Leonard de Vinci, Annonciation, détail, 1472 environ
On a donc appris que les noyers peuvent vivre jusqu’à trois cents ans. Mais alors pourquoi ceux de mon jardin ont vécu si peu ? Pour des raisons naturelles, répond le botaniste : l’exposition à la lumière, la composition chimique du sol, le degré d’humidité etc. Le Primitif, selon Lévy-Bruhl, ne serait pas d’accord: on ne meurt jamais pour des causes naturelles, l’explication est ailleurs, dans le monde invisible. On pourrait imaginer, par exemple, que la plante qui meurt ait voulu mourir. Elle n’était pas d’accord avec le projet démiurgique de son planteur et s’est laissé crever : « Tu as voulu me transplanter ? Tu as voulu m’intégrer à ton collectif ? Eh bien, tu ne m’auras pas ! ». C’est ce qui s’est passé, je pense, avec les quatre cyprès que mon père avait fait installer dans le jardin en souvenir des collines véronaises où vivaient ses ancêtres. Dans un premier temps ils ont fait semblant de s’y plaire. Ils y ont même cru, peut-être, encouragés par notre enthousiasme. Mais lentement, pendant que le paysage archétypal du lac de Garde devenait plus flou dans la tête de mon père, ils ont commencé à dépérir. Le jour même où j’ai coupé le dernier pour lui éviter des souffrances inutiles mon oncle, très âgé, nous a quittés. Il est mort pour des causes naturelles, dirait le médecin légiste*. Je le pense aussi. Le Primitif, en revanche, y verrait une action maléfique (d’un esprit ? d’un humain ? …). Il y verrait également un cas typique de nagualisme : bien que plus jeune (mais les Primitifs, comme le rappellerait Lévy-Bruhl, ne connaissent pas le principe de non-contradiction) ce dernier cyprès était le double végétal de mon oncle. Tous les deux, d’ailleurs, venaient de la région de Vérone.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire