jeudi 24 juin 2021

L’inquiétante étrangeté (autour des jardins, de la mémoire et de la notion de collectif)

 

Devenu vieux et n’ayant pas grand-chose  à faire pendant la journée, mon père  passait quelques moments à la fenêtre, notamment le matin. Il regardait un  laurier que j’avais ramené de Rome des années auparavant dans une poche de ma veste de velours à la James Taylor * : juste une petite racine enfouie dans sa motte de terre, une tige et deux feuilles microscopiques. Maintenant c’est un arbre respectable bien intégré dans le collectif dont il fait partie.  Un merle y avait fait son nid. Mon père suivait sans trop de commentaires le va-et-vient de ce bipède sautillant.  Dire que ça lui remplissait la journée serait faux. Juste une courte contemplation. C’est pratique : on s’identifie à l’oiseau, on se projette dans son monde (dans son Umwelt, comme le dirait Jakob von Uexküll), et on oublie sa propre finitude.  Sans y penser, tout à l’heure, je regardais le laurier, qui est toujours là,  comme le faisait mon père. Dans le feuillage quelque chose a bougé. Le merle, sans doute.  Non, c’était un geai. Aurais-je vu sortir un rat, ça ne m'aurait pas troublé davantage. (À suivre)

 

* Dans certains milieux, à l'époque, on s'habillait "country-folk".

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