- Maurice, arrête de taper à la fenêtre. C’est mon maquereau, pas le tien.
- (Boucan d’enfer et cris de bravache à la limite du
supportable).
- Maurice, laisse-moi manger en paix, je te supplie. Que veux-tu en échange?
- Le Groenland.
- Maurice, arrête de taper à la fenêtre. C’est mon maquereau, pas le tien.
- (Boucan d’enfer et cris de bravache à la limite du
supportable).
- Maurice, laisse-moi manger en paix, je te supplie. Que veux-tu en échange?
- Le Groenland.
Glacier de la Marmolada
J’ai peut-être déjà raconté cette histoire. C’est à l’époque où je menais mes enquêtes sur les chasses traditionnelles dans les Préalpes de Vénétie. Mes informateurs, occupés à m’expliquer le fonctionnement d’un filet pour le piégeage des petits oiseaux, reçoivent un appel téléphonique. On leur signale que dans le glacier de la Marmolada, comme tous les printemps, la neige commence à fondre. On m’embarque dans une voiture et, une heure plus tard, on est sur les derniers tournants qui mènent aux pieds du massif. La route est propre mais bordée par des parois de neige. On y aperçoit des fissures d’où jaillit l’eau du dégel. Mes complices (dans le sens que, à ce moment là, je deviens leur complice) posent des épuisettes à la sortie des trous. Tous les vingt-trente secondes, une grenouille apparaît et s’enfonce dans l’épuisette. La récolte est bonne et rapide. On remonte dans la voiture et on repart. En route, pas de commentaires. On s’arrête à mi-chemin, chez une dame souriante qui nous fait signe d'entrer sans rien dire et nous dirige vers sa salle de bain. Les cueilleurs versent leur butin dans la baignoire. Les bestioles se mettent à grenouiller montrant à tout le monde leurs ventres multicolores.
Le glacier de la Marmolada est en train de se dessécher. D’ici vingt ans il aura disparu.
L'ethnologue avec son informateur privilégié
Les ethnologues écrivent pour leurs pairs, bien entendu, pour eux mêmes, pour leurs informateurs* et pour « un plus large public » (définition vague, cette dernière, qui réunit dans une même catégorie des individus aussi hétérogènes que l’abonné du Club du livre, notre voisin de palier ou le Ministre de la culture). Ils ont des interlocuteurs officiels mais également, comme on le découvre en lisant le journal de Malinowski ou celui de Leiris, des interlocuteurs intimes**. À l'ombre de chaque ethnologue se cache une Dulcinée (ou un Dulciné) qui inspire ses prouesses. Ce « tu » à qui il/elle s'adresse de façon clandestine constitue un point aveugle dans l’analyse du texte ethnologique ***.
* Ou à la place de leurs informateurs, pour leur restituer la parole. Le terme « informateur » est désuet et plein d'harmoniques désagréables, je le sais.
** Très précieuse, à ce sujet, la version d'Afrique fantôme éditée par Jean Jamin incluant dans le document la correspondance de Michel Leiris pendant la rédaction du manuscrit ( Miroir d'Afrique, Quarto Gallimard, 1996)
*** J’aborde la question du « moi » du chercheur dans : « Je interdit ». Le regard presbyte de l’ethnologue, in (Georges Ravis-Giordani éd.), Ethnologie(s). Paris, CTHS, p. 18-40
Amanda Ba, American Girl, American Bully, American Bomb. Image tirée de : https://www.artribune.com/arti-visive/arte-contemporanea/2025/03/chi-pittrice-amanda-ba/*
Freud est passé de mode, paraît-il, mais il a laissé son empreinte dans notre manière de raisonner. Désormais, nous admettons que des motivations inconscientes puissent être à l’origine d’un comportement, d’un hobby, d’une vocation. Cela nous incite – je le rappelle souvent – à faire de la psychanalyse à bon marché. Le chasseur à beau déclarer « Je vais à la chasse parce que j’aime la nature ». On fait semblant de le croire mais on se dit « Non, mon cher, tu vas à la chasse parce que tu aimes ça, à savoir le moment excitant de la mise à mort d’un animal». Cela vaut aussi pour le gynécologue. Il a beau affirmer « J’ai choisi ce métier pour me rendre utile ». On fait semblant de le croire mais on se dit « Non, mon cher, tu as choisi cette branche spécifique de la médecine parce que tu aimes bien ça ». Et nous savons tous ce que «ça» veut dire.
