mercredi 16 janvier 2019

L’ontologie des nounours (encore sur l’hypocrisie)



Sauvetage d'une "Capretta di montagna". Image extraite de  La Repubblica en ligne du 9 janvier 2019

Ce que je trouve déplorable dans le discours ambiant sur la condition animale est son côté  « buonista » comme on dit en italien (angéliste). L’autre jour dans le quotidien la Repubblica qui brille par son élan pédagogique, on a sauvé de la neige non pas un chamois (comme, c'est le cas,  on peut  le voir dans la vidéo),  mais une « capretta di montagna », une petite chèvre de montagne. Le raisonnement implicite est que les petites chèvres de montagne perdues dans la neige font plus de  peine que les chamois. Quelqu’un doit avoir signalé le caractère indécent de cette manipulation « tire-larmes » à la rédaction qui s’est empressée de modifier le titre. La capretta di montagna est donc redevenue un chamois, ce qui n’enlève rien au caractère touchant  du sauvetage. Si j’exprime mon indignation c’est que ces « petites retouches » au nom de la bonne cause altèrent notre perception de la réalité. Le monde concret, avec ses nuances et ses contradictions, est simplifié et « colorié », comme le disait Roland Barthes à propos des documentaires à la Cousteau des années ’60. On passe alors du modèle « naturaliste » (c’est ainsi que l’anthropologue Philippe Descola définit l’ontologie occidentale   fondée sur l’idée qu’une frontière insurmontable nous sépare des autres espèces)* au modèle « bisounoursiste ». L'ontologie bisounoursiste  (que l'on me pardonne ce néologisme affreux) présuppose que la frontière entre les espèces n’est qu’une construction idéologique, que nous sommes tous des grands copains,  que les ennemis des ours et des loups, des tiques et des vipères seront confondus  et que tout va bien se terminer.  

* Je renvoie, pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, a son incontournable Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

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