Ce qui reste de la boucherie en question
Nous étions une famille de barbares. Mon père mangeait de la viande.
Pas trop, à dire vrai, mais il aimait la langue de bœuf. Ma mère aimait les
rognons et les escargots. Tout comme moi. Je crois savoir que mon grand père
avait un faible pour la tête de veau (tout comme Chirac). Et nous avions la
capacité, encore plus barbare, de laisser la viande dans le frigidaire pendant
un temps considérable. Nous pratiquions en fait un rituel hebdomadaire. Tous
les vendredis un couple d'amis passait à la maison. Après avoir échangé quelques
mots conventionnels nous partions en procession chez le boucher. Il habitait à
une quinzaine de kilomètres. Ce n'était
pas très pratique mais on y allait de bon cœur. On l'avait choisi parce que sa
viande avait passé l'été dans les pâturages alpins*, et il la proposait à des prix fort
intéressants. Il avait les cheveux roux ce qui, dans mon esprit d'enfant, avait
un lien direct aves sa profession. Ma mère choisissait les morceaux, ma grand-mère
supervisait. Du veau pour les cotolette
alla milanese; des lamelles fines de
bœuf pour les osèi scamapai *(oiseaux
sans tête dit-on en Belgique), du jarret
pour le bollito et pour le polpettone préparé à partir de ce qui en
restait. Personne n'aimait la viande saignante ("On n'était pas des sauvages,
quoi ...")*. Les différents morceaux étaient emballés dans du papier
beigeâtre particulièrement râpeux. Dans
le dernier paquet il y avait du poumon pour le chat. Je me souviens encore de
cette masse mauve et puante, pleine de trous comme une éponge, qui restait
collée au papier. Le chat aimait. Un barbare lui aussi comme les autres membres
de la famille.
Ce boucher gâtait ses clients. Tous les ans, pour noël, il leur faisait
cadeau d'un chapon. Après il a dû fermer. L'âge, peut-être, ou la concurrence
des supermarchés. Ou sa prodigalité.
* Littéralement : oiseaux qui se sont envolés. Autre chose que les
alouettes sans tête.
* Dit comme cela c'est atroce.
*Après j'ai évolué.
Eravamo una famiglia di barbari. Mio padre
mangiava della carne. Non troppo, a dire il vero, ma gli piaceva la lingua di
manzo. A mia madre piacevano il rognone e le lumache. Proprio come a me. Pare
che mio nonno avesse un debole per la testina di vitello (proprio come Chirac).
E avevamo la capacità, ancora più barbara, di lasciare la carne nel frigo per
parecchi giorni. Praticavamo un rito settimanale. Ogni venerdì una coppia di
amici passava a casa nostra. Dopo qualche frase convenzionale partivamo in
processione dal macellaio. Abitava a una quindicina di chilometri. Non era
molto pratico, ma ci andavamo volentieri. Lo avevamo scelto perché la sua carne
aveva passato l'estate nei pascoli alpini (detto così è atroce) e faceva degli
ottimi prezzi. Era rosso di capelli il che, nel mio spirito infantile, era
direttamente legato al suo mestiere. Mia madre sceglieva, mia nonna
sovrintendeva. Del vitello per le cotolette alla milanese, delle fettine di bue
(altri usano il maiale) per gli osei
scampai; del garretto per il bollito e per il polpettone preparato a
partire dai resti del bollito. A nessuno piaceva la carne al sangue ("non
siamo mica dei selvaggi ..."). I vari pezzi erano imballati in una carta
giallastra particolarmente ruvida. Nell'ultimo pacchetto c'era del polmone per
il gatto. Ricordo ancora questa massa violacea e puzzolente, piena di buchi
come una spugna, che restava incollata alla carta. Al
gatto piaceva. Un barbaro anche lui, come il resto della famiglia. Questo
macellaio viziava i suoi clienti. Ogni anno, per Natale, gli regalava un
cappone. Poi ha dovuto chiudere. L'età, forse, o la concorrenza dei
supermercati. O la prodigalità.
Peut-être que la mélancolie, qui se soigne par la beauté, va disparaître au profit de toujours plus de névroses qui, elles, recevront toujours plus de (mauvaises) réponses des laboratoires pharmaceutiques. Ce serait aussi la fin d’une forme de littérature. En tout cas la fin des haricots.
RépondreSupprimer(Mon précédent message, du 13 juillet, qui avait sa forme de solennité, n’est pas apparu, celui-ci passera peut-être les mailles de la toile).