Devenu vieux et n’ayant pas grand-chose à faire pendant la journée, mon père passait quelques moments à
la fenêtre, notamment le matin. Il regardait un laurier que j’avais ramené de Rome des années auparavant dans une poche de ma veste de
velours à la James Taylor * : juste une petite racine enfouie dans sa motte
de terre, une tige et deux feuilles microscopiques. Maintenant c’est un arbre respectable bien intégré dans le collectif dont il fait partie. Un merle
y avait fait son nid. Mon père suivait sans trop de commentaires le va-et-vient
de ce bipède sautillant. Dire que ça lui
remplissait la journée serait faux. Juste une courte contemplation. C’est
pratique : on s’identifie à l’oiseau, on se projette dans son monde (dans
son Umwelt, comme le dirait Jakob von Uexküll), et on oublie sa propre finitude. Sans y penser, tout à l’heure, je regardais le
laurier, qui est toujours là, comme le faisait mon père. Dans
le feuillage quelque chose a bougé. Le merle, sans doute. Non, c’était un geai. Aurais-je vu sortir un rat, ça ne m'aurait pas troublé davantage. (À suivre)
* Dans certains milieux, à l'époque, on s'habillait "country-folk".
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