vendredi 3 janvier 2020

Le charme anthropophage de la chasse à courre






Bernard Boutet de Monvel (1935) Diane et Actéon
La chasse à courre c’est théâtral. Et ça se filme très bien. Lorsqu’on veut rappeler aux gens que la chasse est culture et tradition, on parle de la chasse à courre.  On peut dire plein de choses sérieuses sur cette chasse « qui ne prévoit même pas la consommation de la proie tellement  elle est sportive et désintéressée ». Moi je dirai une chose pas sérieuse du tout, apte à offusquer les veneurs les plus ouverts et sereins. Dans mes recherches, j’ai évoqué à plusieurs reprises la facilité avec laquelle le chasseur anthropomorphise sa proie*.  Or, quoi de plus anthropomorphe que la grand gibier ? Un des plaisirs de la chasse à courre est de poursuivre et de mettre à mort un « presqu’humain ». Mais manger du presqu’humain ce serait du « presque cannibalisme ». Mieux vaut alors donner le tout aux chiens.

J’y songeais l’autre jour en lisant ce  passage de Cindy Cadoret dans l’article « La chasse et la pêche comme rites initiatiques dans la mythologie irlandaise »**. On y découvre qu’aux temps des origines évoqués par les mythes irlandais et christianisés par des moines entre le VIIIéme et le XIIème siècle, le fait d’avoir un ancêtre animal est ce qu’il y a de plus courant :

« Le Cycle de Leinster est aussi dit Cycle Ossianique du nom d’Oisín qui en est souvent le conteur. Le personnage présente une affinité particulière avec les cervidés. Le récit de sa naissance l’explique. Lors d’une chasse sur les collines d’Allen, les Fíanna traquent une biche. Bran et Sgéolan se lancent à sa poursuite. Les deux chiens, due à la nature humaine de leur mère (…) ont un pouvoir particulier : ils sont capables de différencier un homme métamorphosé d’un véritable animal. Sans blesser la biche ils s’adonnent plutôt à des jeux autour d’elle. Devant ce fait, Finn ordonne que la biche ne soit pas abattue. Et pour cause, l’animal recouvre sa forme humaine. Il s’agit d’une jeune femme, qui lui explique qu’elle fut transformée ainsi par un sorcier qu’elle a refusé d’épouser (…). Sensible à ses charmes, Finn en fait son épouse. Leur enfant sera nommé Oisín, « petit cerf ». « Il sera non seulement excellent chasseur, mais est aussi identifié à l’animal lui-même de par la malédiction de sa mère ».



*Cf. par exemple : "Sur qui tire le chasseur ? Jouissances dans les bois",  Terrain n. 67, pp. 168-185

** De la bête au non-humain. Perspectives et controverses autour de la condition animale (Sergio Dalla Bernardina dir.),  édition numérique Collection « Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques » 2020 (à paraître).



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