Trophées éphémères au marché de Brest
En matière de chasse j'aime bien citer
Hemingway parce que je le considère à la fois un écrivain efficace (même si ce
n'est pas mon genre, à quinze ans j'adorais Salinger) et un grand colporteur de
clichés cynégétiques. Hemingway, en effet, est un "chasseur de base"
qui exprime admirablement ce que les autres chasseurs formulent moins bien que
lui. L'autre jour, en commentant son admiration pour le koudou qu'il terrasse à
la page 191 de Les vertes collines
d'Afrique, j'étais tenté de le taxer d'hypocrisie : "Monsieur
Hemingway, vous venez d'abattre ce noble animal, trouvez-vous logique (trouvez-vous
décent) de vous attarder sur sa beauté et sur sa fraicheur ?"
Cela dit, si Hemingway est hypocrite, il n'est
pas le seul.
J'ai l'habitude d'acheter des saucissons au marché de Brest. Il y en
a aux figues, aux cèpes, aux noisettes (n'oublions pas le porc, qui donne de la
consistance au tout)*. Il y en a
aussi au taureau, au chevreuil, au sanglier, animaux qui sont mis en valeur non pas en raison de leurs vertus esthétiques,
comme dans le trophée conventionnel, mais pour leurs vertus alimentaires. En décantant les qualités gustatives de ces "trophées éphémères"
(saucisses, terrines et autres rillettes de gibier), serais-je plus
innocent, je veux dire moins hypocrite qu'Hemingway?
"Ce n'est pas la même chose", diront
certains, "le taureau n'a pas été tué dans une corrida et le chevreuil et
le sanglier - qui sont en fait des bêtes d'élevage - n'ont pas été tués par des
chasseurs".
Bref, si la viande du taureau n'a pas été contaminée par l'action du toréador, si la viande du sanglier ou du chevreuil n'a pas été souillée
par la jouissance du chasseur, nous
pouvons les consommer sans problème.
* Le porc, chez nous, étant moins noble que le
koudou, son immolation pose moins de résistances morales (et ce n'est pas la moule qui dira le contraire).
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