Photo du premier steack in vitro tel qu'il a été produit par mark Post en 2013. J'ai emprunté cette image au site de l'INRAE : https://www.inrae.fr/actualites/viande-vitro-voie-exploratoire-controversee
Dans L’éloquence
des bêtes*, j’évoque le processus de « sanctification » prôné par
Tolstoï qui mène du renoncement à la viande (très moral), au renoncement à la
sexualité (encore plus moral). Les deux renoncements ne vont pas forcément ensemble.
On peut être à la fois un·e végétarien·ne draconien·ne, j’imagine, et un·e copulateur·trice
compulsif·ive. Mais la question de ce lien, ne serait-ce que sur le plan
symbolique, n’est pas dépourvue d’une
certaine pertinence :
« Le rapprochement entre
consommation de viande et consommation sexuelle n’est certainement pas récent,
comme n’est pas récent le sentiment de perfectionnement, donc de supériorité
morale, lié au dépassement de ces « besoins ». Lev Tolstoï, dans une
apologie du végétarisme intitulée Il primo gradino (La première Marche)**,
professe l’abandon de l’alimentation carnée en tant que premier pas vers le
renoncement aux plaisirs de la chair, idée qui, dans la plupart des cas, reste
implicite, passée sous silence ou niée***.
Mais, de façon plus générique,
c’est dans les travaux des spécialistes de l’inconscient que le lien
entre nourriture et sexualité semble se combiner dans une configuration
significative. (…) Le refus de l’alimentation carnée théorisé par les ennemis
des bouchers, partie émergente d’un plus large discours sur l’alimentation tout
court, semble exprimer, parfois, des refus bien plus drastiques : refus du
corps, refus de la sexualité ou de certaines formes de sexualité, refus de la
reproduction dans ses conséquences déformantes et animalisantes. Dans l’abstinence
pratiquée par les Catholiques, écrit Colette Méchin (son article montre les
liens, dans l’imaginaire occidental, entre la "force" des aliments
carnés et l’énergie assimilée par le mangeur), il s’ agissait, par le refus de consommer
certains produits d’origine animale, (…) de maîtriser ses pulsions sensuelles et
sexuelles »****.
« C’est tout à fait ça, je ne
veux pas avoir de corps, et j’aurais voulu être Dieu », avoue avec transport la patiente d’un
psychanalyste citée par Noëlle Châtelet dans son ouvrage Le corps à corps culinaire»*****.
(Extrait du chapitre : « Du plaisir du chasseur aux souffrances de l’écologiste »,
p. 140-141.
*** S’opposer aux plaisirs de la chair, aujourd’hui, est considéré comme plutôt démodé, un peu comme se vanter de sa virginité ou déclarer son opposition au suffrage universel.
****Colette Méchin, La symbolique de la viande », in Monique Paillat éd. « Le Mangeur et l’animal. Mutations de l’élevage et de la consommation », Autrement, Paris, 1997, p. 121-134
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