« Dans ses fantasmes, le chasseur anthropomorphise sa proie. Parfois il la conçoit comme un dangereux rival, parfois comme un objet de désir aux traits féminins très prononcés ». Voici l’idée que je développe depuis un bon moment en me basant sur l’analyse des récits et des images de la tradition cynégétique.
Dans le mythe
d’Actéon relaté par Ovide, le chasseur surprend Diane entourée par ses nymphes
en train de se baigner. Pour se venger, la déesse transforme l’importun en
cerf. Ses chiens ne le reconnaissent plus et se mettent à le poursuivre.
J’ai assisté
l’autre soir à la dernière représentation d’ Actéon, pièce chorégraphique de Philippe Saire. J’ai été enchanté
par la manière dont il a su représenter l’état onirique et la confusion des
catégories qui accompagnent l’expérience du chasseur (un chasseur à la fois malsain et candide,
avec ses pantalons de scout, polymorphe et mystérieux). Quatre jeunes
hommes incarnaient à la fois les chasseurs et les chiens*. A la fin, comme dans
le récit d’Ovide, Actéon est transformé en cerf et les chiens le poursuivent. Double métamorphose, donc,
celle d’Actéon et celle de ses compagnons. Pas de trace de Diane, en revanche, ni
des nymphes.
Cette absence m’a intrigué
et a produit chez moi une « illumination » qui m’oblige à revenir sur
mes matériaux. Jusqu’à maintenant, en fait, j’ai vraisemblablement trop
« genré » les protagonistes de la fiction cynégétique. Mais faut-il
voir forcément dans la cible anthropomorphisée du chasseur soit un homme soit
une femme? Les rêveries qui accompagnent la poursuite de la proie transgressent,
justement, les clivages ontologiques : si elles ne respectent pas la
frontière humain/animal/végétal, pourquoi devraient-elles respecter la
frontière masculin/féminin ? Dans ce bouillon fusionnel qu’est le retour à
la Wilderness, l’autre devient le même et réciproquement.
Il s’en suit que
Diane n’est pas indispensable. Le regard sur elle d'Actéon est tout juste le déclic qui active la
métamorphose généralisée.
* Voici le nom des
danseurs : Gyula Cserepes, Pierre Piton, Denis Robert, David Zagari. J’ai
aussi été ravi par la qualité de la création sonore de
Stéphane Vecchione qui joue un rôle important dans la fabrication de cet
univers halluciné.
Quand l’art crée le doute chez le chercheur... quel plaisir ! Une recherche non figée nous rend plus intelligents...
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