dimanche 3 avril 2022

De la viande in vitro à la sexualité in vitro?

 
Photo du premier steack in vitro tel qu'il a été  produit par mark Post en 2013. J'ai emprunté cette image au site de l'INRAE : https://www.inrae.fr/actualites/viande-vitro-voie-exploratoire-controversee
 
Dans L’éloquence des bêtes*, j’évoque le processus de « sanctification » prôné par Tolstoï qui mène du renoncement à la viande (très moral), au renoncement à la sexualité (encore plus moral). Les deux renoncements ne vont pas forcément ensemble. On peut être à la fois un·e végétarien·ne draconien·ne, j’imagine, et un·e copulateur·trice compulsif·ive. Mais la question de ce lien, ne serait-ce que sur le plan symbolique,  n’est pas dépourvue d’une certaine pertinence :

« Le rapprochement entre consommation de viande et consommation sexuelle n’est certainement pas récent, comme n’est pas récent le sentiment de perfectionnement, donc de supériorité morale, lié au dépassement de ces « besoins ». Lev Tolstoï, dans une apologie du végétarisme intitulée Il primo gradino (La première Marche)**, professe l’abandon de l’alimentation carnée en tant que premier pas vers le renoncement aux plaisirs de la chair, idée qui, dans la plupart des cas, reste implicite, passée sous silence ou niée***. Mais, de façon plus générique,  c’est dans les travaux des spécialistes de l’inconscient que le lien entre nourriture et sexualité semble se combiner dans une configuration significative. (…) Le refus de l’alimentation carnée théorisé par les ennemis des bouchers, partie émergente d’un plus large discours sur l’alimentation tout court, semble exprimer, parfois, des refus bien plus drastiques : refus du corps, refus de la sexualité ou de certaines formes de sexualité, refus de la reproduction dans ses conséquences déformantes et animalisantes. Dans l’abstinence pratiquée par les Catholiques, écrit Colette Méchin (son article montre les liens, dans l’imaginaire occidental, entre la "force" des aliments carnés et l’énergie assimilée par le mangeur), il s’       agissait, par le refus de consommer certains produits d’origine animale, (…) de maîtriser ses pulsions sensuelles et sexuelles »****.  « C’est tout à fait ça, je ne veux pas avoir de corps, et j’aurais voulu être Dieu »,  avoue avec transport la patiente d’un psychanalyste citée par Noëlle Châtelet dans son ouvrage Le corps à corps culinaire»*****.
(Extrait du chapitre : « Du plaisir du chasseur aux souffrances de l’écologiste », p. 140-141.


*L’éloquence des bêtes. Quand l’homme parle des animaux. Paris, Métailié, 2006.

** Manca, Genova

*** S’opposer aux plaisirs de la chair, aujourd’hui, est considéré comme plutôt démodé, un peu comme se vanter de sa virginité ou déclarer son opposition au suffrage universel.

****Colette Méchin, La symbolique de la viande », in Monique Paillat éd.  « Le Mangeur et l’animal. Mutations de l’élevage et de la consommation », Autrement, Paris, 1997, p. 121-134

***** « Il est question du dégoût, de la répugnance pour les nécessités corporelles impliquées par la survie : le caca, les règles … »  Paris, Seuil , 1987, p. 125, ibid. Châtelet cite l’ouvrage de E.et J. Kestemberg et S. Décobert, La faim et le corps, Paris, PUF, 1972, p.60

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