Noble animal
Dans une recherche qui
a déjà quelques temps j'avançais l'idée que nous sommes devenus républicains en matière d'ordre social
(le roi n'est plus à la mode) mais nous restons monarchistes pour ce qui concerne l'ordre
naturel. J'étais fier de cette trouvaille qui n'a pas suscité la moindre réaction. Le discours ambiant, pourtant, fait encore la différence entre les animaux
nobles et les autres (les ignobles?). Le loup, par
exemple, est noble. La vache ne l'est pas*.
" Il ne faut
pas passer sous silence les raisons des éleveurs, a déclaré tout récemment
madame Debora Serracchiani, présidente de la région Friuli Venezia Giulia, mais il faut tenir compte de l'évolution des sensibilités : pendant des
décennies nous et nos enfants nous avons grandi dans la crainte qu'un animal
noble comme le loup disparaisse définitivement du sol italien".
Je les imagine
bien, Madame Serracchiani et ses enfants, grandissant dans l'angoisse face au risque que le loup disparaisse du sol italien. Je dirais même que les comprends. Et ceci d'autant plus
que, fort heureusement, je ne suis pas une vache.
*Je reviendrai, à ce propos, sur les stratégies rhétoriques du WWF
°°°
Je profite de cette
occasion pour annoncer notre prochain séminaire :
Séminaire
EHESS - IIAC-Centre Edgar Morin
L'appropriation
de la nature entre remords et mauvaise foi : la prédation comme spectacle
6
février 2017 (exceptionnellement le 1er lundi) - de 15h à 17h -
exceptionnellement en salle 9 (105 bd Raspail, 75006 Paris)
Patrick
Degeorges
La prévention du
risque de prédation entre gestion des dommages et contrôle de la population :
quel avenir pour la conservation du loup?
La cohabitation
avec les loups repose sur la capacité de l'Etat à mettre en oeuvre des mesures
de prévention du risque de prédation, acceptables par l'ensemble des acteurs
concernés (agriculture, ONG, élus, agents de l'Etat responsables de la gestion
de la faune sauvage protégée). Nous proposons une analyse de la construction
sociale de cette notion qui engage tous les volets de la politique de
conservation du loup (indemnisation des dommages, adaptation des systèmes
d'élevage, dérogation au statut de protection stricte de l'espèce, recherches
scientifiques sur l'espèce) et révèle ses ambivalences.
Noblesse (Wikipedia): renvoie généralement à la notion d'ordre ou de caste et désigne alors la condition d'un groupe social distinct et hiérarchisé jouissant de privilèges.
RépondreSupprimerLa noblesse morale est rattachée à la notion de vertu, c'est-à-dire une attitude désintéressée de comportement.
Il me semble que le loup cache bien la vertu de son caractère derrière les impératifs de son système digestif, un peu comme tout le monde, et aussi les mouches et la mauvaise herbe.
C'est dommage, ce n'est que moi, ça a peu d'impact, mais l'intérêt de votre"trouvaille" m'avait frappée, et je regrette qu'elle soit restée sans suite.
L'usage commun de quelques locutions mettent au grand jour ces contradictions entre notre égalitarisme admis (ou subi) et un goût certain pour le système de castes (qui, tel l'hydre de Lerne se renforce quand on lui coupe une tête).
"c'est classe" (sous-entendu "classe élevée"), "une allure racée" (! - de quelle race ?) et, de l'autre côté : "vulgaire"(qui vient du peuple), "populiste" (- comme Benoît Hamon maintenant - les méchants très bêtes qui réclament plus de justice sociale, dont je ne me prive pas de faire partie).
Lors d'un micro-trottoir du journal de France 2 sur le salaire universel, une dame très bien de sa personne remarquait que tout le monde "n'a pas la même valeur".
Quand j'étais jeune, dans le milieu modeste dont je suis issue, quand quelqu'un sortait du "droit chemin", certains déploraient qu'il singeât les "puissants"(pauvres singes).
Ca rappelle la Distinction de Bourdieu. Ce qui est populaire (le Boléro de Ravel) et ce qui est noble (l'opéra), mais aussi ce qui connu massivement, et ce qui est plus confidentiel (l'entre-soi des gens initiés). La vache, qui est bêtement partout, contre le loup qui se fait plus rare.
RépondreSupprimerLe jour viendra, dans le futur végétalien qui nous attend, où les loups seront plus nombreux que les vaches. Être vache sera alors plus chic qu'être loup. Je pense que l'opéra, sur la plan de l'imaginaire social, n'est "noble" qu'au second degré : elle garde une connotation populaire mais elle est aimée aussi, c'est vrai, par une minorité d'avant-gardistes appartenant aux classes aisées.
SupprimerJe pense en fait que nous avons la mauvaise habitude de hiérarchiser (comme cela nous chante) le potentiel sémiotique des différents animaux.
RépondreSupprimerEn lisant un texte ethnologique consacré au loup où il est dit qu'il est "rarement un animal" mais plus souvent un "opérateur de sens, un signe à interpréter qui rassemble des différences internes, c'est-à-dire une multiplicité de perspectives actualisant selon le contexte, un point de vue qu'une personne peut avoir sur elle-même, et sur l'environnement extérieur) je me disais que l'analyse était intéressante, mais me posais la question suivante : L'auteur du texte fondant son raisonnement sur des arguments faisant référence aux croyances de ses informateurs, dans quelle mesure ces croyances sont-elles accessibles, autrement dit est-ce que les informateurs en question ne peuvent pas aussi mentir à l'ethnologue, ou en tout cas adapter leur discours à ce qu'ils pensent que celui-ci attend d'eux?
RépondreSupprimerEt que se passerait-il si l'on proposait ce genre d'interprétation pour un animal moins "noble" que le loup ? Un animal dont les ethnologues sont peut-être moins enclins à croire qu'il fait l'objet de croyances réelles de la part de leurs informateurs (auquel cas il risque de rester un simple "animal" aux yeux du chercheur) ? Autrement dit, n'importe quel animal peut-il être interprété comme un "opérateur de sens"? Est-ce que les chercheurs eux-mêmes n'auraient pas certains a priori à ce sujet? C'est une vraie question que je me pose, j'espère avoir pu la formuler de façon un tant soit peu intelligible.