caractère à la fois éloquent et énigmatique de cette phrase, qui ouvre sur un monde où le rapport aux chats n'était pas le même que celui d'aujourd'hui.

dimanche 19 janvier 2025

Quand on aperçoit les oreilles du lièvre

 

Dans le billet précédent j’ai évoqué la proposition de Raphaël Larrere de transformer les grands prédateurs en gibier chassable et sa réflexion autour des raisons qui empêchaient de réguler la démographie des ours et des loups par des plans d’abattage gérés par les chasseurs. Ce refus, constatait Larrère, ne venait pas des doutes éventuels quant à l’efficacité de la stratégie. Le véritable enjeu concernait la légitimité même de la chasse. Autrement dit : « Si on est contre la régulation sélective des ours et des loups par les  chasseurs, qui aurait tout l’air de marcher,  c'est parce qu’on est contre la chasse en général ».

Un article de  2003  ( accessible à l’adresse suivante https://www.jstor.org/stable/1480073 ) permet de saisir le raisonnement de Larrère dans son intégralité).

Ce matin, en lisant un proverbe breton, j'ai pensé  aux plans d’abattage et au mythe émergent de l'écologisme rural (un écologisme « atavique transmis d'une génération à l'autre depuis la nuit des temps  ... ») :  

 « Quand on aperçoit les oreilles du lièvre, c’est tout de suite qu’il faut l’assommer ».

Derrière la métaphore, on mesure la distance qui sépare la gestion contemporaine du « capital faunistique » des manières  plus expéditives d’aborder le sujet chez les non-modernes.

L'apparition d'un lièvre? Une occasion à ne pas manquer !

vendredi 17 janvier 2025

Raphaël Larrère

 


À l’époque, pour travailler autour de la nature, de la chasse, du sauvage  (sujets considérés comme marginaux chez les anthropologues péninsulaires),  les italiens devaient traverser les Alpes.  Lorsque, ma thèse à peine terminée, je suis entré dans le bureau de Raphaël Larrère  à qui on avait signalé mon existence (il était question d’un poste de chercheur autour de problématiques proches des miennes) j’étais assez intimidé.  J’ai remarqué son élégance à la fois sobre et vaguement excentrique (je crois me souvenir d’un gilet en velours à l’allure texane).  Son regard était  luisant et chaleureux. Pendant qu’on parlait il s’est mis à bricoler autour d’une théière et  il  a roulé une cigarette. Il l’a même allumée  (nous évoluions  encore dans ce no mans land bureaucratique qui a précédé l’interdiction  réelle de fumer dans les espaces publics).  Ses recherches sur la cueillette et la forêt en général m’avaient beaucoup passionné par leur précision ethnographique, liée à une capacité rare de mise en perspective théorique.  On a terminé la conversation en échangeant nos avis autour de nos champignons préférés. Je suis sorti du bureau avec le sentiment d’être un adulte, je veux dire un interlocuteur. Par la suite nous avons eu l’occasion de communiquer  à plusieurs reprises et parfois de collaborer. Sa disponibilité m’a toujours honoré. Ses contributions à l’anthropologie de la nature sont parmi les plus significatives et j’aurais du mal à les résumer en quelques lignes*. Juste pour l’anecdote, je me souviens d’une réunion pendant laquelle il suggérait, pour régler le problème de la prolifération excessive des grands prédateurs, de modifier leur statut en les rendant « espèce chassable ».  Devenus du gibier, les ours et les loups rentreraient dans les plans de chasse au même titre que les cerfs ou les chamois : leur démographie serait donc régulée par les chasseurs eux-mêmes.  Des raisons purement idéologiques, paraît-il (leurs défenseurs diront qu’elles ne sont pas idéologiques mais morales) coupent les ailes, en France, à ce genre  de propositions ** 

Cette suggestion  n’empêchait  pas Raphaël Larrère d’être tout à fait favorable au retour des grands prédateurs dans les régions qu’ils occupaient avant leur éradication. Dans le faire part de son  décès,  survenu le 4 janvier, on peut lire :

« Ingénieur agronome, directeur de recherche à l’INRA, il aimait la nature, cueillir la montagne, et protéger les loups ».

L’anthropologie de la nature est aujourd’hui très à la mode. Je regrette la disparition d’un pionnier.

* Si j’arrive à l’obtenir, je mettrai dans un prochain billet la bibliographie le concernant.

** Mais  pas en  Slovénie, par exemple, où cette solution marche admirablement. 

mercredi 15 janvier 2025

Le toutou-garou

 

Ça a démarré en Allemagne, paraît-il, mais on signale plusieurs cas analogues en Finlande, Belgique, Pays-Bas, Suisse …
Soudainement, les chiens d’appartement les plus paisibles sont saisis par des crises de panique accompagnées par  des hallucinations, des convulsions, des comportements agressifs. Pour rendre le tout encore plus spectaculaire, ils se mettent à hurler comme des loups. On a baptisé cette constellation de  symptômes  le « syndrome du loup-garou » et attribué ses origines à la consommations d’un os en peau de bœuf destiné à assurer l’hygiène dentaire du meilleur ami de l’homme. Mais les vraies causes sont peut-être ailleurs (le retour du refoulé, par exemple). Les plus pessimistes pourraient y voir des signes avant-coureurs de la fin de l'alliance entre les humains et les non-humains, le point d'arrêt de la  coévolution, le crépuscule du projet domesticatoire.

lundi 13 janvier 2025

Quand le crapaud chante

 

Gouache de Fancisco da Silva, 1966

Finalement un ciel dégagé. Cela fait particulièrement plaisir à ceux qui, débarqués par hasard dans le Finistère (c'est mon cas),  passent leur temps à critiquer la météorologie locale*. Je jette un coup d’œil aux proverbes de janvier et je tombe sur  « Soleil au jour de Saint-Hilaire (13/01), rentre du bois pour ton hiver ». Pas très encourageant. Celui-ci non plus : « Quand le crapaud chante en janvier, serre ta paille, métayer ». Il  n’est pas gai mais il me fait sourire. Je connaissais le chant des loups, celui des sirènes  et celui  des grenouilles. Je cherche à me figurer celui des crapauds.

* Ils n’avaient qu’à rester chez eux, bande de Ritals !