vendredi 8 octobre 2021

Le sauvage que je suis (réminiscences 1)

 


- Le Silvolâtre* : Le  beau de la nature sauvage c’est que, lorsque j’y pénètre, je retrouve ma sauvagerie. Une fois dans la Wilderness, j'ai le droit de me comporter comme un sauvage.

 - Le Sceptique :  Mais cette nature sauvage dans laquelle vous pénétrez ... est-elle vraiment sauvage?

 - Le Silvolâtre :  Je peux vous le garantir :  je l'ai fabriquée moi-même!

 

C’est ainsi que je résume ce passage de mon ouvrage : Le retour du prédateur. Mises en scène du sauvage dans la société post-rurale ** :

 

" Domestique et sauvage : un champ rhétorique

En fait, une lecture considérant l’ « appel du sauvage » non pas comme une donnée immuable, un universel psychique, mais comme une construction symbolique, nous pousserait à soutenir que, lorsqu’il pénètre dans la « nature sauvage », notre moderne prédateur   ne « retrouve » rien du tout. Il tombe sur quelque chose, c’est vrai,  mais c’est sur ce que lui-même y avait mis : un décor, des représentations, un mode d’emploi : « la nature est ce lieu où l’on est censé être naturel. Être naturel revient à … ».  Pendant que je participe à un cours de tango, je peux presser mon corps contre celui d’une inconnue sans que personne n’y trouve rien à redire. C’est prévu, voire même exigé. Dans la pénombre d’une église, en revanche,  ce serait mal vu. Lorsque je participe à un match de rugby, je peux marcher  sur les cuisses de mon antagoniste tout en sachant que cette manifestation d’ « exubérance masculine » ne choquera pas outre mesure  le staff arbitral et sera même approuvée par la partie la plus « virile » du public … « ici on n’est pas au patronage … ».     Autrement dit, présentée officiellement comme ce qui échappe au processus de domestication, comme  ce qui, une fois chassé, « revient au galop », la sauvagerie de l’homme et de la nature est, en fait,  une dimension culturellement entretenue. Il ne s’agit pas d’une donnée, mais  d’un produit. Si pour les sciences naturelles la  nature sauvage  est une réalité biologique,  pour les sciences de l’homme il s’agit d’une représentation sociale (dans le sens où nous ne pouvons atteindre cette réalité que par le biais des schémas culturels qui orientent notre perception et notre action). La fonction de cette représentation (parce que les représentations sociales ont aussi un aspect pragmatique) est, entre autres,  de construire une dimension individuelle et collective  où, au nom de l’instinct, du cerveau reptilien où de la phylogenèse, j’ai le droit d’exprimer ma « sauvagerie ». Les pulsions biologiques, l’atavisme, autrement dit, seraient moins la cause que le prétexte du regain d’intérêt pour le monde sauvage".

 

Cette citation me donne  envie d’en produire d’autres, juste pour rappeler l’esprit de mes anciens travaux. Je le ferai dorénavant avec une certaine régularité.

 

*Néologisme inélégant qui me permet  de donner un nom aux adorateurs de la Silva, à savoir de la forêt (j'en fais partie,mais je milite pour une silvolâtrie critique).

**Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 88

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