Chez certains artistes, parfois, la motivation occulte est tellement explicite qu’elle n’a plus rien d’inconscient, ce qui
nous empêche de faire de la psychanalyse à bon marché.
Est-ce que lorsqu’on peint des sujets à caractère zoophile on est forcément zoophile ?
Est-ce que
lorsqu'on travaille depuis longtemps sur la « bonne mort animale » et les mises en scène qui l’entourent on est
forcément nécrophile ?**
* L'image que j'ai retenue pour illustrer mes propos est la moins « zoophilique » de la série.
** Mon article « Une Personne pas tout à fait comme les autres. L’animal et son statut » (L’Homme n°120), date de 1991.
Je cherche sur Wikipédia des informations concernant le barbecue. J'aimerais trouver une réponse à la question suivante : est-il vrai que le mot barbecue est d’origine arawak ? Et est-il vrai que les Arawaks pratiquaient le cannibalisme ? Dans la description de cette technique de cuisson une formule récurrente attire mon attention :
- En Russie, dans le Caucase et en Asie centrale, le chachlyk [à savoir le barbecue] est un art de vivre.
- Chez les Turcs, cette façon de cuire des aliments est appelé mangal, et fait partie de l'« art de vivre » des Turcs.
- Dans les pays arabes, cette façon de cuire des aliments est appelée chouae et fait partie de l'« art de vivre » des Arabes, notamment des nomades et ruraux.
Chez nous c’est pareil. Il suffit de se rendre dans une grande surface, rayon barbecue, pour réaliser à quel point nous avons la fibre artistique.
Il y a un trentaine d’années, je m’en souviens, la mort d’un skieur hors-piste faisait
la une des journaux et déclenchait plein de reportages. Maintenant les
accidents de ce genre sont
tellement nombreux que cela nous paraît presque normal.
Nicolas Poussin (1594-1665). L’armée d’Hannibal procédant à l’annexion de la Gaule Cisalpine.
On reproche à la Fondation Nobel d’être partisane. Ce n'est pas injustifié : elle prévoit un prix Nobel pour la paix, mais pas de prix Nobel pour la guerre*.
* Ne serait-ce que commerciale.
Dans son ouvrage Patterns of Culture, Ruth Benedict soulignait la variabilité des « personnalités de base » propres aux différentes cultures. Chaque culture a son « éthos » et le transmet d’une génération à l’autre. La personnalité idéale d’une société peut aussi varier selon les époques. En héraldique, elle est souvent symbolisée par un animal, qui devient une sorte de « totem ». Mussolini aimait dire : « Mieux vaut vivre un jour comme un lion, que cent ans comme un mouton ».
Aujourd’hui, s'identifier au lion et en être fier revient à la mode*.
* Et si vous n'êtes pas d'accord avec moi, la semaine prochaine je vais occuper le Groenland et le Canada.
Quelque part dans les Alpes, il y a une dizaine d'années. Il fait froid. On se promène dans le bois à la recherche des derniers champignons. Mes amis ont une chienne très élégante d’origine teutonique dont j’ai oublié le nom. Son maître l’appelle :
- Viens ici, ma chérie, reste auprès de ton papa.
La chienne s’en fiche et on continue la promenade. Après un court silence, le maître s'arrête et me dit :
- Il y a une semaine, je l’ai appelée comme ça devant des gens qui passaient. Ils nous ont regardé d’un air malin, comme pour dire : « Voilà un couple qui n’a pas d’enfants ». Mais nous avons des enfants. J’étais sur le point de les poursuivre pour leur dire qu'ils se trompaient. Finalement ... j’ai laissé tomber.
On reprend la marche en méditant.
- Eh oui, je réponds, les gens sont comme ça. Ces champignons, quand même … il a fait trop sec, je crois.
Je suis un grain de riz de la plaine du Pô. Suis-je BIO? J’en doute. En tout cas ce n’est pas grave … je veux dire, pour les humains. D’ici quelques jours, vraisemblablement, je serai bouffé par des flamands roses, espèce protégée qui neutralise, par endroits, 80% des récoltes.
Ces agriculteurs, quand même … ils cultivent du riz non-BIO sans se soucier de la santé des flamands roses. C’est criminel !
