mardi 22 novembre 2022

Un pétition en faveur de la corrida (mes perplexités)

 


Une pétition circule en faveur de la tauromachie. Les signataires sont nombreux, l’un plus respectable que l’autre. Je remarque, par exemple, Florence Delay, Georges Didi-Huberman, Catherine Millet, Francis Wolff,  les intellectuels célèbres ne manquent pas. Personnellement, je ne suis pas trop attiré par l’imaginaire tauromachique. La corrida est un art, c’est indéniable, avec une esthétique et une éthique qui lui sont propres (je cherche à  les comprendre et en partie j’y parviens, je crois,  mais je les trouve lointaines de ma sensibilité). L’abolition de la corrida par décret,  manu militari,  me dérangerait. Il s’agirait d’un fâcheux préalable à bien d’autres interdictions portant sur des activités qui, pour ceux qui les pratiquent, n’ont rien d’anachronique : la chasse en général, et après ? La pêche, bien sûr, la cueillette, le droit de faire de l’ironie sur les bêtes, de les exploiter  dans nos métaphores,  de critiquer les gestionnaires du discours  sur les animaux, d’émettre des doutes sur leurs motivations, d’insinuer que « celui-là est un opportuniste frivole et vaniteux », que « celle-là, grâce à la souffrance animale, s’est refait une visibilité »,   … ). J’aurais du mal, cependant à signer la pétition en question. Ceci, notamment à cause des deux passages suivants :

Mon dernier ouvrage s’appelle La langue des bois : l’appropriation de la nature entre remords et mauvaise foi*. J’y traque le dispositif de la « Comédie de l’innocence » dans ses manifestations anciennes et contemporaines. Ce mécanisme consiste à  dissimuler le « scandale » du prélèvement d’une vie (humaine, animale, végétale) par sa ritualisation et par sa mise en rhétorique. Or, les deux passages que je viens de citer sont pour moi un exemple patent de « Comédie de l’innocence ». Ce que je déplore, dans cette pétition bien argumentée, c’est qu’elle n’assume pas la partie sombre des plaisirs associés aux spectacles tauromachiques. Lue dans ma perspective, l’expression : « Contrairement à ce qu’on entend, elle n’est pas un spectacle sadique de la mort mais une liturgie rituelle », est une dénégation et, justementune mise en rituel  aux effets incantatoires**.

Autant dire les choses franchement : nous sommes traversés par des pulsions multiples, contradictoires,  et ce qui nous motive dans notre rapport au vivant n’est pas que l’amour pour l’art, le beau geste et la  biodiversité. 

* Paris, Éditions du muséum National d’Histoire Naturelle, 2020

** Dénégation : procédé de défense par lequel un sujet formule un désir, un sentiment tout en niant qu'il lui appartienne.

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