Tableau de
Pieter Aertsen (1508-1575) montrant ce que nous pourrions éviter en adoptant un régime
végétarien.
Le téléphone sonne du 9 juin
était consacré aux abattoirs filmés en cachette par le groupe L214. J'évoque les
points de l'émission qui ont attiré mon attention. Christian Laborde (écrivain
poète et chroniquer) après avoir
dénoncé la réduction progressive des contrôles dans les abattoirs ("où
sont les vétérinaires? Que font-ils") déclare : "Je ne suis pas végane,
je suis paysan", ce qui veut dire "Je continue à manger de la
viande". Il ajoute : "Je
sais où je me sers", ce qui signifie : "Les animaux que je mange ont été
abattus correctement". Mikel Hiribarren éleveur de brebis laitières et Secrétaire
de la confédération paysanne a pour sa part déclaré : "A l'heure qu'il est,
alors qu'il a fait très beau, toutes les bêtes sont dehors, tous les ruminants sont dehors,
les moutons, les vaches. Je peux
vous certifier que leur vie, cet
été là, sera bien plus agréable que celle de beaucoup d'humains". Quant
aux images choquantes : "Ce
sont des images très exceptionnelles qui ont été triées effectivement sur des
longues heures d'enregistrement sur une période où il y avait beaucoup de
travail". Et de toute façon, "La réalité de l'abattoir n'est jamais
quelque chose de gai". Florence
Burgat, philosophe et directrice de recherche à l'INRA a réagi à ces deux témoignages en soulignant que
les images en question n'ont rien d'exceptionnel : "Je pense que c'est la
norme, les cadences sont toujours élevées". Elle a accompagné ce constat par une généralisation : "Il
faut rappeler que le fait de mettre à mort des animaux à la chaîne n'est pas un
métier comme un autre et que livrer
à des hommes des animaux pour les tuer sans aucun contrôle est évidemment un
acte qui invite à la cruauté". Cette phrase, profonde et énigmatique,
mériterait quelques explications. Est-ce que les abattoirs attirent des gens
particuliers? (Les boucheries aussi, alors?). Est-ce que les humains sont cruels
par nature et faut-il les contrôler davantage? (est-ce que les hommes sont plus
cruels que les femmes?). De son préambule Burgat sort la déduction suivante :
"Donc c'est le fait d'abattre les animaux qui est un problème aussi et
qu'il ne faudrait pas escamoter. C'est très bien que les brebis soient dans la
montagne, mais pour combien de temps?". La discussion glisse ainsi de la cruauté spécifique constatée
dans certains abattoirs à l'idée, tout à fait légitime mais quelque peu différente,
que le fait même de tuer des animaux pour s'en nourrir est un acte
répréhensible. L'opération n'a pas échappé à Guillaume, un des auditeurs, fils
d'éleveurs : "On ne pourra jamais rendre les images d'abattage agréables,
que ce soit à la ferme ou dans des abattoirs (...). Je crois que c'est vrai que l'on perd le fil avec la mort de
l'animal, on en est de plus en plus déconnecté". "L'idée sous-jacente le fait de
montrer des images choquantes c'est de dire qu'il faut arrêter de manger de la
viande et ça pose un gros problème". L'intervention décisive, à mon sens,
a été celle de Matthieu, qui a connu de près les élevages industriels de porcs
en Bretagne : "Si les gens qui travaillent dans ces industries-là veulent
survivre ne serait-ce que psychologiquement ils n'ont pas d'autre choix que de
se couper tout bonnement de la souffrance animale dont ils sont la cause".
"C'est à dire, conclut un peu troublé Nicolas Demorand, que pour vous
protéger vous êtes obligés de fermer les yeux et les oreilles. Merci pour ce
témoignage rude". Apparemment marginale, cette dernière intervention
touche un point essentiel du débat,
un point embarrassant que l'on occulte, d'habitude, pour des raisons
d'opportunité (sur lesquelles je reviendrai).
En tant que
mangeurs de viande nous sommes tous coupables*. Arrêtons donc de tricher : ce
n'est pas en accusant de sadisme le personnel des abattoirs (qui peut compter
dans ses rangs, bien entendu, un certain nombre de sadiques) que notre
complicité sera moins flagrante.
*Ce n'est pas le
cas de Florence Burgat, qui ne mangeant vraisemblablement pas de viande, est
innocente.
En conclusion de votre entretien avec Elisabeth de Fontenay *, vous parlez de la cohérence des antispécistes et de la portée apocalyptique (dans le sens de transformation profonde) de leurs propositions, qui partent du constat de la proximité des animaux et du genre humain.
RépondreSupprimerVous parlez aussi du reproche d'irrationalité qui leur est fait, j'ajoute : par la Nef des fous qui conduit la planète à sa perte sous la bannière de la raison(face aux "rêveurs" qui parlent de justice sociale ou de révolution écologique, les tenants du libéralisme adoptent facilement le petit rictus condescendant de ceux qui savent). En attendant que la Révélation nous foudroie, vous faites bien de nous enjoindre à, au moins, nous assumer. Sinon on rajoute de l'obscène à l'obscène, qui est étymologiquement "de mauvais augure".
*"Vivre avec les bêtes" 22/12/13. France Inter.
La phrase "profonde et énigmatique" de Florence Burgat peut laisser penser qu'elle a lu votre article sur la comédie de l'innocence, ou qu'elle la perçoit intuitivement.
Les antispécistes me troublent, en fait, parce qu'ils me renvoient à mes responsabilités de mangeur de viande. Je me venge en me demandant s'ils n'ont pas, eux aussi, quelque chose à se faire pardonner. Quant à la position de Florence Burgat (mais il faudrait que je me documente davantage, son point de vue n'est peut-être plus le même) , je pense que pour un certain nombre de défenseurs de la cause animale tout ce que les ethnologues peuvent dire en défense de l'alimentation carnée ("norme", "gastronomie", "tradition", "sacrifice" etc.) n'est qu'un vulgaire alibi.
SupprimerSi je scrute mon for intime je m'interroge: est-ce qu'il n'y aurais pas un certain plaisir à tuer (ou à faire mal) Je me souviens d'avoir libéré des cousins que j'avais attrapés sur les murs de ma maison...directement dans la toile des épeires, embroché des têtards sur des morceaux de bois, mordu des petites filles et même ma grand-mère. Ce n'est peut-être pas aussi facile d'exécuter un veau ou un chien qui vous regarde avec ses yeux si doux (mais ma grand-mère aussi avait des yeux doux) mais n'est-ce pas la culture qui nous permets d'établir une hiérarchie entre les bêtes faciles à tuer et celles qui ne le sont pas. On m'a demandé aujourd'hui à quoi servait un chien entendu comme animal domestique. J'ai eu du mal à répondre (et ce n'était pas seulement un problème de langue. Car s'il n'est pas là pour garder la maison ou rabattre le troupeau de mouton à quoi sert-il. Je m'égare...ou peut-être pas. Peut-être que dans le pays où vit mon interlocuteur, les chiens sont plus faciles à abattre que "chez nous" (pourvue qu'on ne les regarde pas dans les yeux?). Mon commentaire tombe peut-être à côté de la plaque, mais votre billet m'interpelle.
RépondreSupprimerDans certaines sociétés - mais c'est peut-être un vieux préjugé de l'anthropologie évolutionniste - on ne demande pardon qu'aux animaux qui font peur et à ceux qui servent à quelque chose. Quant aux autres ... on s'en fiche.
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