Véronique Dassié
Les forêts entre centralité et périphérie
En Europe, les forêts sont envisagées de longue date comme des lieux périphériques, de la marge et des frontières. Une forme de hiérarchisation des terres, du cultivé au sauvage, semble les avoir inscrites dans une relation concentrique aux espaces habités européens, entre le saltus gallo-romain et la silva royale de l’ancien régime, loin des préoccupations des êtres humains civilisés. Pourtant, elles occupent aujourd’hui le devant de la scène des préoccupations environnementale et font l’objet d’attachements renouvelés. Elles deviennent centrales dès lors qu’il s’agit de penser « la nature ».
Ma communication reviendra sur cette oscillation entre périphérie et centralité forestière en analysant les conflictualités et tensions patrimoniales qu’elles suscitent aujourd’hui et la manière dont les ethnographes ont traité ces espaces avant d’en faire un nouvel objet d’attention.
En matière d’alimentation animale, manifestement, Phèdre avait une bonne marge de progression. Sur l'arrogance des puissants, en revanche, il avait les idées très claires.
LA GÉNISSE, LA CHÈVRE, LA BREBIS ET LE LION.
« S’associer avec un puissant n’est jamais sûr ; cette fable va prouver ce
que j’avance.
La Génisse, la Chèvre et la patiente Brebis firent dans les bois société avec
le Lion. Ils prirent un cerf d’une grosseur prodigieuse ; les parts faites, le
Lion parla ainsi : « Je prends la première ; parce que je m’appelle Lion ; la
seconde, vous me la céderez, parce que je suis vaillant ; la troisième
m’appartient, parce que je suis le plus fort ; quant à la quatrième, malheur à
qui la touche ! »
C’est ainsi que, par sa mauvaise foi, il resta seul maître du butin ». (Fables, Livre I)
Est-ce que la génisse, la chèvre et la brebis, en acceptant le deal, arriveront à sauver leur peau ? C’est tout ce qu’on peut leur souhaiter.
J'ai emprunté cette photo à La Repubblica, il me semble, ou au Corriere della Sera.
Les murènes sont en haut à droite.
On a découvert une nouvelle salle à Pompéi, d’un beau rouge pompéien. Elle est consacrée à Dionysos. On y voit du gibier. Sur les photos on aperçoit même des murènes.
J’étais en Corse, sur un rocher
qui émergeait à peine de la mer, les pieds dans l’eau. À côté de ma cheville
j’ai aperçu un joli ruban aux reflets dorés. Je n’ai pas bougé. Il s’est éloigné doucement en serpentant.
Les Romains appréciaient les murènes. Personnellement, je ne les trouve pas très appétissantes. Je préfère les anguilles - et de loin - voire même les congres. Ce qui est beau, chez les murènes, c’est qu’elles permettent de se donner des airs :
« Moi, chers amis, j’ n’ai jamais rencontré d’ours, ni de loups. Mais j’ai rencontré une murène. J’étais en Corse, sur un rocher qui émergeait à peine de la mer, les pieds dans l’eau … »*.
* Variante : « La murène était devant moi. Impériale. On s'est regardé dans les yeux. On s'est compris ».
- Certes que ces chats dorment sans arrêt.
- C’est marrant des animaux qui existent essentiellement pour dormir. Qui se réveillent juste pour tuer, et après ils se rendorment pour faire des rêves de tueries. Ils doivent avoir eu un comportement exemplaire dans leur vie antérieure, mes chats. Parce qu’ils ont vraiment une vie de roi.
- Parfois je me demande si les morts rêvent. Et ils rêvent de quoi, éventuellement? D’un au-delà de l’au-delà ?
Je profite de ma visite de l’année passées à l’exposition « Chasse pêche, nature » à Longarone (Vénétie) pour alimenter mon blog . Le stand des taxidermistes était remarquable
Egregio Cavalire, Egregio Avvocato, Egregio Presidente ...
C’est comme ça qu’on s’adresse aux autorités, en italie, en signe de respect.
Egregio vient du latin egregius et indique « celui qui sort du troupeau ».
Lorsqu’on croise un chevreuil albinos on ne lui dit pas « Egregio capriolo », mais on aurait le droit. Lui aussi, manifestement, « sort du troupeau ».
Les adeptes du safari-photo adorent les albinos. Les chasseurs un peu moins. Ils prétendent que tuer un albinos porte malheur.
Quelqu’un m’a raconté qu’Ernest Hemingway, à la fin de sa carrière de chasseur, a tué un albinos (un tigre ? une panthère ? peu importe). Ça ne lui a pas porté beaucoup de chance. Mais c’est une rumeur, peut-être.