lundi 23 août 2021

L'inquiétante étrangeté 21. On commémore, on oublie

 

Dans mes recherches autour des rapports entre les humains et les non humains, j’ai souvent recours à la notion de « comédie de l’innocence ». C’est une de mes notions préférées. Il m’arrive parfois de mettre personnellement en pratique ce dispositif de déculpabilisation. Je suivais depuis un moment le déclin d’un plan de lavande. Je ne sais pas qui l'avait placée dans le jardin, mais c’est comme ça. Du point de vue floral elle ne donnait pas grand-chose. Elle poussait ses quelques touffes dégarnies vers les marches de l’escalier, comme pour entraver les soins portés par le jardinier/démiurge à l'ensemble de la communauté (composée par les plantes, les animaux, les ancêtres, les esprits de la végétation etc.). Je lui disais : « Tu n’es pas comme ces vagabondes dont parle Gilles Clément, qui choisissent toutes seules l’endroit où s’enraciner**. Cet endroit, manifestement, ne te convient pas, mais fais un effort, reste avec nous. Tu fais partie de notre collectif »*. Je l’ai accrochée à un tuteur, j’ai éliminé les concurrentes (les vagabondes, justement). Rien à faire, elle continuait à dépérir. Mon attitude, graduellement, a changé.  J’ai commencé à voir dans son obsolescence prolongée quelque chose d’ostentatoire, et même une sorte de reproche gratuit : « Et moi alors ? ». Hier j’ai procédé à la dernière moisson, juste quelques brins - il n’y en avait pas davantage - pour réaliser un bouquet commémoratif. Après, il a suffi que je tire légèrement pour que la plante reste dans mes mains. Je me suis dit : « Elle voulait nous quitter, c'est clair ».

 

* Le terme  "Collectif" active dans mon esprit un mot que j'aime beaucoup :  "Consortium" : ceux qui partagent le même sort.

** Gilles Clément,  Éloge des vagabondes. Herbes, arbres et fleurs à la conquête du monde, Editions Nil, 2002

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