Une
pétition circule en faveur de la tauromachie. Les signataires sont nombreux, l’un
plus respectable que l’autre. Je remarque, par exemple, Florence Delay, Georges
Didi-Huberman, Catherine Millet, Francis Wolff, les intellectuels célèbres ne manquent pas. Personnellement,
je ne suis pas trop attiré par l’imaginaire tauromachique. La corrida est un
art, c’est indéniable, avec une esthétique et une éthique qui lui sont propres
(je cherche à les comprendre et en
partie j’y parviens, je crois,
mais je les trouve lointaines de ma sensibilité). L’abolition de la
corrida par décret, manu
militari, me dérangerait. Il
s’agirait d’un fâcheux préalable à bien d’autres interdictions portant sur des
activités qui, pour ceux qui les pratiquent, n’ont rien d’anachronique :
la chasse en général, et après ? La pêche, bien sûr, la cueillette, le
droit de faire de l’ironie sur les bêtes, de les exploiter dans nos métaphores, de critiquer les gestionnaires du
discours sur les animaux,
d’émettre des doutes sur leurs motivations, d’insinuer que « celui-là est
un opportuniste frivole et vaniteux », que « celle-là, grâce à la souffrance
animale, s’est refait une visibilité », … ). J’aurais du mal, cependant à signer la pétition
en question. Ceci, notamment à cause des deux passages suivants :
Mon
dernier ouvrage s’appelle La langue des
bois : l’appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi*.
J’y traque le dispositif de la « Comédie de l’innocence » dans ses
manifestations anciennes et contemporaines. Ce mécanisme consiste à dissimuler le « scandale » du
prélèvement d’une vie (humaine, animale, végétale) par sa ritualisation et par
sa mise en rhétorique. Or, les deux passages que je viens de citer sont pour
moi un exemple patent de « Comédie de l’innocence ». Ce que je
déplore, dans cette pétition bien argumentée, c’est qu’elle n’assume pas la
partie sombre des plaisirs associés aux spectacles tauromachiques. Lue dans ma
perspective, l’expression : « Contrairement à ce qu’on entend, elle n’est
pas un spectacle sadique de la mort mais une liturgie rituelle », est une
dénégation et, justement, une mise
en rituel aux effets incantatoires**.
Autant
dire les choses franchement : nous sommes traversés par des pulsions
multiples, contradictoires, et ce
qui nous motive dans notre rapport au vivant n’est pas que l’amour pour l’art,
le beau geste et la
biodiversité.
* Paris, Éditions du muséum National d’Histoire
Naturelle, 2020
**
Dénégation : procédé de défense par lequel un sujet formule un désir, un
sentiment tout en niant qu'il lui appartienne.
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