- Le Silvolâtre* : Le beau de la nature sauvage c’est que, lorsque j’y pénètre, je retrouve ma sauvagerie. Une fois dans la Wilderness, j'ai le droit de me comporter comme un sauvage.
- Le Sceptique : Mais cette nature sauvage dans laquelle vous pénétrez ... est-elle vraiment sauvage?
- Le Silvolâtre : Je peux vous le garantir : je l'ai fabriquée moi-même!
C’est ainsi que je résume ce
passage de mon ouvrage : Le retour
du prédateur. Mises en scène du sauvage dans la société post-rurale ** :
" Domestique et sauvage : un champ rhétorique
En fait, une lecture considérant
l’ « appel du sauvage » non pas comme une donnée immuable, un
universel psychique, mais comme une construction symbolique, nous pousserait à
soutenir que, lorsqu’il pénètre dans la « nature sauvage », notre
moderne prédateur ne
« retrouve » rien du tout. Il tombe sur quelque chose, c’est
vrai, mais c’est sur ce que
lui-même y avait mis : un décor, des représentations, un mode
d’emploi : « la nature est ce lieu où l’on est censé être naturel. Être naturel revient à … ».
Pendant que je participe à un cours de tango, je peux presser mon corps
contre celui d’une inconnue sans que personne n’y trouve rien à redire. C’est
prévu, voire même exigé. Dans la pénombre d’une église, en revanche, ce serait mal vu. Lorsque je participe
à un match de rugby, je peux marcher
sur les cuisses de mon antagoniste tout en sachant que cette
manifestation d’ « exubérance masculine » ne choquera pas outre
mesure le staff arbitral et sera
même approuvée par la partie la plus « virile » du public …
« ici on n’est pas au patronage … ». Autrement dit, présentée officiellement
comme ce qui échappe au processus de domestication, comme ce qui, une
fois chassé, « revient au galop », la sauvagerie de l’homme et de la
nature est, en fait, une dimension
culturellement entretenue. Il ne s’agit pas d’une donnée, mais d’un produit. Si pour les sciences naturelles
la nature sauvage est une réalité biologique, pour les sciences de l’homme il s’agit d’une
représentation sociale (dans le sens où nous ne pouvons atteindre cette réalité
que par le biais des schémas culturels qui orientent notre perception et notre
action). La fonction de cette représentation (parce que les représentations
sociales ont aussi un aspect pragmatique) est, entre autres, de construire
une dimension individuelle et collective
où, au nom de l’instinct, du cerveau reptilien où de la phylogenèse,
j’ai le droit d’exprimer ma « sauvagerie ». Les pulsions biologiques,
l’atavisme, autrement dit, seraient moins la cause que le prétexte du
regain d’intérêt pour le monde sauvage".
Cette citation me donne envie d’en produire d’autres, juste pour rappeler l’esprit de mes anciens travaux. Je le ferai dorénavant avec une certaine régularité.
*Néologisme inélégant qui me permet de donner un nom aux adorateurs de la Silva, à savoir de la forêt (j'en fais partie,mais je milite pour une silvolâtrie critique).
**Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 88
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