mardi 18 juillet 2017

Une famille de barbares



 Ce qui reste de la boucherie en question

Nous étions une famille de barbares. Mon père mangeait de la viande. Pas trop, à dire vrai, mais il aimait la langue de bœuf. Ma mère aimait les rognons et les escargots. Tout comme moi. Je crois savoir que mon grand père avait un faible pour la tête de veau (tout comme Chirac). Et nous avions la capacité, encore plus barbare, de laisser la viande dans le frigidaire pendant un temps considérable. Nous pratiquions en fait un rituel hebdomadaire. Tous les vendredis un couple d'amis passait à la maison. Après avoir échangé quelques mots conventionnels nous partions en procession chez le boucher. Il habitait à une quinzaine de kilomètres.  Ce n'était pas très pratique mais on y allait de bon cœur. On l'avait choisi parce que sa viande avait passé l'été dans les pâturages alpins*,  et il la proposait à des prix fort intéressants. Il avait les cheveux roux ce qui, dans mon esprit d'enfant, avait un lien direct aves sa profession. Ma mère choisissait les morceaux, ma grand-mère supervisait. Du veau pour les cotolette alla milanese;  des lamelles fines de bœuf pour les osèi scamapai *(oiseaux sans tête dit-on en Belgique),  du jarret pour le bollito et pour le polpettone préparé à partir de ce qui en restait. Personne n'aimait la viande saignante ("On n'était pas des sauvages, quoi ...")*. Les différents morceaux étaient emballés dans du papier beigeâtre particulièrement  râpeux. Dans le dernier paquet il y avait du poumon pour le chat. Je me souviens encore de cette masse mauve et puante, pleine de trous comme une éponge, qui restait collée au papier. Le chat aimait. Un barbare lui aussi comme les autres membres de la famille.



Ce boucher gâtait ses clients. Tous les ans, pour noël, il leur faisait cadeau d'un chapon. Après il a dû fermer. L'âge, peut-être, ou la concurrence des supermarchés. Ou sa prodigalité.



* Littéralement : oiseaux qui se sont envolés. Autre chose que les alouettes sans tête.

* Dit comme cela c'est atroce.

*Après j'ai évolué.





Eravamo una famiglia di barbari. Mio padre mangiava della carne. Non troppo, a dire il vero, ma gli piaceva la lingua di manzo. A mia madre piacevano il rognone e le lumache. Proprio come a me. Pare che mio nonno avesse un debole per la testina di vitello (proprio come Chirac). E avevamo la capacità, ancora più barbara, di lasciare la carne nel frigo per parecchi giorni. Praticavamo un rito settimanale. Ogni venerdì una coppia di amici passava a casa nostra. Dopo qualche frase convenzionale partivamo in processione dal macellaio. Abitava a una quindicina di chilometri. Non era molto pratico, ma ci andavamo volentieri. Lo avevamo scelto perché la sua carne aveva passato l'estate nei pascoli alpini (detto così è atroce) e faceva degli ottimi prezzi. Era rosso di capelli il che, nel mio spirito infantile, era direttamente legato al suo mestiere. Mia madre sceglieva, mia nonna sovrintendeva. Del vitello per le cotolette alla milanese, delle fettine di bue (altri usano il maiale) per gli osei scampai; del garretto per il bollito e per il polpettone preparato a partire dai resti del bollito. A nessuno piaceva la carne al sangue ("non siamo mica dei selvaggi ..."). I vari pezzi erano imballati in una carta giallastra particolarmente ruvida. Nell'ultimo pacchetto c'era del polmone per il gatto. Ricordo ancora questa massa violacea e puzzolente, piena di buchi come una spugna, che restava incollata alla carta.   Al gatto piaceva. Un barbaro anche lui, come il resto della famiglia. Questo macellaio viziava i suoi clienti. Ogni anno, per Natale, gli regalava un cappone. Poi ha dovuto chiudere. L'età, forse, o la concorrenza dei supermercati. O la prodigalità.


1 commentaire:

  1. Peut-être que la mélancolie, qui se soigne par la beauté, va disparaître au profit de toujours plus de névroses qui, elles, recevront toujours plus de (mauvaises) réponses des laboratoires pharmaceutiques. Ce serait aussi la fin d’une forme de littérature. En tout cas la fin des haricots.
    (Mon précédent message, du 13 juillet, qui avait sa forme de solennité, n’est pas apparu, celui-ci passera peut-être les mailles de la toile).

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