dimanche 6 août 2023

« Devenir chien » ( soyons progressistes)


1) Dans l’entretien radiophonique annoncé dans le post précédent, je qualifie de « malsain » le comportement de certains animaux sauvages qui « ne sont plus ce qu’ils étaient » : des sangliers qui mangent des spaghettis gentiment offerts par la population génoise, d’autres qui vaguent dans les jardins des hôpitaux en plein jour etc. *. Ça peut plaire au niveau urbain, ça enthousiasme un peu moins vu de la campagne. Ce qui déplait, au-delà des conséquences pratiques, est  le désordre symbolique que ces transformations impliquent.

2) Lorsque j’étais à Milan, il y a très longtemps, je prenais parfois un apéritif sur la place du dôme. Il s’agissait d’un rabarbaro Zucca - la rhubarbe Zucca, pour entrer dans les détails. À l’extérieur du café, debout et un verre  à la main, d’autres buveurs de rhubarbe, essentiellement des retraités, passaient leur temps à se plaindre de la météorologie inamicale, du gouvernement inepte et, plus généralement, de l’évolution de la société. Il s’agissait de  vieux conservateurs, rien de particulièrement répréhensible. Mais avec mon regard méprisant de jeune progressiste (peut-on ne pas l’être à vingt ans ?**), je les considérais tout bonnement, si je peux me permettre cette formule triviale, comme des vieux cons.

3) L’autre jour je suis tombé  sur une information qui m’a dérangé à tel point que, dans un premier temps, je n’ai pas réussi à dépasser le titre. Elle concernait ce Japonais qui a dépensé 14.000 euros pour se transformer en chien (un collie, pour être précis).  Si je devais commenter l’événement  en tant qu’anthropologue, je saurais garder ma distance : je dirais que cela en dit long sur la porosité des frontières ontologiques, sur notre désir d’altérité, sur la considération croissante que nous avons pour les autres espèces, sur le droit à choisir son propre statut etc. Mais une petite voix, dans mon for intérieur,  murmurait instamment : « Ce type est complètement dingue. Il lui faudrait un bon psychiatre ». En m’efforçant de ne pas l’écouter je me suis demandé : « N’es-tu pas en train de devenir toi aussi un vieux conservateur ? Tu n’as qu’à rejoindre tes copains sur le parvis de la place du dôme  de Milan».

*J’en parle dans Le retour du prédateur. Mises en scène du sauvage dans la société post-rurale, Presses Universitaires de Rennes, 2011.

** La réponse est : oui. Personnellement, je me considère encore très progressiste. Je pratique en fait le progressisme critique (j'introduis ici cette notion) une variante perfectionnée du progressisme traditionnel.

2 commentaires:

  1. « progressisme
    nom masculin

    1. Comportement de ceux qui estiment qu'une profonde transformation des structures politiques et sociales permettra une amélioration des conditions de vie et une plus grande justice sociale.
    2. Tendance de ceux qui cherchent à faire bénéficier le plus grand nombre de personnes des progrès scientifiques et techniques.
    3. Doctrine de ceux qui croient au progrès moral de l'humanité. »

    Dictionnaire Larousse.

    Sur les deux premières définitions, je suis des vôtres, camarade professeur !

    Armelle Sêpa.

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  2. Jusqu'à quel point sommes-nous prêts à dépasser ces fameuses limites ontologiques ?
    Sachant que celles-ci peuvent être socialement induites, peut-on considérer que certaines règles sociales étaient justement là pour des raisons qui permettaient de ne pas pénétrer dans certains "territoires" et garder chaque "Être" à sa place ? Le véritable progressisme n'est-il pas de se connaître soi et d'accepter qui nous sommes véritablement avant de vouloir être autre chose ? Pour pouvoir s'ouvrir plus largement à l'altérité de "l'autre", ne faut-il pas de déjà accepter que nous sommes (par exemple) des êtres humains ? Et peut-être même un animal parmi les autres. Pourquoi a-t-on besoin de se dissocier de la nature ou de vouloir être la nature alors que nous sommes déjà, peut-être, une partie de cette "nature ? Merci pour cet article.

    Matthias Koehler

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