« Mais où est le lien entre la corrida et le sacrifice ? Foutaises ! Il faudrait croire à la théorie des archétypes pour avancer des généralisations pareilles. Si on accepte ça, alors tout devient sacrificiel, inutile de s’informer, de se déplacer... on sait tout à l’avance, sans besoin d’interroger les protagonistes, le public… c’est le contraire d’une bonne anthropologie. La tauromachie, par ailleurs, est une création récente, lointaine de l’archaïsme du sacrifice sanglant ».
Tout ceci est très pertinent, me dis-je. Et je pense avec tendresse à ces aficionados qui, naïvement, voyaient dans le sacrifice un bel argument pour anoblir leur passion*. Les autres interprétations de la tauromachie sont sans doute plus précises et plus respectueuses du point de vue des intéressés (voire même de celui du taureau, chez les interprètes les plus doués).
Cela dit, je revendique le droit d'attribuer à la lecture sacrificielle, non pas la place principale, mais une place quand même. Je ne parle pas du sacrifice analysé par Henri Hubert et Marcel Mauss, Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant, Luc De Heusch etc. Je parle du sacrifice tel qu’il a été conceptualisé par René Girard. Derrière le sacrifice, le lynchage. Le lynchage et ses effets cathartiques. Nier, pour la corrida, la légitimité des motivations évoquées par ses défenseurs serait injuste et superficiel. Nier que la violence collective trouve dans le spectacle tauromachique un formidable moyen pour s’exprimer et pour se dissiper (momentanément), est simplement hypocrite**.
* Un peu comme ces chasseurs, sur lesquels je reviens périodiquement, qui se prennent pour d'anciens druides protégeant l’environnement depuis la nuit des temps.
** Ce n'est qu'un moyen parmi d'autres, comme je l'explique dans Faut que ça saigne. Écologie, religion, sacrifice. Son principal défaut, comme pour la chasse à courre, c'est d'être trop explicite. Inutile donc d'accabler les toréadors et leur public. La logique sacrificielle hante aussi les détracteurs des spectacles sanglants.
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