vendredi 5 septembre 2025

Pisteurs de limaces (3)

Limace célèste porteuse d'un message énigmatique

Autrefois, parait-il, nous étions plus sensibles à l’harmonie du vivant, alors qu’aujourd’hui, selon les observateurs les plus crédités, nous assistons à une « crise des sensibilités ». C’est vrai que l’Homme sauvage, lorsqu’il rencontrait une limace sur son chemin, loin de l’aplatir d’un coup de massue se posait des questions sur son Umwelt* : « Que peut-il bien se passer – se demandait-il – dans la tête de ce non-humain dont je partage le biotope » ?

Chez moi, qui ai échappé à la crise des sensibilités, c’est pareil. Je scrute la bestiole et je me demande : « À quoi pensent les limaces lorsque, accrochées à leur bave,  elles contemplent le monde de haut en bas ? aux conséquences de l’exctractivisme capitaliste qui, du point de vue d’un gastéropode, ne présente  peut-être pas les mêmes inconvénients ? ». Ça m’étonnerait.  Je la regarde de près pour mieux comprendre sa mentalité mais cela ne sert à rien. On a beau avoir un ancêtre commun, plus j’approche de ce mollusque terrestre, plus le souvenir de notre parenté originaire s’éloigne. Un blocage atavique m'empêche de penser comme une limace. Pour la taquiner,  j’aurais envie de lui dire :  « Tu sais, tu te prends pour une libellule mais tu ressembles vachement   à un alevin. Un alevin au bout d'un hameçon ». Mais la limace m’attendrit, d’autant plus qu’elle s’est mise à osciller délicatement pour faire sortir les quelques centimètres de bave qui la séparent de sa destination. Ce mouvement de pendule est bien joli, autre chose que la pose statique de ses consœurs qui infestent mon jardin et que je balance dans la rue, en déléguant aux voitures la tâche ingrate de réduire leur densité démographique** (suite).

*Le terme « Umwelt », forgé par le biologiste allemand Jakob von Uexküll, désigne le « monde propre » subjectif d'un organisme, c'est-à-dire son environnement perçu et vécu à travers ses sens et ses capacités cognitives uniques.

** Sur l’éthique de la mise à mort de grenouilles, crustacés, anguilles etc. et sur mon ambiguïté à cet égard, je renvoie sur ce blog à la série « Traumatismes de guerre (aux innocents) » : 17 février 2019 et suiv.

2 commentaires:

  1. Je connais un restaurant indien dont la carte est ornée de limaces.
    Je ne trouve pas d’explication sur internet.
    Mais ça m’a permis de tomber sur des descriptions (sans références) de leur symbolisme dans d’autres cultures.
    On y parle notamment du chemin argenté qu’elles dessinent comme d’une correspondance avec les traces que nous laissons de notre vie.
    Votre feuilleton ironique nous conduit finalement à les considérer tout autrement.
    Et d’ailleurs, selon  symboliques.fr , la limace « incarne une sagesse discrète qui se révèle à qui sait observer. »

    Armelle Sêpa.

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  2. Tout est clair, maintenant, c’est une question de traces. Les bipèdes du blog du 23 août et le gastéropode des derniers billets nous invitent à réfléchir autour de nos traces, de notre trajectoire et de notre traçabilité.

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