samedi 9 mars 2019

Traumatismes de guerre (aux innocents) (4) : le calvaire des escargots.




J’avoue avoir cuit des escargots. J'avoue aussi les avoir ramassés avec plaisir. C’est enivrant, après la pluie,  de fouiner dans les herbes, le nez au raz du sol,  et débusquer ces petits intermédiaires qui métabolisent pour nous, dans leur corps protéiforme, les essences du pré*. Le problème est que pour les manger il faut les tuer. Et avant, pire encore, il faut les nettoyer.  D’abord on emprisonne l’escargot et on l’oblige à jeûner. Après on l’immerge dans un mélange d’eau, sel et vinaigre pour éliminer la bave. Pour le tuer on utilise l’eau bouillante mais certains préfèrent que l’eau chauffe graduellement : dans la tentative de s’échapper l’escargot reste en dehors de son habitacle,  ce qui facilite le travail du cuisinier. J’en ai vus qui cherchaient à sortir de la casserole comme des desperados mais qui au beau  milieu de l’ascension, par la chaleur insupportable, retombaient dans l’eau.

Ce que je raconte est indécent. Pourquoi j’en parle ?  Pour donner libre cours à mes pulsions sadiques, probablement. Mais aussi pour maîtriser la scène troublante**. Pour la partager.  Et pour retenir l’attention de mon prochain avec des moyens faciles et déloyaux. C’est dans ce sens, je trouve, que décrire la mort des animaux  est malsain et « pornographique ».  Mais cacher ces atrocités, lorsqu'on en est à l'origine, serait tout aussi indécent. Ce qui accentue mon ambiguïté,  c’est que je ne décris pas ces horreurs pour que cela s'arrête. À la prochaine occasion, en connaissance de cause, je crois bien que je ramasserai d’autres escargots et que je les mangerai.



* Ce n’est pas pour nous qu'ils métabolisent, je le sais, mais ma version m'arrange.  
** C'est ça le "traumatisme" : le traumatisme du bourreau. 


10 commentaires:

  1. J’avoue aussi avoir ramasser avec plaisir des escargots après la pluie , mes grands-parents m’avaIent appris à bien repérer ceux dont le bord de la coquille était dur au toucher, et j’étais contente quand ils les nourrissaient de son. Depuis j’ai appris que ce n’était pas pour les choyer mais pour éliminer la toxicité des plantes ingurgitées... pour nous protéger donc !!!

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  2. Une femme de mon entourage avait trouvé une limace en nettoyant une salade du potager.
    Sans doute outrée qu’il ait pu se trouver aussi légitime qu’elle à consommer le frais légume, elle avait saisi une fourchette et rageusement avait explosé le pied du petit mollusque qui avait bien sûr l’estomac dans le talon.

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    1. J’aime bien votre trouvaille de "l’estomac dans le talon" mais pour l’apprécier j’ai dû me documenter (vous vous adressez à moi comme si j’étais un Français).

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  3. Je lis beaucoup de
    polars et romans noirs en ce moment. Je n'avais plus l'habitude des
    fictions. Je suis un peu submergé par les descriptions de viols, de
    tortures, dépeçages, cannibalisme, en tout genre qui me renvoient à
    vos posts: connivence entre les auteurs et leurs publics qui se
    délectent pour les uns à dépeindre, pour les autres à contempler la
    violence la plus sanguinolente et la plus sordide, le must étant d'y
    associer le sexe...

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    1. Merci pour ces remarques. Il y a quelques temps, en jetant un coup d’œil panoramique sur mon blog je me suis dit « Finalement, tu passes ton temps à raconter des histoires atroces ou sordides et à fustiger tout le monde. Tu es à la fois un donneur de leçons, un exhibitionniste et un cas psychiatrique ». Je cherche à me défendre en rappelant que le discours ambiant est « bon enfant » et irénique, et que cela exige un contradictoire. Mais mon argument est assez faible, je le reconnais, à la limite du prétexte.

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  4. Puisqu’un parallèle est établi entre ce blog et les polars, pour leur complaisance dans le sordide, et une connivence, à ce titre, avec leurs lecteurs, je me permets de réagir.
    Personnellement, je fuis les fictions racoleuses et je suis une lectrice constante de ce blog. Je trouve qu’il est d’une grande honnêteté intellectuelle, et que, pour cette raison, il fait avancer la cause animale dans la bonne direction.
    Il s’agit, comme l’indique le préambule, de prendre l’animal comme prétexte dans une réflexion plus générale sur le monde.
    L’apparente délectation à décrire des scènes violentes, qui sont la réalité de toute personne qui cuisine, participe selon moi, de cette exigence de regarder les choses en face. J’y trouve aussi une forme d’humour, donc de distance, qui me paraît salutaire.
    Pour ce qui concerne mon commentaire sur ce billet, ce n’est peut-être pas très lisible, mais c’est l’effroi que suscite en moi la violence qui s’opère dans notre pays, sur des citoyens qui essayent seulement d’utiliser leur droit de manifester, quitte à se faire exploser un pied, une main, un œil, dans l’indifférence de ceux qui tiennent avant tout à une certaine idée de l’ordre, qui m’a ramenée à la violence subie par cette malheureuse limace.
    Au passage, le message de Nicole me touche beaucoup et vient confirmer la richesse que véhiculent ces petits romanichels que sont les escargots. Ses grands-parents, dans leur tendresse protectrice, leur ont même fait franchir le mur du son pour qu’ils passent des ténèbres toxiques à la lumière nourricière.

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    1. Merci, Armelle, je n’aurais pas su mieux résumer les intentions de mon blog. Personnellement j’avais perçu ce commentaire moins comme une critique que comme une invitation à réfléchir autour de notre inclinaison pour le morbide. Il s’agit bien d’une piste que je compte explorer. L’entrée en matière pourrait être la suivante : « Est-ce que les activistes du mouvement L214 regardent les polars ou trouvent-ils ce genre insupportable ? ».

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    2. Je suis une lectrice de « polars/roman noir... » ( terme à définir car souvent connotation péjorative) et je paraphraserais : « le polar comme prétexte » à une réflexion plus générale sur la nature humaine.... ses côtés si sombres et ses côtés si attachants . Et bien souvent l’humour s’y invite.... finalement polar et ce bllog même combat !

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    3. Je ne voulais certainement pas critiquer votre blog au contraire: il nous invite comme l'écrit Armelle Sêpa à réfléchir. C'était le sens de ma remarque. Si vous racontez des histoires atroces c'est en étant conscient du message que vous voulez porter. Je me suis rendu compte par ailleurs que quand je parlais d'attrait pour le sordide je pensais "aux lecteurs" sans m'inclure parmi eux. Déni de réalité? Je m'interroge, si parfois j'ai envie de tourner la tête tant certaines scènes me dégoûtent je ne déteste pas les lire, j'aurais beau jeu de prétexter que je le fais pour mon travail. En tout cas ce n'était aucunement une critique contre votre blog.

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  5. Le commentaire étant ambigu, j'ai préféré clarifier ma position.
    Et je redis ma gratitude envers certains activistes "lanceurs d'alerte". Évidemment pas envers ceux qui se réjouissent de l'assassinat d'un boucher.

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